Interviews de M. Jean-Louis Debré, président du groupe parlementaire RPR à l'Assemblée nationale, à RTL et dans "Le Monde" le 23 avril 1999, sur la désunion de l'opposition pour l'élection européenne, le soutien du RPR au Président de la République et l'actualité du gaullisme.

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Média : Emission L'Invité de RTL - Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde - RTL

Texte intégral

RTL – 23 avril 1999

Q - Faut-il continuer à bombarder Belgrade en dépit des offres faites par Milosevic ?

- « D'abord, en un mot, parce que c'est une responsabilité qui n'est pas la mienne, cette responsabilité doit être fonction des informations précises que l'on a et que les militaires transmettent aux responsables politiques que sont les Présidents de la République, le Premier ministre et les Présidents de l'Otan. Mais la proposition de Milosevic telle qu'on la connaît à travers la presse me semble vague, imprécise. De plus, il parle d'une force civile sans présence de membres de l'OTAN. Bref, je crois que c'est une échappatoire mais il faut regarder exactement ce qu'il en est. »

Q - Dans le livre que vous publiez chez R. Laffont : « Le gaullisme n'est pas une nostalgie », est-ce que vous n'éprouvez tout de même une petite pointe de nostalgie en voyant, aujourd'hui, le Président de la République à Washington, célébrer le 50ème anniversaire de l'Otan alors que les Américains contrôlent les frappes ?

- « Non, et pour deux raisons : d'abord, lorsque le Général de Gaulle s'est retiré de l'Otan, il a immédiatement voulu conclure un certain nombre d'accords militaires. L'important pour les gaullistes, c'est que l'utilisation de la force militaire soit la responsabilité de la France et de la France exclusivement. »

Q - Est-ce le cas, vous croyez, aujourd'hui ?

- « La France a la maîtrise et c'est elle qui décide de l'utilisation de ses propres forces. Deuxièmement élément que je voudrais livrer, c'est que l'affaire du Kosovo a montré la nécessité pour l'Europe d'une défense, mais pas du tout la défense telle qu'elle avait été imaginée il y a quelques années avec la CED, justement le contraire. La défense de l'Europe doit exister mais elle doit être indépendante des Etats-Unis, et je crois que sur ces deux aspects - maîtrise de la force française, maîtrise de la dissuasion française et d'autre part, constitution ou réflexion sur une force européenne indépendante - on se situe parfaitement dans le gaullisme. »

Q - Ce qui se passe actuellement annonce la création d'une force européenne indépendante ?

- « Non. Mais ce qui se passe a montré que la question centrale, cruciale est celle de savoir si oui ou non, indéfiniment, l'Europe va être contrainte de se mettre pour sa défense sous la responsabilité des Etats-Unis. Moi je souhaite qu'elle réfléchisse au fait qu'elle ne doit pas être indéfiniment sous la responsabilité de nos amis américains. »

Q - La crise politique à droite après la démission de P. Séguin de la présidence du RPR. Un dernier sondage Ipsos-Le Point montre que la liste RPR-DL perd des points alors que C. Pasqua monte, que F. Bayrou monte ?

- « Depuis toujours, je l'ai dit et je le redis dans le petit livre que vous avez cité et qui vient de paraître, j'ai toujours été partisan de l'union de l'opposition, parce qu'il y avait une logique politique ; la logique politique à ces élections européennes était que l'UDF, DL et RPR qui sont unis à l'Assemblée nationale, qui se rassemblent derrière la politique du Président de la République se retrouvent unis devant les électeurs. Mais la logique du mode de scrutin et un certain nombre de considérations d'ordre politique ont empêché cette union de l'opposition, je le regrette très profondément, et on verra par la suite, en fonction des résultats, qu'il s'agissait là d'une erreur. »

Q - L'UDF comme C. Pasqua disent : les deux vraies listes de l'opposition sur l'Europe, c'est nous ; nous, on est dans la clarté. Tandis que cette liste RPR-DL... qu'elle s'allie aux socialistes : ils disent la même chose que les socialistes sur l'Europe.
 
- « Non. Je crois que la liste RPR-DL se situe entre l'archaïsme des uns, et l'utopie des autres. L'archaïsme des uns, c'est ceux qui pensent qu'aujourd'hui la France doit se replier sur elle-même. »

Q - C'est Pasqua, cela ?

- « C'est Pasqua. Et qu'aujourd'hui il faut refuser la construction européenne. Je rappelle simplement que tous les Présidents de la République gaullistes, que ça soit le Général de Gaulle, que ça soit G. Pompidou ou que ça soit J. Chirac, ils ont tous contribué à l'édification de l'Europe, pas n'importe quelle Europe naturellement, l'Europe unie des Etats. Donc, nous nous situons entre l'archaïsme des uns, complètement dépassé, et l'utopie des autres, à savoir la construction aujourd'hui d'une espèce de fédéralisme. On ne peut pas aujourd'hui envisager cette forme de construction européenne, et d'ailleurs nos partenaires européens n'en veulent plus. Il y a la réalité ; la réalité c'est la construction d'une Europe qui est conduite par les politiques, d'une Europe qui rapproche les peuples, d'une Europe de la réalité. »

Q - Vous avez demandé au Président de la République de ne plus recevoir F. Bayrou pendant la campagne, et vous dites le contraire de B. Pons qui, lui, dirige l'association des amis de J. Chirac ?

- « Attendez ! Comme certains commentateurs en France, on disserte sur les propos sans les lire. C'est ma première remarque. Donc, reprenez exactement ce que j'ai dit. »

- « Deuxièmement, j'ai dit que pendant la campagne électorale, je souhaite que le Président de la République reste en dehors de ce combat politique qui concerne les partis politiques. La politique européenne de J. Chirac, l'action qu'il conduit sur la scène internationale reçoit l'adhésion d'une très grande majorité de Français au-delà des partis politiques. »

Q - Mais il a reçu F. Bayrou en permanence ?

« Laissons le Président de la République... »

Q - Mais il l'a reçu en permanence, et c'est cela qui a mis en colère P. Seguin.

- « La campagne électorale a commencé. Je souhaite que le Président de la République continue à se situer à un autre niveau, au niveau des Français. »

Q - B. Pons se trompe alors ?

- « Je le dis dans mon petit livre « Le gaullisme n'est pas une nostalgie », je me refuse de cette politique. »

Q - Attendez ! vous voulez créer l'association des « vrais » amis de J. Chirac, vous ?

« Non, vous êtes terrible. Je dis simplement que pour moi la politique ne se résume pas à des coups ou des petites phrases. Le Président de la République est au-dessus des partis politiques ; il s'adresse aux français. Il faut le laisser à ce niveau-là. »

Q - Justement, un mot. Dans votre livre, vous dites : « c'est vrai, il faut que la droite revendique qu'elle est à droite. Mais tout de même, c'est un peu réducteur, parce que nous, gaullistes, on veut s'adresser à tous les Français. »  Or la droite doit être la droite, c'est le slogan numéro un que répète sans arrêt N. Sarkozy, président du RPR. Il est gaulliste ou pas ?

- « N. Sarkozy conduit la liste RPR-DL. Moi, en ce qui me concerne, j'ai une vision du gaullisme qui n'est pas une vision simplement libérale, mais c'est une vision aussi sociale. »

Q - Et Sarkozy est content, quand vous lui dites cela ?

- « Le gaullisme c'est un rassemblement d'hommes et de femmes d'origines, de conditions, de convictions différentes et qui mettent l'accent sur tel ou tel point. Moi je mets l'accent sur la liberté, mais aussi sur les relations sociales et la fraternité. »


LE MONDE - 23 avril 1999

Q - « Dans le livre que vous venez de publier (1), vous écrivez : « Affrontements personnels, querelles d'arrivistes, divisions absurdes, règlements de comptes politiciens...Voilà ce que retiennent les Français du comportement de la droite depuis notre défaite aux élections législatives. » Ce terrible constat paraît plus que jamais d'actualité. Comment expliquez-vous la persistance de ces affrontements et de ces divisions ?

- Je vois à cela deux raisons principales. Certains sont sans arrêt à regarder le passé, et notamment les divisions qui nous ont opposés pendant la campagne présidentielle. D'autres n'ont comme obsession que la future élection présidentielle. Personnellement, j'assume tous les choix qui ont été les miens pendant cette élection, mais je ne me retourne pas vers le passé. Je considère que la famille gaulliste s'est retrouvée. On ne fait pas de politique par esprit de revanche. Aujourd'hui, l'important pour nous est de soutenir Nicolas Sarkozy pour ces élections européennes. Je le dis d'autant plus clairement que je n'ai pas été de son côté pendant l'élection présidentielle. Dans cette campagne européenne, je serai le premier à l'aider car, à travers lui, c'est l'unité de notre mouvement qui est en jeu.

Q - Comment le RPR peut-il surmonter cette nouvelle crise et se reconstruire ?

- Nous ne serons véritablement gaullistes que si nous sommes capables de nous unir. Il faut faire taire ces querelles et nous rassembler pour soutenir la politique du président de la République. Peut-être que l'ambiguïté qu'il y a eu, avant, de la part de certains, venait du fait qu'ils voulaient positionner notre mouvement dans un chemin différent de celui du président de la République.

Q - N'avez-vous pas le sentiment d'un immense gâchis ?

- Nous portons tous, collectivement, la responsabilité de ce qui est arrivé. La politique ne peut et ne doit pas se résumer à des commentaires acides, à des règlements de comptes, à de petites phrases assassines. Lorsqu'on en est là, c'est qu'il n'y a plus de réflexion de fond.

Si le départ de Philippe Seguin, que je regrette mais que je respecte, peut avoir pour nous une utilité, c'est justement d'essayer de réfléchir sur le fond, notamment sur l'échéance européenne. Il ne faut pas voir à travers celle-ci une étape vers l'élection présidentielle.

L'élection européenne concerne les partis politiques. Nous ne nous sommes peut-être pas assez préoccupés de notre positionnement politique. Aujourd'hui, il importe que dans notre discours, nous écartions l'archaïsme et l'utopie. L'archaïsme, qui n'est pas gaulliste, ce sont les thèses développées par Charles Pasqua, c'est-à-dire le refus de l'Europe et le repli de la France sur elle-même. Toutes les personnalités gaullistes - à commencer par le Général de Gaulle - qui se sont succédé à la tête de la France depuis la guerre, ont contribué à la construction de l'Europe.

Il faut aussi éviter l'utopie, c'est-à-dire le fédéralisme tel que le propose François Bayrou, car personne n'en veut, ni en France ni parmi nos partenaires européens. Ayons donc un langage clair, positif et proposons une Europe telle que la définit le président de la République, c'est-à-dire une Europe unie des Etats.

Q - Vous employez souvent le mot « gaullisme ». Est-ce une façon de répondre à Charles Pasqua qui affirme que, depuis le départ de Philippe Seguin, il n'y a plus de gaullistes au RPR ?

- Le gaullisme n'appartient à personne. C'est un état d'esprit, une volonté, c'est une détermination... Et je trouve, dans le mouvement RPR, plus de gaullistes qu'ailleurs. Que serait aujourd'hui le gaullisme s'il n'y avait pas Jacques Chirac ?

Q - Après ce nouvel épisode de la division de l'opposition, le président de la République peut-il encore apparaître comme le chef d'une « droite plurielle » ?

- Le président de la République n'est pas le chef de la droite. Il est le chef de l'Etat. Il s'adresse à tous les Français. Naturellement, le RPR et les partis de l'opposition doivent soutenir, encourager, accompagner la politique du président de la République. Et l'addition des voix au lendemain des élections européennes, devra tenir compte de toutes celles et tous ceux qui approuvent la politique du chef de l'Etat. Or, je constate que, sur l'évènement majeur que constitue, dans la campagne européenne, la crise du Kosovo, il y a une adhésion massive au président de la République et à sa politique.

Q - Est-ce que, selon vous, Jacques Chirac doit continuer à recevoir régulièrement François Bayrou à l'Elysée, comme il l'a encore fait jeudi 17 avril, à la veille de la démission de Philippe Séguin ?

Il ne doit y avoir aucune ambiguïté possible. Si M. Bayrou avait repris sa déclaration du 5 juillet 1998, dans laquelle il disait : « Les choix européens du président de la République sont justes et tous ceux qui les soutiennent doivent se rassembler sur la même liste », alors j'aurais dit oui. Mais il me semble qu'aujourd'hui, il n'y a plus aucune référence au président de la République dans les propos de M. Bayrou. Il faudra qu'il dise très clairement s'il se dédit. D'autre part, il refuse, une fois de plus, l'union de l'opposition. Dans ces conditions, je souhaite que, pendant cette campagne électorale, puisque le chef de l'Etat est au-dessus des partis, il ne reçoive pas M. Bayrou.


(1) Le gaullisme n'est pas une nostalgie, éd. Robert Laffont, mars 1999, 228 pages, 99 francs (15,09 euros).