Interview de M. Alain Bocquet, président du groupe parlementaire PCF à l'Assemblée nationale, dans "L'Humanité" le 1er octobre 1997, article de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF, dans "Les Echos" le 9 octobre et article paru dans "L'Humanité" le 11 octobre, sur les débats internes du PCF, le rôle du groupe parlementaire communiste par rapport au gouvernement et au PCF, la réduction du temps de travail .

Prononcé le 1er octobre 1997

Intervenant(s) : 

Circonstance : Conférence nationale sur l'emploi, les salaires et la réduction du temps de travail avec les partenaires sociaux, à Matignon, le 10 octobre 1997

Média : Energies News - Les Echos - L'Humanité - Les Echos

Texte intégral

Date : 1er octobre 1997
Source : L’Humanité

L’Humanité : Vous venez de rappeler devant la presse cette phrase qui figure dans la déclaration constitutive de votre groupe : « Le groupe communiste a sa propre identité, distincte du Gouvernement et du Parti ». Quelle est la signification de cette double distinction ?

Alain Bocquet : Le communistes ont fait le choix d’être dans la majorité. Celle-ci est plurielle et le Parti socialiste en constitue la composante la plus nombreuse. Des engagements ont été pris devant les électeurs. Une part relève de convergences fortes entre nous ; une autre de positionnements différents, parfois divergents. En outre, nos électeurs nous ont mandaté pour deux choses : porter des propositions transformatrices de la société et, dans le même temps, savoir influencer positivement les décisions en cours d’élaboration. Les députés communistes agissent dans ce contexte politique et dans les limites très contraintes des pouvoirs du Parlement. Pour chaque texte débattu – que ce soit les emplois-jeunes, le budget, le financement de la protection sociale ou la construction européenne –, le point d’arrivée est pour une part fonction du mouvement social et de l’intervention citoyenne, sachant que le vote intervient à échéance précise et ne se prête guère à la nuance (pour, contre ou abstention) même si l’appréciation qui le fonde en comporte. C’est en tenant compte de tous ces aspects, qui peuvent parfois se révéler contradictoires, que le groupe communiste est appelé à se déterminer sans que cela engage tout le mouvement social, ni même automatiquement l’ensemble du PCF.

L’Humanité : Iriez-vous jusqu’à parler d’autonomie de l’activité parlementaire ?

Alain Bocquet : En tant que députés, nous avons indéniablement une responsabilité propre dont nous avons été investis par les électeurs. Cette responsabilité nous place à un double carrefour. Celui du parti et Gouvernement, le premier étant engagé dans la coalition majoritaire tout en demeurant indépendant du second. Celui des citoyens et de l’État. Chacun a son rôle. Quand un syndicaliste m’écrit pour exiger de nous le dépôt d’une motion de censure face à la décision du Gouvernement d’ouvrir au privé le capital de France Télécom, je lui réponds que je partage sa critique et je le fais d’ailleurs en pleine conformité avec la déclaration PC-PS d’avril dernier. Quant à l’idée d’une motion de censure – c’est une invite à renverser le Gouvernement pour faire place à qui, à quoi ? – ne renvoie-t-elle pas à une confrontation globale au plus haut niveau alors que la question posée est d’abord de faire évoluer dans le bon sens, avec les citoyens, le rapport des forces. Soyons clairs : aucun enjeu d’importance, aucune réforme de structure ne se gagnera sans cet effort exigeant.

L’Humanité : Il est beaucoup question de la « diversité » du groupe communiste. Comment entendez-vous concilier l’expression de cette diversité avec l’affirmation d’une identité communiste repérable, avec l’ambition d’un apport original ?

Alain Bocquet : Notre groupe à l’Assemblée nationale est fait de trente-six députés communistes ou apparentés. Chacun compte pour un, et ne s’en laisse pas conter. Chacun est porteur d’une part d’une réalité sociale foisonnante, complexe. À cet égard, la diversité est richesse pour autant qu’elle est mise en commun. La liberté d’expression et de vote est pour nous un acquis de longue date. Sans rien y retirer, tous et toutes souhaitent se trouver unis dans les débats parlementaires et les votes. Cela passe par l’échange et la confrontation des points de vue de façon libre, approfondie et constructive. Nous venons de décider de nous en donner les moyens adaptés aux conditions politiques d’aujourd’hui.


Date : 9 octobre 1997
Source : Les Échos

Robert Hue (secrétaire national du Parti communiste français)

Tout le monde le sait bien : la majorité plurielle et le Gouvernement issus des élections du printemps dernier, sont attendus sur leur capacité à s’attaquer efficacement aux problèmes du pays.

D’abord, le chômage. Et, au premier plan, la réduction du temps de travail. Des mesures rapides peuvent être prises. On peut concilier efficacité sociale et aspiration à mieux vivre. L’explosion de la productivité – grâce notamment au progrès technologique – permet un nouvel équilibre entre travail et temps libre. La réduction du temps de travail peut permettre de créer plusieurs centaines e milliers d’emplois. À trois conditions. Elle doit être significative : au minimum le passage aux 35 heures. Elle doit intervenir rapidement afin de ne pas être rattrapée par les gains de productivité. Et il est impératif qu’elle se fasse sans réduction des salaires, afin de ne pas peser encore sur la consommation, donc sur l’emploi.

Concrètement, cela veut dire pour nous l’adoption rapide d’une loi-cadre sur la réduction de la semaine de travail à 35 heures sans diminution de salaire. Avec une date-butoir. Il s’agit non d’imposer de façon arbitraire, mais d’offrir un cadre législatif pour stimuler les négociations. C’est le moyen d’éviter qu’elles ne s’enlisent. Il est normal que le Gouvernement s’implique et qu’il définisse, en fonction des discussions, les mesures incitatives et les aides nécessaires. De ce point de vue, je ne mets pas sur le même plan les résistances, voire les blocages d’une partie du patronat, et les questions légitimes qui se posent, notamment pour les PME-PMI. D’ailleurs, dès le mois de juin, j’ai proposé que soient envisagées des aides, à condition qu’elles soient justifiées et qu’elles servent à la création de véritables emplois.

S’attaquer au chômage passe par la relance de la consommation, donc le relèvement des salaires. De 1981 à 1996, la part des salaires dans la valeur ajoutée est passée de 68,7 % à 60,3 % et le chômage de 7,3 % à 12,5 %. Il est grand temps d’inverser cette logique. C’est à notre portée. La santé des grandes entreprises est bonne, et il est normal que les salariés bénéficient du regain de croissance. Je maintiens donc ma demande d’une augmentation significative du SMIC. Au-delà du petit « coup de pouce » de 4 % en juillet.

En matière de création d’emplois, le plan emplois-jeunes est un signal donné à la société. Mais les attentes – davantage même, les nécessités – vont bien au-delà de ce qui serait réalisé si on s’en tenait strictement aux dispositions envisagées.

Il faut donc des mesures structurelles audacieuses. Réduction du temps de travail, certes, mais, plus fondamentalement encore, nécessité d’une relance de l’industrie et des services. Je note avec intérêt que de plus en plus nombreux sont ceux qui, dans les milieux économiques, se prononcent pour une grande politique industrielle. La France ne peut être à la remorque de l’Allemagne et de l’Italie. Le rôle qu’elle pourra jouer demain en Europe ne dépend-il pas de sa capacité à inventer aujourd’hui une politique moderne de développement industriel ?

Les entreprises et services publics peuvent jouer un rôle moteur. À condition de ne pas être soumis aux seuls impératifs de la rentabilité financière. La privatisation n’est pas la bonne solution pour leur modernisation et leur positionnement face à la compétition internationale.

Tout cela implique une réorientation de l’argent, de la finance. Vers l’emploi. Vers la réponse aux besoins de la société. C’est pourquoi une réforme de la fiscalité et du crédit est indispensable. Ce qui est antiéconomique, ce sont les charges financières qui asphyxient l’emploi, notamment pour les PME.

Une dimension me paraît essentielle : la conjoncture permettra peut-être de respecter les critères de l’euro tout en évitant une nouvelle cure d’austérité. Mais le problème reste entier pour l’avenir. Comment ne pas voir ce qui se passe en Allemagne. Et en Italie. Non, l’Europe ne peut être synonyme de sacrifices, de chômage. Il faut réorienter la construction européenne, en dépassant la logique libérale de Maastricht. C’est ce que préconisait la déclaration commune PC-PS du 29 avril.

C’est le sens de la proposition que nous avons faite à Lionel Jospin : le Gouvernement de la France doit s’adresser à ses partenaires afin de rediscuter des priorités de la construction européenne : pour l’emploi, pour la maîtrise des flux financiers, pour des droits nouveaux aux salariés et aux citoyens. En ce qui nous concerne, nous allons prendre des initiatives dans ce sens en maintenant notre demande que les Français soient consultés par référendum.

C’est nécessaire pour la réussite de l’expérience engagée en France depuis juin. C’est nécessaire pour que l’Europe redevienne une raison d’espérer. Le chantier est ouvert. Le potentiel d’intervention des salariés et des citoyens, et la présence d’un gouvernement et d’une majorité de gauche et écologiste créent des conditions pour que l’on réponde aux attentes de progrès social et d’efficacité économique des Français.


Date : 11 octobre 1997
Source : L’Humanité

À l’heure de la pause déjeuner, Jean-Paul Magnon souligne la nouvelle phase de la mise en œuvre de la culture du débat comme mode de vie permanent du PCF. Robert Hue se félicité de la confrontation des avis « même si cela n’est pas toujours agréable », et réagit aux commentaires concernant une déclaration de Michelle Demessine.

Point de presse en deux temps hier à l’heure du déjeuner au siège du PCF : à tout seigneur tout honneur, Jean-Paul Magnon qui venait d’introduire la discussion au Comité national, accompagné de Pierre Blotin, commentait devant les journalistes son texte. Le sien ? Pas seulement, puisque le rapport a été préparé par plusieurs membres de l’instance dirigeante communiste, adressé avant la réunion à tout le « parlement » et présenté hier après des ajouts souhaités. Le développement et l’adaptation du travail collectif de la direction du PCF et à l’ordre du jour.

Deux idées fortes, selon Jean-Paul Magnon : « faire monter l’intervention des citoyens » dans tous les domaines de la vie sociale et politique, et « élargir » la responsabilité et le champ d’action du Comité national. Comment ? Depuis le dernier congrès, un « décloisonnement » du travail a été opéré avec la mise en place de départements, de commissions, de groupes de réflexion. Cette méthode va être approfondie et généralisée avec trois objectifs principaux : la consultation régulière des communistes (l’expérience de juin et l’entrée au Gouvernement donnant des idées), l’information systématique des adhérents du Parti, avec notamment l’édition régulière du bulletin « Transparence » et l’aide aux fédérations pour faciliter l’accès aux nouvelles technologies de communication, Internet par exemple.

« Le débat qui existe dans le Parti aujourd’hui, que ce soit sur notre positionnement vis-à-vis des mesures prises par le Gouvernement ou sur l’approfondissement de notre réflexion sur les dossiers actuels, ou encore sur la meilleure manière de se rassembler à gauche pour battre la droite et l’extrême droite aux élections régionales, loin d’exprimer une crise de confiance, marque au contraire un nouveau progrès dans notre culture de débat », a indiqué Jean-Paul Magnon, avant d’ajouter : « Nous sommes dans une phase nouvelle de la mise en œuvre de notre conception de la politique et de notre vie de parti. Cette culture du débat doit devenir le mode de vie permanent d’un Parti communiste moderne. »

Jean-Paul Magnon ne pouvait pas échapper à deux questions d’actualité : la situation en Italie, l’attitude du PCF et l’action gouvernementale. La crise ouverte à Rome, pour le responsable communiste, « témoigne des contradictions » qui apparaissent dans la marche à la monnaie unique. Il refuse l’amalgame qui pourrait être établi entre la situation en Italie et la réalité française. « Nous avons la volonté, dit-il, d’être efficace en soutenant tout ce qui va dans le bon sens, et de débattre de ce qui ne prend pas ce chemin. »

En attendant Robert Hue, les journalistes ont droit à un pot. Mais la phobie antitabac a pris de telles dimensions qu’au sous-sol du siège, les cendriers sont exclus. Pour un temps seulement, car le service accueil veille…

Et voici Robert Hue. Pas de chichi. On parle direct. La discussion au Comité national est « plurielle », « vive ». Ce qu’il entend « n’est pas toujours très agréable », reconnaissant que « dès qu’il y a débat, à l’initiative de la direction, il y a obligatoirement confrontation d’avis différents ». Le secrétaire national s’interroge : « Doit-on adoucir ou gommer ces différences ou plutôt les accepter comme un élément clé de la vie démocratique du Parti ? » Robert Hue préfère entendre des opinions « bousculantes » car sinon « c’est le blocage », et il estime « qu’il n’y a pas une seule intervention prononcée ce vendredi matin à ne pas prendre en compte ». Le secrétaire national évoque « la nouvelle façon de diriger », le « nécessaire perfectionnement » des structures d’organisation dans « une phase où la mutation stratégique doit avancer et s’accélérer », et donnera ce samedi matin son opinion dans la discussion.

Que pense Robert Hue de l’action gouvernementale ? « Il y a des choix importants, conformes à nos engagements et d’autres qui ne correspondent pas. » Selon lui, « on ne peut dissocier les réponses sociales aux contraintes de la monnaie unique » et il convient de « réorienter l’Europe autrement ». Le PCF est-il écouté au Gouvernement ? « J’ai le sentiment, affirme le secrétaire national, que nous le sommes et la présence des ministres communistes est utile pour la réflexion générale. » L’Europe ? Robert Hue souhaite que le prochain sommet de Luxembourg sur l’emploi « ne soit pas un petit aboutissement par le bas, mais l’occasion d’une grande initiative française ».

Enfin, le secrétaire national a été interrogé sur les récentes déclarations de Michelle Demessine, secrétaire d’État au tourisme, et le prétendu « rappel à l’ordre » qu’il lui aurait adressé.

Robert Hue a démenti « tout rappel à l’ordre », puis a donné une certaine solennité à ses propos. « Je ne suis jamais intervenu auprès des ministres communistes sur leurs compétences gouvernementales. Et ceci pour une raison essentielle : je souhaite la séparation totale entre le Parti et les institutions. Je rencontre, ici, au siège du Parti, nos trois ministres et je suis fier de leur travail. La solidarité gouvernementale doit être respectée, mais cela ne signifie pas qu’il faille se taire. J’ai relu l’interview de Michelle Demessine à « La Voix du Nord ». Ses propos ont été surdimensionnés et interprétés à tort comme une distanciation par rapport au Gouvernement. Michelle Demessine reste parfaitement dans son rôle. Quant à moi, je dirige le PCF, pas les ministres. »