Interview de M. Hervé de Charette, ancien ministre des affaires étrangères, dans "Le Figaro littéraire" du 16 octobre 1997, sur sa biographie du Maréchal Lyautey.

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Circonstance : Parution du livre "Lyautey" de H. de Charette en octobre 1997

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Texte intégral

Le Figaro : Pourquoi vous êtes-vous intéressé à cet enfant de la Lorraine qu’était Lyautey ?

Hervé de Charrette : C’est un homme de l’Est, bien sûr, mais il s’est épanoui en découvrant les pays chauds, le désert et le soleil. En fait, c’est sa très grande actualité qui m’a attiré vers lui car on peut dire qu’il a fondé la politique franco-arabe de la France. Lyautey au Maroc, c’est César en Gaule. Quand on s’intéresse à Lyautey, on découvre que c’était un esprit d’aventure, une personnalité hors du commun qui savait s’imposer.

Le Figaro : N’était-il pas un peu provocateur ?

Hervé de Charrette : Oui ! Provocateur et charismatique. Il a vécu au cours d’une période de quatre-vingts années dont on peut dire qu’elles ont été fondatrices. Il a côtoyé et abordé les grands débats de la France moderne, la monarchie, la République, la laïcité, la question sociale ; mais chaque fois, il l’a fait d’une façon originale.

Le Figaro : Comment était-il perçu dans l’armée ?

Hervé de Charrette : Mal. Ses collègues le détestaient. On n’est jamais aimé par ceux qui aimeraient vous ressembler et qui pestent de n’être pas aussi bon que vous. C’était un militaire qui ne se gênait pas de dire son sentiment sur l’armée. Mais en plus, c’était un homme de culture, d’une grande sensibilité, reçu dans tous les salons de Paris : bref, le contraire de ses collègues qui le jalousaient.

À cette époque, il y avait deux camps parmi les militaires : ceux qui avaient le regard fixé sur la ligne bleue des Vosges et dont le seul objectif était de reprendre l’Alsace et la Lorraine aux Allemands. Et ceux qui souhaitaient l’expansion de la France dans une politique coloniale.

Le Figaro : La France, à ce moment-là, s’intéressait-elle à ses colonies ?

Hervé de Charrette : Non ! Il y avait bien un parti colonial mais il était minoritaire et désordonné. Mis à part quelques hommes politiques comme Jules Ferry, les Français n’étaient pas coloniaux. Pour l’essentiel, l’empire colonial français s’est constitué au gré des circonstances, grâce à l’esprit d’entreprise et d’aventure de quelques officiers. D’ailleurs, il y aura toujours une sorte de hiatus entre l’armée sur le terrain – les troupes coloniales – et le pouvoir politique ; c’est une situation constante que l’on retrouve même dans les années 50, au moment de la guerre d’Indochine. Dans ce domaine, Lyautey fait figure de précurseur, se plaignant toujours du pouvoir politique à Paris qui ne comprend rien, alors que lui, sur le terrain, se rend bien compte de la situation et voit comment il faut agir.

Le Figaro : L’Algérie, le Tonkin, Madagascar et le Maroc ont fait de Lyautey « le Richelieu colonial ». Mais pendant la Première Guerre mondiale, Briand l’a appelé au ministère de la guerre. L’expérience n’a pas été bien concluante !

Hervé de Charrette : Il n’était pas fait pour la politique. Lyautey a toujours pensé qu’il serait appelé à jouer un grand rôle national ; il se serait vu, volontiers, dans celui de saveur de la nation, ce qui prouve une belle confiance en soi. En réalité, bien qu’il ait flirté avec le milieu politique, il n’a jamais réellement approché la politique. Et c’est par hasard qu’il est nommé ministre de la Guerre. Il comprend très vite – car il est très intelligent – qu’il va s’y perdre. Il pensait qu’en tant que ministre de la Guerre, il pourrait conduire cette guerre, ignorant alors qu’il n’était qu’un pion parmi d’autres dans un système dont il n’était certainement pas la tête. L’offensive Nivelle s’est préparée malgré lui et sans qu’il en soit réellement informé, en tout cas sans qu’il ait autorité sur cette initiative – comme plus tard, en 1991, la participation française à l’offensive américaine contre l’Irak sera menée malgré le ministre d’alors, Jean-Pierre Chevènement.

Le Figaro : Comment a-t-il démissionné ?

Hervé de Charrette : C’est un incident à la Chambre des députés qui amène sa chute. En mars 1917, les rapports entre le gouvernement et la Chambre sont particulièrement exécrables, les députés critiquant de plus en plus la manière dont la guerre est conduite. Certaines rumeurs, de surcroît, font de Lyautey un adepte du pouvoir personnel, voire un dictateur en puissance. Dans ce climat, une simple étincelle suffit à mettre le feu aux poudres.
Le 14 mars, à la tribune de la Chambre, Lyautey prononce un discours sur l’aviation. Au début de la harangue, il refuse aux députés certaines précisions techniques, de crainte qu’il n’en résulte des fuites. C’est l’incident qui conduit à la démission. Je pense que Lyautey l’a provoqué sciemment pour mettre un terme à cette mauvaise farce. Pour quitter la scène à son avantage.

Le Figaro : À travers la belle figure chevaleresque de Lyautey, vous évoquez une page de notre histoire coloniale. Est-elle encore importante aujourd’hui ?

Hervé de Charrette : Bien sûr ! Elle est très importante pour le monde arabe. Or, dans la politique étrangère française, a priori, c’est dans cette zone-là que se trouve désormais concentrée une grande part de nos intérêts, de nos menaces, de nos risques et de nos enjeux.

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