Déclarations de M. Nicolas Sarkozy, secrétaire général du RPR et président par intérim, sur l'Europe sociale, Bordeaux le 20 mai 1999, Besançon le 25, Tours le 26.

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Intervenant(s) : 
  • Nicolas Sarkozy - Secrétaire général du RPR et président par intérim

Circonstance : Campagne pour les élections européennes à Bordeaux le 20 mai 1999, Besançon le 25 et Tours le 26

Texte intégral

Mes Chers Amis,
Si j’ai fait le choix de l’Europe, c’est parce que j’ai la conviction que dans le cadre de la mondialisation sur laquelle personne ne sera en mesure de revenir, et face aux grands ensembles économiques qui émergent, l’union européenne est un atout essentiel dans la défense et la promotion du modèle social européen.

S’il existe des différences entre les différentes politiques de solidarité menées par les Etats de l’union européenne, il est cependant une évidence : le modèle européen se caractérise par la valeur supérieure qu’il accorde à la dignité humaine, à la personne humaine, au respect qu’on lui doit, à la place qu’il convient de lui faire.

Pour nous, gaullistes, cette conception de la solidarité sociale et donc de l’homme est indissociable de l’unité nationale.

Il n’est pas de nation forte sans que les hommes et les femmes qui la composent ne se sentent considérés à part entière.

La dynamique libérale que je souhaite pour la France et pour l’Europe est donc à l’opposé de l’image caricaturale d’un capitalisme sauvage dénué de toute dimension sociale.

Je suis pour un libéralisme économique stimulant, mais régulé, c’est-à-dire équilibré entre les nécessités de la création de richesses et d’emplois et les exigences du pacte social. L’un n’allant pas sans l’autre.

Oui, je veux l’Europe sociale ! Mais que met-on derrière ce mot symbole ?

Il faut savoir de quoi l’on parle.

Il ne suffit pas d’une photo de famille dans un sommet européen et de quelques déclarations triomphales sur l’Europe aux couleurs rose et verte pour faire avancer la cause de l’Europe sociale.

Il ne s’agit pas non plus, au nom de la solidarité, d’assécher l’Europe économique qui, je le rappelle est la condition du financement de l’Europe sociale. Il ne s’agit pas enfin de défendre l’Europe sociale pour mieux s’assurer du statu quo social qui, soyons clairs, profite davantage à ceux qui ont un emploi, plutôt qu’à ceux qui en recherchent un. Au nom du social, on se préoccupe pas du chômage, mais de ses conséquences ! C’est nécessaire, mais c’est parfaitement insuffisant.

En France, près de six millions de personnes vivent proches du seuil de pauvreté ! En France, nos régimes de retraite demeurent dans une situation de déficit chronique et sont condamnés à la réforme sous peine d’extinction ; en France, plus de trois millions de nos concitoyens sont à la recherche d’un emploi…

Cette situation, finalement peu exemplaire sur le plan social, résulte d’une politique qui aura privilégié le conservatisme social, le malthusianisme économique, et la démagogie politique, plutôt que la réforme sociale ambitieuse, l’expansionnisme économique, et, le discours, de vérité.

Promouvoir l’émergence d’une Europe sociale, ce n’est pas se contenter de rafistoler le vieux modèle de l’état providence dont les mécanismes qui firent un temps son succès, sont aujourd’hui parfaitement obsolètes. C’est encore moins reproduire et décalquer l’échec social du socialisme français au niveau européen, comme on s’accroche à une improbable bouée de secours.

En réalité, un point fondamental nous oppose à la gauche : c’est la question de la place du travail dans notre société.

Pour eux, aveuglés par une vision surannée de la lutte des classes et de l’exploitation de l’homme, le travail est une source d’aliénation ; il est une denrée rare ; il doit être partagé, encadré, contrôlé.

Seul compte, à leurs yeux, la redistribution, voire la distribution tout court, surtout de l’argent des autres… jamais la création de richesses !

Pour nous, le travail est le premier élément constitutif de la dignité humaine. La bataille du plein emploi ne peut donc être une bataille vaine ou perdue ! c’est même, l’essentiel du combat à mener.

Parler de l’Europe sociale, c’est donc, à mes yeux, parler d’abord de l’Europe du travail pour tous. C’est à dire reconnaître à chacun le droit de faire vivre sa famille du fruit de son travail, de son activité, plutôt que de celui de l’assistance, de la charité ou de la mendicité !

Car la pire des injustices, c’est d’abord et avant tout le chômage. Il est l’ennemi principal de la solidarité, c’est donc lui que nous devons faire reculer.

L’Europe sociale doit donc être fondée sur la priorité donnée à l’activité, car c’est bien l’activité qui est le ressort de la dignité et de la responsabilité humaine.

C’est la raison qui nous fait vouloir passer d’un système d’assistance par l’allocation à celui autrement positif et porteur d’avenir, de remise en activité de tous ceux qui sont les accidentés de la vie ;

La solidarité ne consiste pas à s’apitoyer, à enfoncer et à tendre la main juste avant la noyade. Cela consiste à donner à chacun la chance de justement tenter sa chance par un travail, une activité sociale ou une formation.

L’Europe sociale, ce ne peut être non plus l’uniformisation sociale, en Europe, mais au contraire que chacune de nos nations puisse enrichir son modèle social propre par l’expérience des autres.

Dans cette perspective, je propose une conférence sociale annuelle qui permette à tous les Etats de l’Union européenne d’échanger et de comparer leurs expériences et leurs réussites, notamment en matière de retraite et de fonds de pension. Chacun de nos pays a des atouts et des handicaps qu’il faut partager ou surmonter.

L’Europe sociale, c’est aussi maîtriser les pratiques du dumping social entre les états européens. Nous n’avons pas créé l’Europe pour que chacun d’entre nous se mène la guerre du moins-disant social. Cette bataille, nous devons surtout la livrer sur d’autres espaces, d’autres continents.

C’est pourquoi, je suis favorable à une allocation minimum en Europe pour ceux qui n’ont pas de travail, à condition que cela soit la contrepartie d’une activité.

En Europe, la compétition doit être fixée sur d’autres indices, dont ceux de la formation, de la qualité de l’organisation entrepreneuriale, de l’innovation, de l’environnement fiscal qui est le reflet de la gestion budgétaire assurée par les gouvernements.

L’Europe sociale, ce doit être également celle de la mobilité sociale.

C’est à mes yeux un point crucial.

Dans l’union européenne, près de 3 millions d’Européens vivent et travaillent dans des pays différents du leur. C’est une extraordinaire source d’enrichissement personnel et collectif.

Je crois à ce brassage, à cet échange des connaissances, des expériences et des énergies.

Je pense surtout aux jeunes, qui veulent découvrir de nouveaux horizons et faire leurs armes sur des terrains qu’ils ne connaissent pas.

Elle doit être fondée sur la reconnaissance, au niveau de l’Union des droit sociaux individuels, échangeables et transposables dans tous les pays européens. L’expatrié ne peut être un “exilé social”.

Voilà l’Europe social que nous voulons.

L’Europe doit être un acteur politique économique et social d’un monde en mutation et non un spectateur résigné et frileux.

Mes Chers Amis,

Entre le conservatisme social qui ignore dangereusement les réalités économiques de la mondialisation, et le capitalisme sauvage qui est indifférent aux exigences de l’éthique humaine, il y a place pour une Europe sociale, marchant sur ses deux jambes : celle de la compétitivité et celle de la solidarité.

(Discours également prononcé à Bordeaux, le 20 mai).