Interviews de M. Bruno Mégret, président du Front national Mouvement national, dans "Le Figaro" du 18 février 1999, à RTL le 3 mars et dans "Le Parisien" du 9, sur sa campagne pour les élections européennes.

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Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Emission L'Invité de RTL - Le Figaro - Le Parisien - RTL

Texte intégral

Le Figaro : 18 février 1999

Le Figaro. - Comment pensez-vous poursuivre votre stratégie de recomposition de la droite avec un FN coupé en deux ?

Bruno Mégret. - Le Front national n'est pas coupé en deux. C'est nous qui incarnons la continuité et la légitimité. Progressivement, l'ensemble des forces vives du Front national vont se rassembler derrière nous. C'est notre stratégie pour les élections européennes et au-delà, afin de nous retrouver au mois de septembre prochain avec une force politique qui sera à nouveau à la hauteur de ce que représentait le Front national avant la crise, mais rénové, et donc débarrassé des obstacles qui l'empêchaient jusqu'à présent d'aller au-delà de 15 %.

Notre objectif, c'est, je l'ai déjà dit, de rassembler le plus grand nombre des 30 % de Français qui ont voté au moins une fois Front national, et qui ne le faisaient pas régulièrement parce qu'ils ne croyaient pas dans la capacité de M. Le Pen à gouverner.

Le Figaro. - Est-ce que vous ne passez pas un peu vite par profits et pertes Jean-Marie Le Pen, qui se présente comme le représentant légitime du Front national, et conserve son mordant ?

- M. Le Pen est maintenant pour nous le président honoraire. Certes, il se voit dans un autre rôle, mais je pense que sa démarche est une péripétie qui progressivement va apparaître comme telle.

Le Figaro. - Est-ce que vous n'allez pas être obligé, dans un premier temps, de consacrer l'essentiel de votre énergie à disputer au FN lepéniste les fameux 15 % ?

- Nous ne nous positionnons pas par rapport à M. Le Pen et à ses amis. Au contraire, nous avons repris l'offensive politique, et nous abordons les questions de fond qui intéressent les Français – tout particulièrement la sécurité publique. Ce sont plutôt les lepénistes qui courent derrière nous. C'est leur problème.

Le Figaro. - M. Le Pen et Yvan Blot vous reprochent de vouloir « pactiser » très vite avec le RPR et l'UDF, d'avoir esquissé des rapprochements avec certains de leurs élus…

- De la part d'Yvan Blot, qui, de son aveu même, a toujours conservé des liens avec le RPR et avec l'Elysée, c'est un peu étonnant. Pour le reste, cette question n'est pas d'actualité. Car ma préoccupation, c'est de rassembler autour du Front national rénové. La seule chose que je puisse dire, c'est que notre démarche est tout à fait transparente : il suffit d'observer la façon spartiate dont nous travaillons pour voir qu'elle n'est pas le fruit de financements occultes et d'accords souterrains. C'est une démarche spontanée de cadres et de militants qui organisent la rénovation de leur mouvement.

Le Figaro. - Comment voyez-vous l'avenir du FN-MN ? Aura-t-il recours à des alliances en vue de parvenir au pouvoir ? Esquisse-t-il des rapprochements ?

- Des rapprochements avec l'UDF et le RPR, certainement pas. Puisque ces mouvements ne proposent pas la politique qui nous paraît la bonne. Il y a actuellement, aux élections européennes, un très large espace électoral, de 20 à 25 % des voix selon les sondages, sur lequel se positionnent MM. Pasqua, de Villiers, Million, Le Pen et nous-mêmes. Notre stratégie, c'est de gagner cette primaire, d'arriver devant toutes ces listes, et, au lendemain des européennes, d'être capable de rassembler leur électorat, pour créer enfin ce grand pôle d'une vraie droite nationale capable d'arriver au pouvoir le moment venu.

Le Figaro. - Vous conduirez une liste aux élections européennes. Celles-ci s'annoncent très encombrées, en particulier à droite, où les listes foisonnent. Comment pensez-vous tirer votre épingle du jeu ?

- Ce qui fait notre spécificité, c'est que nous incarnons l'avenir et le seul vote utile pour les électeurs qui refusent l'Europe de Maastricht. Chacun sait bien qu'un vote Pasqua, un vote Villiers et maintenant un vote Le Pen ne déboucheront sur rien.

Parce que M. Pasqua termine sa carrière politique comme M. Le Pen, parce que M. de Villiers, on l'a déjà vu, n'est pas capable de transformer des votes en une construction politique qui serve à quelque chose. Par conséquent, nous incarnons l'avenir de ceux qui souhaitent une alternative à l'Europe de Maastricht et le renouveau de notre nation.

Le Figaro. - Beaucoup d'autres listes diront cela…

- C'est la raison pour laquelle beaucoup de listes resteront sur le carreau. Mais ce ne sera pas la nôtre. La nôtre peut au contraire créer la surprise, car nous sommes en phase avec les préoccupations des Français. Nous sommes maintenant la seule liste qui soit sur le terrain en contact avec les électeurs. Notre démarche est celle d'une campagne de proximité en direction des Français. C'est comme cela que je vais faire campagne pendant les quelques mois qui viennent. Nous entendons non pas disserter sur les problèmes des Français, mais aller à leur rencontre et leur proposer des solutions concrètes. C'est l'esprit des 50 propositions que nous présentons pour retrouver la sécurité en France. Ce que nous voulons, c'est rétabli la chaîne de la sanction pour que les délinquants puissent être appréhendés, systématiquement poursuivis, promptement et durement sanctionnés, et que la peur passe du camp des honnêtes gens dans celui des voyous.


RTL : mercredi 3 mars

Q - Vous lancez votre campagne pour les élections européennes avec quelles ambitions ?

- « L'ambition d'arriver en tête de toutes les listes opposées à l'Europe de Maastricht, et par voie de conséquence de se retrouver en troisième position derrière la liste du RPR et celle du PS. »

Q - Alors dites donc, vous voulez être devant Pasqua ?

- « Oui, absolument ! »

Q - Devant de Villiers ?

- « Entre nous, Pasqua contre Maastricht, contre Amsterdam, c'est pas très sérieux. Je vous rappelle que M. Pasqua, un an après avoir fait voter contre le Traité de Maastricht rentrait dans le cabinet de M. Balladur pour y appliquer le Traité de Maastricht. »

Q - Et devant J.-M. Le Pen aussi ?

- « Et devant J.-M. Le Pen. »

Q - Vous le traitez de « vieux crocodile de la politique » dans votre manifeste !

- « Non, non, non… »

Q - Si, si, si j'ai lu ça !

- « Oui, oui, mais attendez. Ce qu'il faut bien voir, c'est que le vote utile, quand on est en dehors du système politicien et qu'on veut manifester son opposition à Maastricht, construire quelque chose à droite, c'est le vote pour une autre liste. Parce que un vote pour Pasqua, un vote pour Le Pen, ça ne servira à rien ; ça ne sera pas transformé plus tard en quelque chose de positif, puisque pour eux c'est un peu l'élection de trop. Le vote de Villiers c'est pareil ; ça ne servira à rien puisque M. de Villiers n'a pas été capable, quand il avait fait 12,5 % de transformer quelque chose de constructif pour l'avenir. Il n'a rien tiré de ce vote. »

Q - J.-M. Le Pen « vieux crocodile » ?

- « Je pense, si vous voulez que… »

Q - Mais je l'ai lu !

- « Oui, oui, non mais d'accord. Mais je ne vais pas polémiquer avec J.-M. Le Pen dans cette élection. Moi ce que je constate, c'est qu'au lendemain des élections européennes, si nous arrivons en tête de ces listes, nous serons en position de rassembler les 20 à 25 % d'électeurs qui actuellement se situent contre l'Europe de Maastricht pour un renouveau à droite. Qui peut rassembler les électeurs de Pasqua et de Le Pen ? A la fois l'un et l'autre. C'est pas Pasqua qui ne peut pas rassembler les électeurs du Front national, c'est impossible ; c'est pas Le Pen qui n'a jamais pu rassembler les électeurs de Villiers ou Pasqua. Nous sommes en position de le faire, et c'est la raison pour laquelle, le vote pour notre liste est un vote très positif et très porteur d'avenir. »

Q - Il y a ceux qui disent que de toutes les façons vous n'y arriverez pas, parce que J.-M. Le Pen plaît au peuple alors que nous, vous n'avez pas de charisme…

- « Je croyais que le charisme, c'était la capacité à rassembler. Quelqu'un qui divise son parti comme il l'a fait, ne me paraît pas être vraiment le spécimen de ce que l'on peut appeler un homme charismatique. Mais ça c'est un autre problème. Moi je suis implanté dans les Bouches-du-Rhône, dans des quartiers très populaires, où j'ai montré que je pouvais faire les meilleurs scores électoraux du Front national. Alors faisons litière de cette affaire. »

Q - Pour l'instant votre liste est à moins de 5 % dans les sondages.

- « Oui, mais je dirais que ça, si vous me permettez, c'est plutôt une bonne nouvelle, car les sondages ne sont pas en mesure – ce n'est pas une critique contre la technique des sondages – mais les sondages ne sont pas en mesure de déceler à l'avance les grands changements politiques. Or une victoire de notre liste sera un grand changement politique sur la scène publique française. Et ça, les sondages n'ont jamais pu déceler ce genre de fait. »

Q - Comme le dit S. Martinez : après les élections européennes du 13 juin, il y aura un des deux FN qui disparaîtra ?

- « Oui, ça je crois que c'est dans l'ordre naturel des choses ; on ne peut pas avoir deux mouvements politiques qui sont sur le même créneau électoral et qui subsistent longtemps. Alors si c'est nous, alors c'est un nouvel avenir pour la droite nationale qui pourra rassembler toutes ses potentialités, qui sont de 20, 25, 30 %. Si c'était Le Pen ça ne déboucherait sur rien. Moi ce qui me paraît très important, c'est cela. »

Q - Alors vous aller parler surtout de la sécurité, peu de l'Europe, mais surtout de la Sécurité.

- « On va parler de l'Europe, mais surtout, à propos de l'Europe, des questions qui préoccupent les Français. Et c'est vrai que l'une des questions majeures qui se posent aujourd'hui, c'est la sécurité publique. Et pas de façon négative, pas pour se lamenter sans cesse sur ce problème, mais pour montrer qu'il n'y a aucune fatalité au développement de cette insécurité. C'est dans cet esprit qu'on a proposé 50 propositions. »

Q - Alors il y en a qui sont très fortes : rétablissement des tribunaux d'exception !

- « Non pas des tribunaux d'exception, mais du tribunal de sûreté de l'Etat pour les affaires de terroristes. C'est quelque chose qui existait autrefois. »

Q - Oui, oui, contre la grande criminalité…

- « Et la grande criminalité, absolument, oui ! »

Q - Rétablissement de la peine de mort ?

- « Oui »

Q - Vous dites même : « cinq ans de prison pour qui commettrait un même délit pour la troisième fois » !

- « Je pense qu'il est un phénomène qu'on ne peut pas accepter : c'est qu'il y ait récidive sur récidive, sur récidive, sur récidive, et que les délinquants coupables de ces multi-récidives ne subissent pas des sanctions et aillent de sursis en sursis. »

Q - Cinq de prison, c'est beaucoup quand même !

- « Mais pour les délits d'un certain niveau bien évidemment. Ce qu'il faut comprendre, c'est que nous voulons appliquer le principe qui a été appliqué à New-York, le principe de la tolérance zéro, de la répression de tous les crimes et de tous les délits, car c'est dissuasif. Alors je sais, on nous dit : mais ça ne marche pas la répression. Alors pourquoi est-ce que ça marcherait sur les chauffards de la route, qui vont maintenant subir des délits pénaux de grand excès de vitesse, pourquoi ça marcherait donc pour les chauffards de la route et pas pour les criminels ou les délinquants ? »

Q - Vous voudriez aussi que les magistrats aient à répondre des actes de délinquance qui pourraient être commis par ceux qu'ils ont remis en liberté.

- « Oui, ça, c'est une idée qu'on lance, en effet. »

Q - Mais c'est nouveau ça quand même : la responsabilité des actes d'autrui en matière pénale !

- « Ecoutez, il y a quand même quelque chose actuellement qu'il faut noter : devant les magistrats, on ne peut maintenant mettre en cause à peu près tout le monde, dans tous les domaines. La responsabilité est mise en cause, de tel ou tel, devant les magistrats. Je pense que les magistrats, eux-mêmes, pourraient être mis en cause. »

Q - Vous liez aussi beaucoup l'immigration à la délinquance. Vous dites que la première mesure pour lutter contre la délinquance étrangère c'est : limiter la durée de la carte de séjour à 1 an. Pourquoi ? La durée de la présence de l'étranger est liée à ses capacités de délinquance ?

- « Je pense que – enfin ce n'est pas une pensée – c'est un constat : l'immigration est source de délinquance. Non pas parce qu'un étranger, par lui-même, cause plus de délits qu'un Français, mais parce que le fait d'être déraciné, dans un pays étranger, souvent de façon clandestine évidemment facilite et encourage le non-respect des lois. Donc, nous considérons qu'il faut organiser le retour des immigrés dans leur pays d'origine, pour de multiples raisons, mais aussi pour celle-là. La seule façon de le faire, c'est de mettre un terme à la carte de 10 ans automatiquement renouvelable, et de la transformer en une carte de séjour de 1 an, non automatiquement renouvelable. »

Q - Avec un programme comme ça, vous croyez que vous êtes plus fréquentable pour des partis de droite, que ne l'était J.-M. Le Pen ?

- « Mais le problème n'est pas d'être fréquentable ou pas auprès de gens qui sont mal placés pour décerner les brevets de moralité. Le problème c'est de résoudre les problèmes des Français. Actuellement, personne dans la classe politique est capable de le faire. Si nous arrivons au pouvoir, nous pourrons le faire, en effet, avec une politique de répression des crimes et des délits. C'est la méthode qui a été appliquée dans toute l'histoire de l'humanité, chaque fois qu'on s'est trouvé devant ce genre de problèmes et qu'on les a résolus. »


LE PARISIEN : 9 mars 1999

Q - Vous donnerez le week-end prochain le coup d'envoi officiel de votre campagne européenne. Mais vous l'aviez déjà fait lors d'un conseil national à Lyon, puis à l'occasion d'un meeting salle Wagram, à Paris. On a l'impression que, depuis le congrès de Marignane, vous patinez…

Bruno Mégret. - Pas du tout ! A Lyon, nous avons désigné la tête de liste. Et, à Paris, nous avons lancé la précampagne sur la sécurité. Pour le reste, il nous a fallu simplement le temps de mettre en place les structures de notre mouvement. Ce qui est d'ailleurs la preuve qu'il n'y avait ni complot ni préméditation. Maintenant, nous sommes prêts. Je vais donc entamer une tournée des quatre-vingt-quinze départements de la métropole…

Q - Et vous commencez ce week-end par Paris ?

- Non. Nous nous rendrons d'abord, symboliquement, dans le petit village de Camembert, dans l'Orne. L'Europe, hyperbureaucratique et réglementaire, met, en effet, en cause notre identité et notre souveraineté. Et elle ne le fait pas seulement sur les grandes questions comme la monnaie, mais aussi dans les réalités quotidiennes. Elle menace nos fromages, les appellations contrôlées de nos vins, la pratique de la chasse. Alors, par le choix de Camembert, nous voulons dire que nous défendrons ce qui fait la chair de nos traditions…

Q - Il vous manquera juste le béret et le litre de vin…

- (Rires) Nous ne porterons pas le béret, mais on boira sans doute un peu de rouge !... Le choix de Camembert, c'est tout de même autre chose que Blancafort (Cher), ce « bary-centre » de L'Euroland choisi par Philippe Séguin pour lancer sa propre campagne.

Q - Quelle est votre ambition ?

- Gagner la primaire qui va opposer toutes les listes anti-Maastricht.

Q - Lesquelles ?

- Les listes Pasqua, Villiers, Le Pen et Million… Le dernier sondage Ipsos-« Le Point » montre que nous pouvons parfaitement arriver en troisième position, derrière le PS et le RPR. Cela nous placerait, au lendemain du 13 juin, en situation de rassembler les 20 à 25 % des électeurs qui réclament l'émergence d'une droite nationale.

Q - Quels seront vos slogans ?

- « Européens d'accord, mais Français d'abord » et puis « Choisissez l'avenir, votez Mégret ». Et je n'oublie pas notre combat pour la sécurité et contre l'immigration…

Q - Pas de quoi vous différencier beaucoup de Jean-Marie Le Pen, dont vous avez d'ailleurs, dans le passé, rédigé le programme !

- Voter pour la liste Le Pen, comme pour la liste Pasqua, ça ne servira absolument à rien. Pour ces deux hommes, le scrutin du 13 juin, c'est l'élection de trop. Nous seuls offrons une perspective d'avenir.

Q - Faites-vous encore l'objet de menaces et de pressions de la part du camp lepéniste ?

- Jean-Marie Le Pen et ses amis continuent leur guerre contre nous, nous ne nous occupons, nous, que de nos adversaires, c'est-à-dire de ceux qui ont ratifié Amsterdam.

Q - Jean-Pierre Chevènement va faire liste commune avec le PS ?

- Ce ralliement confirme que la gauche est maastrichtienne et mondialiste. M. Chevènement n'est qu'un faux nez.