Tribune de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, dans "Force ouvrière hebdo" du 8 avril 1999, et déclaration de la commission exécutive confédérale Force ouvrière, dans "Force ouvrière hebdo" du 14, sur le conflit au Kosovo, la réduction du temps de travail, la réforme du régime de retraite, la montée de la précarité et le problème des discriminations à l'embauche.

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Média : FO Hebdo

Texte intégral

Quel est le responsable syndical qui, considérant de sa responsabilité de commenter et de prendre position sur les événements d’actualité, n’a pas hésité sur le papier à rédiger. C’est le cas cette semaine entre l’angoisse et la révolte qui nous animent concernant la situation dans les Balkans, au Kosovo et autres territoires où le désespoir et la mort règnent partout, et la situation sociale avec nos revendications et l’action que nous avons engagée pour le 1er Mai 1999 sur la solidarité entre générations et la défense des systèmes de retraites.

Que l’on nous comprenne bien, il ne s’agit pas de définir l’importance du sujet. Il est clair que tout s’efface devant la mort. Nous n’hésiterons donc pas une seconde et soutiendrons les efforts de la CISL et des organismes tels que le BIT pour retrouver le chemin de la paix et de la reconnaissance du syndicalisme indépendant qui reste un gage de la démocratie.

Il y a aussi ce qu’il ne faut jamais, paraît-il, toucher, au risque de faire l’objet d’opprobre. Je vais cependant m’y employer, d’abord parce que je connais et apprécie les hommes dont je vais parler, il s’agit de deux ex-conseillers sociaux de Premiers ministres, Brunhes Bernard et Soubie Raymond, respectivement près de M. Pierre Mauroy et de MM. Chirac et Raymond Barre, mais surtout pour les conséquences que peuvent avoir des propos se voulant réalistes, voire soucieux d’efficacité.

A l’occasion d’un déjeuner de presse de Liaisons sociales, ces ex-conseillers sociaux, actuellement consultants d’entreprise ont considéré, si l’on en croit l’AFP, qu’il fallait, pour M. Brunhes B., aménager une période de transition pour l’application de la seconde loi sur les 35 heures et, pour M. Soubie R., s’agissant des retraites, qu’il fallait parler à l’avance d’une réforme afin que tout le monde soit acclimaté à l’idée, le jour où elle arrive.

C’est en quelque sorte le Discours de la méthode.

Que peut-on faire avec la communication !

C’est notamment ce que nous dénoncions, en parlant de provocation, lorsque le rapport Charpin préconise les 42,5 années de cotisations pour tous : habituons les gens…

Mais Brunhes B. semble être allé plus loin, puisque la dépêche lui prête l’affirmation suivante :

« Avant d’annoncer les 35 heures en 1997, le gouvernement aurait dû lancer une réflexion parmi les Français au lieu de recevoir les organisations syndicales et patronales. »

Là, la ligne jaune est franchie ; curieux pour un conseiller social, voilà peu de considération pour les syndicats et la démocratie par délégation.

Dans les domaines des retraites, l’Europe aussi prend des initiatives. À la fin de l’année dernière, le Parlement européen a adopté une résolution sur le Livre vert de la Commission sur les retraites complémentaires dans le marché unique.
Celle-ci est riche d’enseignements.
Dans les considérants, on relève ainsi que si la « protection sociale publique » doit rester la pierre angulaire de la retraite, il n’en reste pas moins que les régimes de Sécurité sociale doivent demeurer à un « niveau financièrement soutenable ».
Le constat est également fait que la libéralisation des marchés et la globalisation de L’Économie rendent difficile toute augmentation des coûts de production. Vient ensuite l’intérêt pour les fonds de retraites qui représentent d’ores et déjà 20 % du PIB de l’Union européenne et permettent aux entreprises de trouver plus facilement des ressources financières et de faire preuve d’une plus grande transparence de gestion.
L’ensemble pour aboutir à la nécessité de développer de tels fonds et ce, sous label européen avec des règles communes (fiscalité – transférabilité des droits à pension – liberté d’établissement et d’investissements – protection mutuelle contre l’insolvabilité – règles de gestion) : le modèle européen de retraite en quelque sorte.
À noter enfin, pour faire bonne mise, que le Parlement européen engage la Commission à définir les bases légales de l’individualisation des droits à pension et à fixer notamment un âge de la retraite flexible pour les hommes et les femmes.
Nous constaterons que ces différents éléments n’ont guère fait l’objet de publicité en France, y compris dans le rapport Charpin.
Nous avons même pu relever que ce dernier se faisait pour le moins discret en matière de fonds de pension, sans pour autant les rejeter.
Mais comment ne pas faire un lien entre de telles résolutions européennes (ainsi que les travaux de la commission européenne) et certaines pistes du dit rapport dont l’allongement de la durée de cotisation, l’idée d’une retraite à la carte qui consiste surtout à favoriser l’individualisation au détriment de la solidarité et la domination des dogmes économiques (libéralisation - contraintes budgétaires) sur les besoins sociaux.
La logique des fonds de pension est avant tout celle d’un capitalisme libéral tel qu’il s’est développé aux États-Unis et au Royaume-Uni avec Mme Thatcher, cela n’a rien d’une nouveauté, c’est d’ailleurs l’échec de cette technique et la masse considérable d’argent qu’il faudrait mobiliser qui conduiront à la Libération, en 1945, au choix de la répartition.
Or est-ce un hasard si, ces derniers jours, la presse s’est fait l’écho d’une étude montrant qu’en Angleterre près d’un quart de la population (12 millions d’habitants) était sous le seuil de pauvreté, que 30 % des enfants (soit 4 millions) vivaient dans la pauvreté et qu’entre 1977 et 1996 les inégalités de revenus ont augmenté de 33 % ?
C’est ce qui arrive quand les droits collectifs sont sacrifiés au profit de la soi-disant liberté individuelle qui ne peut que s’apparenter à la loi de la jungle, quand la suprématie du capitalisme libéral conduit à une répartition de plus en plus inégalitaire des richesses.
Dans ces conditions, il est dangereux que l’Europe demeure soumise au poids du libéralisme économique, c’est-à-dire abandonne la nécessaire articulation entre le collectif et l’individuel.
Et ce n’est pas ce que d’aucuns appellent la troisième voie, c’est-à-dire le libéralisme social, qui peut répondre au problème, loin s’en faut.
Pour comprendre, et ce n’est qu’un exemple, il suffit de voir les difficultés rencontrés par la Mutualité, dans le cadre de la libéralisation, pour exister face à la logique capitaliste des compagnies d’assurances.
Imposer partout les critères de rentabilité et de compétitivité conduit progressivement à abandonner les droits sociaux, considérés comme trop rigides au profit de mesures d’accompagnement qui, pour rendre la chose acceptable, s’apparentent bien souvent à la charité. Ainsi, on se donne bonne conscience au nom d’une certaine morale. Dans les pays industrialisés où les inégalités et la pauvreté s’accroissent, la prise en compte du social devient un signe extérieur de richesse. Comme l’explique Roland Hureaux*. « Pour aimer le pouvoir et l’argent, la nouvelle élite n’en a pas moins une conscience. La dimension morale de la pensée unique lui apporte l’indispensable supplément d’âme. »
En tout cas, une fois de plus, le débat sur ce qu’est l’Europe (et sur ce qu’elle devait être) n’a toujours pas eu lieu. Comme si les choix économique actuels étaient irréversibles, ce qui relève d’une conception humainement intolérable et dangereuse. Dans ces conditions, il ne nous reste qu’à nous faire entendre, préparons la défense des retraites, pour aujourd’hui… et demain.


14 AVRIL 1999 : DÉCLARATION DE LA COMMISSION EXÉCUTIVE CONFÉDÉRALE FORCE OUVRIÈRE

La Commission exécutive (CE), de Force Ouvrière s’est alarmée de la situation de guerre dans les Balkans, et particulièrement au Kosovo où les populations sont victimes de déportation. Elle rappelle que Force Ouvrière a participé à plusieurs missions de la CISL en ex-Yougoslavie, au cours desquelles elle avait pu mesurer que la discrimination ethnique était envisagée et pratiquée de longue date.
Elle apporte son soutien aux syndicalistes indépendants du Kosovo (BSPK) et de Serbie (Nezavisnot) dont les nouvelles sont dramatiques, l’un des dirigeants syndicalistes kosovars ayant été tué, l’autre disparu, et appuie la CISL dans son intervention en vue de provoquer une solution politique au conflit assurant les garanties pour l’ensemble des populations, dont la liberté syndicale, le droit d’association et la liberté de la presse et, bien entendu, le respect de la convention III contre la discrimination.

Concernant la situation économique et sociale, la CE affirme avec force que, quels que soient les dossiers sociaux d’actualité (retraite, maladie, 35 heures, précarité, discrimination), considérer que leur examen puisse être déconnecté de la politique économique, ou soumis à cette dernière, relève d’une démarche fataliste ou hypocrite.
À partir du moment où la réduction des déficits publics, la désinflation, la compétitivité et la libération demeurent les références incontournables, la seule perspective proposée aux salariés, chômeurs, retraités et à la jeunesse est celle de traitements susceptibles d’atténuer les ravages du capitalisme libéral.
Pour la Commission exécutive de la CGT Force Ouvrière, le libéralisme social ne peut pas constituer une réponse aux problèmes posés. Une répartition différente des richesses produites est indispensable pour réduire les inégalités, renforcer la solidarité et la cohésion sociale. Elle passe par une politique économique plus offensive au plan national et européen, facteur de croissance et de créations d’emplois, une politique budgétaire moins restrictive, permettant notamment de consolider les services publics au profit des citoyens, et une politique fiscale plus équitable.
C’est dans cette logique que la Commission exécutive de Force Ouvrière réaffirme ses principales revendications sociales :

* 35 HEURES

La deuxième loi doit apporter des garanties réelles aux salariés en termes de SMIC (pas de double SMIC ; 35 heures payées 39, y compris pour les futurs embauchés), d’heures supplémentaires (taxées à 125 % dès la 36e heures, puis 50 % dès la 43e), de réduction des plafonds hebdomadaires autorisés, de délai de prévenance en cas de modulation, de garanties sérieuses pour que les cadres bénéficient de la réduction de la durée de travail.
Il apparaît indispensable que la réduction de la durée du travail dans la fonction publique et le service public conduise à la création d’emploi budgétaires.

* SÉCURITÉ SOCIALE

Après l’échec du plan Juppé, il est indispensable que s’engage une réelle clarification des comptes et responsabilités entre l’État et la Sécurité Sociale, ce qui exclut toute fiscalisation croissante du financement, toute logique comptable, et nécessite le dégagement par les pouvoirs publics des impôts nécessaires au financement de la solidarité nationale, dans le cadre d’un rééquilibre entre les fiscalités des revenus du travail et du capital.
En matière d’assurance-maladie, la CE confirme que le plan d’action, proposé par la CNAMTS, demeure soumis à la logique restrictive en matière de dépenses, notamment dans le secteur hospitalier. Dans le domaine de la médecine de ville, elle rappelle qu’une indispensable maîtrise médicalisée ne peut voir le jour sans accord avec les professionnels concernés et sans suivi au plan départemental.
En matière de retraite, la Commission exécutive refuse de s’inscrire dans un diagnostic économique restrictif, qui conduit obligatoirement à imposer de nouveaux sacrifices aux salariés. De ce point de vue, la proposition d’allonger à 42,5 ans la durée de cotisation nécessaire pour une retraite à taux plein est significative de la logique comptable du rapport Charpin, qui soumet l’emploi des jeunes et le niveau de vie des retraités à la satisfaction de dogmes budgétaires et économiques.
Pour Force Ouvrière, l’équité dans le progrès c’est 37,5 ans de cotisation pour tout le monde.
Enfin, la Commission exécutive insiste sur le fait qu’un dossier comme celui des retraites doit prioritairement être examiné en fonction des besoins des individus, sachant que l’augmentation de l’espérance de vie est une richesse, non une contrainte.

* PRÉCARITÉ

L’accroissement de la précarité est un des moyens privilégiés de la flexibilité. Il conduit de plus en plus de salariés à alterner CDD et chômage et à ne pas pouvoir se constituer les annuités nécessaires pour la retraite, le temps partiel imposé devient la règle.
Pour la Commission exécutive, plus qu’une taxation de la précarité, qui pour être dissuasive devrait être très élevée, il faut avant tout mieux encadrer les recours possibles à de tels types de contrats de travail et renforcer les moyens de contrôle de l’inspection du travail, l’objectif étant la stabilité professionnelle.

* DISCRIMINATIONS

Au moment où le gouvernement veut absorber le dossier des discriminations à l’embauche, la Commission exécutive confédérale Force Ouvrière souligne que le mouvement syndical indépendant est par définition opposé à toute forme de discrimination à l’embauche et dans l’emploi. Il appuie de ce point de vue la volonté du BIT de travailler sur un approfondissement de la convention que la non-discrimination, qui constitue une des conventions clés de la déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail.
Là encore, pour Force Ouvrière, la lutte contre toutes les discriminations passe aussi par une politique économique plus dynamique, des créations d’emplois, et une réduction des inégalités.
Pour toutes ces raisons, la Commission exécutive de Force Ouvrière confirme que le 1er Mai 1999 sera pour Force Ouvrière, dans le cadre d’une manifestation nationale, de la Bastille à la Bourse, un 1er Mai revendicatif, ayant comme thème central la retraite et la solidarité des générations.