Texte intégral
Conférence de presse conjointe avec le ministre Sud-africain des affaires étrangères, M. Alfred Nzo - propos du ministre français – 9 octobre 1997
J'ai voulu que mon premier voyage en Afrique, en tant que ministre des Affaires étrangères, ma première étape de travail et de conversations approfondies, se déroulent en Afrique du Sud. Ceci en raison de l'importance que le président de la République française et le gouvernement français accordent à ce pays, dans l'Afrique d'aujourd'hui et dans la perspective de ce que deviendra ce continent. Nous pensons à Paris que l'Afrique du Sud est un des grands partenaires avec lequel nous avons intérêt à évoquer toutes les questions qui concernent l'ensemble du continent africain.
J'ai pu vérifier ici que cette orientation générale rencontrait également le souhait, la volonté des Sud-Africains.
A côté de cela, il y a un programme bilatéral. Nous avons l'intention de travailler activement au renforcement de nos relations dans toute une série de domaines. Nous avons d'ailleurs signé ensemble deux accords.
C'est une étape brève mais à mes yeux bien remplie et j'ai pris énormément d'intérêt aux entretiens que j'ai eus au cours de cette journée avec le ministre, le vice-ministre et avec le vice-président. De même, j'ai été sensible à la curiosité qu'ont manifesté plusieurs parlementaires à l'égard de la politique française dans différents domaines, dont celui de la politique intérieure.
Je redis ma satisfaction au ministre pour notre rencontre d'aujourd'hui qui n'est naturellement qu'une étape avant les prochaines, car les relations entre la France et l'Afrique du Sud resteront aussi denses et actives au plus haut niveau.
Question : (Sur le Conseil de sécurité des Nations unies)
Réponse : La France est membre permanent du Conseil de sécurité, donc avec le droit de veto depuis 1945. Nous reconnaissons tout à fait aujourd'hui que le Conseil de sécurité devrait être élargi pour être mieux représentatif du monde tel qu'il est devenu. La France a pris une position de principe favorable, il y a quelques temps déjà, en faveur des candidatures de l'Allemagne et du Japon. Elle n'a pas pris de position au-delà pour des pays particuliers. Je ferais plusieurs remarques. La première est que le Conseil de sécurité élargi ne pourrait être composé uniquement de puissances de l'hémisphère Nord. Ce serait un équilibre intolérable. Deuxièmement, la représentativité suppose que l'on trouve une solution pour la question de l'Amérique latine, pour l'Afrique, pour l'Asie qui comprend plusieurs zones, et pour le monde arabe. Toul montre que, parmi les cinq membres permanents, la France est particulièrement ouverte. Il faut que finalement la solution soit trouvée par consensus. C'est au Secrétaire général des Nations unies d'animer la recherche d'un consensus. Dernière remarque, le Conseil de sécurité élargi devra demeurer efficace.
Cela veut dire que nous serions hostiles à la disparition du droit de veto parce que c'est une des conditions de l'efficacité des Nations unies et de son Conseil de sécurité. Ceci est notre position sur la question de la réforme du Conseil de sécurité des Nations unies.
Question : (Sur les négociations entre l'Union européenne et l'Afrique du Sud)
Réponse : Ces négociations doivent être équitables. Toutes les négociations agricoles entre l'Union européenne et les partenaires extérieurs sont toujours compliquées et longues car elles posent d'innombrables problèmes surtout lorsqu'il y a des produits de grande qualité européens ou extra-européens en concurrence. Ces négociations, dans le cadre des Quinze et dans le cadre de la Commission, seraient menées de façon à ce que tous les intérêts de l'Afrique du Sud soient parfaitement pris en considération. Elles seront honnêtes, nécessairement longues et compliquées mais je crois que nous finirons par trouver une solution.
Question : (Sur la République démocratique du Congo et les points de vue divergents)
Réponse : Je ne vois pas à quoi vous faites allusion. Nous avons effectivement parlé de la situation dans la République démocratique du Congo. Je n'ai pas eu le sentiment que nous partions de point de désaccord mais simplement, nous n'avons pas forcément les mêmes informations, la même expérience, la même pratique de différents sujets. C'est une application pratique de cette idée de concertation entre la France et l'Afrique du Sud. Nous avons, je crois, des regards qui m'apparaissent plus complémentaires qu'opposés, d'autant qu'en plus nous n'avons pas de décision à prendre sur ces sujets. Donc, c'est vraiment un échange d'informations. Nous avons eu un échange sur la République démocratique du Congo, nous avons eu un échange sur la situation au Congo-Brazzaville et sur quelques autres situations en Afrique, dans le cadre d'un tour d'horizon. Je n'ai pas perçu nos positions comme antagonistes. Nous avons mis en commun nos éléments d'analyses. Ceci devra de toutes les façons être approfondi, surtout si, un jour ou l'autre, nous devions agir en commun sur tel ou tel terrain.
Question : (Sur l'offre française pour équiper les Forces armées sud-africaines)
Réponse : Ce sujet n'a pas été abordé.
Question : (Sur l'attitude de l'Afrique du Sud à propos de la Commission d'enquête des Nations unies en République démocratique du Congo)
Réponse : J'ajouterais que c'est typique du genre de situation sur laquelle je souhaitais connaître l'analyse de l'Afrique du Sud et j'ai fait part au ministre de nos interrogations et de la perplexité qui existe dans beaucoup de pays européens à ce sujet. Il y a d'un côté, une interrogation sur la façon de concourir utilement à la stabilisation de cette région et, d'autre part, il y a la commission d'enquête. Nous pensons qu'elle répondait à un vrai besoin et nous avons constamment déploré les entraves qui étaient placées devant son action et qui ont fini par conduire le Secrétaire des Nations unies à la rappeler en consultation en attendant de savoir ce que l'on peut faire par la suite. Il s'agissait d'un échange, c'est tout, et nous n'avons pas à conclure. Notre échange d'informations doit se poursuivre.
RFI : 9 octobre 1997
RFI : Quel type de dialogue désirez-vous instauré avec l'Afrique du Sud ?
Hubert Vedrine : Cet accord sur la création d'un forum est la concrétisation de l'idée qui existe, aussi bien en France qu'en Afrique du Sud, sur l'intérêt qu'il y a à systématiser, à rendre plus régulières et plus denses les consultations entre les deux pays. Pourquoi ? Parce que la France est engagée, comme chacun le sait, depuis des décennies en Afrique, et n'a pas du tout l'intention de se désengager. Au contraire, elle est plutôt en train d'œuvrer à élargir sa vision de l'Afrique, à s'intéresser, en plus de ses partenaires traditionnels, à d'autres zones de l'Afrique, auxquelles elle ne s'intéressait pas assez avant. D'autre part, elle veut développer toute une série de volets de cette politique. Donc, c'est une phase de renforcement, d'élargissement, d'ouverture.
Dans cette ouverture, il y a l'intérêt pour la France d'avoir un dialogue nourri, substantiel avec de grands partenaires. Dans certains cas, ils peuvent être européens mais ils peuvent être aussi africains. Parmi ceux-là, l'Afrique du Sud s'impose naturellement, compte tenu de son histoire récente et du prestige que cela lui a donné. Elle a acquis un très grand rayonnement. De plus, l'Afrique du Sud a une influence tout à fait importante, à la tête de la SDAC qui regroupe, au moins, un gros tiers de l'Afrique. C'est un pays qui a une importance et même au-delà, soit par le dynamisme de sa diplomatie, soit par la personnalité du président Mandela, c'est un pays qui compte partout. Donc, dès lors que nous voulons parler sur l'Afrique actuelle et sur l'Afrique de demain, faire évoluer notre politique en Afrique, à partir d'un engagement constamment maintenu, il est tout à fait naturel de vouloir parler davantage avec l'Afrique du Sud. Cela prend des formes concrètes qui sont des rencontres régulières de ministres, de haut-fonctionnaires concernés sujet par sujet. Il faut distinguer les conversations bilatérales, les conversations sur les questions africaines et même sur d'autres sujets.
D'ailleurs, ma journée au Cap l'a montré, puisque nous avons parlé de ces trois choses. Nous avons aussi parlé du Proche-Orient et de l'évolution de l'Europe. Donc, tous les sujets peuvent entrer, à un moment ou à un autre, dans le champ de ce dialogue.
RFI : On a pu constater, dans le passé, des divergences de vue entre la France et l'Afrique du Sud sur la crise de l'ex-Zaïre. Quels nouveaux éléments vous pem1ettent de penser que maintenant un rapprochement est possible ?
Hubert Vedrine : Le problème ne se pose comme cela. Il n'arrive jamais que deux pays aient les mêmes positions sur l'ensemble des questions qui se présentent. Cela n'arrive jamais. L'idée de procéder à des consultations n'est pas fondée sur l'idée qu'on a automatiquement, par miracle, les mêmes points de vue. Le raisonnement est le suivant : deux pays qui sont importants ont une politique active dans des zones données, ils ont donc des choses à se dire, ils peuvent avoir l'ambition de mener des projets communs. Il y a des questions sur lesquelles ils sont d'accord et d'autres où ils ne sont pas d'accord. Ils discutent et dans la plupart des cas, les désaccords se réduisent et ils arrivent à des visions plus synthétiques, dans d'autres cas des différences demeurent, parce que les pays ne sont placés au même endroit, parce qu'ils n'ont pas les mêmes stratégies. Ce n'est pas un problème. Ce n'est pas incompatible avec les consultations. Je dirais que cela rend celles-ci plus nécessaires, plus riches.
RFI : Vous connaissez l'analyse du vice-président Thabo Mbeki sur la "renaissance africaine". Partagez-vous son opinion et sa vision ?
Hubert Vedrine : Le terme est très juste, le terme est très beau et je trouve qu'un grand dirigeant sud-africain a particulièrement le droit de l'employer, compte tenu du passé remarquable de ce pays. A l'échelle du continent africain, je dirai que ce n'est pas faux du tout puisque même si, en tout cas en Europe, l'opinion publique est focalisée par telle ou telle crise, par telle ou telle tragédie très malheureuse, en réalité, il se passe beaucoup de choses positives sur l'ensemble du continent africain. Il ya des économies qui marchent très bien, à de nombreux endroits. Il y a des renouvellements des élites, des émergences économiques, des processus démocratiques qui se consolident. Cela n'est jamais facile et ne provient jamais d'un seul mouvement. Il y a parfois des retours en arrière. Mais l'Etat de droit progresse quand même, donc, il y a un ensemble qui incite à l'optimisme, par rapport à des périodes plus tragiques de stagnation. Oui, je crois juste que l'on puisse employer le terme de renaissance.