Texte intégral
Q - Quel premier bilan tirez-vous de la campagne ?
Alain Krivine : Très positif. Nos meetings rassemblent chacun des centaines de personnes. Déjà plus de 15 000 en trente meetings. Des gens politisés, issus du mouvement social et des syndicats, des militants du PCF de plus en plus et, bien sûr, l'électorat d'Arlette, c'est-à-dire des milieux très populaires qui ne vont jamais aux meetings, ne sont généralement pas syndiqués ni membres d'associations. En outre, les réticences que certains pouvaient avoir, vis-à-vis de la Ligue ou de LO, disparaissent. La campagne apparaît comme allant bien au-delà de l'extrême gauche, comme un moyen d'être le plus à gauche possible et un outil pour toute une série de gens qui s'abstenaient depuis plusieurs années. Enfin, sur le plan politique, c'est une vraie campagne anticapitaliste. Il n'y a plus du tout de couac entre ce que dit Arlette et mes interventions. Cela paraît tout à fait complémentaire, y compris sur le Kosovo.
Q - Sur ce sujet, vous maintenez votre position initiale disant non à Miloševic et aux frappes de l'Otan et oui à l'autodétermination du Kosovo ?
Alain Krivine : Les faits nous ont donné raison. Depuis le début, notre obsession, c'est comment aider le peuple kosovar. Or, l'Otan se fiche éperdument du peuple du Kosovo. Le Kosovo n'est pour elle qu'un terrain d'application de ce que ses responsables appellent le « nouveau concept stratégique », c'est-à-dire, en gros, l'installation de la police américaine en Europe. Quand on a lu l'article de l'ancien conseiller pour la sécurité du président Carter, Zbigniew Brzezinski, dans Le Monde (17 avril), c'est une évidence.
La guerre a abouti au résultat inverse de celui officiellement recherché. Miloševi? est renforcé. L'opposition est annihilée ou s'est ralliée. Les Balkans sont en pleine crise et il n'y a jamais eu autant de réfugiés kosovars.
Q - Mais, après deux défilés, vous avez arrêté de manifester…
Alain Krivine : La France est le seul pays où il n'y a pas eu de manifs anti-guerre, à cause du PCF. Nous avons aidé à convoquer les deux premières réunions unitaires. À la deuxième, nous avons été plus fermes sur les mots d'ordre de solidarité avec les Kosovars à cause de la présence des Serbes. Nous faisons tout pour qu'il y en ait d'autres.
Q - Le cauchemar de Romain Goupil, qui vous reprochait de manifester avec des staliniens et des fascistes serbes, ne vous a pas impressionné.
Alain Krivine : Cela fait longtemps qu'il ne m'ébranle plus. Je trouve qu'il a parfois des cauchemars à sens unique. Qui peut penser une seconde à une quelconque collusion en voyant nos mots d'ordre. Encore une fois, le PCF ne veut plus manifester. Toutes proportions gardées, sa position sur les manifestations est la même que sur la remise en cause du monopole d'EDF. C'est la solidarité gouvernementale. Jospin leur laisse une certaine marge de protestation, mais pas trop.
Q - Avez-vous lu la contre-enquête de François Koch sur LO (1) ?
Alain Krivine : Oui. Je ne l'ai pas finie. C'est une enquête policière qui a un défaut fondamental, celui de ne pas être politique. Il n'y a aucune vue d'ensemble. On ne comprend pas, en lisant cette enquête, comment LO peut avoir des milliers de militants et de sympathisants, dont les trois quarts sont connus puisqu'ils se présentent aux élections, ni pourquoi sa porte-parole est une des femmes les plus connues et les plus populaires, la seule qu'on appelle par son prénom.
Q - Sa publication, maintenant, ne vous gêne pas ?
Alain Krivine : Le contenu n'est pas très nouveau. Nos désaccords sont connus, et portent sur le fonctionnement interne de LO et leur conception du parti à construire. Si cela peut être des obstacles à une fusion, ce n'est pas l'objet d'une campagne électorale où il y a aujourd'hui accord sur l'essentiel.
Q - Quel serait un bon score ?
Alain Krivine : Ce serait au moins de faire plus que les 5,3 % d'Arlette à l'élection présidentielle. C'est le seuil de crédibilité. Si on fait 7 ou 8 %, cela apparaîtra comme un événement politique. Y compris pour l'avenir en termes de construction d'une nouvelle force politique.
Notre position est toujours d'aider à construire un grand parti anticapitaliste. Si on fait 3 % ou 8 %, les possibilités ne seront pas les mêmes.
(1) La Vraie Nature d'Arlette, François Koch, Seuil, 137 p., 49 F.