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Quelques semaines nous séparent de la conférence d’Ottawa, au cours de laquelle, début décembre, le traité d’interdiction totale des mines antipersonnel sera ouvert à la signature de tous les États. La France signera ce traité, auquel elle travaille depuis des années. En février 1993, à l’occasion d’un déplacement au Cambodge, le Président Mitterrand avait été l’un des premiers à attirer l’attention sur ce fléau.
Le drame épouvantable causé par les mines antipersonnel est maintenant connu dans toute sa cruauté, grâce notamment à l’action des organisations non-gouvernementales et de personnalités comme la princesse Diana. Les mines antipersonnel, dispersées dans plus de 70 pays, tuent ou mutilent environ 26 000 personnes, 1 toutes les 20 minutes – dans la très grande majorité des cas, des civils et souvent des enfants ! Actuellement, on pose encore chaque année dans le monde beaucoup plus de mines antipersonnel (2 millions selon la Croix-Rouge internationale) que l’on n’en détruit (environ 10 000, selon la même source). Il faut donc développer l’effort international de déminage et d’aide aux victimes. Un tel effort n’a pas de sens si, parallèlement, on continue à produire, exporter, stocker et utiliser les mines antipersonnel. Comment guérir un mal si on n’en traite pas les causes ?
Le traité d’Ottawa a pour objet d’interdire totalement la production, les transferts, le stockage et l’emploi des mines antipersonnel, de manière comparable à l’interdiction des armes biologiques par la convention de 1972 et de manière très similaire, à l’interdiction des armes chimiques par la convention de Paris de 1993. De plus, le futur traité, tel qu’il a été négocié à Oslo, contient des dispositions accordant aux États un délai raisonnable – quatre ans – pour procéder à la destruction de leurs stocks. Il comporte aussi, notamment à l’insistance de la France, des mécanismes de vérification souples mais efficaces.
Certains prétendent que l’accord d’Ottawa présente le défaut de ne pas être universel. Il s’agissait de créer un modèle, une norme, une référence indiscutable et aussi un espoir. Le nombre d’États déterminés à signer le traité est d’ores et déjà tel – au moins une centaine – que son existence aura nécessairement un impact sur le comportement des autres gouvernements. Et c’est en créant une dynamique d’adhésion que l’on pourra, pour ce traité comme pour d’autres, se rapprocher de l’universalité, puis l’atteindre un jour.
Par ailleurs, certains États – c’était notamment la position du gouvernement des États-Unis à Oslo – auraient voulu que le texte du futur traité prévoit des exceptions, des exemptions, des délais de mise en œuvre prolongés pour tenir compte de certaines situations particulières. Mais une telle approche aurait conduit à retirer beaucoup de sa crédibilité à l’interdiction totale et les participants à la conférence d’Oslo ont donc été sages de ne pas la retenir.
Aussi plaiderons nous vigoureusement pour l’universalité du traité d’interdiction totale. Nous souhaiterions que les États-Unis, le Japon ou l’Australie signent le traité à Ottawa dès cette année. Soyons réalistes cependant. Plusieurs grands États producteurs et utilisateurs, comme la Chine, la Russie, l’Inde, le Pakistan, ont déjà fait savoir qu’ils n’envisageaient pas à ce stade de se joindre au traité d’interdiction totale des mines antipersonnel. Ces États n’en sont pas moins conscients de leurs responsabilités, certainement soucieux, par d’autres voies, de contribuer également à la lutte contre les mines antipersonnel.
Il sera donc nécessaire, après Ottawa, de continuer la lutte contre les mines antipersonnel. Le dialogue devra se nouer ou se poursuivre entre les signataires du traité d’interdiction totale et les autres États. Le lieu naturel de ce dialogue est la Conférence du désarmement de Genève. Il ne s’agit pas d’y refaire ce qui aura été fait à Ottawa. Il ne s’agira pas non plus de discuter à Genève comme si le traité d’Ottawa n’existait pas. En revanche, c’est un fait que la Conférence du désarmement, organe normal des Nations unies pour l’élaboration des traités de désarmement, a un rôle à jouer dans la lutte contre les mines antipersonnel.
Dans un premier temps, et cela très rapidement, elle pourrait mettre au point un accord sur l’interdiction des transferts (importations et exportations) qui, négocié à Genève, aurait d’emblée vocation à l’universalité. Or, un accord universel d’interdiction des transferts des mines antipersonnel contribuerait, de manière déterminante, à mettre un terme au commerce mondial des mines. Fermer le marché auquel s’alimentent les gouvernements mais aussi les acteurs non-gouvernementaux (mouvements rebelles, factions dans les guerres civiles) représentait un progrès considérable. Un accord universel d’interdiction des transferts serait donc un complément particulièrement utile au traité d’interdiction totale d’Ottawa. Loin d’affaiblir celui-ci, il constituerait une première étape vers son universalité.
On a souvent du mal à percevoir les conséquences concrètes des traités de désarmement. Ce n’est pas le cas du traité d’Ottawa : chacun peut comprendre que c’est un bon traité parce qu’il épargnera des vies humaines.