Interviews de M. Nicolas Sarkozy, secrétaire général du RPR et président par intérim, à RTL et dans "Le Progrès" du 9 juin 1999 et à Europe 1 le 10, sur les leçons du conflit du Kosovo pour l'Europe et sur la campagne des élections européennes à droite.

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Intervenant(s) : 

Média : Emission L'Invité de RTL - Europe 1 - La Tribune Le Progrès - Le Progrès - RTL

Texte intégral

RTL - mercredi 9 juin 1999

O. Mazerolle
La victoire est en vue au Kosovo. C’est une victoire de l’Europe ou des Etats-Unis ?

Sarkozy
- Je crois que c’est une triple victoire. C’est d’abord la victoire du Président de la République qui a bien fait d’imposer un discours de fermeté, pour une fois que les démocraties sont fermes face à la dictature. C’est une victoire de l’Europe sur le plan politique : elle a su être unie. Je trouve qu’on est injuste avec elle. Elle a su faire  entendre sa voix, de Rambouillet à ce qui se passe aujourd’hui. Et enfin, c’est une victoire de la France parce qu’il est démontré que l’Europe n’empêche pas la France de s’exprimer. Franchement, c’est une bonne nouvelle pour la paix, pour l’Europe, pour la France. Et cela valide l’analyse qui était la nôtre : il fallait intervenir, parce que quand on n’intervient pas à temps, la catastrophe est plus grande à calmer après.

O. Mazerolle
Mais dans la paix, comment l’Europe va-t-elle démontrer qu’elle n’est pas à la remorque des États-Unis ?

Sarkozy
- Mais politiquement, l’Europe n’a pas été à la remorque des États-Unis. Militairement, c’est vrai, les Etats-Unis ont pris une plus grande part. Encore que, n’oublions pas que la France est deuxième contributeur en matière militaire dans le conflit du Kosovo. La réponse, c’est qu’il faut davantage d’Europe de la défense. Si on veut moins d’États-Unis pour assurer notre sécurité, eh bien il faut davantage d’Europe pour que les Européens prennent tout de même en charge leur sécurité.

O. Mazerolle
La manière dont la paix se fait, c’est la victoire des droits de l’homme sur le principe de la souveraineté des Etats ?

Sarkozy
- Vous savez, la souveraineté des Etats, ça ne doit pas permettre à un dictateur – le dernier dictateur d’Europe – de tuer, de massacrer, de déporter des dizaines de milliers de civils innocents. Cela veut donc dire qu’il y a des principes, que les démocraties doivent agir pour qu’on n’autorise pas sur le continent européen ce que nous avons vu, hélas, et au moins pendant deux guerres !

O. Mazerolle
Et l’Europe a le droit de porter ce jugement moral et s’ériger en censeur ?

Sarkozy
- Non seulement elle a le droit mais c’est un devoir. Dans le passé – que ceux de nos auditeurs qui sont les plus âgés s’en souviennent - on a aussi dit : je ne veux pas mourir pour Dantzig. Et on a vu ce que ça donnait. Refuser d’intervenir au moment où il le faut, c’est le payer  de centaines de milliers de victimes après.  La fermeté, le combat juste, l’intervention, tout cela était nécessaire. Et tous ceux qui ont dit le contraire sont aujourd’hui gravement démentis par les faits.

O. Mazerolle
On est dans la dernière ligne droite de la campagne électorale pour les européennes. J’ai envie de vous demander : comment ça va, à droite, depuis que F. Bayrou, sur France 2, vous a lancé : « Il faut changer de comportement politique, tout le monde ment ! »

Sarkozy
- Oui. Je vous avoue bien volontiers avoir été un peu surpris d’entendre F. Bayrou reprendre point par point le discours de la gauche. Mais enfin, je n’ai pas envie de dramatiser. Je mets ça sur le compte de la fatigue et de l’énervement de la campagne.

O. Mazerolle
Vous reconstruirez la droite avec lui après la campagne ?

Sarkozy
- Vous savez, moi, je suis un homme d’union. J’ai proposé à F. Bayrou, en sortant, de faire liste…

O. Mazerolle
Oui, mais quand on vous traite de « menteur », dites donc, c’est quand même pas facile, hein !

Sarkozy
- Dans une campagne électorale, il arrive que des candidats s’énervent et ils ont tort. Mais moi, ma contribution à l’union, ce n’est pas de jeter de l’huile sur le feu. J’avais proposé à F. Bayrou de faire liste commune avec nous, de défendre ensemble la politique européenne du Président de la République. Il ne l’a pas voulu et il a eu tort. Et aujourd’hui, on voit bien qu’il se trouve isolé et qu’il est obligé de tenir un discours, qui est un discours violent, et qui est un discours qui ne correspond pas à ce que pensent les élus centristes qui savent bien qu’on ne peut pas gagner tout seul. Je suis persuadé que le 14 juin, il comprendra, F. Bayrou, ce qu’il n’a pas compris avant le 13. Je reste un homme d’union mais il faudra reconstruire, il faudra s’allier, il faudra s’unir. Il n’est pas d’autre méthode pour gagner. Et moi, ce que je souhaite, c’est qu’on gagne contre les socialistes dont a vu, aujourd’hui, qu’ils sont totalement isolés en Europe, que personne ne partage leurs solutions économiques. Et quand le Premier ministre de la France a…

O. Mazerolle
Vous faites allusion au papier Schröder-Blair…

Sarkozy
- Quand on pense que M. Schröder et M. Blair, M. Hollande les avait fait venir au Palais des sports pour avoir le cinglant démenti aujourd’hui ! Il faut savoir qu’à Cologne, au sommet des chefs d’Etat et de Gouvernement, lorsque L. Jospin a parlé des 35 heures et des dépenses publiques, il a suscité – nous dit-on – l’hilarité de la salle ! Voilà où nous en sommes ! Notre combat, c’est le combat contre les socialistes.

O. Mazerolle
Oui, d’accord, mais enfin, vous en avez un autre, aussi, qui vous regarde d’un air un peu goguenard, c’est C. Pasqua qui dit : « Sarkozy ? Mais c’est pas le gaullisme !

Sarkozy
- En ce qui concerne C. Pasqua, ce qui se passe au Kosovo est cruel pour lui, c’est la constatation qu’il s’est trompé. Mais là encore, moi je veux construire. D’autres veulent régler des comptes.

O. Mazerolle
Avec C. Pasqua aussi, après ?

Sarkozy
- D’autres veulent régler des comptes, veulent détruire. Moi je veux construire une France moderne, une Europe politique, une opposition renouvelée. Mais C. Pasqua porte ses coups les plus durs au Président de la République, à l’opposition et au RPR.

O. Mazerolle
Et après le 13 juin, il sera avec vous ?

Sarkozy
- Mais écoutez, c’est à lui qu’il faut le demander. Moi, vous ne me demandez pas si après le 13 juin je serai à droite !

O. Mazerolle
Mais vous êtes prêt à lui serrer la main après le 13 juin, s’il la tend ?

Sarkozy
- Je ne suis pas comme ça. Je n’ai aucun contentieux personnel avec personne. Je mène un combat d’idées. Mais c’est très révélateur ce que vous me dites. Est-ce que vous me posez la question de savoir si après le 13 juin, je serai toujours un opposant socialiste et toujours prêt à défendre et les idées et les convictions qui sont les miennes ? Je n’ai pas changé. Je suis un homme d’union, je suis un homme déterminé et je veux construire. Je n’ai aucun compte à régler avec personne.

O. Mazerolle
Quand, dans cette campagne, vous mettez en avant une proposition qui consiste à dire : pas d’impôts en Europe au-delà de 50 % de prélèvements, est-ce que vous ne confortez pas ceux qui se disent : mais N. Sarkozy, le social, c’est pas son truc ?

Sarkozy
- Très bien, c’est bien : on va penser qu’avec une telle réflexion, vous aussi vous avez fait l’ENA, vous aussi vous êtes devenu un technocrate.

O. Mazerolle
Non, je n’ai pas fait l’ENA. Mais je regrette d’ailleurs !

Sarkozy
- Est-ce que vous considérez comme un objectif trop ambitieux pour moi que d’interdire à tout Etat européen de prélever plus de 50 % de ce que gagne une personne physique ? Avoir le droit de travailler six mois de l’année pour sa famille, est-ce trop ambitieux ? Eh bien moi, c’est une proposition. J’en ajoute une seconde : je m’engage à ne jamais voter l’impôt européen qui est proposé aujourd’hui par F. Hollande et par F. Bayrou. Aucun de mes colistiers ne votera pendant cinq ans pour le principe d’un impôt européen. Est-ce que c’est un engagement clair ?

O. Mazerolle
Vous avez choisi le débat gauche-droite dans cette campagne mais est-ce que c’était le bon thème de saisir l’Europe pour parler, finalement, d’une préfiguration du combat Chirac-Jospin ?

Sarkozy
- Pas du tout ! Est-ce que vous, ça ne vous intéresse pas de savoir qui aura la majorité au Parlement européen de Strasbourg ? Savez-vous que nous avons une chance formidable que la droite européenne ait la majorité au Parlement européen de Strasbourg ? La gauche a la majorité des Gouvernements. La gauche a la présidence de la commission avec M. Prodi qui est un homme de gauche. Est-ce que c’est indifférent de savoir si ça sera une majorité de gauche au Parlement européen et qui fera une politique de gauche ? Ou est-ce que ça doit être une majorité de droite ? Je suis pour l’union des droites en France et pour l’union des droites en Europe.

O. Mazerolle
Vous dites : en Europe, justement, on doit s’inspirer de ce qui marche le mieux ailleurs. Vous préconisez la baisse des impôts, la baisse des dépenses publiques, le service minimum quand il y a une grève dans le service public.

Sarkozy
- Moi je trouve qu’il est normal que, quand il y a grève dans les services publics il y ait un service minimum pour que les gens puissent aller au travail et revenir chez eux.

O. Mazerolle
Qu’est-ce que la France peut apporter au reste de l’Europe ?

Sarkozy
La France a un message à apporter et notamment elle l’a fait dans le cas du Kosovo, c’est J. Chirac qui l’a porté. Voilà un très bon exemple. C’est la France qui a permis à l’Europe d’être ferme, d’être unie et de porter ce message universel. Mais prenez l’exemple de l’Allemagne : en Allemagne, il ne connaissent plus le chômage des jeunes et nous, en France, nous sommes les champions d’Europe du chômage des jeunes. Parce qu’en Allemagne…

O. Mazerolle
Mais les Français, là, qu’est-ce qu’ils peuvent faire ?

Sarkozy
- En Allemagne, on donne aux jeunes un métier ; en France, M. Aubry veut leur donner une occupation. C’est pas tout à fait la même chose. Ce qu’a apporté la France ? Eh bien dans la solution au Kosovo, le message politique, il a été porté par le Président de la République. Donc le problème, c’est que la France, avec le Gouvernement socialiste, c’est pas possible qu’en matière économique, en matière sociale, en matière fiscale, elle amène beaucoup d’autres choses que des impôts

O. Mazerolle
Bon chiffre pour vous c’est : 17, 18, 19, 20 ?

Sarkozy
- Ecoutez, on verra ce que ça sera. Je sens que la campagne marche. Et en tout cas la grande liste de l’opposition, maintenant il n’y a plus de problème.

O. Mazerolle
C’est 18 ?

Sarkozy
- Merci de votre gentillesse, monsieur Mazerolle !

O. Mazerolle
C’est ce que vous souhaitez ?

Sarkozy
- Optimiste comme d’habitude.

Le Progrès – mercredi 9 juin 1999

Le Progrès
Quelles leçons tirez-vous de la guerre du Kosovo ?

Sarkozy
J’en tire trois. La première est que le Président de la République a eu raison de faire preuve de fermeté. Pour une fois, les démocraties ont su réagir. La deuxième est que l’Europe, lorsqu’elle est unie, peut compter dans les affaires du monde. La troisième est que l’unité de l’Europe n’a pas empêché la France de jouer tout son rôle : quand la France a parlé, c’est en tant que leader de l’Europe, et l’Europe a donc renforcé le rôle de la France.

Le Progrès
L’Europe a cependant été, sur le plan militaire commandée par les Etats-Unis…

Sarkozy
On est injuste avec l’Europe : sur le plan diplomatique, elle a été autonome. Mais il est vrai que sur le plan militaire, les Etats-Unis ont pris le relais. J’en déduis qu’il nous faut maintenant une Europe de la défense, pour qu’elle puisse assurer elle-même les conditions de sa sécurité. J’en déduis aussi que, contrairement à ce que j’entends parfois, si l’on veut moins d’Américains, il faut plus d’Europe.

Le Progrès
Cette Europe de la défense serait fédérale, comme l’Europe de la monnaie ?

Sarkozy
L’Europe de la défense, à la différence par exemple de l’Europe fiscale, ne peut être que l’Europe des nations Qui peut penser que nous accepterions que nos soldats soient envoyés dans un conflit armé, à la suite d’une décision prise à la majorité, contre l’avis de la France ? Personne. L’unanimité est la seule façon de construire l’Europe de la défense. Ne pas comprendre cela, c’est ne rien comprendre à la sensibilité nationale.

Le Progrès
Et pourquoi accepter le fédéralisme pour la fiscalité ?

Sarkozy
Comment croire qu’on peut avoir une monnaie unique et un marché unique, avec des taux de TVA différents d’un pays à l’autre ? Il faut harmoniser la fiscalité, et ça serait un formidable avantage pour les Français puisque, de tous les pays de l’Union, nous sommes celui qui subit les charges les plus lourdes. Je propose, tout de suite : un taux européen de TVA à 18 % ; l’adoption par l’Union d’un sixième « critère de Maastricht », qui rendrait illégal de prélever sur un contribuable européen plus de 50 % de ce qu’il gagne ; je m’engage enfin à ce qu’aucun de mes colistiers ne vote pour un impôt européen.

Le Progrès
Tous ces thèmes sont bien proches de la politique intérieure…

Sarkozy
Si on veut donner du sens à l’Europe, il faut montrer à nos concitoyens que l’Europe, ça les concerne dans leur vie quotidienne. Il n’y a pas d’un côté de problèmes nationaux, de l’autre des problèmes européens. L’immigration, ce n’est pas seulement un problème national : nous avons la législation la plus laxiste, je veux donc profiter de l’Europe pour que le délai de rétention administrative, quand on attrape un immigré en situation irrégulière, passe de douze jours en France à six mois, comme en Allemagne. Je veux me servir de l’Europe pour moderniser la France. Les socialistes veulent exporter en Europe ce qui ne marche pas en France ; nous, nous voulons importer en France ce qui marche ailleurs.

Le Progrès
Vous êtes l’un des rares responsables de l’opposition à vous revendiquer « de droite ». C’est-à-dire ?

Sarkozy
Etre de droit, c’est croire à la valeur du travail : c’est le chômage qui fait peur aux Français, pas le travail. Croire au mérite, haute valeur républicaine : l’égalité des chances, ça veut dire égalité des résultats. Je crois à l’effort et à la récompense. Je crois à l’autorité de l’Etat… Je suis de droite, sans complexe, et sans outrance. Et je pense que, quand la droite et la gauche disent la même chose, il ne faut pas s’étonner que le Front nationale fasse 15 %, et qu’il y ait tant d’abstention.

Le Progrès
Vous savez qu’au Parlement européen, ça ne fonctionne pas sur le clivage droite-gauche…

Sarkozy
Au contraire, l’enjeu du prochain parlement européen, c’est de savoir qui aura la majorité, de la gauche ou de la droite. En rassemblant les droites au sein du PPE (Parti populaire européen), je veux éviter de laisser passer à gauche la dernière institution européenne qui ne l’est pas encore.

Le Progrès
Jean-Louis Debré affirme que la toute famille gaulliste se retrouvera au lendemain du 13 juin. Avec Charles Pasqua ?

Sarkozy
C’est à lui qu’il faut le demander... Charles Pasqua indique, matin, midi et soir, que ses voix ne devront pas être complétée dans la majorité présidentielle de Jacques Chirac. Ses électeurs doivent le savoir. C’est le droit de Charles Pasqua d’avoir des idées européennes différentes des nôtres, mais pourquoi réserve-t-il ses coups au Président de la République, à l’opposition, et au RPR ?

Le Progrès
Les retrouvailles s’annoncent également difficiles avec François Bayrou, si l’on en juge au débat télévisé de lundi soir…

Sarkozy
Je mets l’agressivité de François Bayrou sur le compte des problèmes qu’il rencontre dans sa campagne. Il est fatigué, sans doute déçu… ça s’arrangera après le 13 juin.

Europe 1 - jeudi 10 juin 1999

J.-P. Elkabbach
C’est extraordinaire de pouvoir affirmer, ce matin, comme ça, ensemble, les yeux dans les yeux, la paix est en route et les soldats britanniques et français seront les premiers à faire leur entrée et à rentrer au Kosovo avec la paix. Est-ce que vous félicitez tous les acteurs ?

Sarkozy
- Oui, bien sûr, c’est extraordinaire. Cela veut dire quoi ? D’abord que le Président de la République a bien fait d’utiliser le langage de la fermeté et d’imposer la fermeté aux camps des démocraties. Deuxièmement, que l’Europe unie peut peser dans les affaires du monde et troisièmement, que l’Europe n’empêche pas la France de jouer pleinement son rôle de grande puissance.

J.-P. Elkabbach
Est-ce que la cohabitation, vous avez bien le sentiment qu’elle n’a rien empêché dans cette crise et qu’elle a même favorisé des actions communes de la France ?

Sarkozy
- Il est juste de reconnaître que le Premier ministre a tout fait pour soutenir les initiatives du Président de la République.

J.-P. Elkabbach
Lui, il n’avait aucune idée, il a suivi ?

Sarkozy
- Non, il a été parfaitement solidaire. Mais vous savez, dans une démocratie, il y a un chef de l’Etat et à ma connaissance, c’est le Président de la République. Mais peu importe, ce qui est important, c’est le succès qua obtenu l’Europe, c’est le succès de l’Union de l’Europe, c’est le succès des démocraties sur la barbarie. Et finalement, c’est la dénégation de tout ce que ceux qui refusaient l’intervention ont essayé d’expliquer aux Français.

J.-P. Elkabbach
Vous pensez que c’est une pierre dans le jardin de ceux qui ne croyaient pas à cette stratégie, la guerre pour faire plier Milosevic ?

Sarkozy
- Ceux qui ne croyaient pas que la guerre pouvait être juste, ceux qui ne croyaient pas à l’unité de l’Europe, ceux qui pensaient que l’Europe faisait disparaître la France et c’est tant mieux pour tous les gens qui ont souffert et qui ne souffriront plus. Aujourd’hui, ils sont démentis par les faits, c’est une très bonne nouvelle.

J.-P. Elkabbach
Est-ce que cela veut dire pour les euro-sceptiques et pour les souverainistes un mauvais moment ?

Sarkozy
- Je ne sais pas si c’est un mauvais moment mais cela veut dire qu’il n’y a pas d’autres alternatives que l’Europe ; que l’Europe et la France sont deux réalités fortes qui s’additionnent, plutôt qu’elles ne se soustraient et que l’Europe permet aux Européens et donc aux Français, de reprendre le contrôle de leurs affaires sur le territoire du continent européen. C’est évident. C’est une très belle leçon. Nous avons commencé cette campagne pour les élections européennes avec le drame du Kosovo, nous la terminons avec la paix revenue à la suite d’une acte déterminé du camp des démocraties. Oui, finalement cela illustre le discours qui a été le nôtre.

J.-P. Elkabbach
Finalement, dans cette élection, est-ce que vous vous battez pour l’Europe ou pour l’amorce d’une éventuelle alternance ?

Sarkozy
- Non, je me bats d’abord pour faire comprendre qu’il n’y a pas d’autres alternatives à l’Europe pour une pays comme la France. Que serait la France sans l’Europe aujourd’hui ? Et je me bats aussi pour faire comprendre que si l’Europe est forte, c’est parce qu’elle repose sur des Nations. Mais l’enjeu des prochaines élections, c’est de savoir si au Parlement européen, il y aura une majorité de gauche ou une majorité de droite. La majorité des Gouvernements au sein du Conseil européen sont de gauche, la président de la commission est à M. Prodi, qui est lui-même de gauche, il n’est pas neutre de savoir si cela sera au Parlement européen une majorité de droite ou une majorité de gauche. Moi, je me bats pour que cela soit une majorité de droite.

J.-P. Elkabbach
C’est exactement ce que dit, mais dans l’autre sens, F. Hollande : il faut une majorité de gauche au Parlement pour soutenir des Gouvernement de gauche ou sociaux libéraux.

Sarkozy
- Il n’est pas anormal dans une démocratie, que les socialistes souhaitent que la gauche gagne et que, moi, je souhaite que la droite l’emporte. Finalement dans une démocratie, quand il n’y a pas de débat politique, c’est l’ennui et c’est le Front national qui prend toute la place. Trop longtemps la droite et la gauche ont tenu le même discours, il n’était que temps que les clivages utiles pour la démocratie, se dégagent.

J.-P. Elkabbach
Donc, ceux qui dans le camp de l’opposition pensent qu’il n’y a pas cet affrontement droite-gauche se trompent d’après vous ?

Sarkozy
- Mais bien sûr. Ils se trompent d’autant plus qu’ils ne proposent aucun autre clivage. Je ne suis pas socialiste. Partout en Europe, on baisse les impôts, on diminue les réglementations, on diminue les dépenses publiques et on a de bien meilleurs résultats en matière de lutte contre le chômage qu’en France. En France, la campagne va se terminer. Durant la compagne, les socialistes ont annoncé la création de trois nouveaux impôts, si ce n’est pas des clivages ça, c’est quand même un élément extrêmement important du débat politique. Mon adversaire c’est l’adversaire socialiste. Je respecte les idées des socialistes, mais je les combats.

J.-P. Elkabbach
Comment trouvez-vous que F. Hollande a mené sa campagne, il l’a conduite comment ?

Sarkozy
- F. Hollande a eu la chance de pouvoir la conduire du premier jour jusqu’au dernier jour, derrière les larges épaules de L. Jospin. Et, quand L. Jospin n’était pas là, suffisamment à lui tout seul, il faisait venir d’autres personnalités, eh bien tant mieux pour lui.

J.-P. Elkabbach
D’autres personnalités, vous pensez à Schröder, Blair.

Sarkozy
- Oui, le pauvre !

J.-P. Elkabbach
Cela ne porte pas tellement chance momentanément !

v
- Schröder et Blair sont venus au Palais des sports, ils ont très vite  compris, ils sont vite repartis et depuis, ils nous ont envoyé une carte postale en disant : la politique de Jospin en France, c’est le contraire de ce qu’il faut faire.

J.-P. Elkabbach
Mais deux remarques, parce que vous vous en êtes servi hier de cet argument et de la carte postale lors de votre beau meeting, il y avait 4 000 personnes je crois…

Sarkozy
- 4 000 personnes au Palais des sports, alors même que l’équipe de France jouait à la télévision.

J.-P. Elkabbach
Premièrement, les partis sociaux-démocrates et socialistes, même s’ils s’engueulent, ils siègent dans le même groupe à l’Assemblée et au Parlement de Strasbourg. Et deuxièmement, est-ce que cela vous donne l’envie de prendre la carte travailliste de T. Blair ?

Sarkozy
- Mais certainement pas. Qu’est-ce qui se passe ? T. Blair et G. Schröder mènent en Allemagne et en Angleterre des politiques contraires à ce qui se passe en France. T. Blair vient de décider de baisser les impôts sur les bénéfices des entreprises, alors que F Hollande vient de proposer de faire le contraire, c’est justice que de le dire.

J.-P. Elkabbach
Mais à chacun son tempérament, sa tradition, sa culture nationale.

Sarkozy
- Si vous considérez qu’augmenter les impôts c’est une question de tempérament, eh bien le contribuable appréciera. En tout cas, moi, ce que je vois, c’est que sur les quinze pays de la Communauté européenne, la France, en matière de lutte contre le chômage, arrive au treizième rand sur quinze. En matière de fiscalité, la France est championne d’Europe de la fiscalité et j’ai proposé que nul Etat en France ne puisse prélever sur une personne physique plus de 50 % de ce qu’il gagne. Pouvoir travailler six mois de l’année pour sa famille, c’est, me semble-t-il, un objectif minimum.

J.-P. Elkabbach
Avec T. Blair et Schröder, est-ce que vous pouvez envisager un jour des actions communes, européennes, par exemple harmoniser la fiscalité à la baisse ?

Sarkozy
- Naturellement ! Regardez la TVA, notre TVA est  à 20,6, en Allemagne elle s’élève à 15 %. La logique du marché unique, la logique de la monnaie unique, c’est d’harmoniser la fiscalité. Et l’harmonisation de la fiscalité pour les Français, c’est une très bonne nouvelle parce que cela se traduira par une diminution. Je propose que la TVA soit fixée à 18 % par exemple.

J.-P. Elkabbach
R. Barre vient de répéter son soutien à l’UDF de F. Bayrou, c’est un soutien important pour lui ?

Sarkozy
- C’est tout à fait le droit de R. Barre pour qui j’ai du respect par ailleurs.

J.-P. Elkabbach
Vous, vous avez eu le soutien de V. Giscard d’Estaing, de Juppé, de Balladur, même de P. Seguin salue votre courage et votre combat personnel qu’il juge méritoire. Pourquoi méritoire ?

Sarkozy
- Cela prouve que l’unité de la famille gaulliste s’est faite sur la liste que je conduis. Cela prouve tout simplement qu’il y a la liste que je conduis avec A. Madelin, qui veut battre les socialistes, et puis qu’il y a les autres listes. Il faut savoir, il faut que les électeurs le comprennent : toute voix qui ne se portera pas sur la liste que je conduis, c’est une voix qui indirectement rendra service à F. Hollande.

J.-P. Elkabbach
Ou à F. Bayrou !

Sarkozy
- Moi, je veux construire une France moderne, une Europe politique, construire pour l’opposition demain. Je n’ai pas le même discours que celui des socialistes, j’espère que cela a été noté durant cette campagne.

J.-P. Elkabbach
Mais en quoi avez-vous eu du mérite à faire cette campagne ?

Sarkozy
- J’imagine que chacun considérait que c’était difficile. J’ai trouvé cette campagne plus heureuse que je ne l’imaginais. C’est toujours une chance de pouvoir rencontrer ses concitoyens. J’ai parlé de l’Europe et de la France, j’ai montré qu’il y avait une alternative au socialisme, finalement ce n’était pas inutile.

J.-P. Elkabbach
Est-ce que vous avez senti derrière vous, comme ça, le soutien sincère de tous les proches du Président de la République. C’est vrai, il y avait son cabinet hier au meeting, sa fille Claude Chirac. Est-ce que vous avez senti le soutien des classiques du chiraquisme et même de Chirac, le totem ?

Sarkozy
- La réponse, oui.

J.-P. Elkabbach
C’est tout ?

Sarkozy
- D’ailleurs, si vous ne l’aviez pas senti vous-même, vous m’auriez posé la question différemment, je vous connais M. Elkabbach. Vous m’auriez dit : pourquoi ne vous ont-ils pas soutenu ? Là, vous me dites : est-ce que vous avez senti leur soutien ? Eh bien comme vous, je l’ai senti. D’ailleurs je ne suis pas du genre à me plaindre. J’avais à faire campagne, j’ai fait campagne parce que je crois dans mes idées et je pense qu’il y a en France une majorité pour demander l’alternance au socialisme.

J.-P. Elkabbach
Alors après, vous avez pensé à ce qui va se passer à partir de la semaine prochaine, quels que soient les résultats, est-ce qu’il y aura une initiative Sarkozy ?

Sarkozy
- Non, il faut sortir de cette logique du jeu individuel. Je dis à tous ceux qui n’ont qu’une seule idée : marquer des buts contre leur propre camp, qu’après, il faudra reprendre le chantier de l’union. Je crois à l’union. J’avais proposé l’union à C. Pasqua et à F. Bayrou, ils ont eu tort de refuser. C’eût été un spectacle bien meilleur pour nos électeurs que nous soyons tous réunis.

J.-P. Elkabbach
Est-ce que vous pensez qu’après, le temps viendra des représailles ou des retrouvailles, y compris avec des Pasqua et des Bayrou ?

Sarkozy
- Je suis un homme d’union. J’ai tendu la main avant le 13 juin, je continuerai après le 14 pour une raison simple, c’est qu’il n’y a pas un député qui peut être élu avec 8 % des voix. Quant à C. Pasqua, cela sera à lui de savoir, de faire comprendre et de dire à ses électeurs, si après le 14 juin il continuera à réserver ses coups de boutoir au Président de la République, à l’opposition et au RPR.

J.-P. Elkabbach
Mais l’élection sera terminée !

Sarkozy
- Cela sera à lui de nous dire à ce moment-là, s’il sera à droite ou à gauche. Pour l’instant il nous indique qu’il est à la fois à gauche et à droite. Eh bien dans la vie c’est comme ça, C. Pasqua, il va falloir qu’il choisisse.

J.-P. Elkabbach
Mais vous n’êtes pas hostile à un choix qui le ramène dans le camp de la droite ?

Sarkozy
- Je suis pour les additions et par pour les soustractions. Je suis pour qu’on construise et pas qu’on détruise. Voilà l’avenir !

J.-P. Elkabbach
Vous êtes content de la campagne, est-ce que cela vous a donné le goût et l’envie de diriger une autre campagne électorale ?

Sarkozy
- Je pense qu’on n’a pas le droit, quand on vit l’engagement politique qui est le mien, de se plaindre. C’est une chance de pouvoir parler aux Français, de pouvoir faire partager ses convictions et mener un combat politique au nom et pour ses amis, ses électeurs. Jamais vous ne me verrez me plaindre de cela. J’imagine que j’ai beaucoup de chance, celle de vivre un engagement passionnant, et déjà en soi, cela est une récompense.

J.-P. Elkabbach
Merci et à dimanche soir pour les débats sur Europe 1. Demain R. Hue…

Sarkozy
- C’est méritoire de terminer par le dernier Parti communiste d’Europe. C’est bien.

J.-P. Elkabbach
Un survivant vous voulez dire !

Sarkozy
- Oui, il y a des espèces en voie de disparition. Vous contribuez à ce que cela ne soit pas le cas.

J.-P. Elkabbach
C’est ça la démocratie.

Sarkozy
- Exactement et je vous en félicite !