Texte intégral
Audition devant la Commission des Affaires Étrangères du Parlement Sud-Africain. (Le Cap, 9 octobre 1997)
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
J’avais bien des raisons de vouloir venir en Afrique du Sud dès mon premier voyage en Afrique en tant que ministre des Affaires Étrangères de la France. La première est ce qui s’est passé en Afrique du Sud depuis le début de la décennie. Alors que la France a mis près de cent ans pour établir, dans des lois, les idéaux révolutionnaires de 1789, après bien des épisodes sanglants, et retours en arrière, l’Afrique du Sud a d’emblée trouvé un équilibre et une juste voie admirée par les démocrates du monde entier, en particulier par les Français.
Aussi est-ce avec plaisir et fierté que je réponds aujourd’hui à l’honneur que vous me faites en me permettant de parler devant vous. Je l’apprécie d’autant plus que je sais qu’il est rare qu’un étranger soit invité à s’exprimer ainsi devant la représentation nationale sud-africaine.
En m’adressant à vous ici au Parlement, le cœur de toute démocratie, j’ai pleinement à l’esprit l’ampleur du chemin que vous avez parcouru en si peu d’années. Je tiens d’abord à vous exprimer mon admiration. Ma présence parmi vous est un signe de l’hommage de la France pour la véritable révolution que vous avez accomplie.
La France a soutenu résolument, vous le savez, l’ensemble du processus qui a permis à l’Afrique du Sud, non seulement d’abolir le régime de l’apartheid, mais aussi d’établir le dialogue entre ennemis d’hier pour ouvrir la voie à la réconciliation nationale et à la constitution de la nation « Arc-en-ciel » si chère au président Mandela. Je me souviens en particulier du succès des rencontres organisées à Dakar en 1987, sous le haut patronage du président Diouf et de Danielle Mitterrand, présidente de « France Liberté », et à Marly le Roi en 1989. Nous y avons vu une raison d’espérer, même si aucun de ceux qui ont participé à ces évènements, n’imaginait que la suite irait si vite. Et bien sûr je garde en mémoire la visite émouvante effectuée chez vous, en juillet 1994, par le président François Mitterrand, dont j’étais alors le principal collaborateur.
J’ai employé, il y a un instant, le mot de révolution pour décrire ce qui s’est passé dans votre pays et qui n’a pas d’équivalent dans l’Histoire des nations. Vous avez redonné leur dignité à ceux qui étaient humiliés, l’espoir à ceux qui l’avaient perdu, la confiance à la nation tout entière. Je ne connais pas d’exemple comparable à l’œuvre accomplie par la Commission « Vérité et Réconciliation », sous la direction de Monseigneur Desmond Tutu. Vous avez impressionné le monde.
Cette révolution a aussi permis à l’Afrique du Sud de prendre enfin toute le place qui doit être la sienne parmi les nations d’Afrique. Sous l’impulsion du Président Mandela et du vice-président Mbeki, l’Afrique du Sud s’est ouverte à un continent africain en pleine mutation. La France, présente et active en Afrique, se réjouit d’autant plus de cette ambition. Elle entend, comme vous, être partenaire fidèle, loyal et respectueux. Elle ne considère pas les pays africains comme des pions sur le grand échiquier de la diplomatie.
La France est vous le savez depuis des décennies le premier bailleur d’aide pour l’Afrique et elle n’a pas remis en cause son soutien lorsqu’à la fin de la Guerre froide, de nombreux pays industrialisés ont entrepris de redistribuer leur aide publique vers l’Europe de l’Est. La France s’est régulièrement battue et continue de se battre, au sein des instances internationales, pour que l’aide publique au développement, que certains jugent maintenant superflue, soit au moins maintenue à son niveau actuel. C’est encore elle qui lors des sommets du groupe des Sept attire l’attention de ses partenaires sur les entraves au développement que représente la dette pour de nombreux pays. C’est enfin elle qui, avec ses partenaires européens, a mis sur pied la Convention de Lomé, pour permettre aux pays ACP de tirer davantage profit de leurs échanges avec la Communauté européenne grâce à une large ouverture du marché, grâce à de instruments garantissant les revenus tirés des exportations de matières premières et grâce aux financements de très nombreux projets par le Fonds européen de développement, auquel la France contribue pour près du quart, soit nettement plus que ce que représente la part relative de sa richesse nationale dans le PIB européen.
Commencer mon voyage en Afrique par l’Afrique du Sud, c’est à mes yeux reconnaître toute l’importance de votre pays et lui tendre une main fraternelle. Je me réjouis notamment que votre Parlement ait ratifié, le 17 septembre dernier, l’adhésion qualifiée de l’Afrique du Sud à la Convention de Lomé, ce qui vous permet d’être très étroitement associé au dialogue politique établi entre l’Union européenne et les pays ACP. Je souhaite vivement que l’Afrique du Sud prenne une part très active à la révision prochaine de cette Convention.
Compte tenu de notre intérêt commun pour l’avenir du continent africain, mon pays souhaite un renforcement de notre dialogue bilatéral. Ce thème a été au cœur des entretiens que j’ai eus aujourd’hui avec le vice-président Mbeki, M. Nzo et M. Pahad.
Pour conclure, je souhaiterais vous dire du fond du cœur, Mesdames et Messieurs, l’admiration, l’amitié et la confiance de la France. Le président de la République l’avait indiqué au président Mandela l’an dernier, lors de sa visite à Paris, et je suis venu ici pour redire l’engagement de la France à vos côtés. Je suis venu aussi le dire aux investisseurs français ! Ceux-ci sont encore trop peu présents e Afrique du Sud. Comment s’en étonner ; les entreprises françaises avaient peut-être plus que d’autres appliqué les sanctions économiques prises contre le régime d’apartheid. Mais il faut aussi que nos entreprises, comme le fait le gouvernement, reconnaissent le rôle majeur de l’Afrique du Sud. Je note d’ailleurs avec satisfaction que nos relations économiques connaissent un nouvel élan depuis le début de cette année et je souhaite vivement que la France, quatrième puissance économique mondiale, puisse devenir dans un proche avenir au moins le quatrième partenaire économique de l’Afrique du Sud. De ce rapprochement naîtront, j’en suis sûr, des synergies entre entreprises françaises et sud-africaines qui leur permettront d’aborder ensemble les marchés africains, en Afrique australe comme en Afrique francophone.
Vous le voyez, Mesdames et Messieurs, les ambitions de mon pays pour l’avenir des relations franco-sud-africaines est grande. Nous voyons dans l’Afrique du Sud un partenaire essentiel, en Afrique comme ailleurs. Je ne doute pas que nous bâtirons ensemble de grandes choses.
Je vous remercie et je suis prêt à répondre à toutes les questions que vous souhaiteriez me poser.
Entretien avec le quotidien Sud-Africain « Business Report » (Le Cap, 9 octobre 1997)
Question : Pourquoi avez-vous été choisi pour votre premier déplacement en Afrique de commencer par l’Afrique du Sud ?
Réponse : La France a été, comme vous le savez, l’un des pays qui a soutenu le plus fermement le processus de transition démocratique en Afrique du Sud. Votre pays jouit en France d’une très grande popularité et suscite beaucoup d’intérêt réel, non seulement dans les milieux politiques et économiques, mais auprès de la population dans son ensemble comme en a témoigné le succès populaire de la visite d’État effectuée par le président Mandela en juillet 1996. Nos deux pays n’ont eu cesse, depuis 1994, de développer leurs échanges politiques, culturels et économiques. Je rappellerai que le président Mitterrand avait d’ailleurs, été le premier chef d’État occidental à se rendre en Afrique du Sud en juin 1994. C’est donc avec un grand plaisir que j’ai répondu à l’invitation de M. Nzo et je serai le 9 octobre dans votre pays.
Je tenais à rendre un hommage particulier au président Mandela et au gouvernement Sud-Africain pour l’œuvre formidable qu’ils accomplissent et c’est, en effet, à dessein que la première étape de mon premier voyage en Afrique subsaharienne est l’Afrique du Sud. Je me rendrai ensuite à Addis-Adeba où je rencontrerai les autorités éthiopiennes mais aussi le Secrétaire général de l’OUA et les ambassadeurs des pays africains. Je terminerai ce périple par la Côte d’Ivoire – un pays avec lequel la France a des liens d’amitié anciens et très forts – où j’aurai des entretiens approfondis avec le président ivoirien et plusieurs autres personnalités.
Question : On parle d’une « nouvelle approche pour la politique africaine de la France ». Je suppose que ce n’est pas entièrement politique mais bien davantage le fruit d’une nouvelle réflexion sur le sujet. De quelle façon ceci inspire-t-il ou diffère-t-il de la politique française menée jusqu’à aujourd’hui ?
Réponse : L’intérêt pour l’Afrique est, en effet, au centre de la politique étrangère de la France depuis près de quarante ans. Dès les années soixante, la France, qui est étroitement liée par l’Histoire à de nombreux pays africains, a maintenu, en accord avec les gouvernements de ces pays nouvellement indépendants, des liens d’amitié et de coopération forts. Depuis cette époque, la France est le premier bailleur d’aide pour les pays africains. Ce cap a été maintenu alors que la fin de la guerre froide entraînait la réaffectation vers d’autres horizons, notamment l’Europe de l’Est, d’une partie de l’aide internationale que recevait l’Afrique.
La politique actuelle de la France s’inscrit toujours dans cette fidélité. Cependant, elle doit prendre en compte les mutations importantes que connaît le continent ; la fin de la Guerre froide a modifié la situation dans de nombreux pays, permis le retour de la paix et l’ouverture des frontières ; la démocratie a fait des progrès réels ; et, d’une façon générale, le continent est pris dans le mouvement général de libéralisation des échanges mondiaux, économiques bien sûr, mais aussi humains et culturels. L’Afrique australe est d’ailleurs l’une des régions du monde qui symbolisent le mieux ces bouleversements positifs et je partage totalement l’avis du vice-président Mbeki lorsqu’il parle de « renaissance africaine ». Mais plutôt que « d’une mutation de la politique africaine de la France », je préfère, pour ma part, parler d’une « adaptation » aux nouvelles donnes africaines et mondiales de la politique de la France vis-à-vis de l’Afrique, mais dans la fidélité aux grands objectifs de solidarité que nous n’avons jamais reniés.
Question : La France a toujours été la puissance occidentale la plus proche de l’Afrique, montrant sa capacité à contribuer de faire des affaires avec les pays du continent contre vents et marées. Cette approche a-t-elle changé ?
Réponse : Je souscris pleinement à la partie affirmative de la question. Comme je vous l’ai indiqué, la France a toujours été proche de l’Afrique et entend le rester. Mais cela ne veut pas dire qu’elle cherche à faire de l’Afrique une quelconque « chasse gardée ».
Nous considérons que tous les pays qui peuvent aider les pays africains à avancer sur la voie du développement et de la démocratie sont les bienvenus. Nous aimerions, par exemple, être parfois un peu mieux entendus lorsque, dans les instances internationales, nous plaidons en faveur du maintien des flux d’aide publique au développement à un niveau significatif ou pour de nouveaux progrès dans le traitement de la dette.
La France est en effet le premier partenaire commercial de l’Afrique prise dans son ensemble, avec cependant de grands écarts selon les pays. Nous ne sommes, par exemple, que les sixièmes partenaires commerciaux de l’Afrique du Sud. Nous continuerons, bien entendu, de faire des affaires avec l’Afrique car nous considérons, comme nos partenaires occidentaux, que le développement des flux commerciaux est l’un des moteurs de la croissance et du développement. La spécificité de notre approche est cependant que nous n’opposons pas aide et commerce. C’est la raison pour laquelle la France, avec ses partenaires de l’Union européenne, veille depuis maintenant les deux décennies à l’essor du commerce avec les pays africains dans les conditions qui soient favorables à leur développement : c’est l’objet de la Convention de Lomé, par le biais, de l’ouverture du marché européen aux produits africains mais aussi par la mise en œuvre de plusieurs instruments spécifiques : Fonds européen de développement auquel nous contribuons pour près du quart, mécanismes de stabilisation pour les exportations de produits de base Stabex et Sysmin.
Question : Dans ce contexte, comment les relations franco-africaines – qui ne cessent de se développer – peuvent-elles être utilisées au mieux ?
Réponse : L’Afrique du Sud est, depuis 1995, notre premier débouché en Afrique subsaharienne, ce qui est logique au regard du poids économique considérable de votre pays sur le continent. Nous ne sommes pourtant qu’un partenaire secondaire pour vous. Notre objectif est bien entendu de favoriser l’essor de ces relations qui restent, à notre avis, très en – deçà de ce qu’elles devraient être. La France est la quatrième puissance économique mondiale, le quatrième exportateur mondial et même le deuxième exportateur de services. Ses entreprises maîtrisent un très grand nombre de technologies de pointe : on songe, bien sûr, à l’aéronautique et à l’espace ou au TGVC, mais c’est aussi le cas dans des secteurs aussi variés que l’agro-alimentaire, les télécommunications, le traitement de l’eau ou la santé. Il y a là un potentiel très important de développement de nos échanges car ce sont des domaines essentiels au développement de l’Afrique du Sud et de l’Afrique australe.
Nous encourageons donc les entreprises françaises à investir dans votre pays et dans les pays de la SADC, démarche qui rencontre tout à fait l’assentiment de votre gouvernement.
Mais nous pensons que nous ne devons pas nous contenter d’une relation bilatérale dont le commerce serait le vecteur essentiel. Je suis convaincu que la France et l’Afrique du Sud sont les deux pays qui sont les plus intéressés par la réussite de l’ensemble des continents et qu’il y a là un champ majeur de développement pour le dialogue politique. C’est l’un des objectifs majeurs des entretiens que j’aurai avec le vice-président Mbeki, avec M. Nzo et avec M. Pahad. Ils marqueront une étape fondamentale en faveur de l’approfondissement et de la structuration d’un dialogue rénové entre la France et l’Afrique du Sud.
J’ajouterai que les gouvernements français et sud-africains sont convaincus que les entreprises des deux pays pourraient multiplier utilement leurs liens et conjugués leurs efforts pour travailler en Afrique, où l’on a moins besoin de concurrence stérile que de mise en harmonie des énergies et des compétences au service de tous.
Question : La France a toujours eu une vision plus optimiste du développement de l’Afrique que les autres pays développés qui ont préféré regarder ailleurs pour commencer et investir. Est-ce que cela sera toujours le cas ?
Réponse : La France est résolument « afro-optimiste ». Il y a certes des crises dramatiques, que nous avons tous en tête, et qui doivent être résolues entre Africains avec, si cela s’avère indispensable, l’aide de la communauté internationale. C’est le cas de la proposition que nous avons faite avec nos amis américains et britanniques pour aider les pays africains à renforcer les capacités de maintien de la paix. Je salue, à cet égard, les nombreux efforts du président Mandela pour aider au retour de la stabilité et de la paix dans de nombreux pays. Mais, ces crises ne doivent pas nous masquer la réalité. La démocratie a fait de progrès réels sur le continent depuis le début des années 90 : de très anciens conflits meurtriers ont été résolus et, pour la première fois depuis longtemps, l’Afrique prise dans son ensemble connaît une croissance de son PNB supérieure à celle de sa population, ce qui se traduit donc par une élévation du niveau de vie moyen. Il existe désormais des pôles de stabilité et de développement – l’Afrique australe en est un, les pays de la zone franc en sont une autre. Ces pôles peuvent créer une dynamique favorable à l’ensemble du continent. Nous sommes, par conséquent, convaincu que l’Afrique prendra toute sa place dans le monde du XXIème siècle et nous entendons bien y contribuer à la hauteur de nos moyens et inciter les pays riches à en faire autant.
Question : Les pays développés ont révisé leur aide publique au développement dans le monde entier, et en particulier en Afrique. La France l’a-t-elle fait aussi ? Quel en sera l’impact en Afrique ?
Réponse : Comme je vous l’ai indiqué, la France est toujours le premier donateur en Afrique. Elle est certes obligée de prendre en compte ses propres difficultés budgétaires mais elle ne remet pas en cause le bien-fondé et la nécessité de l’aide publique au développement. Elle y consacre elle-même plus de 0,5% de son PIB, ce qui la place au deuxième rang international des bailleurs de fond dans le monde, en chiffres absolus, après le Japon, et parmi les pays qui y consacrent le plus d’argent en pourcentage de leur richesse nationale. Ce n’est certes pas suffisant mais, faute de pouvoir, dans l’immédiat, l’augmenter, nous travaillons à améliorer l’efficience de notre aide avec les pays partenaires. Par ailleurs, la France se bat dans toutes les instances internationales pour que les pays riches maintiennent un flux minimum d’aide publique au développement, dont l’utilité est parfois contestée pour des raisons qui nous semblent dogmatiques ou plus idéologiques que réelles. Il y a, en ce domaine, un terrain de convergence pour le développement des relations bilatérales substantielles avec l’Afrique du Sud, notamment dans la perspective de la présidence du Mouvement des non-alignés, qu’elle assumera en 1998. Nous nous en félicitons grandement.