Interviews de M. François Léotard, président de l'UDF et maire de Fréjus, à TF1, le 8 septembre 1997, dans "Nice matin" et "La Provence" du 13, sur sa démission de la mairie de Fréjus et son engagement aux élections régionales de 1998, face au Front national.

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Média : La Provence - Le Var Nice matin - Nice matin - Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

Date : lundi 8 septembre 1997
Source : TF1 / Édition du soir

P. Poivre d’Arvor : Vous allez vous engager dans la bataille des régionales. Vous avez démissionné de la mairie de Fréjus pour ce faire. Avez-vous peur que le Front national soit présent et prenne la tête en Provence-Alpes-Côte d’Azur ?

F. Léotard : Il y a dans notre région un risque réel de prise du pouvoir régional par le Front national puisque les autres villes qui sont gérées par cette formation politique sont en Provence, toutes les quatre. Je m’oppose à cela, pour des raisons de conviction, de conscience, car je crois que ce serait une image exécrable de notre pays et de notre région à l’extérieur. Je dis à l’avance ce que je vais faire. Je fais ce que j’avais dit que je ferais, ce qui peut-être n’est pas si fréquent que cela en politique, mais je le fais. Je crois en outre que pour engager ce combat dans de bonnes conditions de clarté – il faut que les gens sachent qui sera le prochain président, donc ne pas se présenter pour ensuite démissionner – il faut qu’ils le sachent à l’avance, et il faut aller progressivement dans un sens de limitation du cumul des mandats.

P. Poivre d’Arvor : Vous-même, il vous est arrivé de vous présenter, puis de démissionner par la suite.

F. Léotard : Une fois. C’était il y a très longtemps, lors des élections européennes, et j’ai regretté cela. C’était une erreur. On m’avait demandé d’aller dans la liste conduite par M. Giscard d’Estaing. Il y avait A. Juppé. Ensuite, A. Juppé et moi-même avions démissionné. Ce n’était pas une bonne chose. Je pense que ces pratiques, ces méthodes, ces attitudes appartiennent au passé. J’ai bien étudié ce qui nous est arrivé en juin dernier. Des leçons nous été données : désir de clarté, désir d’authenticité, qui se sont exprimés par les Français pour les hommes publics. Donc, je vais me conformer à cette réflexion que j’ai eue pendant l’été, et qui consiste à coller davantage à ce que souhaitent et exigent les Français de ceux qui les représentent. J’ai donc pris cette décision douloureuse pour moi : j’ai été élu depuis 20 ans, et les trois dernières fois au premier tour. C’est dire la fidélité des Fréjusiens à mon endroit, et ça me touchait beaucoup. Mais, je crois qu’il faut le faire parce qu’il faut que les choses soient claires en France. Quand on se présente à une élection, les gens ont le droit de savoir si vous allez exercer effectivement votre fonction, celle que vous demandez.

P. Poivre d’Arvor : N’est-ce pas aussi une façon pour vous de sortir d’affaires qui touchent régulièrement le nom de votre ville ?

F. Léotard : Si l’État était géré aussi bien que la mairie de Fréjus, les Français se porteraient mieux. J’ai un budget en excédent ; l’État est en déficit ; je n’ai pas augmenté la fiscalité depuis 13 ans ; l’État l’augmente à peu près chaque année. J’ajoute deux choses qui me semblent importantes : l’État ne devrait pas s’occuper des questions qui relèvent des collectivités locales lorsqu’il est lui-même dans une situation qui n’est pas une situation de probité intellectuelle ou morale à travers ses hauts fonctionnaires. C’était le cas dans le département du Var.

P. Poivre d’Arvor : Vous faites allusion directement à l’ancien préfet ?

F. Léotard : La deuxième raison c’est que je crois que l’État ne devrait pas non plus s’occuper des questions qui relèvent des collectivités locales, c’est une liberté, quand il n’y a aucune violation de la loi. Ce qui est, bien sûr, le cas dans ce que vous évoquez. Si ces deux conditions sont réunies, l’État a toute sa place, mais pas si elles ne sont pas réunies. Et malheureusement, c’est ce que nous avons constaté dans notre région. Il faut le dire quand c’est le cas.

P. Poivre d’Arvor : En annonçant aussi nettement ce futur choc frontal avec le FN, vous ne déboussolez pas une partie de votre électorat qui se dit : mais il faudrait que la droite et l’extrême-droite s’entendent.

F. Léotard : C’est une question de conviction et de conscience. Je ne pense pas qu’on puisse adhérer en quoi que ce soit à un certain nombre de propos, d’attitudes, de comportements, qui sont ceux de M. Le Pen qui veut se présenter dans cette région, et de ses amis. L’appel à la haine raciale, l’invitation à chaque congrès du FN des dirigeants fascistes européens, les attitudes de provocation qui sont les leurs, l’usage systématique de la diffamation, les propos qui sont tenus, tout ça n’est pas acceptable. Et vous verrez que, de l’étranger – je pense aux États-Unis, à l’Allemagne –, le jugement qui sera porté sur la France en fonction du score que réalisera le FN, sera extrêmement sévère. Parce que, vu de l’extérieur, aucun pays bien sûr, n’a la situation que nous connaissons, c’est le renouveau en Europe de ce qu’on a connu il y a 50 ans. Et moi, je ne l’accepte pas pour une terre, la terre provençale, qui est une terre de culture, de civilisation, de tolérance. Et, il ne faut pas qu’on puisse aller dans cette direction. Je me bats. Est-ce que je gagnerai ? Je ne peux pas vous le dire aujourd’hui, mais j’aime me battre et je le ferai avec beaucoup de force et de clarté.

P. Poivre d’Arvor : Et le cas échéant, vous ferez appel aux voix de la gauche pour qu’il y ait une sorte d’union sacrée ?

F. Léotard : Je ne pense pas qu’il faille cette ambiguïté. Je dis ce que je veux. M. Le Pen ne peut être élu aujourd’hui comme président de la région que si les socialistes le veulent bien. Je pense que ça ne sera pas le cas. Et donc nous allons montrer clairement ce à quoi nous croyons et ce que nous voulons faire de cette région. Nous ne voulons pas de l’intolérance et de la provocation comme on l’a vu exprimée par les élus du FN ou par leurs électeurs.


Date : Samedi 13 septembre 1997
Source : Nice-Matin

Nice-Matin : Que restera-t-il de vos vingt ans de mandat à Fréjus ?

François Léotard : Tout ce qui structure l’avenir : le port, le lycée, la Villa Aurélienne, la base aéronavale, le commissariat, le classement de l’Estérel, le futur hôpital, etc.

Nice-Matin : Quand avez-vous pris la décision de démissionner ?

François Léotard : J’avais indiqué dès 1995 que je ne ferais pas un cinquième mandat. Si j’ai abrégé de quelques années, c’est pour plusieurs raisons, la plus importante étant que je crois qu’il faut qu’un homme public soit jugé à la façon dont il génère des successeurs. J’ai anticipé pour qu’Élie Brun (NDLR son successeur à la mairie) soit en bonne situation pour gérer la commune au moment des municipales. Les autres raisons sont, d’une part, mon adhésion au processus de limitation du cumul des mandats et, bien entendu, mon engagement aux régionales.

Nice-Matin : Beaucoup de Fréjusiens ne peuvent s’empêcher de penser que vous partez pour vous soustraire aux difficultés que fait notamment peser sur la ville le contentieux de Port-Fréjus ?

François Léotard : J’ai assumé pendant vingt ans des difficultés bien plus grandes à la fois au plan national et local. En aucune manière, les éventuelles et naturelles difficultés à venir, dans toute mairie, ne m’ont poussé à prendre cette décision. Quand on s’engage dans une vie publique, la lassitude et le découragement n’ont pas leur place.

Nice-Matin : Où en est le contentieux de Port-Fréjus aujourd’hui ?

François Léotard : J’ai déjà dit à plusieurs reprises qu’il n’aura aucune conséquence fiscale pour la ville de Fréjus. Aucune. Négociations ou pas avec M. Espanol (NDLR le promoteur à l’origine du contentieux du port), l’affaire est derrière nous.

À partir du moment où la commune récupère les actifs de Port-Fréjus, ce qui est fait, à partir du moment où on poursuit la 2e tranche, ce qui est en train d’être fait, la question du contentieux concerne plus l’État que la commune. Ce qui, éventuellement, reviendrait à la charge de la commune ne serait que le prix à payer pour avoir construit un nouveau quartier. Port-Fréjus représente 300 MF d’investissements privés. À l’heure qu’il est, la ville n’a pas dépensé un centime, alors qu’elle a profondément modernisé et élargi son espace urbain. Qu’un jour ou l’autre la ville puisse avoir à débourser quelque chose qui sera bien inférieur à ce qu’elle a gagné, ça n’empêchera pas son maire de dormir, ni aucun contribuable. Je considère cette affaire réglée en très grande partie et ce n’est pas du tout une raison qui a motivé mon départ.

Nice-Matin : Un homme, un mandat ?

François Léotard : M. Jospin met la charrue avant les bœufs. Cela aurait dû être précédé par des mesures très fortes de décentralisation et par une réforme du rôle de l’État. On assiste exactement au contraire. On a vu augmenter en trois mois la fiscalité et la fonction publique. Il aurait fallu commencer par redonner aux responsabilités locales les pouvoirs qui leur sont nécessaires. Il ne sert à rien de parler du cumul des mandats tant que ne sera pas résolu le problème de la congestion de la société française par les administrations centrales et un exécutif surdimensionné.

Nice-Matin : L’affaire des « faux tampons » n’est-elle pas un avatar du cumul des mandats ?

François Léotard : Je ne connais pas un maire d’une ville de 45 000 habitants qui va lui-même porter à l’imprimeur le bon de commande de la confection de tampons. S’il le fait, c’est vraiment qu’il ne sait pas travailler. Si nous avions voulu frauder, nous aurions fait cela au fin fond d’une cave, pas en portant des bons à un imprimeur. Il y a quelque chose de scandaleux dans la façon dont cette histoire a été utilisée. Il y a simplement eu, du côté de l’administration communale, une bonne intention mal exécutée. L’ancien préfet du Var a montré à cette occasion son vrai visage. C’est une affaire dont le ridicule apparaîtra peu à peu, comme c’est déjà le cas aux yeux de la justice.

Nice-Matin : Votre plus grand échec, à Fréjus, n’est-il pas la progression du Front national ?

François Léotard : Le FN n’est pas un problème local, ni même méridional, c’est un problème national. Le seul regret que j’émets, parce que j’ai connu cette ville avec un autre climat, est que le Front national est à l’origine d’un renouveau de la haine publique. Il a la culture systématique de la violence verbale et de la diffamation.

Nice-Matin : Engager votre campagne régionale sur le thème de l’opposition à Le Pen, n’est-ce pas faire son jeu ?

François Léotard : Je me bats, non pas contre quelqu’un mais pour quelque chose. Pour l’identité culturelle de la Provence, la décentralisation de l’emploi, une économie d’entreprise et un rayonnement international de la Provence. J’ai pour cette région un attachement profond, non pour des raisons électorales mais culturelles. À la différence de M. Le Pen, je ne suis pas un parachuté occasionnel.

Nice-Matin : Simone Veil figurera-t-elle sur votre liste, comme cela a été envisagé ?

François Léotard : Non. Il n’y aura que des personnalités locales, avec toutefois une présence active des femmes, sur et autour de la liste.


Date : samedi 13 septembre 1997
Source : La Provence

La Provence : Dans une lettre adressée aux élus des six départements de la région, vous avez affiché votre intention de vous opposer au FN. Est-ce la principale raison de votre candidature ?

François Léotard : Je suis provençal depuis plusieurs générations. Ici, c’est ma terre, ma famille, mon territoire. Il aurait été impensable que je sois candidat si Jean-Claude Gaudin avait annoncé son intention de se représenter à sa succession. Il en a décidé autrement. Cette décision a provoqué la mienne…

La Provence : On dit que vous avez beaucoup hésité...

François Léotard : Ce ne fut pas si facile en effet. La bataille va être rude. Je l’engage avec énergie et volonté, mais bien malin qui peut en prédire les résultats. Quoi qu’il en soit, je me considère d’ores et déjà en campagne.

La Provence : Vous vous présentez en leader de l’union RPR-UDF pour ce scrutin. Comment coordonnez-vous les six listes départementales ?

François Léotard : Je ferai beaucoup de terrain. Je vais travailler en étroite liaison avec chaque tête de liste à qui je demanderai de constituer une cellule de réflexion. Une plateforme régionale sera élaborée, qui servira d’ossature à la campagne. Je n’entends rien laisser au hasard.

La Provence : Vous concentrez vos attaques sur le FN. N’est-ce pas une façon de faire encore parler de lui ?

François Léotard : Je compte répartir équitablement mes critiques entre le FN et le PS. Je n’oublie pas que le Midi est une vieille région socialiste. Lorsque j’ai été élu la première fois conseiller général en 1979, c’était du temps du « règne » de Soldani. L’union RPR-UDF a beaucoup travaillé en Provence et je ne tiens pas à ce que le FN récolte les fruits de ce qui a été accompli.

La Provence : On ne prévoit guère de majorité absolue. Passerez-vous une alliance avec les socialistes, en cas de majorité relative, pour élire le futur président ?

François Léotard : Il est beaucoup trop tôt pour en parler. Que chacun parte sous ses couleurs. Notre objectif est de gagner, de barrer la route aux autres – tous les autres. Pour cela, nous choisirons les meilleurs. Dans le Var, par exemple, la liste sera totalement renouvelée. Il faut des hommes et des femmes neufs. Une fois que les électeurs se seront prononcés, on verra…

La Provence : Depuis 92, le budget de la région a été adopté grâce à l’abstention du PS…

François Léotard : Je le sais. Nous verrons ce qui se passera en mars. Mais, je ne crois pas en une irrésistible ascension du FN. Et Jean-Marie Le Pen ne sera jamais président de la région PACA. Nous saurons lui barrer la route.

La Provence : Votre adversaire de gauche, pour la présidence, semble être Michel Vauzelle…

François Léotard : Le fait qu’il ait appelé à la constitution de listes départementales communes PS-PC-Verts est à mettre à son débit. L’exemple d’Air France montre bien que dans ce genre de coalition ce sont les communistes qui commandent. La pratique communisante du socialisme a déjà coûté cher à notre région et je ne citerai, comme exemple, que celui des chantiers navals de La Ciotat. Il faut repartir sur d’autres bases, je suis candidat pour ça.