Déclarations de Mme Arlette Laguiller, porte parole de Lutte ouvrière, et de M. Alain Krivine, porte parole de la LCR, sur les élections européennes de juin 1999, les 22 et 23 mai 1999 à l'occasion de la fête de Lutte ouvrière, parues dans "Lutte ouvrière" du 28 mai 1999.

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Circonstance : Fête de Lutte ouvrière à Presles du 22 au 24 mai 1999

Média : Lutte Ouvrière

Texte intégral

« Exproprier les entreprises qui font des bénéfices et qui licencient »
(extraits de l'allocution d'Arlette Laguiller, le samedi 22 mai)

« […] Ce qui donne à notre rassemblement politique une signification particulière aujourd'hui, c'est que nous sommes à trois semaines des élections européennes où Lutte ouvrière et la Ligue communiste révolutionnaire présentent une liste en commun. Une liste dont la raison d'être principale est d'offrir aux travailleurs, aux chômeurs, aux jeunes, aux victimes d'un ordre social dominé par les groupes capitalistes, un autre choix qu'entre la « gauche plurielle » qui les opprime au Gouvernement et une droite plurielle qui rêve de prendre le relais pour les opprimer tout autant. […]

Nous nous présentons dans ces élections pour dire que le seul moyen de faire disparaître le chômage, c'est de rompre complètement avec la politique poursuivie depuis un quart de siècle par tous les gouvernements et qui a montré son inefficacité totale.

Il faut arrêter le scandale des aides et des subventions aux grandes entreprises, des baisses de charges sociales sous prétexte de les « inciter » à créer des emplois. Mais depuis un quart de siècle que les gouvernements successifs mènent cette politique, il est évident que les groupes capitalistes se contentent d'empocher les aides pour les intégrer dans leurs profits et continuent à diminuer leurs effectifs.

Alors, plus un seul centime de l'État aux entreprises privées ! Plus un centime de baisse de charges de la part de la Sécurité sociale !

Avec les dizaines de milliards ainsi économisés, l'État doit créer directement des emplois là où ils sont utiles à la collectivité, c'est-à-dire dans les services publics : dans les hôpitaux, à l'éducation nationale, dans les transports collectifs, à La Poste et à la SNCF, dans la construction de logements sociaux bon marché, d'équipements collectifs pour les quartiers populaires qui en manquent cruellement.

Il faut arrêter cet autre scandale que sont les licenciements collectifs, les plans dits sociaux et les suppressions d'emplois dans les grandes entreprises qui font des bénéfices considérables.

Quelques-unes des entreprises les plus riches de ce pays, Elf, Usinor, Alcatel, annoncent des baisses brutales de leurs effectifs. Rhône-Poulenc vient d'annoncer que sa fusion avec Hoechst, si bien accueillie par la bourse, se traduira par la fermeture de 49 sites et la suppression de 11 000 emplois dans le monde, dont 3 000 en France ! D'autres grandes entreprises comme Renault ou Peugeot-Citroën, sont plus discrètes ; elles se contentent de ne remplacer que partiellement les anciens qui partent. Mais qu'elle soit brutale ou discrète, chaque suppression d'emploi, c'est un chômeur de plus.

Alors, il faut exproprier les entreprises qui font des bénéfices et licencient quand même !

Le chômage est une véritable catastrophe, individuelle et collective, pour l'ensemble des salariés. Et il l'est pour toute la société, car tout le reste en découle : l'insécurité, le désespoir de la jeunesse, la dégradation de la vie sociale, la montée des idées réactionnaires et racistes. Pour éradiquer le chômage, il faut des mesures radicales consistant à prendre sur les profits des entreprises et, au besoin, sur la fortune personnelle de leurs propriétaires et gros actionnaires. Il y aurait de quoi financer la création du nombre d'emplois suffisants pour que personne ne soit au chômage.

Les patrons diront que c'est impossible. Eh bien, qu'ils publient les comptabilités de leurs entreprises et les mouvements de fonds sur les comptes de leurs principaux actionnaires ! Pour cela, il faut abolir le secret bancaire, le secret commercial qui ne servent qu'à dissimuler comment, sur le dos de qui, les groupes financiers et industriels font leurs profits et quel usage ils font des richesses produites par les travailleurs. On verra alors que les grandes entreprises ne sont jamais, en réalité, obligées de réduire leurs effectifs, qu'elles pourraient même largement embaucher, notamment en allégeant le rythme et l'intensité du travail. C'est tout de même le signe d'une organisation économique démente que de tuer les uns au travail, pendant que les autres sont condamnés à l'inactivité forcée et à la misère ! […]

Nous n'attendons pas l'accomplissement de ces objectifs des seules élections. Il sera le résultat des luttes collectives que les travailleurs seront tôt ou tard contraints de mener, tout simplement parce que ceux qui nous volent et nous grugent, ceux qui constituent des fortunes sur le malheur de tous, ne rendront pas gorge facilement. Un vote massif en faveur de notre liste signifiera une approbation large et ce serait un encouragement pour tous les travailleurs et pour tous les militants, un pas important dans la constitution d'un parti défendant réellement les intérêts politiques des classes laborieuses, ce que ni le Parti communiste, ni le Parti socialiste ne sont plus. […] »


« Dans cette Europe, il y a 18 millions de chômeurs »
(extraits de l'allocution d'Alain Krivine, le samedi 22 mai)

[…] « Nous sommes maintenant dans une campagne commune depuis le mois de janvier et je crois que les militants de Lutte ouvrière et de la Ligue communiste révolutionnaire sont contents de cette campagne commune. Je crois aussi que, bien au-delà des militants de la Ligue et des militants de LO, il y a aujourd'hui des centaines et des centaines de milliers de travailleurs, de jeunes, de chômeurs, qui sont aussi contents qu'enfin on ait pu réaliser, pour ces élections, l'unité des deux principales organisations d'extrême gauche en France. Alors, c'est vrai, cette campagne remporte un écho. Elle n'est pas finie, loin de là, mais déjà avec Arlette Laguiller nous avons parcouru la France, plus de quarante meetings, plus de vingt mille personnes présentes à ces meetings.

Nous, nous avons un peu le sentiment, il faut le dire, d'être un peu seuls dans cette campagne. Il a fallu attendre une semaine ou dix jours pour que les grands partis politiques s'aperçoivent qu'il y avait des élections européennes dans maintenant trois semaines. Personne ne veut parler de l'Europe. Personne ne veut parler du chômage. Personne ne veut parler de la précarité. Personne ne veut parler du racisme. On a l'impression que les grands partis politiques essaient de chercher dans l'actualité quelque chose qui permettra de ne pas parler des problèmes de fond. […]

Eh bien nous, on n'est pas d'accord. On veut qu'à ces élections, les problèmes de fond soient abordés, je l'ai dit, le fait qu'aujourd'hui dans cette Europe, il y a 18 millions de chômeurs, cinquante millions de pauvres, qu'ici dans ce pays, il y a 5 millions de chômeurs, 6 millions de personnes qui vivent en dessous des minima sociaux. Alors, ils ont peur du débat parce qu'ils n'ont rien à proposer. Et nous, nous avons donc décidé de mener la seule guerre qui vaille aujourd'hui, la guerre au chômage, la guerre aux misères. […] »


« Reprendre le flambeau de la lutte pour l'émancipation du monde du travail »
(extraits de l'allocution d'Arlette Laguiller, le dimanche 23 mai)

« Dans ces élections européennes, la droite comme la gauche gouvernementale ont beau être divisées entre une multitude de listes, elles n'ont pas de programmes vraiment différents pour l'Europe. Leur seul programme à tous, à droite comme à gauche, c'est de justifier, les uns avec enthousiasme, les autres avec réticence, ce qui se fait de toute façon dans l'intérêt du grand capital. Le reste n'est que phrases démagogiques à géométrie variable, pour essayer de se distinguer les uns des autres.

Les électeurs ne sont pas conviés à choisir entre différentes conceptions de l'Europe. L'Union européenne qui se construit laborieusement depuis des décennies ne se construit pas dans les élections. Elle se construit dans les négociations publiques et les marchandages secrets entre gouvernements en fonction des rapports des forces entre les grands trusts des puissances impérialiste d'Europe, rivaux entre eux mais contraints de s'entendre pour faire face aux groupes capitalistes des États-Unis ou du Japon.

L'enjeu de ces élections pour les grands partis n'est pas l'Europe, mais c'est d'obtenir la caution de l'électorat pour leur politique passée et un blanc-seing pour l'avenir. […]

Et l'Europe dans tout cela ? Eh bien, il n'y a pas qu'en France que le chômage est dramatique. Il y a 20 millions de chômeurs officiellement recensés et 60 millions de personnes qui vivent dans la pauvreté, dans cette Union européenne qui passe pourtant pour une des régions les plus riches de la planète.

Le problème majeur des classes laborieuses d'Europe n'est pas de savoir quelles institutions les différents gouvernements nationaux mettront en place pour mieux gérer ce qui est commun dans les affaires des différentes bourgeoisies. Ce n'est pas de savoir si les différents États parviendront ou pas à se mettre d'accord sur une défense européenne. Le problème majeur, c'est que, pour améliorer réellement la situation des travailleurs, il faut mettre fin à la puissance occulte d'un nombre restreint de grands groupes financiers et industriels, qui dominent l'Europe comme le monde et mènent l'économie à la ruine et les classes laborieuses à la misère.

J'ai eu l'occasion de répéter bien souvent que, si notre liste obtenait un résultat non seulement supérieur aux 5 % que j'ai obtenus à la présidentielle de 1995, mais aussi supérieurs au 7 ou 8 % que les listes additionnées de LO et de la LCR ont obtenus dans certains départements lors des régionales, ce serait alors, mais alors seulement, l'expression d'une radicalisation et, en même temps, un encouragement pour l'ensemble des travailleurs, des chômeurs, de la jeunesse dépolitisée, qui auraient là la démonstration que ceux qui veulent des changements radicaux ne constituent pas une minorité insignifiante. Et cette démonstration vaudrait bien au-delà des frontières !

Si, de plus, demain, la classe ouvrière de ce pays est capable d'imposer les mesures radicales que notre liste défend, ces victoires renforceront la détermination et la confiance des travailleurs à l'échelle de l'Europe. Et, vous savez, tout le passé du mouvement ouvrier le rappelle : les luttes sont contagieuses. Et, quand elles éclatent quelque part, même les frontières ne peuvent pas toujours les arrêter. Alors, raison de plus pour profiter de la suppression des frontières !

Camarades et amis, les élections qui viennent ne sont certes qu'un épisode de la vie politique. Mais si l'électorat populaire nous manifeste sa confiance, cela pourrait être un pas vers la renaissance dans ce pays d'un parti véritablement socialiste et véritablement communiste, indispensable pour que les classes laborieuses puissent peser en permanence sur la vie politique et faire prévaloir leurs intérêts.

Ce parti ne pourra se constituer que si surgissent parmi les travailleurs, parmi les jeunes, des milliers, des dizaines de milliers de vocations militantes. Il ne pourra se constituer que si, dans les entreprises, dans les quartiers populaires, il y a des femmes, des hommes, des jeunes pour défendre les idées et les valeurs du mouvement ouvrier. Une élection ne suffit pas à les faire surgir. Mais elle peut offrir la démonstration qu'une fraction croissante des classes laborieuses est réceptive au programme et aux objectifs que ce parti aura à défendre. Elle peut offrir la démonstration qu'une fraction croissante de l'électorat populaire se retrouve dans les idées de la lutte des classes. Pour des militants qui, devant les abandons et les trahisons des deux grands partis de la gauche réformiste, ont abandonné le combat, cela sera un encouragement pour le reprendre. Et cela peut, à son tour, amener une nouvelle génération de jeunes à prendre le relais et à reprendre le flambeau de la lutte pour l'émancipation du monde du travail. […] »


« Ce n'est qu'un début, continuons le combat »
(extraits de l'allocution d'Alain Krivine, le dimanche 23 mai)

[…] On nous dit, et c'est bien logique : « Et après ? », « Qu'est-ce que vous allez faire après ? Et votre pacs, qu'est-ce qu'il va devenir après ? ». Mais après, nous sommes des gens responsables. Nous ne militons pas uniquement pour nos organisations. Nous sommes bien sûr, pour le moment, deux organisations séparées, capables de se mettre d'accord sur une plateforme politique qui va très loin, capables de militer ensemble. Et après ? Mais après, cela dépendra en grande partie du scrutin. Si la liste Ligue-LO fait 3-4 %, ou si elle fait 7-8-10-12 %, le résultat ne sera pas le même.

Il est évident que, si cette liste remporte un grand succès, certaines tâches apparaissent comme normales, évidentes d'abord. On ne va pas se séparer la Ligue et LO. La Ligue et LO devront poursuivre le débat politique, publiquement, dire ce qui nous rapproche, dire ce sur quoi il y a désaccord, et faire trancher les militants et les sympathisants, tous ceux qui nous auront fait confiance. La Ligue et LO devront continuer l'action commune sur tous les sujets où l'on se retrouve ensemble, que ce soit les sans-papiers, que ce soit les luttes contre les licenciements, que ce soit la lutte aujourd'hui contre les frappes de l'OTAN et contre le terrorisme de Miloševic.

Il faudra aussi, si nous avons une liste qui regroupe des millions de voix, se servir de ce levier, de cette force autour de la liste Ligue-LO, pour s'adresser aux autres courants du mouvement ouvrier, aux autres courants politiques du mouvement ouvrier et, grâce à ce levier plus puissant que par le passé, essayer de les entraîner avec nous dans l'unité d'action sur une base de lutte de classe dans l'unité d'action contre le chômage, contre la misère, contre les licenciements, contre le racisme et le fascisme et contre la guerre.

Enfin, il faudra, et ça ne pourra pas se faire tout de suite, mais c'est vrai que c'est l'espoir pour beaucoup de gens, arriver à aller un peu plus loin dans la perspective de créer un nouveau parti des travailleurs, un nouveau parti anticapitaliste, qui ne peut être le simple regroupement de la Ligue et de LO, mais qui doit aller au-delà. Nous savons qu'au sein de la gauche traditionnelle, du Parti communiste, mais surtout au sein des syndicats, des associations qui se multiplient aujourd'hui, il y a une attente profonde pour que se crée enfin un grand parti des travailleurs, fidèle à la lutte des travailleurs dans ce pays. […]

Il faut aux jeunes aussi, non pas leur redonner confiance, leur montrer que ce n'est pas obligatoire, incontournable, d'avoir une société qui ne leur offre rien, si ce n'est le harcèlement des flics dans leur quartier, une société où un jeune ne peut même pas imaginer aujourd'hui, et envisager, d'avoir un travail stable, mais sait qu'il aura désormais à faire le parcours du combattant des petits boulots mal payés, sous-payés, voire même être au chômage. Et de leur dire que cette société, on peut la renverser à condition que tous ceux et toutes celles qui en ont assez décident ensemble de lutter, ne restent pas seuls, se donnent les moyens aujourd'hui de changer la donne politique.

Alors, on nous dit, et c'est souvent le dernier argument : « Vous êtes des rêveurs. Cela n'est pas possible ». Eh bien, nous sommes fiers de rêver. Il n'y aura que les réactionnaires et les conservateurs heureux de leur situation qui n'ont pas besoin de rêver. Les révolutionnaires rêvent d'une autre société. La gauche ne fait plus rêver et nous, nous voulons réapprendre, réapprendre à rêver d'une société où les hommes et les femmes seront libres, où les travailleurs immigrés n'auront plus à se cacher, où les jeunes auront un avenir. C'est pour cette société qu'il faut, et que nous vous appelons aujourd'hui, à venir soutenir notre liste et reprendre le vieux mot d'ordre que certains ont abandonné : « Ce n'est qu'un début, continuons le combat ! »