Texte intégral
L’Événement : Vous aviez annoncé, au début de votre campagne, que vous vouliez faire une liste qui transcende le clivage gauche-droite. Vous vous retrouvez avec Villiers, n’est-ce pas une sorte de constat d’échec ?
Charles Pasqua : Non. Ce qui compte, plus que la composition de la liste, c’est de savoir si notre démarche, qui consiste à dire que la souveraineté nationale transcende les clivages politiques, est comprise par les électeurs. Rendez-vous le 13 juin.
L’Événement : Sur la liste, il n’y a pas Max Gallo, ni même Henri Guaino, « l’inventeur » du concept de « fracture sociale ». Pourquoi ?
Charles Pasqua : Certains n’ont pas accepté la place qui leur était proposée. Pour Gallo, c’est un autre problème : je ne suis pas sûr qu’il ait jamais envisagé d’être candidat. Il est proche de nos idées, mais il est surtout très proche de Chevènement. Il ne veut rien faire qui soit de nature à le gêner.
L’Événement : Jean-Charles Marchiani a dit qu’il avait des « valeurs morales » proches de celles de deux conseillers municipaux de Toulon FN. Cela rappelle le temps où vous partagiez des valeurs communes avec le FN…
Charles Pasqua : Avec les électeurs du FN, nuance ! Et lorsque j’avais parlé de valeurs communes, j’avais bien dit ce qu’étaient ces valeurs : l’attachement à la patrie, un certain nombre de notions qui ont fait la grandeur de la France.
L’Événement : Est-ce que, stratégiquement, le fait que le FN ait implosé ne vous a pas amené vous dire que c’est peut-être là qu’il y avait un « matelas d’électeurs » ?
Charles Pasqua : Je pense qu’une partie de l’électorat RPR s’est portée sur le FN parce que le discours du RPR s’est centrisé. Cet électorat est capable de nous retrouver. Il y a une chance de le récupérer. En outre, il y a aujourd’hui un grand trouble dans l’électorat populaire qui vote à gauche, et plus particulièrement dans l’électorat communiste. Bon nombre de ces électeurs ne se reconnaissent pas dans la politique menée par le gouvernement. Là aussi, il y a une possibilité nouvelle.
L’Événement : Pour parler du RPR, que vous connaissez mieux que beaucoup de gens, s’il y avait eu un vote à bulletin secret parmi les militants, à votre avis, quelle aurait été la répartition entre vous et la liste Sarkozy-Madelin ?
Charles Pasqua : Les choses ne se présentent pas tout à fait comme ça. Si la liste Sarkozy-Madelin n’avait pas le soutien avéré du président de la République, je crois qu’elle ne serait pas suivie par les militants du RPR.
L’Événement : Elle n’est pas seulement soutenue par le président de la République. Elle est soutenue aussi par Giscard et Juppé…
Charles Pasqua : Le soutien de Giscard, sur les militants RPR, aura sans aucun doute un très grand impact…
L’Événement : Au lendemain du 13 juin, votre élection acquise, vous aurez le choix entre plusieurs choses qui pourraient ne pas vous faire plaisir. Est-ce que vous préférez abandonnez le Sénat, le conseil général des Hauts-de-Seine, ou alors renoncer à siéger au Parlement européen ?
Charles Pasqua : Non seulement je siégerai au Parlement européen, mais je serai le président d’un groupe qui comportera à la fois des membres français et des députés d’autres nationalités. Il n’est pas impossible d’ailleurs que certains élus de la liste Sarkozy-Madelin nous rejoignent pour ne pas siéger au groupe PPE. Si je dois abandonner un de mes mandats, je renoncerai sans doute au Sénart.
L’Événement : De façon assez étonnante, les sondages vous donnent, dans la même semaine, entre 7,5 et 13,5. A partir de quel score considérerez-vous avoir gagné votre pari ?
Charles Pasqua : J’attends un score à deux chiffres. Tout ce qui sera engrangé au-delà sera une bonne surprise.
L’Événement : Bernard Pons a annoncé que, le soir du 13 juin, il faudrait compter toutes les listes d’opposition républicaine comme des listes de soutien à Chirac. Est-ce que c’est un projet qui vous va ?
Charles Pasqua : Je dois dire que j’ai toutes les peines du monde à comprendre pourquoi on veut absolument embarquer le président de la République dans cette affaire. Pour moi, ce qui sera important le soir du 13 juin, c’est de comptabiliser les voix des électeurs qui auront refusé l’Europe fédérale.
L’Événement : Vous êtes plutôt pour une addition avec Hue, Laguiller et Le Pen ?
Charles Pasqua : Pourquoi pas ? Je ne serais pas étonné de constater que plus de 40 % des électeurs auront voté contre l’Europe fédérale.
L’Événement : Vous avez dit, il n’y a pas très longtemps : « Si certains abandonnaient totalement les valeurs gaullistes, il faudra bien que d’autres les reprennent. » Puisque vous avez l’air de considérer que ni le président de la République ni le RPR de Sarkozy n’incarnent tout à fait ces valeurs gaullistes, qu’allez-vous faire ?
Charles Pasqua : Le « RPR de Sarkozy », ça n’existe pas. Sarkozy est le gérant provisoire du RPR, rien d’autre. A mes yeux, il n’a aucune légitimité. C’est un dirigeant de fait. La logique et les statuts du RPR eussent voulu, dans la foulée du départ de Séguin, qu’il y ait une nouvelle élection pour la présidence du RPR. Il n’y a pas de président intérimaire, ça n’existe pas. Sarkozy n’a pas été élu. Il a été désigné.
L’Événement : Vous êtes en congé du RPR ?
Charles Pasqua : Je suis en congé de fait. De même que Sarkozy est un dirigeant de fait.
L’Événement : Alain Juppé demande votre exclusion du RPR.
Charles Pasqua : Monsieur Juppé appartient au comité politique de fait qui conseille un président par intérim de fait.
L’Événement : Est-il possible que vous reveniez en force si vous faites un bon résultat ?
Charles Pasqua : Tout ça dépend de beaucoup de choses, mais je ne crois pas que cela soit possible. Nous avions engagé, avec Philippe Séguin, une action de rénovation du mouvement, et cette action consistant à faire en sorte que le RPR se ressource, qu’il retrouve son inspiration d’origine. Dans le même temps, ce que nous souhaitons, c’est que le RPR s’oppose beaucoup plus fermement au pouvoir socialiste. Cette action a rapidement trouvé ses limites par le fait que le président de la République n’imagine pas que le RPR puisse avoir, dans le cadre de la cohabitation, une grande autonomie par rapport à lui.
L’Événement : Après le 13 juin, pensez-vous reconstruire quelque chose avec Philippe Séguin ?
Charles Pasqua : Rien n’est impossible, mais je ne sais pas ce que souhaite faire Philippe Séguin. Je constate qu’il est arrivé aux mêmes conclusions que moi-même. Or, entre-temps, il a accepté la révision de la Constitution pour permettre la ratification du traité d’Amsterdam – qu’il a approuvée, ce qui n’est pas mon cas.
L’Événement : Philippe de Villiers n’a pas de passé gaulliste. Est-il qualifié pour incarner l’avenir de ce courant politique ?
Charles Pasqua : Est-ce que vous croyez que quand de Gaulle a créé le RPF, il l’a fait uniquement avec les gens qui l’avaient rejoint à Londres ? Il a appelé tous les Français à le rejoindre. Le RPF a eu un million d’adhérents en l’espace de quelques semaines. La question est de savoir qui peut se prétendre gaulliste aujourd’hui. Est-ce qu’on peut se prétendre gaulliste et, dans le même temps, réviser la Constitution à tout bout de champ et adopter Amsterdam ? Ma réponse est non. Philippe de Villiers est beaucoup plus près des idées que le général de Gaulle a incarnées qu’un certain nombre de gens qui se disent gaullistes. La question n’est pas de savoir si je ferai quelque chose avec Villiers. Si je décide de faire quelque chose, j’espère qu’il y aura bien d’autres gens.
L’Événement : Comme ancien ministre de l’intérieur, quel jugement portez-vous sur la situation en Corse après l’affaire Bonnet ?
Charles Pasqua : Le problème de la Corse tient à ce que, chaque fois qu’il y a eu changement de gouvernement, chaque fois qu’il y a eu alternance, il y a eu changement de politique. Or, on ne peut rien faire si l’on dispose de seulement deux ans, ou même de cinq ans. Quand je suis arrivé au ministère de l’Intérieur, j’ai conduit en Corse une politique fortement répressive qui visait à éradiquer la violence. Je pense que si le gouvernement avait disposé de quelques mois de plus, la quasi-totalité des mouvements qui pratiquaient la violence eussent été mis hors d’état de nuire. Quand je suis parti, en 1988, tous les gens que nous avions arrêtés ont été libérés et amnistiés. Le résultat c’est que, cinq ans après, à mon retour Place Beauvau, les nationalistes – qui faisaient 10 % aux élections quand je suis parti – atteignaient 25 %. Entre 1993 et 1995, j’ai surtout usé de ma casquette de ministre de l’Aménagement du territoire pour essayer de faire définir par l’ensemble des mouvements représentés à l’Assemblée de Corse, une politique commune pour l’avenir de la Corse. Et puis, après mon départ, le ministère de l’Intérieur a perdu l’Aménagement du territoire et les Collectivités locales. Je pense qu’une des erreurs du gouvernement Juppé, répétée par Jospin, a été de ne pas conserver un responsable unique pour la Corse, mais d’émietter les responsabilités au niveau de tous les ministères.
Je veux dire aussi que le rétablissement de l’État de droit ne concerne pas que la Corse. Ce qui choque les Corses, c’est d’entendre parler du rétablissement de l’État de droit sur l’île alors que la situation des banlieues et les passe-droits attribués sur tout le littoral de France sont une réalité que tout le monde connaît. Cela dit, il y a eu en Corse une certaine forme de laxisme de la part des représentants de l’État, ou plus exactement des services de l’Etat, et c’est cela qui a amené le développement des mouvements nationalistes, beaucoup plus que le reste.
L’Événement : Pour la première fois, des élus républicains, comme José Rossi, se rallient à l’hypothèse d’une autonomie de la Corse. Et vous ?
Charles Pasqua : Je crois que l’idée de l’autonomie de la Corse est une idée fausse. Le problème ne consiste pas à donner davantage de pouvoirs aux Corses, parce que cela consisterait à donner davantage de pouvoirs aux représentants politiques actuels de la Corse. Ce n’est pas de cela dont la Corse a besoin. La Corse a besoin d’avoir un projet d’avenir, de voir rétablir la paix pour qu’elle puisse bénéficier pleinement de la situation exceptionnelle qui est la sienne.
L’Événement : Que sont les fameux « réseaux Pasqua » qui vous confèrent une aura sulfureuse ?
Charles Pasqua : Moi, je ne sais pas où est cette aura sulfureuse. L’opinion publique me considère comme un homme d’ordre, comme quelqu’un qui a bien servi l’Etat et qui a fait son devoir. Elle se rappelle probablement les résultats que j’ai obtenus dans un certain nombre de domaines, la lutte contre le terrorisme, la récupération des otages, etc. Que, de la part de mes adversaires politiques, il soit de bon ton d’essayer de noircir mon image, ça les regarde.
L’Événement : Un mot sur le Kosovo : votre conception de la souveraineté des Etats interdit-elle d’intervenir dans les affaires intérieures d’un État ?
Charles Pasqua : Non, mais elle exige un respect du droit international. Actuellement, nous avons une poussée du monde hispanique en Floride et en Californie. Bientôt, ils seront majoritaires. Supposons qu’un jour ils considèrent que leurs droits ne sont pas respectés par la minorité anglo-saxonne. Faudra-t-il intervenir ? Il faut faire très attention à ce que l’on fait.