Texte intégral
Q. – L’opposition ira-t-elle en bon ordre aux élections régionales ? Par exemple, saura-t-elle faire valoir en Ile-de-France le principe des listes communes recommandé par E. Balladur qui conduira lui-même une liste de ce type à Paris ? Cette préparation du rendez-vous de mars prochain sera-t-elle le signe de la réorganisation de l’opposition ? P. Séguin, le président du RPR, vient de nommer sept chargés de mission autour du porte-parole du mouvement, N. Sarkozy, une équipe qui souhaite représenter toutes les sensibilités du mouvement : ainsi cohabiteraient les chiraquiens, les balladuriens, les juppéistes, les pasquaiens. Avec cette structure, un slogan : « aborder les prochaines régionales avec l’énergie de l’espoir » – la formule est de P. Séguin.
On ne peut pas s’empêcher de penser, quand on entend « énergie de l’espoir », à « énergie du désespoir ». Est-ce une bonne formule ?
R. – On a connu un rude choc, avec la défaite des élections au mois de juin 1997. Il ne servirait à rien de le nier. Mais aujourd’hui, cette défaite, c’est le passé. On a réfléchi à ce qui s’était passé, pourquoi un divorce entre une grande partie de notre électorat et nous et, me semble-t-il, le calendrier des régionales qui nous est imposé va donner l’occasion aux Français de manifester pour la première fois ce qu’ils pensent des socialistes et du socialisme, et des efforts de reconstruction, de rénovation et de refondation de l’opposition.
Q. – Mais sept chargés de mission autour de vous, qu’est-ce que c’est ? Un état-major ou un moyen – pour parler clair – de vous lier les mains avec tous les courants du RPR ?
R. – C’est moi-même qui ai présenté ces propositions à P. Séguin. Il y en aura d’autres, des chargés de mission, nommés autour d’autres responsables de notre mouvement. J’ai voulu ceci, en plein accord avec P. Séguin, parce que je crois qu’un des éléments essentiels de la reconquête et de l’espoir demain, c’est la réconciliation et l’association à la bonne marche de notre mouvement de tout le monde. Nous souhaitons décliner le mot "rassemblement" dans sa réalité. On a besoin de tout le monde, et il ne sert à rien de créer les conditions d’une équipe qui soit en quelque sorte monocolore. Il faut que nous soyons riches de notre diversité et que notre diversité réponde à la diversité de notre électorat.
Q. – Quelle réflexion cela amène de votre part, ce qui ressemble à un paradoxe, peut-être d’ailleurs une injustice : on a beaucoup dit de vous qu’il fallait vous prendre haut et court, que vous étiez l’homme qui aviez trahi ? Or vous êtes maintenant le numéro deux du mouvement et c’est vous qui allez faire la reconstruction et la réconciliation !
R. – Cela prouve que la situation étant difficile, on a besoin de tout le monde, et que cette phrase s’applique sans doute à moi ! En ce qui me concerne, les choses sont claires : je ne peux pas me résoudre à voir que 4,3 millions de Français qui ont voté au premier tour des présidentielles pour de Villiers, E. Balladur et pour J. Chirac n’aient pas voté pour les candidats RPR et UDF aux dernières élections législatives. Je ne peux pas me résoudre à voir la montée du Front national. Je suis de ceux qui pensent que si nous avons été battus, ce ne sont pas nos idées qui ont été battues, mais l’acharnement, d’une certaine façon, que nous avons mis à ne pas les défendre suffisamment Je suis de ceux qui pensent que si tant de Français vont vers le Front national, ce n’est pas parce qu’ils sont séduits par les idées du Front national, pas parce qu’ils sont séduits par J.-M. Le Pen, mais parce qu’ils sont en quelque sorte désespérés de voir que la droite gaulliste, républicaine, libérale, moderne n’ose pas affirmer ses convictions, ses valeurs, ses idées, ses différences.
Q. – Jusqu’où va la droite vis-à-vis du Front national ?
R. – Dans mon esprit, c’est très simple : est-ce que nous serions, nous, Français, condamnés au socialisme le plus archaïque d’Europe ? Je suis de ceux qui pensent que le problème, ce n’est pas la réduction du temps de travail : c’est de donner un travail à chacun. Je suis de ceux qui pensent que le travail n’aliène pas, qu’au contraire, c’est le travail qui rend sa dignité et la liberté à l’homme. Je suis de ceux qui pensent qu’une des valeurs essentielles de la République, c’est le mérite. Si on accepte l’idée que le mérite personnel, ça compte, on accepte l’idée de la récompense et donc, on refuse une fiscalité confiscatoire qui fait qu’aujourd’hui 20 % de ceux qui font nos meilleurs jeunes patient à l’étranger parce qu’ils s’imaginent qu’en France, s’ils travaillent plus, ils n’en auront pas la juste récompense. Je suis de ceux qui pensent que tous les pays qui voient le chômage diminuer sont ceux qui ont diminué leurs dépenses publiques, le nombre de leurs fonctionnaires et les impôts. C’est quand même des questions qui se trouvent posées ! Alors, la démocratie, c’est une alternative. Il faut laisser aux gens le droit de choisir. Je ne reproche à personne d’être de gauche. Moi, je suis de droite, tranquillement, mais de droite.
Q. – Vous êtes de droite, et clairement de droite. Mais quand on regarde l’attitude du Président de la République, quand on se demande souvent s’il ne mène pas une politique social-démocrate, qu’est-ce que vous dites ? Qui est le chef, d’ailleurs, aujourd’hui ?
R. – Je pense que la question de savoir qui est le chef n’est pas une question essentielle, puisqu’il n’y a pas d’élection présidentielle à l’horizon prochain.
Q. – Ce n’est pas une petite question, quand même !
R. – Oui, bien sûr, mais en ce qui nous concerne, on a suffisamment de questions à régler. Je n’ai pas de problèmes vis-à-vis du Président de la République. Je crois que le devoir de chacun dans nos positions, c’est de le soutenir dans le cadre d’une cohabitation qui est sans doute plus difficile et plus conflictuelle qu’on ne le croit. Les événements futurs le montreront, je le crains. En ce qui me concerne, il est vrai que trop souvent, nous avons pu donner l’impression d’apporter notre lot à la confusion et qu’il n’y ait pas de différences entre nous et les autres. Eh bien, moi, je ne suis pas socialiste, je ne l’ai jamais été, et je n’ai pas l’intention de le devenir. Ça ne me gêne pas de dire qu’il faut une autre politique familiale.
Prenons un exemple très simple : qu’on en soit arrivé à supprimer les possibilités pour les femmes qui travaillent de déduire fiscalement le salaire d’un emploi familial pour leur permettre de vivre une vie familiale et une vie professionnelle, c’est quelque chose qui me scandalise profondément ! C’est certainement une différence entre la gauche et la droite. Je suis de ceux qui pensent que la politique familiale, c’est très important, et que la liberté de choix pour les femmes d’exercer un emploi et en même temps d’élever leur famille, c’est très important. Je ne vois pas au nom de quoi les salaires qui sont versés par France Inter ne donnent pas matière à versement d’un impôt sur les bénéfices et que pour une famille, quand on verse un salaire à un emploi familial, on devrait payer l’impôt sur le revenu.
Q. – Vous ne répondez pas aux questions que je vous pose ! Il y en a une précise qui nous renvoie au Président de la République…
R. – Je vois bien ce qui vous intéresse !
Q. – Puisque vous parlez clair : jusqu’où cela va aller ? Comment vous vous positionnez, vous, qui reconstruisez aujourd’hui peut-être l’opposition par rapport au Président de la République ?
R. – Je ne vois pas de contradiction entre la position du Président de la République et celle que, modestement, je veux vous exprimer sur un exemple concret. Moi, je crois qu’il faut sortir des grands débats un peu fumeux et un peu intellectuels pour faire du concret. La gauche pense que l’avenir des jeunes est de les mettre dans des sous-emplois de fonctionnaires parce qu’on en n’a pas assez. Moi, je pense que l’avenir des jeunes est de les mettre en entreprise. C’est exactement la position qui est exprimée par J. Chirac. La gauche pense qu’il n’y a rien de plus utile, de plus urgent que de promettre à tout le monde les 35 heures dans un monde qui travaille plus. Mme Voynet allant même jusqu’à descendre dans la rue pour dire : non, on s’est trompé, ce n’est pas 35 heures, c’est 32 heures. Je m’insurge contre ce manque d’ambition flagrant. Pourquoi on ne nous propose pas les 25 heures ? Le faire dans un monde de croissance, où partout le chômage recule, essayer de dire aux Français : travaillez moins, vous gagnerez plus et vous aurez plus d’emplois pour vos enfants… de qui se moque-t-on ? Cela c’est une différence essentielle. Et je n’observe pas qu’il y ait des différences de fond entre J. Chirac et nous sur le sujet.
Q. – C’est un discours très politique que vous avez ce matin. Bien sûr qu’il y a des différences, vous le savez.
R. – J’ai beaucoup de respect pour vous.
Q. – Mais moi aussi.
R. – Mais je souhaite que tous les hommes politiques que vous invitez répondent, pardon de le dire, aussi clairement aux questions que vous posez que je le fais, ce matin. »
Q. – Encore une fois : beaucoup, y compris dans l’opposition, se posent la question du Président de la République par rapport à vous-même et ce que vous représentez aujourd’hui ?
R. – S’ils se la posent, c’est qu’ils ont tort. Parce que moi, j’ai l’habitude de poser des questions qui sont utiles. Le Président de la République a été élu pour sept ans Président de tous les Français. C’est un devoir pour chaque Français de respecter cette réalité. Je suis dans l’opposition et je suis au RPR. Comme vous le savez, je n’ai pas fait le même choix que tout le monde aux dernières élections présidentielles parce que moi j’ai soutenu E. Balladur. Cela m’en donne plus de force pour dire : l’opposition a suffisamment de problèmes, d’interrogations et de chantiers à ouvrir pour ne pas poser le problème psychologique de savoir comment elle doit se déterminer vis-à-vis de J. Chirac. Ella aidé J. Chirac, elle soutient J. Chirac qui est une de nos références. Pour autant, est-ce que nous devons avoir la même expression sur tous les sujets que le Président de la République ? Bien sûr que non. Pourquoi ? Parce que nous n’avons pas les mêmes obligations constitutionnelles. Regardez l’affaire du Sommet sur l’emploi – vous ne m’avez pas posé la question mais je vais essayer d’y répondre – c’est extraordinaire ce qui se passe : tout le monde félicité L. Jospin parce qu’il aurait obtenu qu’on parle de l’emploi en Europe.
Q. – Contre le pacte de stabilité.
R. – Et personne ne souligne la contradiction flagrante qu’il y a pour L. Lionel à appeler l’Europe au secours pour résoudre le problème du chômage en France et à proposer aux Français une politique strictement inverse de ce qu’il se passe partout ailleurs en Europe. Soit L. Jospin veut faire une politique inverse de ce qui se passe chez nos quatorze partenaires européens – il en a parfaitement le droit – soit il veut qu’à Quinze on redresse les choses pur lutter contre le chômage. Mais il ne peut pas proposer les deux. Parce que nous sommes un pays en Europe qui engage plus de fonctionnaires, qui diminue le temps de travail et qui augmente les impôts. Il n’y en a pas un seul autre.
Q. – Sauf qu’on ne peut pas être contre un Sommet sur l’emploi. On est bien d’accord ?
R. – C’est du domaine du placebo sur une jambe de bois.
Q. – C’est la première fois que l’Union est d’accord pour poser la question de l’emploi.
R. – Mais non parce qu’il faut être sérieux. Un Sommet pour l’emploi peut déboucher sur quelque chose si la France met en œuvre les mêmes politiques que ses partenaires. Si on vient avec une politique contraire que celle des quatorze autres partenaires, il y a peut-être une chance de convaincre les quatorze autres qui sont plus mauvais que nous. Le problème c’est que chez les quatorze autres le chômage diminue et chez nous il augmente. Il faut savoir qui a raison. En tout cas, si L. Jospin veut une politique européenne contre le chômage, il faut que la France au lieu de s’isoler en faisant le contraire des autres s’inspire de ce que font les autres.
Q. – Apparemment vous êtes reparti pour la reconstruction et très mobilisé ?
R. – J’essaye de répondre avec beaucoup de force. Ce n’est pas de l’intolérance, certainement pas pour être désagréable avec vous. C’est parce que j’ai des convictions et que je considère que le monde politique a souffert d’expression de convictions pas assez forte. Finalement c’est aux Français de choisir. Mais pour qu’ils choisissent encore faut-il se donner la peine de proposer des alternatives.