Texte intégral
Q - Vous allez bien ? Surtout après l'épilogue de l'affaire Erignac, hier soir, je suppose qu'au Gouvernement, on est plutôt satisfait de ce qui s'est passé ?
- « On n'est pas seulement satisfait, on est soulagé parce que je crois que l'arrestation des assassins présumés du préfet Erignac permet de tourner la page et de reprendre le travail qui avait été engagé en Corse, à savoir : la restauration du droit et la reprise d'un dialogue avec les Corses qui ne se satisfont pas de cette dérive désespérée. »
Q - On est soulagé avant l'examen de la motion de censure à l'Assemblée ?
- « Je n'ai jamais pris bien au sérieux cette motion de censure. D'une part parce que le Premier ministre me donnait l'impression d'être tout à fait capable de défendre son bilan de deux ans de travail au sein d'un gouvernement pluriel mais aussi parce que l'opération politicienne était manifeste. A moins de trois semaines d'élections européennes sur lesquelles la droite n'a rien à dire, le fait de confier aux trois têtes de liste de l'opposition aux élections européennes le soin de défendre une motion de censure – justifiée, semble-t-il, selon eux, par des considérations de politique intérieure – n'était pas du tout crédible. »
Q - Ça n'enlève rien aux errances ou aux errements de l'affaire Bonnet ?
- « Ça me paraît évident D'ailleurs le Premier ministre l'a dit aucun membre du Gouvernement n'y a vu, je dirais, à redire. Le fait d'avoir non seulement laissé la justice travailler mais incité la justice à faire son travail le plus clairement et de la façon la plus transparente possible me paraît tout à fait correct. Donc on aura sans doute encore à revenir sur l'affaire Bonnet, à en tirer les leçons, mais ce sont les juges qui le feront. »
Q - On aura à revenir aussi sur l'affaire corse parce qu'en fait, il existe un problème corse, en France, il ne faut pas se le cacher.
- « Il y a aussi un problème des Français avec la Corse et pas seulement un problème corse. »
Q - Quel est-il ?
- « Peut-être une tendance à globaliser, à simplifier, à caricaturer. Je suis convaincue qu'il y a une écrasante majorité des Corses qui aujourd'hui, sont soulagés de l'arrestation des assassins du préfet Bonnet. Cette écrasante majorité de Corses souhaite le respect du droit et le développement économique et social de leur île, en dehors des voies sans issue de la violence. »
Q - La France n'a jamais su très bien manier ses minorités culturelles, il en existe quand même quelque unes.
- « On a souvent été dans le déni. Vouloir exprimer son identité régionale, vouloir parler sa langue était interprété comme un refus de la République où comme la volonté d'exacerber une appartenance nationale hostile à la construction européenne et à la cohésion de la nation. Ça n'a jamais été ma façon de voir les choses. Et je suis convaincue qu'on aurait tout à gagner à tenir un discours plus ouvert sur l'identité locale qui serait en même temps un discours républicain. Mais républicain d'avenir. »
Q - Sur la liste des Verts, en 47ème place, il a un chef coutumier guyanais : je suppose que c'est un Indien ?
- « · Il est Français, sinon il ne pourrait pas se présenter aux élections. »
Q - Bien sûr. Dans le cadre des élections européennes, qu'ont les Verts à proposer au profit des minorités culturelles ?
- « L'Europe des régions et des peuples nous parait tout à fait indispensable au moment justement où se poursuit le mécanisme de mondialisation et d'intégration au niveau planétaire. Le respect de l'identité, le respect des langues, le respect des cultures paraît être une des conditions essentielles pour respecter l'autre et pour respecter la culture et l'identité de l'autre. On le voit bien, d'ailleurs, dans la région des Balkans. Donc le souci de respecter chacun pour ce qu'il est et pour ce qu'il peut apporter à la tâche commune a toujours été une constante des Verts et c'est encore le cas dans cette campagne. »
Q - Vous figurez en dernière place de la liste des Verts.
- « Ce qui me donne peu de chance d'être élue. »
Q - Ce qui vous donne en effet peu de chance d'être élue mais je crois que vous avez un avenir politique : Le Parisien en parle, ce matin, car L. Jospin vous réserve quelque chose, semble-t-il. Vous êtes une des bonnes élèves de la classe. Mais en 64ème place, il y a, sur votre liste, le président de l'Association des étudiants albanais en France qui est membre du Comité Kosovo. Est-ce que ça veut dire que les Verts prennent fermement position en faveur des Kosovars ?
- « Je n'ai jamais compris qu'on était en guerre contre le peuple serbe mais contre un régime dictatorial, raciste, violent, qui déniait justement les droits des minorités et notamment de la minorité albanaise dans la République fédérale yougoslave qui se trouve être une majorité au Kosovo. Simplement, les Verts se sont fait violence en admettant qu'il n'y avait sans doute plus d'autre solution aujourd'hui qu'une guerre pour contraindre Milosevic à respecter les droits de ces minorités: C'est une prise de position qui est la résultante d'années d'engagement aux côtés des démocrates en Serbie, au Kosovo, en Bosnie, en. Croatie. Je vous rappelle par exemple que les Verts avait reçu I. Rugova à une époque où il n'était pas considéré comme une alternative sérieuse au gouvernement de Milosevic dans cette région du Kosovo. L'engagement d'Albanais du Kosovo à notre côté dans cette campagne témoigne simplement de notre constance et de la solidité de cet engagement des Verts. Simplement, je dois faire le constat aujourd'hui d'une inefficacité relative des forces aériennes, des frappes aériennes au regard de l'objectif affiché par l'Alliance depuis des mois, à savoir : protection des Albanais du Kosovo. Je constate que les actions s'apparentent chaque jour davantage à une guerre au peuple serbe qui me parait être tout à fait inadéquate pour construire la paix dans cette région. »
Q - Et vous êtes favorable à une pause ?
- « Je souhaite que l'Onu reprenne toute sa place, qu'une résolution soit rapidement votée et que ça permette effectivement de suspendre les opérations militaires pour négocier, avec les représentants du peuple de la Fédération yougoslave, le retrait des forces serbes du Kosovo – qu'elles soient officielles ou qu'elles correspondent aux milices de Milosevic. »
Q - Au Gouvernement, vous n'êtes pas tous d'accord sur ce point ?
- « Je crois qu'il y a une discussion sur le moment de la pause. Est-ce qu'il faut que Milosevic ait respecté d'ores et déjà toutes les conditions posées par l'Alliance pour commencer à envisager la pause? Ou est-ce qu'il faut se saisir des premiers pas diplomatiques qui seront réussis pour procéder à cette pause et pour reprendre le dialogue ? Je préférerais qu'on n'attende pas trop parce que je crois effectivement que si l'on ne trouve pas une solution sur le terrain diplomatique avant l'été, on aura rendu un très mauvais service aux réfugiés. S'ils ne peuvent pas rentrer chez eux ou commencer à rentrer chez eux avant l'hiver, je crois que Milosevic aura, d'une certaine façon, gagné son pari. »
Q - Vous pensez que la réponse à la question viendra, comme vous le souhaitez, avant l'été ?
- « En tout cas, je suis sûre que la réponse viendra de la diplomatie et pas du terrain militaire. »
Q - Hier a été publié le baromètre 1998 de l'Institut français de l'environnement qui dit que les Français, pas à une écrasante majorité – 44 % des Français contre 29 % en 1995, c'est beaucoup plus, pas tout à fait le double mais quand même –, souhaitent que l'Etat intervienne en priorité dans la lutte pour la réduction de la pollution atmosphérique. Ça c'est votre domaine : qu'est-ce que vous faites?
- « L'action immédiate et souvent superficielle est facile, l'action de long terme demande un engagement sans faille de l'ensemble du département ministériel et des moyens considérables. Redonner leur place aux transports urbains, repenser nos·villes pour que la distance entre le lieu de travail et le lieu d'habitation ne soit pas ce qu'elle est aujourd'hui, notamment dans les grandes villes, et notamment dans l'agglomération parisienne. C'est une tâche tout à fait écrasante. La première des priorités aujourd'hui m'apparaît être dans la reconquête de la place des alternatives à la voiture en ville et dans la mise des marchandises sur les trains dans le transport des longues distances. J'y travaille avec J.-C. Gayssot et je considère que l'effroyable accident du tunnel du Mont-Blanc a permis de conscientiser la population sur cette nécessité. Les contrats de plan Etat-régions devront faire la part plus belle au rail pour le transport des marchandises. »
Q - Dans Le Parisien, on souligne qu'à la faveur d'un mini-remaniement qui serait organisé après les européennes, L. Jospin confierait de nouvelles responsabilités à D. Voynet, c'est-à-dire à vous. Quelles responsabilités ?
- « D'une part, je suis bien au ministère de l'Aménagement du territoire et l'Environnement, parce que j'y fais des choses utiles. »
Q - Plus dans le domaine de l'aménagement du territoire peut-être que de l'environnement.
- « L'année 1998 avait été clairement l'année de l'environnement ; 1999, c'est plutôt l'année de l'aménagement du territoire, avec la présentation d'une grande loi à l'Assemblée, que je défends d'ailleurs en nouvelle lecture au Sénat cet après-midi. Mais il me semble quand même qu'une chose peut être dite, c'est que les Verts n'ont pas vocation, génétiquement, à s'occuper d'environnement et exclusivement d'environnement Donc je me tiens tout à fait à la disposition du Premier ministre pour examiner avec lui la possibilité de faire autre chose s'il le juge utile. Et puis je considère que plusieurs Verts au Gouvernement, ce ne serait pas injustifié non plus. »