Texte intégral
Q - En regardant L. Jospin hier soir, vous avez vu un homme de gauche ou un pragmatique ?
– « Je suis sans doute comme beaucoup de français. J'ai écouté attentivement en essayant de savoir ce qu'était la deuxième étape, et pour tout vous dire, je reste un peu sur ma faim. On a eu une information, une seule, pendant la soirée : c'est que l'on ne toucherait pas aux conditions de l'autorisation de licenciement. »
Q - C'est une bonne nouvelle pour vous ?
– « Le gouvernement ne pouvait pas faire autrement. Après avoir annoncé qu'il fallait y avoir du changement sur ce front-là, il s'est aperçu qu'il ne pouvait pas faire autrement. Mais pour ceux qui croient à la gauche, c'est une conversion de plus. »
Q - Il y a tout de même l'appel à la mobilisation populaire.
– « Une information, une confirmation générale tout au long de l'émission : L. Jospin est content du Gouvernement, de lui-même. Pour le reste, j'avoue qu'en termes de projets, je n'ai pas très bien vu ce qu'était le contenu de la seconde étape. »
Q - Alors, la mobilisation populaire contre Michelin ?
– « C'est un voeu. »
Q - Mais cela peut bien marcher, non ?
– « C'est un voeu pieux. Mais bon, voilà, très bien ! »
Q - « Voeu pieux », mais s'il y a une mobilisation populaire, ça peut jouer aussi dans d'autres secteurs comme par exemple la deuxième loi sur les 35 heures ?
– « Oui, vous êtes en train avec ironie, de mettre L. Jospin en face de l'opinion de gauche qui en effet, en votant pour lui, n'attendait pas qu'il soit un spectateur de ce qui se passerait. Et je crois que beaucoup de Français qui croyaient à cette idée d'autrefois de la gauche doivent aujourd'hui écarquiller les yeux en se demandant : « Où on va ? » Et à cette question-là, le Premier ministre n'a pas donné véritablement un contenu. »
Q - Vous êtes choqué par ce qui se passe chez Michelin ?
– « Depuis longtemps, il y a quelque chose d'incompréhensible pour les citoyens : des entreprises qui font des profits, dont les profits sont en croissance, considèrent qu'une des conditions de leur développement futur et de leur succès auprès des actionnaires, c'est la suppression de milliers d'emplois. Avec Elf-Aquitaine, on a eu une chose de ce genre. »
Q - Même chose : 2 000 suppressions d'emplois.
– « Il y a là quelque chose qui heurte à ce point le bon sens, le sens élémentaire, qu'il faut trouver une logique et une explication et une réponse qui montrent que les pouvoirs publics et les gouvernements ne sont pas absolument inertes et spectateurs de ce qui se passe. »
Q - Quel est votre remède ?
– « Mon remède c'est qu'on travaille sur l'idée que l'État – ou la puissance publique – donne des avantages à ceux qui créent ou défendent l'emploi. Autrement dit, on a deux logiques : une logique de contrainte – le Premier ministre y a renoncé parce qu'il ne pouvait pas faire autrement – et une logique d'incitation. Pourquoi ces entreprises suppriment-elles de l'emploi ? Pour un certain nombre d'entre elles, parce qu'elles sont soumises à une concurrence internationale sévère. Pour un certain nombre d'autres, parce qu'elles ont l'impression que – je dis les choses crûment – que leur image auprès de leurs actionnaires s'améliorera si elles se montrent à ce point sévères à l'égard de leurs emplois. Et c'est cela qu'il faut faire reculer à tout prix… »
Q - Concrètement vous faites quoi ?
– « Si l'entreprise trouvait un avantage, par exemple en termes de charges ou en terme fiscal, à défendre l'emploi plutôt qu'à détruire l'emploi, je suis certain que les choses se présenteraient de manière différente. Et c'est à cette politique d'incitation à laquelle il faut que nous travaillions. Sans cela, un jour, les citoyens diront aux politiques : « Mais à quoi servez-vous exactement ? »
Q - Hier, vous avez entendu L. Jospin dire : « Non à l'économie administrée », expliquer que tout ne vient pas de l'État, que chacun doit prendre ses responsabilités, vous ne vous êtes pas dit : « Tiens, sur le plan idéologique on n'est plus très éloigné l'un de l'autre ! ? »
– « C'est une prise de conscience tardive parce que je ne crois pas que M. Jospin ait dit ça tout au long de sa vie. Mais je crois que sur le fond, il constate ce qui se passe. Simplement, il n'a aucune réponse en terme d'action, d'incitation, pour changer les choses. »
Q - Il dit : « Voilà ce que je fais-moi, on y va pas à pas, petit à petit, pour restaurer la confiance, maintenir la croissance et c'est comme ça qu'on va réduire durablement le chômage. »
– « Vous qui avez avec soin écouté son émission, vous avez eu le sentiment que la deuxième étape avait un contenu ? »
Q - Vous savez, je ne suis qu'un Français parmi d'autres. Ce qui compte c'est votre opinion à vous.
– « Vous êtes un Français parmi d'autres et je vois à votre réponse que vous êtes comme moi. Vous n'avez pas vu exactement ce dont il s'agissait. Pour une bonne raison : c'est qu'il n'y avait pas de contenu. Et la vérité, au bout l'émission, j'ai fini par la comprendre. C'est que la deuxième étape elle a un contenu et une vertu principale aux yeux du Premier ministre : elle sert à attendre la troisième. »
Q - La troisième, il a dit : « On verra plus tard. »
– « Eh bien voilà, c'est exactement ça ! Le véritable horizon, ce sont les échéances qui viennent derrière. Et le Premier ministre n'a plus de contenu fort à la politique qu'il mène et donc il attend la troisième étape. »
Q - Vous êtes en train d'expliquer qu'il fait comme E. Balladur autrefois ?
– « Je suis en train d'expliquer, vous le savez bien, que si on cherche le contenu de la deuxième étape, on ne le trouvera pas parce qu'il n'y en a pas et parce qu'en effet un projet de société ne se résume pas aux thèmes bien qu'intéressants que le Premier ministre a évoqués hier soir. Un projet de société, l'idée de la communauté que les citoyens français se forment, de son avenir, ne peut pas se résumer aux thèmes qu'on a entendus hier soir. On n'a pas entendu parler de ce que nous pouvions faire réellement pour bâtir, avec l'Europe en particulier, une réponse à cette mondialisation qui inquiète tant les esprits ; on n'a pas vu ce qu'il voulait faire de la société française. Voilà, je crois qu'il a décrit cette deuxième étape qui sert en réalité à attendre la troisième. »