Interviews de M. Bruno Mégret, délégué général du Front national, à RTL le 22 septembre et dans "Le Figaro" du 26 septembre 1997, sur son livre "La troisième voie" et sur les relations entre la droite et le FN.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Publication par Bruno Mégret d'un livre intitulé "La troisième voie", septembre 1997.

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Emission L'Invité de RTL - Le Figaro - RTL

Texte intégral

Date : lundi 22 septembre 1997
Source : RTL

O. Mazerolle : Bruno Mégret, vous publiez « La troisième voie » aux Éditions nationales. Qu’est-ce que « La troisième voie » ?

Bruno Mégret : La troisième voie économique et sociale, c’est une voie dictée par l’intérêt national, qui est à l’antipode du socialisme, de l’étatisme mais aussi de l’hyper-libéralisme. Nous considérons que, pour reconstruire notre économie, pour rétablir le plein emploi et la prospérité, il faut lutter à la fois contre l’étatisme, mais aussi contre le mondialisme qui organise la régression sociale aujourd’hui en France.

O. Mazerolle : « Lutter contre l’étatisme », donc les socialistes ont raison d’ouvrir le capital de France Télécom, par exemple ?

Bruno Mégret : Non, les socialistes et tous les gouvernements doivent privatiser les entreprises actuellement encore étatisées qui relèvent du secteur marchand. Mais nous considérons, dans un objectif d’intérêt national de sécurité et d’indépendance nationale, que les grands services qui contribuent au bon fonctionnement de la Nation doivent rester sous contrôle de l’État. C’est le cas des télécoms, des communications, des transports publics, de l’énergie ou de l’armement. Et je considère que France Télécom doit rester sous le contrôle de l’État.

O. Mazerolle : Vous portez un regard très sombre sur la situation de la France dans les premières pages de votre livre. Vous parlez « d’une population qui se recroqueville sur des anti-valeurs comme le laxisme, l’hédonisme, l’individualisme, l’égalitarisme et le parasitisme ». Eh bien ?

Bruno Mégret : Oui, je pense qu’il y a en effet, porté par « la pensée unique », un processus de relâchement des valeurs qui fondent notre civilisation, que nous devons non seulement, bien sûr, nous appuyer sur nos droits mais que nous devons réhabiliter la notion de devoir et toutes ces valeurs qui élèvent l’homme au lieu de le tirer vers le bas, vers ses instincts d’abandon ou ses instincts les plus bas.

O. Mazerolle : Vous allez même jusqu’à parler « d’avachissement des esprits » ?

Bruno Mégret : Oui, il y a « un avachissement des esprits ». Je crois que la France doit se ressaisir pour vouloir à nouveau être une grande nation, avoir un destin, construire, conquérir, aller de l’avant. Alors qu’actuellement, on a le sentiment que tout le monde est paralysé, tétanisé et se replie sur soi-même et ne s’intéresse qu’à ses propres problèmes.

O. Mazerolle : Vous dites que « le nouvel ordre social que souhaite le Front national doit être basé sur la consolidation du réseau des communautés naturelles ». Quelles sont les caractéristiques des « communautés naturelles » ?

Bruno Mégret : Les communautés naturelles, ce sont ces communautés qui, de tout temps, ont organisé, structuré notre société, notre civilisation. C’est d’abord la Nation qui elle est la plus grande, la plus solide des communautés, qui nous donne une place dans l’histoire, dans le temps ; c’est la famille. Et aujourd’hui, la famille est en passe d’être démantelée par une politique qui met en place systématiquement des processus juridiques, financiers, qui la pénalisent.

O. Mazerolle : Vous ne trouvez pas juste de donner moins à ceux qui ont plus et plus à ceux qui ont moins ?

Bruno Mégret : Je crois qu’il ne faut pas tout mélanger. Il ne faut pas confondre politique familiale et politique de nivellement des revenus. La politique familiale doit encourager les familles, et doit encourager les familles nombreuses. Or, aujourd’hui, avec le gouvernement socialiste, on supprime toute politique familiale, les allocations vont être plafonnées, plus d’allocations garde d’enfants, ou en tout cas elles sont mises en cause, les emplois familiaux sont également mis en cause. Tout cela se fait à l’encontre de la famille à laquelle on n’accorde plus de préférence juridique. On envisage même un contrat d’union sociale qui est la négation même des valeurs familiales. Tout cela est très grave.

O. Mazerolle : Revenons aux communautés naturelles, vous dites : « La première communauté naturelle, c’est la nation ». Mais qu’est-ce qui définit l’appartenance à la Nation ?

Bruno Mégret : Eh bien, c’est le code de la nationalité. Mais ce code aujourd’hui nous paraît illégitime, car il donne une place tout à fait anormale au droit du sol qui, en l’état actuel des courants migratoires, est extrêmement dangereux pour le maintien de la cohésion nationale. Donc, nous sommes partisans de modifier ce code de la nationalité pour le fonder exclusivement sur le droit de la filiation.

O. Mazerolle : Comme vous avez, il y a un an, défini le Front national comme étant « le parti authentiquement écologiste » ou « le plus authentiquement écologiste de France », en protestant contre les brassages, source de pollution, jusqu’où faut-il…

Bruno Mégret : Non, je n’ai pas dit « brassages, source de pollution », je n’ai certainement pas dit ça comme ça !

O. Mazerolle : Pardon, c’est Roger Holeindre effectivement qui a parlé « d’occupation pollutionnaire » aux journées des jeunes du Front national. Jusqu’où êtes-vous prêt à aller dans la définition de ce cadre naturel ?

Bruno Mégret : Quand je dis que « l’écologie est une notion propre au Front national » c’est que l’écologie est la défense du milieu nécessaire à l’épanouissement des espèces vivantes. Et autant, bien sûr, il faut défendre les espèces animales, il faut aussi défendre les espèces humaines. La Nation française, le peuple français méritent qu’on protège le milieu nécessaire à son épanouissement. Et la politique du Front national, qui est une politique identitaire, doit défendre le terroir, le territoire, le patrimoine, l’environnement naturel mais aussi l’environnement culturel et l’environnement propre à notre peuple.

O. Mazerolle : Cela ne touche pas aux individus, alors ?

Bruno Mégret : C’est-à-dire ?

O. Mazerolle : Aux gens, à la personne humaine ?

Bruno Mégret : La personne humaine doit être respectée dans son intégrité, dans ses valeurs propres. Chacun étant un être unique, il doit être respecté en tant que tel. Il n’en demeure pas moins que les hommes n’existent pas en dehors des communautés auxquelles ils appartiennent. Et que ces communautés doivent être défendues au même titre que les hommes à titre individuel. Je crois qu’on oublie aujourd’hui complètement cette deuxième dimension ; c’est l’une des sources des graves problèmes que nous connaissons.

O. Mazerolle : Vous donnez une définition de la préférence nationale et vous dites : « Dans le fond, c’est l’exclusion de ceux qui ne font pas partie d’un groupe, afin de préserver ce groupe. »

Bruno Mégret : Non, ce que je dis c’est que le vrai débat idéologique aujourd’hui, c’est un débat qui pourrait se résumer en deux mots : d’un côté, la lutte contre l’exclusion et de l’autre, la lutte pour la préférence. Nous considérons qu’il y a civilisation que s’il y a des groupes structurés, organisés, ce que j’appelle « les communautés » et que…

O. Mazerolle : Naturelles ?

Bruno Mégret : Naturelles et d’autres : il n’y a pas que les communautés naturelles. Une société industrielle et commerciale est une communauté qui est d’abord juridique et économique. Le club des joueurs de boules n’a rien de naturel, c’est une communauté artificielle, fondée sur l’intérêt des uns et des autres pour tel ou tel jeu. Non, il n’y a pas que les communautés naturelles. Mais je dis que la civilisation n’existe que s’il y a une hiérarchie de communautés. Et qu’une communauté, un groupe n’existent que si, par définition, on n’accepte pas tout le monde dans ce groupe. Sinon, il n’y a plus de groupe. Si tout le monde peut faire partie de la Nation française, il n’y a plus de Nation française. Et c’est la raison pour laquelle, en effet, l’existence de la civilisation implique que n’importe qui ne soit pas admis dans un groupe et que ceux qui contribuent à détruire ce groupe en soient exclus.

O. Mazerolle : Cette approche un peu idéologique vous permettra-t-elle de vous entendre avec les autres partis de droite ?

Bruno Mégret : Là, nous avons fait un petit peu de doctrine mais tout ça débouche sur des considérations concrètes. Nous sommes partisans d’une grande politique de redressement économique qui passe notamment par l’abaissement massif des dépenses publiques, la réduction des impôts. Je crois que les partis de droite, en tout cas dans les principes, sont d’accord avec ça. Même s’ils ne l’ont pas fait quand ils étaient au pouvoir. Voilà un terrain sur lequel il pourrait y avoir débat par exemple avec Monsieur Madelin ou avec Monsieur de Villiers.

Date : 26 septembre 1997
Source : Le Figaro

Le Figaro : Des voix se sont élevées, au sein du RPR et de l’UDF, pour demander que soit reconsidérée la manière de traiter le FN. N’y a-t-il pas, au FN aussi des divergences sur la façon d’envisager les rapports avec l’opposition modérée ?

Bruno Mégret : Notre position est simple, elle a été arrêtée : nous ne sommes pas favorables à des alliances de gouvernement, parce que nous n’avons pas la même vision des choses, le même programme politique que le RPR et l’UDF. Par contre, nous sommes tout à fait prêts à des accords de désistements réciproques, dans le cadre d’une discipline nationale. Tout le monde est d’accord là-dessus au FN. Nous sommes prêts à la mettre en œuvre pour les élections cantonales, soit dans le cadre d’un accord national, mais plus vraisemblablement de façon décentralisée, dans les départements, voire même au coup par coup, car les choses sont sans doute plus faciles à ce niveau-là qu’au niveau national. Chacun peut y trouver son intérêt.

Pour les élections régionales, la situation est différente puisqu’il s’agit d’un scrutin proportionnel. Notre ambition est d’augmenter massivement le nombre de nos élus, et, par voie de conséquence, il est probable que le RPR et l’UDF qui détiennent vingt régions sur vingt-deux, ne seront plus en mesure d’avoir la majorité absolue dans la plupart d’entre elles.

Ils vont être mis au pied du mur : leurs débats d’aujourd’hui deviendront au lendemain du scrutin extrêmement concrets, tangibles, avec des décisions à prendre immédiatement. Ils pourront sans doute avoir une majorité relative, et pourront donc faire élire des présidents. Mais pour gouverner, ils devront alors passer l’exercice pratique : il faudra qu’ils se tournent vers le PS, comme c’est actuellement le cas en Provence, ou qu’ils se tournent vers le FN.

Le Figaro : Vous ne réclameriez donc pas, en échange d’un éventuel soutien, de participer à l’exécutif, et d’avoir des vice-présidences ou des délégations. Ce que vous envisagerez, ce serait un soutien « sans participation ». Vous imaginez donc qu’il puisse y avoir accord sur une politique…

Bruno Mégret : Il ne s’agit pas de formaliser quoi que ce soit à ce stade. La balle est dans le camp de l’UDF. Mais il est une exigence préalable à tout, c’est que Monsieur Séguin et tous les responsables RPR passent aux actes, c’est-à-dire qu’ils disent clairement que le FN n’est pas un mouvement fasciste, raciste que sais-je, que c’est un mouvement républicain démocratique, qui a toute sa place dans les institutions du pays. C’est indispensable d’en venir là.

Le Figaro : Les accords de désistement dont vous parlez supposeraient des négociations que le président du FN semble avoir résolument exclues.

Bruno Mégret : Il n’est pas question, en effet de négociations. Il s’agit simplement d’une discipline nationale : nous sommes contre les alliances, mais favorables à des désistements réciproques. Cela n’implique aucune négociation, mais simplement le souci de tenir compte de ce mode de scrutin, pour ne pas faire le jeu de la gauche.

Le Figaro : Vous avez souvent dit qu’il n’y a guère de différence entre les politiques de droite et de gauche. Continuez-vous à le dire après quatre mois de gouvernement Jospin ?

Bruno Mégret : Je dis que la situation se détériore encore davantage. Lorsque Monsieur Jospin procède à la régularisation des immigrés clandestins, c’est une félonie à l’égard du peuple français. On démantèle la politique familiale, c’est-à-dire qu’on va accorder toutes sortes d’avantages, y compris familiaux, à des immigrés étrangers alors qu’on va les retirer aux familles françaises, dont on prétend qu’elles sont riches, alors qu’elles sont seulement dans la classe moyenne. La politique bidon de lutte contre l’emploi ne sert qu’à masquer l’impuissance du Gouvernement. C’est l’aggravation d’une politique de décadence.

Le Figaro : Le refus de la droite de passer accord avec vous, ne laisse-t-il pas le FN dans une impasse ?

Bruno Mégret : Plus la situation va se développer, plus le FN va prendre du poids. Depuis les législatives, nous sommes dans une situation nouvelle constituée de trois pôles. C’est une situation instable, puisque le propre de la politique c’est l’opposition de deux blocs. Il y en a un de trop, c’est généralement celui du milieu. Donc, de toute façon, le FN est dans une dynamique de progression, pendant que le pôle du milieu s’il ne réagit pas est condamné à s’étioler et à disparaître plus ou moins au profit du Front national. Voyez les cantonales partielles de dimanche dernier : le FN se retrouve en duel contre la gauche à Mulhouse et en Seine-Saint-Denis.

Le Figaro : L’organisation du FN, en particulier le rôle prépondérant que vous y exercez, a été contestée par un certain nombre de responsables, lors de la réunion à huis clos de Strasbourg, au début de l’été. Comment avez-vous réagi ?

Bruno Mégret : Pour moi les choses sont très simples : j’exerce mes responsabilités au sein du FN, second derrière Jean-Marie Le Pen. Je ne me préoccupe pas de quoi que ce soit d’autre. Le FN est beaucoup plus solide, uni et homogène que tous les partis de la classe politique, c’est ce qui fait notre force.