Interview de M. Philippe de Villiers, président du Mouvement pour la France, dans "Le Figaro" du 6 septembre 1997, sur la défaite de la droite aux élections législatives de mai-juin 1997, ses relations avec l'opposition RPR UDF, et les lignes de fracture entre le MPF et le Front national.

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Le Figaro : Vous ne vous êtes pas exprimé depuis le soir du second tour. Pourquoi ce silence ?

Philippe de Villiers : Il fallait d’abord tirer les leçons de l’incroyable défaite de la droite, pour ensuite reconstruire une opposition ferme et déterminée au socialisme.

Le Figaro : Cet échec, ce n’est pas seulement celui du RPR et de l’UDF, c’est celui de toute la droite, donc aussi le vôtre...

Philippe de Villiers : Les appareils de la majorité présidentielle se sont tiré une balle dans le pied. Ils ont voulu exclure toute la droite non maastrichtienne, non alignée sur la pensée unique. Si la majorité avait été plus ouverte, nous n’aurions pas perdu les élections. Pendant les vacances, j’ai relu Clausewitz, et j’ai constaté qu’il recensait déjà les deux erreurs commises par la droite parlementaire. Primo, se placer sur le terrain de l’adversaire : c’est ce qu’a fait le gouvernement Juppé en pratiquant une politique sociale-démocrate. Deuzio, se battre sur deux fronts : c’est ce que la majorité d’alors a fait en affrontant la gauche et le FN.

Le Figaro : À qui incombe la responsabilité de l’échec ? Au président ? À son premier ministre ?

Philippe de Villiers : Par-delà les erreurs d’appréciation, il me semble que le drame de la droite, depuis de longues années, c’est qu’elle n’ose plus défendre ses valeurs.

Le Figaro : En quoi les partis de l’opposition ne sont-ils plus de droite ?

Philippe de Villiers : Je prendrai quatre exemples :

1. La nation : ils n’en parlent plus et n’osent plus prononcer le mot de souveraineté.
2. L’entreprise : J’ai lu aujourd’hui que Mme Aubry a développé son plan devant la commission des affaires sociales de l’Assemblée dans un climat d’unanimité, en présence des députés de l’opposition. Personnellement, je crois que c’est l’entreprise qui crée de l’emploi, et pas une fonction publique au rabais.
3. La famille : elle est oubliée. Dans les interventions des opposants, je n’entends pas parler de la déplorable mutilation des allocations familiales.
4. Les valeurs : on a vu, avec l’extraordinaire succès des Journées mondiales de la jeunesse, qu’elles n’étaient pas ringardes, contrairement à ce que croyaient le RPR et l’UDF, qui craignent toujours d’être assimilés à des défenseurs de l’ordre moral.

Le Figaro : Comment expliquez-vous que le MPF, qui défend ces valeurs, n’ait pas connu un plus franc succès ?

Philippe de Villiers : Je crois que le MPF est un mouvement naissant qui en est à sa phase d’implantation. Aux élections législatives, il a représenté 10 % du score du RPR et de l’UDF : ce n’est pas si mal. Mais il est évident que la dissolution nous a gênés dans la mise en place de nos candidatures.

Le Figaro : Ce vieux serpent de mer qu’est la fusion des différentes composantes de l’opposition vient d’être relancé. Regardez-vous cette initiative d’un bon œil ?

Philippe de Villiers : La question de la fusion est purement politicienne. Plutôt que de penser à ce que pourrait être un grand parti de la reconquête, il faudrait élaborer un programme commun fondé sur les valeurs de la droite. Je suis effaré de voir certains membres de l’opposition s’exprimer uniquement sur le thème « Jospin est habile, Jospin ne commet pas d’erreurs ». Personnellement, je crois que M. Jospin développe une vision claire, mais qu’elle est typiquement socialiste. Il alourdit le poids de la fonction publique. Il augmente les impôts. Il régularise les sans-papiers. Il refuse de privatiser les entreprises publiques du secteur concurrentiel. Bref, M. Jospin « fait » du socialisme.

Le Figaro : Revenons à la fusion. Si les leaders sont contre, les électeurs sont pour, si l’on en croit un sondage…

Philippe de Villiers : Qu’il y ait fusion des structures ou un système d’alliance qui évite les ratés, peu importe. Ce que veulent les électeurs, c’est que toute la droite tourne ses carquois contre l’adversaire socialiste et qu’elle définisse une ligne. Mais ce sondage est aussi un aveu : cela signifie qu’entre le RPR et l’UDF, les Français ne voient plus la différence : le RPR n’est plus perçu comme le parti de la nation et l’UDF n’est plus vraiment perçue comme le parti du libéralisme. L’alpha et l’oméga du RPR et de l’UDF, c’est l’euro.

Le Figaro : Est-ce que la nouvelle donne, tant au RPR qu’à Démocratie libérale, peut sauver la droite ?

Philippe de Villiers : La leçon des législatives doit porter ses fruits. Il faut écouter les Français de droite. Que disent-ils ? Entendez-vous, opposez-vous, élargissez-vous. Si tout le monde écoute ces trois messages, je pense que la reconquête des électeurs est possible. Il faut faire comme la gauche, qui a toujours su étaler ses différences, alors que la droite les cache. La gauche fait des additions, et la droite des soustractions ! Elle préfère exclure. La gauche s’est présentée aux législatives avec un manteau d’arlequin, rouge, rose, vert, et va récidiver pour les régionales. Il est hautement souhaitable que, par des alliances locales, sinon nationales, la droite se retrouve unie : l’ensemble des partis de l’opposition doit montrer aux Français que leur message a été entendu.

Le Figaro : Certains ne semblent pas vouloir vous entendre. À la proposition d’Hervé de Charette, qui estimait « urgent que le MPF soit intégré dans l’opposition », François Léotard a dit « niet » …

Philippe de Villiers : Quand je vois le président de l’UDF dire qu’il n’est pas question de faire un accord avec le MPF tout en appelant de ses vœux une alliance avec les socialistes pour conquérir la région PACA, je pense qu’il commet une grossière erreur.

Le Figaro : Laquelle ?

Philippe de Villiers : Il se trompe sur le fond de sa démarche et sur sa stratégie. Sur le fond : cela traduit le fait qu’il n’a plus de ligne politique. Sur la stratégie, une telle attitude ne peut que générer des dissidences dans la région PACA. Le MPF ainsi que certains élus du RPR et de l’UDF ne pourront accepter un choix qui consiste à rejeter les sensibilités de droite pour faire copain-copain avec les appareils de gauche.

Le Figaro : Comment analysez-vous la stratégie de François Léotard ?

Philippe de Villiers : Les déclarations de ceux qui préparent une alliance avec la gauche me sont indifférentes. La question n’est pas pour moi de m’en prendre à M. Léotard, mais à M. Jospin. Même si M. Léotard doit devenir un jour un acolyte de M. Jospin !

Le Figaro : Vous pensez qu’une partie de l’opposition est tentée par une alliance avec le PS…

Philippe de Villiers : On l’entend dire. Si, dans plusieurs mois, il s’avère que certains positionnements consensuels à l’égard des socialistes ont été calculés pour préparer un ralliement à M. Jospin au moment où les communistes quitteront le gouvernement, on le saura toujours assez tôt pour le dénoncer.

Le Figaro : Vous êtes plutôt en faveur d’une abstention, au risque d’abandonner la région PACA au FN…

Philippe de Villiers : La gauche cherche à nous complexer pour éviter que nous fassions ce qu’elle fait lorsqu’elle s’allie avec les Verts, le PC et l’extrême gauche.

Le Figaro : Clairement, que faut-il faire : négocier avec la gauche ou abandonner la région PACA au FN ?

Philippe de Villiers : Ni l’un, ni l’autre. Et surtout ne pas parler d’alliances électorales. En parler, c’est avouer que l’on est faible et admettre à l’avance sa défaite. Attention ! Toute forme de processus intellectuel qui privilégierait une alliance avec la gauche se révélerait à terme une mécanique mortelle pour la droite classique.

Le Figaro : Quelles sont précisément les lignes de fracture qui séparent le MPF du FN ?

Philippe de Villiers : Le président du FN a des outrances du type « têtes coupées sur un plateau » qui rendent difficiles rapprochements ou alliances. À travers ses propos de tribune, Jean-Marie Le Pen cherche avant tout à rendre impossible l’union des droites.

Mais je pense que la question ne se résume pas à une question d’alliance ou de rejet pur et simple. Les Français attendent autre chose qu’un jeu d’anathèmes. Les électeurs du FN ne doivent pas être traités comme des parias. Car qu’est-ce qu’un électeur du FN, sinon un centriste déçu ou un gaulliste désemparé ? N’insultons pas les électeurs du FN et n’insultons pas leurs convictions. Pour ma part, je n’entrerai pas dans la dialectique dangereuse dans laquelle la gauche veut nous plonger en nous interdisant de faire l’union des électeurs de droite. Est-ce qu’eux ne sont pas alliés aux communistes ? Ne nous trompons pas d’adversaire : notre adversaire, c’est le socialisme.

Le Figaro : Après trois mois de gouvernement Jospin, comment jugez-vous son action ?

Philippe de Villiers : Sévèrement. Il ne faut pas se laisser piéger par la sémantique de la gauche, les socialistes ont toujours été des funambules de la sémantique : je me souviens très bien, en 1982, lorsqu’ils ont inventé le terme « nouveaux pauvres ». En fait, c’étaient leurs pauvres. Aujourd’hui, c’est pareil. Lionel Jospin, à peine arrivé à Matignon, a commencé par surtaxer les bénéfices des entreprises. Cet impôt a été présenté comme une taxe sur les grandes entreprises multinationales, c’est-à-dire sur des entreprises faisant plus de 50 millions de chiffre d’affaires ! Dans mon département de Vendée, il n’y a pas de multinationales, mais des PME, et la plupart de ces entreprises sont touchées par cette nouvelle taxe. En réalité, c’est un impôt sur les entreprises qui créent de l’emploi, c’est-à-dire qui investissent. Et cet impôt a été présenté comme une mesure de justice sociale. Quel paradoxe ! Cela revient à dire : « Les entreprises qui gagnent de l’argent sont des voleuses », et qu’il faut donc un impôt sur le vol.

Le Figaro : Jugez-vous de la même manière le Jospin qui soutient l’euro et l’anti-maastrichtien Chevènement ?

Philippe de Villiers : Je juge les responsables publics non pas à leurs intentions mais à leurs actes. M. Chevènement développe à partir du rapport Weil un projet qui est aux antipodes de ce qu’il faudrait faire pour lutter contre l’immigration en France. Il faudrait changer la carte de séjour, renforcer les contrôles aux frontières, rendre les reconduites aux frontières vraiment efficaces, changer le Code de la nationalité pour rendre obligatoire le serment solennel devant le drapeau tricolore, ce à quoi M. Chevènement pourrait être sensible. Mais il fait le contraire : il est le ministre qui a créé l’appel d’air estival pour les sans-papiers. Comme en 1981. Aujourd’hui, on sait que deux cent mille demandes de régularisation sont arrivées dans les préfectures. Non, les socialistes n’ont pas changé, ils commettent les mêmes erreurs, devant une droite qui semble en pâmoison.