Texte intégral
France Inter - Vendredi 11 juin 1999
France Inter
La France pour l’Europe, c’est le nom de votre liste, et on a l’impression que pour tout le monde, pas simplement pour vous, c’est plus l’Europe qui nourrit des débats nationaux ?
N. Sarkozy
- « Moi je n’arrive pas à comprendre cet appétit intellectuel pour savoir ce qui serait débat européen et ce qui serait exclusivement débat national. Je n’arrive pas à le comprendre, parce que cela n’a aucun sens. C’est l’Europe et la France, pas l’une sans l’autre. Prenez l’affaire de la TVA qui concerne tous les consommateurs Français. Eh bien, le taux de TVA pour le consommateur est devenu un problème aussi bien européen, puisque nous pouvons acheter dans tous les pays de l’Europe, et un problème national, puisque cela concerne le consommateur. Prenez l’affaire de l’immigration. Depuis Amsterdam, l’immigration est de compétence européenne au sens où il faut harmoniser les législations européennes. Donc dire : il y a d’un côté des débats nobles, européens, qui entre parenthèses, n’intéresseraient personne, sauf quelques intellectuels en chaise longue, et d’autre part les problèmes français, je ne m’inscris pas dans ce débat. »
France Inter
Mais comment expliquez-vous que finalement cela se traduise aussi peu ? Regardez, cela fait combien de temps qu’on parle vraiment des enjeux européens ? Cela fait assez peu de temps dans les journaux. Je ne dis pas que les journalistes n’ont pas leur responsabilité là-dedans. Mais les vrais enjeux européens, on les aborde assez tard.
N. Sarkozy
- « Je voudrais dire une deuxième chose : c’est parce que je considère que le choix n’est plus aujourd’hui de savoir qu’il faut l’Europe ou pas l’Europe. Une immense majorité de nos concitoyens sont bien persuadés que l’Europe est déjà une réalité. Il ne s’agit pas de refaire le débat de Maastricht d’il y a huit ans. L’Europe est aujourd’hui une réalité et elle est tellement une réalité, l’Europe, qu’on doit utiliser, dans le cadre de cette élection européenne, les clivages naturels de la démocratie qu’est le clivage gauche-droite. Qui peut imaginer que l’élection au Parlement européen – le fait que ce soit une majorité de gauche ou une majorité de droite au Parlement européen – n’ait aucun sens ? Donc, refuser le débat politique, c’est nourrir l’abstention. »
France Inter
C’est comme cela que vous expliquez les taux d’abstention estimés ? On s’attend vraiment à une abstention forte.
N. Sarkozy
- « Je vais être très transparent pour vous. Cette douteuse exception française qui a fait que pendant quinze ans nous avons eu un FN à 15 % est nourri tout droit par l’erreur, me semble-t-il, d’une partie de la droite française qui a souhaité tenir le discours de la gauche. Quand il n’y a plus de différence entre la gauche et la droite, ne nous étonnons pas que le FN s’en nourrisse. Vous avez un paysage politique français où on a encore 10 % de communistes. 10 % de communistes en 1999, après tout ce qui s’est passé ! Et nous avions encore il y a quelques mois, 15 %... »
France Inter
Ils sont en train de changer, les communistes. Dans leur discours aussi. Le temps passe.
N. Sarkozy
- « Comme vous dites : en train de changer un peu ! Ils ont des progrès à faire, franchement, parce que s’appeler communistes en 1999… Enfin, passons. Nous avions donc un quart de l’électorat français communiste ou FN. Je respecte les gens. Mais enfin, on ne va pas préparer le XXIe siècle avec l’idéologie du FN et, permettez-moi de le dire, pas plus avec l’idéologie communiste, compte tenu de ce qu’ils ont fait du XXe siècle. Pourquoi ? Parce qu’on ne voit pas assez de différences entre ceux qui sont des républicains de droite et ceux qui sont des républicains de gauche. Et quand C. Pasqua dit qu’il faut faire campagne avec des candidats de gauche et de droite sur sa liste, il contribue à obscurcir le débat. Je respecte les convictions des autres. Mais prenez un autre exemple : partout en Europe, on baisse les impôts. En France, on nous a proposé trois nouveaux impôts : l’écotaxe, l’impôt sur les bénéfices et l’impôt européen. Très bien. Eh bien, voilà une différence entre la gauche et la droite. La gauche pense qu’il faut redistribuer davantage. Moi je pense que le problème, c’est de créer des richesses en Europe. Partout en Europe, ils réussissent mieux que nous contre le chômage. Inspirons-nous de ces politiques. F. Hollande veut exporter en Europe ce qui ne marche pas, moi je veux importer en France ce qui fonctionne. Ça c’est un vrai débat. »
France Inter
À partir de lundi prochain, dans trois jours, qu’est-ce que vous faites ? Vous entamez la reconstruction de cette droite du IIIe millénaire qu’il faut mettre en place ?
N. Sarkozy
- « Mais vous êtes formidables, journalistes. Je le dis en le pensant. Vous imaginez l’avenir… Moi je suis engagé depuis un mois et demi dans la plus formidable campagne pour les élections européennes qui aient été donnée de faire dans les conditions les plus difficiles pour un candidat. Cela se termine dimanche. Jusqu’à dimanche, je suis mobilisé sur un seul objectif : convaincre les électeurs que nous représentons, avec A. Madelin, la chance pour l’opposition unie de préparer l’alternance au socialisme. Moi, je ne vais pas me mettre, dès maintenant – je pars à Marseille pour la dernière campagne – dans les conséquences qu’il y a à trouver. Je souhaite une droite française décomplexée. »
France Inter
Il faut la reconstruire, cette droite française, vous le savez bien quand même. Il y a du boulot !
N. Sarkozy
- « Mais qu’est-ce que je fais ? Vous croyez que je suis resté… »
France Inter
Ah, sûrement pas. On a bien vu que vous avez été très mobile ces temps-ci.
N. Sarkozy
- « Eh bien si je pensais que c’était facile, est-ce que je me serais battu de cette façon ? Je me suis battu parce que je crois dans mes idées. Voyez-vous, en résumé, en juin 97, pour moi ce n’est pas la gauche qui a gagné, c’est la droite qui a perdu, et j’ai voulu dans cette campagne, en plus du message européen, en plus du soutien à la politique européenne du Président de la République, essayer de réduire la fracture qui a existé entre une partie de notre électorat et l’opposition. Cette partie de l’électorat ayant été déçue, à tort ou à raison, parce qu’elle a pensé que nous ne mettions pas en œuvre la politique pour laquelle nous avons été élus. Voilà le combat que j’ai engagé. C’est un formidable combat démocratique. »
France Inter
Est-ce que le combat du Parlement ou la grande cicatrisation ? Est-ce que quand on s’est dit des choses un peu brutales et avec les centristes et avec C. Pasqua, on peut, derrière, dire : maintenant, on reconstruit ?
N. Sarkozy
- « Ce n’est pas : on peut ; c’est : on doit. D’abord, moi j’ai fait le débat d’idées, je n’ai insulté personne. J’ai bien noté que de l’autre côté, C. Pasqua n’a eu de cesse que d’attaquer le Président de la République, l’opposition, le RPR et moi-même. »
France Inter
Et vos amis ont encore eu une petite louche hier soir.
N. Sarkozy
- « Mais ça sert à quoi ? Ça, ça sert à détruire. Moi j’ai 44 ans. Pourquoi voulez-vous que la destruction m’intéresse ? C’est l’âge où on construit, c’est l’âge où on bâtit. Moi, je n’ai aucun compte à régler avec personne. Donc, la question de savoir : est-ce que demain, il faut travailler ? Oui, c’est le devoir de chacun, pour une raison simple que F. Bayrou finira par comprendre : c’est qu’il n’y a pas un député qui est élu avec 8 % des voix. Et moi j’ai voulu aussi, dans cette campagne, montrer qu’on peut-être de droite et avoir du tempérament, la volonté de convaincre. »
France Inter
Mais Bayrou dit : « on peut être du centre et avoir du tempérament ». Maintenant, F. Bayrou existe face à vous. Est-ce que vous avez l’impression qu’il aura envie de revenir dans la grande famille et peut-être de s’y dissoudre.
N. Sarkozy
- « Mais la question n’est pas d’exister face à moi. La question c’est qu’il y ait moins de socialistes, moins de communistes. Je suis persuadé que nos idées sont majoritaires, pour peu que nous prenions un peu de sens de la responsabilité pour faire l’union et assumer nos idées. Enfin, sur la lutte contre le chômage, la France arrive en 13e position sur 15. L’Europe est un formidable levier pour moderniser la France, et nous, on va rester avec nos vieilles idées de socialisme à la française ? Quand L. Jospin était à Cologne, et qu’il a expliqué quelle était la politique économique de la France, il a suscité, nous raconte Le Monde, un immense éclat de rires. Quatre jours avant la campagne, ses amis, Blair et Schröder, lui envoient le coup de pied de l’âne en disant : cher Lionel, votre politique économique, vous, vous la gardez, parce que nous on n’en veut ni en Allemagne ni en Angleterre. Et nous autre, en France, un peu béta, de célébrer le deuxième anniversaire de M. Jospin, parce qu’il est soi-disant habile. Est-ce que vous ne voulez pas regarder un peu au-delà des mots les réalités ? »
France Inter
Ça c’est le débat politique. Lui joue la splendide différence française.
N. Sarkozy
- « Permettez-moi de vous faire remarquer qu’étant un homme politique, il n’est pas absurde que je fasse de la politique. »
France Inter
Non. Sûrement pas.
N. Sarkozy
- « C’est même normal. Ce qui est préoccupant, c’est quand on ne la fait pas. Moi je vous appelle à regarder la réalité des choses. Pourquoi l’Angleterre a deux fois moins de chômeurs que nous, l’Allemagne 30 % de chômeurs de moins que nous, et pourquoi sommes-nous les seuls à aller nous battre avec des vieilles lunes, comme les 35 heures, alors que partout ailleurs, dans le monde, ce qui est en cause, c’est l’augmentation des salaires, l’augmentation de la durée de travail notamment pour payer les régimes de retraite, faire de notre pays un pays neuf, un pays moderne, un pays où un puisse créer des richesses ? Je ne veux pas que la France soit simplement accueillante pour les sans-emploi, les sans-papiers et les sans-formations. La France doit redevenir un pays où on créer des richesses, parce que créer des richesses, cela profite d’abord aux accidentés de la vue, à ceux qui ont besoin d’un emploi. F. Hollande est tout content quand il améliore le passage dans le chômage. Moi, ce que je souhaite, c’est qu’on donne un travail, un boulot, à ceux qui sont au chômage. C’est possible dans tous les autres pays. C’est cela le message et cela est un vrai débat démocratique, plutôt que de célébrer l’habilité de M. Jospin, en direct de Jurassic Park, qui tient la dernière politique archaïque socialiste d’Europe. Voilà un beau débat européen. Pourquoi ne pas faire ce que font les autres ? »
France Inter
Vous avez une telle énergie. Est-ce que vous avez l’impression que l’avenir du RPR c’est le vôtre ? Ou que vous êtes vous-mêmes l’avenir du RPR ?
N. Sarkozy
- « Moi, je n’ai rien demandé. Je me suis retrouvé, il y a un mois et demi, avec un mouvement qui n’avait plus de président, une liste qui n’avait pas de tête de liste et il a fallu y aller. Je me suis retroussé les manches. Je me suis bagarré. J’ai essayé de convaincre. J’ai appelé nos électeurs à redresser la tête, j’ai appelé à la mobilisation générale. On va voir ce que cela va donner comme résultat. Je me suis battu parce que je crois à la noblesse du combat politique, parce que je pense que finalement les seuls combats qui ne sont pas gagnés, c’est ceux qu’on ne se donne pas la peine de mener. Voilà ce que j’ai fait. Pour le reste, mon avenir, celui de ma famille politique, vous savez, la famille politique gaulliste… Si j’avais pensé uniquement qu’à cela, je ne suis pas persuadé que j’aurais cédé aux injections aussi spontanées. »
France Inter
Y penser toujours, y penser tout le temps, c’est cela la politique.
N. Sarkozy
- « Je vais vous dire quelque chose : il ne peut pas y avoir d’avenir individuel sur un échec collectif, c’est ce que je pense profondément. L’époque n’est plus aux trajectoires individuelles. Il faut apprendre à s’additionner plutôt que se soustraire. Les gens en ont plus qu’assez des malentendus, des jalousies, des querelles. Si je me suis retrouvé sur le devant de la scène, c’est parce que personne ne voulait y aller, c’est sans doute que c’était difficile. Je vais même vous dire mieux : je ne l’ai pas trouvée si difficile que cela, et je me demande bien d’ailleurs pourquoi ça s’arrête ce matin. »
La Nouvelle République du Centre Ouest – Vendredi 11 juin 1999
Nouvelle République : L’UDF n’a pas voulu faire liste commune avec le RPR et DL pour pouvoir plaider ses propres conceptions européennes. Au terme de la campagne, cet argument vous paraît-il plus recevable qu’il y a deux mois ?
Nicolas Sarkozy : « Vous avez raison de poser la question de l’union de l’opposition, car il ne s’agit pas simplement d’une question de tactique, mais bien le signe d’une volonté politique.
« Lorsque je me suis impliqué personnellement et fortement dans cette campagne européenne, j’ai proposé l’union à nos partenaires, en retenant une méthode claire et franche : mettre l’accent sur nos convergences plutôt que sur nos différences, souligner ce qui nous rassemble plutôt que ce qui nous sépare. François Bayrou ne l’a pas voulu et les électeurs de l’opposition le regrettent à juste titre, sans doute encore plus fortement aujourd’hui qu’hier. Je reste, pour ma part, convaincu que l’union reste l’une des conditions de notre renouveau. »
Nouvelle République : Les Français semblent avoir été indifférents à la campagne électorale européenne. Que faire pour les motiver ? Faut-il changer le mode de scrutin ?
Nicolas Sarkozy : « Comme nos compatriotes européens, les Français ont été d’abord sensibilisés par le conflit au Kosovo. Comment pourrait-il en être autrement alors que des combats se déroulent à moins de deux heures et demie d’avion de Tours ?
« Dans les jours qui nous séparent du 13 juin, chacun des 87 candidats de la liste de l’ « Union pour l’Europe » rappellera donc le triple enjeu de ce scrutin : faire le choix de l’union de l’opposition, construire l’Europe sans défaire la France, soutenir l’action européenne du Président de la République.
« Quant au mode de scrutin (proportionnel national), il cumule tous les inconvénients, à commencer par celui de l’absence de proximité entre les députés européens et les électeurs.
« A l’évidence, il devra être modifié, soit dans le cadre de circonscriptions régionales, soit par le biais de l’élection des 87 députés au scrutin uninominal. »
Nouvelle République : Tout au long de la campagne, vous avez tenu un discours très européen. Jusqu’où êtes-vous prêt à aller, notamment en matière de politique étrangère et de défense commune ?
Nicolas Sarkozy : « Il est naturellement trop tôt pour tirer les conclusions définitives du conflit du Kosovo, mais cela doit, à l’évidence, nous encourager à une réflexion sur la politique de défense.
« Comme le président Jacques Chirac l’a lui-même souhaité, nous proposons de créer une véritable défense européenne au sein de l’Alliance atlantique.
« Ce conflit des Balkans est particulièrement révélateur d’un déficit d’Europe, plutôt que d’excès d’Europe. Sachons en tirer toutes les conséquences, afin que l’Europe prenne effectivement en charge sa sécurité.
« Développer une industrie européenne de la défense ; promouvoir la préférence communautaire en matière d’achats de matériels militaires ; organiser une force européenne capable d’être projetée là où les intérêts de l’Europe sont en cause : voici quelques pistes afin que l’Europe assure elle-même sa sécurité et que les États-Unis y soient moins omniprésents.
« Quant à la politique étrangère, un pas important a été accompli au sommet de Cologne par le Président de la République et les chefs de Gouvernement européens, puisqu’ils ont désigné un « monsieur politique étrangère », Javier Solana, qui aura la responsabilité concrète, sous leur autorité, d’incarner la diplomatie européenne. Cette décision, prévue par le traité d’Amsterdam, fait progresser l’Europe et renforce la France. »
Le Figaro - 11 juin 1999
Le Figaro – Cette campagne a été pour vous l’occasion de faire un premier tour de piste national. Quels enseignements tirez-vous de cette expérience ?
Nicolas Sarkozy – Mon premier constat, c’est qu’il existe une fracture politique entre une partie de notre électorat et ses représentants. Il est grand temps de la réduire. Dans toutes les régions, dans tous les milieux, partout, on m’a tenu le même discours : « En 1997, ce n’est pas la gauche qui a gagné, c’est la droite qui a perdu. Réveillez-vous. Tenez enfin le discours de vos électeurs, et ceux-ci reviendront… » C’est pourquoi j’ai tenu à défendre avec force nos valeurs : le travail, le mérite, la récompense, l’autorité de l’État et son respect. Je suis convaincu que cette campagne a permis à notre liste d’apparaître comme la seul liste d’opposition franche aux socialistes. Je l’ai faite avec beaucoup d’ardeur, car nos électeurs ont eu le sentiment que la défaite de juin 1997 s’est aussi expliquée parce que nous donnions l’impression, à tort ou à raison, de ne plus être prêts à nous battre pour convaincre. Comme si nous étions à tout jamais destinés à rester au pouvoir. La suite a montré que ce n’était, hélas, pas le cas.
Le Figaro – Vous avez choisi un positionnement résolument à droite. Était-ce pertinent pour une élection européenne ? N’est-il pas dangereux pour vous d’apparaître comme un ultra-libéral ?
Nicolas Sarkozy – Avant tout, j’ai choisi un positionnement européen. Je crois en l’Europe. En l’Europe et en la France. Comment le responsable du RPR pourrait-il ne pas être européen ? C’est le choix qu’a fait le Général de Gaulle en oeuvrant pour la réconciliation franco-allemande, et c’est aussi le choix qu’a fait le Président de la République, Jacques Chirac, fondateur du RPR.
Vous me dites que j’apparais trop libéral ? J’en doute. La France souffre de trop de socialisme, pas d’un abus de liberté. Je suis un gaulliste, adversaire déterminé des socialistes. Mon combat politique est transparent. Je suis comme je suis. Je me bats pour mes convictions, et je ne crains pas de les affirmer. C’est si rare que cela peut être effectivement dérangeant pour les âmes « socialistement » sensibles. Est-ce trop libéral de réclamer l’adoption d’un sixième critère de Maastricht selon lequel nul État ne pourrait prélever plus de 50 % de ce que gagne une personne ? Est-ce trop libéral de considérer qu’il est normal que l’on puisse travailler six mois par an pour sa famille ? Si la réponse est oui, cela en dit long sur la socialisation des esprits en France ! Ce dont souffre la France, ce n’est pas d’ultra-libéralisme, mais d’ultra-socialisme ! Après tout, la droite française doit savoir enfin « dire » ce que « fait » la gauche anglaise avec Tony Blair.
Le Figaro – Dans cette campagne, vous avez beaucoup « tourné ». Ne pensez-vous pas que ces réunions publiques auxquelles on fait venir des militants sont dépassées ?
Nicolas Sarkozy – Jacques Chirac a tranché ce débat en 1995, et j’ai bien retenu la leçon. Déjà, à l’époque, on disait qu’une campagne se menait avant tout à la télévision. C’est sans doute également la différence entre les gaullistes et les autres. Chez nous, la parole, les rapports du tribun avec la salle, le contact physique même, sont des choses qui comptent. Le gaullisme, c’est aussi un tempérament ! Sinon, je serais à l’UDF. Mais, ai-je besoin de le préciser, je ne suis pas socialiste, et je ne suis pas centriste non plus…
Le Figaro – Vous n’êtes pas parvenir à faire liste commune avec les centristes. Pensez-vous que vous pourrez recoller les morceaux de l’opposition avec l’UDF de François Bayrou ?
Nicolas Sarkozy – J’ai tout fait pour que nous parvenions à constituer une liste d’union de l’opposition. François Bayrou n’en a pas voulu. Il s’est enfermé dans un discours agressif de désunion. Je persiste à penser qu’il a tort.
Maintenant, je le dis avec force, il faudra bien que nous travaillions ensemble. Il faudra bien que nous parvenions à reconstruire l’union de l’opposition. François Bayrou s’y résoudra. Pour une simple et bonne raison : pas un seul député ne peut être élu avec 8 % des voix. Je crois en l’union. Je continuerai à tendre la main. Dès le 14 juin, il faudra travailler ensemble.
Le Figaro – Et pourrez-vous vous rapprocher de Charles Pasqua ?
Nicolas Sarkozy – Je n’ai aucun compte à régler. Je ne suis pas certain que la réciproque soit vraie, si j’en juge par la violence de ses attaques contre Jacques Chirac, contre Philippe Séguin, quand il était candidat, et contre moi aujourd’hui. Charles Pasqua a déclaré que les voix qui se porteront sur sa liste ne pourraient pas être comptabilisées dans la majorité présidentielle. Ses électeurs le savent-ils, et, dans ce cas, seraient-ils d’accord ? J’en doute. La stratégie consistant à marquer des buts contre son propre camp est une stratégie suicidaire. Les disputes, les rivalités et les jalousies, nos électeurs ne les supportent plus. Ils souhaitent que nous construisions l’avenir. Je suis prêt à beaucoup d’efforts pour cela.
Le Figaro – Comment envisagez-vous votre avenir après le 13 juin, alors que certains vous attendent au tournant ?
Nicolas Sarkozy – Mais qui m’attend au tournant ? Ceux-là mêmes qui n’ont pas voulu mener campagne et qui ont été heureux de nous trouver avec Alain Madelin ? Je ne redoute ni n’attends rien. Si ne n’est le jugement des électeurs. Je me déterminerai en fonction de ce seul paramètre. Je sais maintenant qu’il faut être humble face au suffrage universel, qui est souvent cruel.
Le Figaro – Et comment voyez-vous l’avenir du RPR ? Survivra-t-il ?
Nicolas Sarkozy – Je souhaite que le RPR devienne une grande formation politique moderne, et je voudrais rappeler que chaque fois qu’on a prédit son explosion le mouvement est sorti renforcé des épreuves. Il n’est de l’intérêt de personne que le RPR se divise. Chaque fois qu’un homme s’en est éloigné, il s’est retrouvé seul. Il ne peut y avoir de succès que collectif. Ceux qui voudraient d’une manière ou d’une autre détruire le mouvement devraient méditer la leçon.
Le Figaro – Bref, à vous entendre un gaulliste est condamné à toujours « chasser en meute » ?
Nicolas Sarkozy – Oui. Les additions sont préférables aux soustractions. Le travail en équipe est la seule solution d’avenir.