Interview de M. Edouard Balladur, député RPR, dans "Le Parisien" du 21 octobre 1997, sur sa candidature à la tête des élus RPR d'Ile-de-France en vue des élections régionales de mars 1998, sa conception de l'union RPR UDF et du libéralisme, intitulé "je n'ai jamais été un ultra-libéral".

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Circonstance : Elections régionales du 15 mars 1998

Média : Le Parisien

Texte intégral

Le Parisien : Pourquoi avez-vous accepté de prendre la tête des élus RPR à Paris en vue des élections régionales du 15 mars ?

Édouard Balladur : Cette proposition m’avait été faite au début du mois de septembre par Philippe Séguin. J’ai considéré, surtout quand un combat s’annonce difficile et que l’enjeu est à la fois local et national, que je ne pouvais pas me dérober. Et cela, d’autant plus que les majorités sortantes de droite et du centre sont, dans plusieurs régions, menacées. Y compris en Île-de-France. Dès lors, tout le monde doit s’y mettre. Si la majorité sortante venait à perdre l’Île-de-France, cela pourrait avoir des conséquences en chaîne très lourdes.

Le Parisien : Au-delà de Paris, vous êtes en réalité, sans le dire « le » candidat de l’opposition à la présidence de la région Île-de-France…

Édouard Balladur : Chaque chose en son temps. Si les mouvements qui soutiennent la majorité sortante le souhaitent, et si les résultats le permettent, je serais heureux d’exercer cette fonction.

Le Parisien : Pourquoi avoir attendu si longtemps avant de dire oui ?

Édouard Balladur : Il fallait réfléchir aux conditions du succès. D’abord, un profond renouvellement de la composition du conseil sortant, même si l’œuvre accomplie est, sur bien des points, remarquable. Maintenant, c’est une nouvelle étape qui doit s’ouvrir. Et ce renouvellement passe par le rajeunissement, la féminisation de nos listes et aussi l’ouverture à des personnalités de la société civile. Il faut, ensuite, que notre projet traduise cette volonté de renouveau. L’Île-de-France, qui est avec le « grand Londres » et le « grand Berlin » une des trois grandes régions capitales d’Europe, mérite d’être dotée des moyens lui permettant une activité plus autonome et plus importante. Bref, une décentralisation plus grande s’impose. Enfin, si j’ai répondu oui, c’est parce que ces élections vont avoir un sens politique. Elles doivent impérativement marquer le début du redressement de l’opposition. Si nous réussissons, dans l’union, à sauver le plus grand nombre de régions, cela prouvera que les Français nous font à nouveau confiance.

Le Parisien : L’union RPR-UDF, c’est un absolu ?

Édouard Balladur : Il ne s’agit pas de fixer une règle rigide mais, à l’évidence, l’union est, dans la plupart des cas, préférable à la compétition.

Le Parisien : L’union, c’est la parité entre RPR et UDF ?

Édouard Balladur : Pas forcément dans tous les cas !

Le Parisien : Allez-vous brandir le drapeau libéral ?

Édouard Balladur : Bien entendu. Je ne manquerai pas, pour mon compte, de dire que la politique de l’actuel gouvernement ne fait pas la place qu’elle devrait à la liberté, condition du progrès et de la justice.

Le Parisien : Certains vous taxent d’ultra-libéralisme…

Édouard Balladur : Je n’ai jamais été un ultra-libéral, me méfiant, par tempérament et conviction de tout excès. Je crois à la nécessité de la loi et à la vertu de la solidarité. Mais je remarque qu’on ne parle jamais de libéralisme, mais toujours d’ultra-libéralisme. En revanche, personne ne parle d’ultra-socialisme. Et pourtant, quand on voit les socialistes français à contre-courant de l’évolution du monde et même de celle des socialistes européens, comment les qualifier autrement que d’archaïques ?

Le Parisien : Revenons aux dossiers franciliens. Qu’avez-vous pensé de l’opération circulation alternée à Paris ?

Édouard Balladur : C’était une bonne décision, d’ailleurs permise par un vote de la majorité précédente. La pollution et les transports en commun sont en Île-de-France des problèmes essentiels : j’aurai l’occasion d’y revenir. Je regrette cependant que la décision ait été prise par la ministre sans la moindre concertation. Les maires, pour le moins, auraient dû y être associés.

Le Parisien : Acceptez-vous, pour donner la parole aux Franciliens, que, sur certains dossiers, soit organisé un référendum régional ?

Édouard Balladur : Mon objectif premier, c’est la décentralisation. Mais, à titre personnel, je ne suis pas hostile au principe d’une consultation directe de la population, sur un problème important. À condition, bien sûr, que cet usage ne soit pas systématique.

Le Parisien : L’Île-de-France souffre du poids des « affaires » …

Édouard Balladur : Tout ce qui ressemble de près ou de loin à des jugements prématurés portés avant que la justice se soit prononcée, je les récuse. Je n’entrerai pas dans ce débat, même si je pense que le respect de la morale est naturellement indispensable à la vie publique.

Le Parisien : Vos adversaires vont utiliser, eux, ces dossiers qui visent des élus RPR…

Édouard Balladur : Sauf erreur de ma part, il y a des problèmes un peu partout…

Le Parisien : En face de vous, il y a la gauche, mais aussi le Front national…

Édouard Balladur : Par pitié, ne commençons pas à parler tous les jours et toutes les heures du Front national. Le problème, c’est que des équipes renouvelées proposent à l’Île-de-France un projet convaincant.

Le Parisien : Comment expliquez-vous que la gauche soit, aujourd’hui, donnée gagnante en Île-de-France ?

Édouard Balladur : La victoire nationale de la gauche ne remonte qu’à cinq mois. Nous verrons bien si cette situation demeure jusqu’en mars prochain.

Le Parisien : En l’état, que pensez-vous de la politique de Lionel Jospin ?

Édouard Balladur : Le Gouvernement a eu la chance de trouver, à son arrivée, une situation bien meilleure qu’on ne l’aurait cru sur le plan économique et budgétaire. Mais il n’a pas utilisé cette chance au mieux. On a augmenté les impôts d’une cinquantaine de milliards : c’est une erreur qui risque d’entraver la croissance. On a pris des mesures artificielles s’agissant des emplois-jeunes qui seront, à terme, parfaitement inopérantes et se traduiront par l’alourdissement du secteur public et une augmentation du chômage et des impôts. On a décidé d’imposer arbitrairement les trente-cinq heures : c’est une erreur grave, qui nuira à l’emploi. On a remis en chantier, de façon inconsidérée, nos lois sur l’immigration et la nationalité : cela se traduira par l’accroissement de l’immigration clandestine. Bref, les socialistes sont restés socialistes, en s’en prenant aux classes moyennes, aux familles et aux petites entreprises.

Le Parisien : Par rapport à la gauche, vous réclamez-vous franchement de la droite ?

Édouard Balladur : Oui. Mais si la droite veut dire la liberté, cela n’exclut pas la solidarité, ni la cohésion sociale. Au contraire. Je dis depuis longtemps qu’il était temps que les Français sachent quelles sont les convictions de ceux qui sollicitent leurs suffrages.

Le Parisien : Êtes-vous conscient du risque personnel que vous prenez en vous présentant ?

Édouard Balladur : Tout à fait. Toute élection comporte un risque.

Le Parisien : En cas de succès, vous deviendrez « l’homme fort » à Paris et vous pourriez viser la mairie…

Édouard Balladur : Je vous ai dit que, en cas de succès, je serais heureux d’exercer des responsabilités régionales.