Interview de M. Jean-Louis Debré, président du groupe RPR à l'Assemblée nationale, à France-inter le 28 juin 1999, sur la stratégie à adopter pour recentrer le RPR, soutenir l'action du Président de la République et préparer les prochaines échéances électorales.

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Média : France Inter

Texte intégral

France-inter
– Faut-il choisir entre être gaulliste ou chiraquien ?

Jean-Louis Debré
– « Non. Le problème qui est posé au RPR est celui-ci : d'abord, nous devons, – c'est dans notre vocation – soutenir l’action du Président de la République. En deuxième lieu, nous devons apparaître comme une structure capable de faire vivre la diversité de ceux qui se réclament du gaullisme. Quand vous prenez l'histoire de ce mouvement, il y a toujours eu au sein du RPR, des oppositions très fortes. Souvenez-vous des Capitan/Vallon, souvenez-vous des jacobins et des girondins s'opposant, souvenez-vous la nouvelle société défendue par J. Chaban-Delmas qui s'opposait à ceux qui ne voulaient pas de cette nouvelle société, et souvenez-vous l'opposition très forte entre les gaullistes que j'appellerais orthodoxes et les pompidoliens. Bref, il y a toujours eu dans le mouvement gaulliste cette diversité. Et, justement, sa force, c'est d'essayer de les rassembler et de les rassembler pour soutenir l'action d'un homme : le général de Gaulle, G. Pompidou, J. Chirac. »

France-inter
– Mais est-ce que c'est encore le cas ? Parce qu'en effet, il y a débat. Mais aujourd'hui, il y a plus encore que le débat, il y a des ruptures ?

Jean-Louis Debré
– « J'en ai connu des ruptures. J'ai connu la rupture de Chaban, j'ai connu la rupture de Capitan, j'ai connu. Je ne suis quand même pas trop vieux non plus, il ne faut pas exagérer, je ne suis pas le troisième âge, mais quand même, si je n'ai connu, j’ai en tout cas lu l'histoire politique de la France, et le mouvement gaulliste a toujours été partagé entre ceux qui étaient plus conservateurs et ceux qui étaient plus novateurs. Bref, ce qu'il nous faut aujourd'hui, c'est que nous apparaissions peut-être plus pour éviter toute crétinisation du débat politique, pour éviter ... »

France-inter
– C'est faux ce que dit M. Séguin là-dessus ?

Jean-Louis Debré
– « Non. Je crois que c'est exact… »

France-inter
– Je voudrais aller au bout de la question : la notion de « club de supporters », honnêtement, on peut se poser cette question-là.

Jean-Louis Debré
– « Tout parti politique a deux fonctions : une fonction qui est d'entourer, d'encourager et de favoriser celles ou ceux qui portent ses idées. Le Parti socialiste porte M. Jospin ; le Parti communiste porte M. Hue ; l'UDF porte M. Bayrou. Il est normal que le RPR encourage, entoure et soutienne l'action du Président de la République. Mais cela ne peut pas être que cela. Ce qui nous importe aussi – c'est cela qui doit être notre travail dans les semaines, dans les mois qui viennent –, forts de cette diversité à l'image de la France, c'est que nous arrivions à trouver des thèmes, des idées, des propositions dans le domaine de l'éducation, dans le domaine de la justice, dans le domaine de la formation permanente, dans le domaine de la formation en alternance, dans le domaine du social, des propositions qui puissent rassembler les Français dans leur diversité. »

France-inter
– Et même dans un débat contradictoire ? Ça veut dire que vous tendez la main à M. Pasqua, vous aussi ?

Jean-Louis Debré
– « Est-ce que vous m'avez entendu une fois critiquer qui que ce soit ? J’en ai assez de cette politique qui se résume dans des affrontements de personnes. Moi ce que je souhaite, c'est que la famille gaulliste, comme cela a toujours été le cas, se rassemble autour des idées, autour de concepts, autour de propositions. Aujourd'hui, nous sommes, en cette fin du XXe siècle, à un moment où le discours politique doit se renouveler, à un moment où nous devons faire des propositions, à un moment où nous ne devons pas simplement s'adresser à une catégorie de Français, mais dire aux Français : "Voilà ce que nous voulons, voilà la société que nous espérons, voilà les réformes que nous devons faire dans le domaine de l'éducation, dans le domaine de la justice, voilà comment nous devons choisir entre un libéralisme qui nous apparaît à bien des égards dépassé et un socialisme à bien des égards aussi obsolète. »

France-inter
– Cela veut dire que ce matin, vous dites : « Bienvenue à M. Pasqua et à M. Séguin » ?

Jean-Louis Debré
– « Mais personne n'a le monopole du gaullisme. Je dis : "Bienvenue à tout le monde. Venez, rejoignez-nous, aidez-nous à trouver un certain nombre d'idées modernes, à renouveler notre discours." Vous savez, le gaullisme, je suis profondément gaulliste, je suis né gaulliste, je mourrai gaulliste – je vous rassure, le plus tard possible – mais je voudrais... »

France-inter
– Est-ce que N. Sarkozy est gaulliste?

Jean-Louis Debré
– « Mais attendez ! Je ne me pose pas la question d'homme, et en question... »

France-inter
– Mais pourquoi pas ?

Jean-Louis Debré
– « Moi ça ne m'intéresse pas... »

France-inter
– Et pourquoi pas ?.

Jean-Louis Debré
– « Moi je dis : "Tous ceux et toutes celles qui participent ou qui veulent une réforme de la société, toutes celles et tous ceux qui ne croient pas ni au socialisme, ni au libéralisme, tous ceux et toutes celles qui veulent, à l'instar des gaullistes, comme il y a eu l'association capital-travail, l'intéressement, la participation, tous ceux qui veulent transformer les rapports sociaux, qu'ils nous rejoignent, quel qu'ait été leur combat passé, quelles qu'aient été leurs espérances passées." On ne construit pas un pays sans arrêt en regardant en arrière, sans arrêt en prononçant des excommunications. Rassemblons-nous. »

France-inter
– Alors, on sait évoluer ; et est-ce qu'on le fait évoluer vers le régime présidentiel ? Est-ce que M. Séguin, là-dessus, vous fait une proposition qui vous intéresse ?

Jean-Louis Debré
– « Vous connaissez ma position, j'ai beaucoup écrit là-dessus : je crois qu'il ne faut pas se déterminer par rapport au régime présidentiel tel qu'il est défini par la Constitution ou la vie politique américaine, parce que la Constitution ou les institutions ou le fonctionnement des institutions, c'est l'expression d'un peuple et d'une histoire. Or nous avons en France un peuple et une histoire spécifique qui est différente du peuple et de l'histoire américaine. Alors, faisons un effort, comme on l'a fait en 1958, pour trouver un régime qui n'est ni traditionnellement parlementaire ni traditionnellement présidentiel mais qui est conforme à ce qu'attendent les Français, où il nous faut à la fois l'autorité mais aussi la légitimité. »

France-inter
– Si on résume un peu c'est une « droite plurielle », comme existe aujourd'hui une gauche plurielle, avec ses courants ?

Jean-Louis Debré
– « Je ne suis pas pour les courants, parce que je crois que ... »

France-inter
– Il se présente un peu comme un chef de courant, M Séguin !

Jean-Louis Debré
– « Vous me permettez de dire ce que je crois ? »

France-inter
– Oui.

Jean-Louis Debré
– « Je crois que nous avons non pas à organiser au sein du RPR des courants, parce que cela serait une mauvaise chose, mais nous avons par contre à faire vivre la diversité. Il faut être modeste face aux problèmes auxquels sont confrontés les Français. II n'y pas une solution, il y a des solutions, il y a des vérités. Or il faut qu'au sein du Rassemblement pour la République, au sein de notre structure politique – et c'est cela la modernité des partis politiques, ce n'est plus un catéchisme, ce n'est plus une règle – l'on se base sur la diversité d'approches des problèmes, et que l'on essaye d'en faire la synthèse. »

France-inter
– Quand M. Séguin dit, hier soir : « J'appelle tous ceux qui pourraient penser comme moi à me rejoindre », est-ce que ce n'est pas la volonté de créer sinon un courant au moins une très forte tendance au sein du débat politique à droite ?

Jean-Louis Debré
– « Mais je suis ravi qu'il y ait des hommes et des femmes qui, au sein du RPR, essayent de faire vivre et se développer le débat d'idées. Nous devons avoir aujourd'hui un débat d'idées. Nous avons eu une réunion des cadres. Elle était, à bien des égards, exceptionnelle. Nous avons vu ces cadres qui nous ont dit : "On s’en fiche des questions de personne ; ce qu'on voudrait, c'est faire entendre notre voix." J'ai été, pendant tout le week-end, à la rencontre de militants ; ils m'ont dit : "Oui, nous sommes dans une situation difficile, oui, nous avons connu des échecs. Nous nous en sortirons que si nous avons la capacité, la volonté d'entendre, d'écouter et de transcrire ce que nous disent les Français." Or, lorsqu'on écoute les Français, il n'y a pas une vérité, il y a des vérités. Eh bien, faisons en sorte que nous soyons capables de les entendre. »

France-inter
– Le Conseil national du RPR : quand N. Sarkozy vous demande de réfléchir déjà aux investitures pour les municipales et les législatives, est-ce que ce n'est pas aller un peu vite en besogne ? Est-ce que ce n'est pas d'abord le contenu, le programme qui devrait primer ?

Jean-Louis Debré
– « Il faut bien distinguer les élections nationales et les élections locales. Dans les élections municipales, il importe que se préparent longuement, tranquillement, sereinement l'avance les équipes qui vont se constituer pour gérer des villes. Je crois qu'il ne faut pas perdre de temps. Cela ne veut pas dire qu'on va donner, dès à présent, les municipales ; mais, dans les villes importantes, le processus pour faire en sorte qu'il y ait des équipes unies, dynamiques et cohérentes doit être entamé. »

France-inter
– Et aussi faire gagner le Président !

Jean-Louis Debré
– « Faire gagner la France ! Car nous ne voulons pas d'une France socialiste. »

France-inter
– Vous ne pouvez pas rester avec nous, ce matin !

Jean-Louis Debré
– « Je ne voudrais pas que l'on recommence ce que l'on m'a fait la dernière fois que je suis venu à France Inter, et où je ne pouvais pas rester dans la deuxième partie. Un auditeur avait dit : "C'est scandaleux, il déserte." Non, j'ai le Congrès à Versailles ; je suis président du groupe RPR, et je me dois donc d'aller à Versailles. J'ai hésité longtemps à venir ce matin, parce que je ne voulais pas que l'on me fasse un faux procès. Je parle très peu à la télévision et à la radio en ce moment, j'ai voulu venir à France Inter ; malheureusement, je ne peux pas rester après. »