Texte intégral
Le Journal du dimanche : Quel premier bilan le RPR tire-t-il de la psychothérapie entamée par son président Philippe Séguin.
Nicolas Sarkozy : Nos militants expriment trois souhaits essentiels. Ils veulent plus de débats. Ils veulent que nous assumions davantage que dans le passé nos convictions, notre identité : le mot droite ne leur fait pas peur, leur appétit d’opposition au socialisme s’en trouve redoublé. Ils veulent, enfin, le rassemblement et la réconciliation de tous dans le mouvement. Ils ont bien compris que l’on a besoin de tout le monde. Le conseil national du 13 décembre est une première étape sur le chemin d’une démocratisation sincère et durable.
Le Journal du dimanche : Avez-vous été surpris par la profondeur des rancœurs accumulées ?
Nicolas Sarkozy : Au contraire, j’ai été surpris par leur superficialités. Les progrès de la réconciliation sont spectaculaires, mais il reste beaucoup à faire pour redonner confiance dans notre parole.
Le Journal du dimanche : La reconquête du pouvoir est-elle amorcée ?
Nicolas Sarkozy : Disons que le choc de la défaite a été amorti. Notre attitude dans le débat sur le code de la nationalité et l’immigration le prouve. Nous sommes à nouveau en ordre de marche pour affronter les rendez-vous électoraux, mais il nous faut encore travailler à un projet de gouvernement qui marquera une rupture avec le socialisme.
Le Journal du dimanche : Comment expliquer que Philippe Séguin n’émerge par mieux ?
Nicolas Sarkozy : Les critiques à son endroit sont injustes et non fondées. S’il avait pris la parole de façon tranchée avant la fin des débats, on lui aurait fait reproche inverse. Le temps est essentiel pour juger d’une action politique. Philippe Séguin fait ce qu’il a à faire en tant que président du RPR. C’est efficace même si cela n’est pas aussi spectaculaire que le souhaiteraient les médias.
Le Journal du dimanche : Un solitaire comme lui peut-il se muer en meneur d’hommes ?
Nicolas Sarkozy : Quand je vois sa ténacité et son acharnement à renouveler, rajeunir et féminiser nos candidats aux régionales, je ne me pose même pas la question.
Le Journal du dimanche : Mais vous, vous avez émergé quand même ?
Nicolas Sarkozy : Nos démarches sont complémentaires. Je devais symboliser la réconciliation du mouvement. C’est chose faire. Dans une équipe, il faut savoir répartir les rôles !
Le Journal du dimanche : Quelle ligne politique s’esquisse aujourd’hui ?
Nicolas Sarkozy : Le RPR doit être l’âme et la colonne vertébrale de l’opposition. Il doit incarner l’alternative de droite républicaine. Dans une démocratie, quand la droite n’est pas clairement identifiable, l’extrême droite prospère. C’est ce à quoi, hélas ! on assiste depuis quinze ans en France.
Le Journal du dimanche : Quitte à créer des clivages artificiels ?
Nicolas Sarkozy : Il n’y a rien d’artificiel. Ce gouvernement est caricaturalement socialiste. La France ne peut pas être un laboratoire pour expériences hasardeuses qui l’isolent de ses partenaires européens. Et nous, nous devons promouvoir à nouveau ces valeurs éternelles que sont le mérite, le travail, la liberté, la responsabilité individuelle, la famille. On ne gardera pas la confiance de ses électeurs en faisant une politique pour laquelle on n’a pas été élu.
Le Journal du dimanche : Quelle droite êtes-vous ? Libérale gaulliste ? Travailliste française ?
Nicolas Sarkozy : Je suis engagé dans la vie politique depuis vingt ans, je n’ai connu qu’une seule famille : les gaullistes. Cela signifie que je suis libéral en économie, réformateur en matière sociale et républicain sur les questions de société.
Le Journal du dimanche : On dit qu’il y a des poches de résistance au sein du RPR ?
Nicolas Sarkozy : Résistance à quoi ? Qui peut contester que nous ayons sérieusement besoin de rénovation de notre organisation et de refondation de notre discours politique,
Le Journal du dimanche : Alain Juppé a créé une association, il y a « les amis de Chirac », des clubs, cette prolifération n’est-t-elle pas le signe d’arrière-pensées ?
Nicolas Sarkozy : Chacun apporte sa propre personnalité : Alain Juppé a toute sa place au RPR ; certains de ses proches seront sur la liste d’Edouard Balladur aux régionales. On ne dirige plus un parti comme il y a vingt ans : les exclusions, les comportements autoritaires ont fait trop de mal. Etant moi-même membre des « amis d’Edouard Balladur », j’aurais mauvaise grâce à refuser ce droit à d’autres. L’essentiel est que chacun le fasse pour enrichir le RPR, non pour le diviser.
Le Journal du dimanche : La proximité des régionales ne vous contraint-elle pas à bâcler votre nouveau projet politique ?
Nicolas Sarkozy : Nous dirons aux Français que nous avons compris la leçon des législatives. Que nous sommes la seule alternative crédible à une politique socialiste qui empêche toute forme d’initiative. Mais ces élections ne sont pas pour moi un rendez-vous définitif. Néanmoins, plus vite le RPR sera prêt, mieux ce sera. La cohabitation est plus conflictuelle qu’il n’y paraît, marquée par un vrai sectarisme du gouvernement. Et, à bien des égards, Lionel Jospin a franchi la ligne jaune vis-à-vis du Président : en allant, par exemple, à Luxembourg proposer une politique inverse de celle de tous nos partenaires, en parlant de façon volontairement erronée des « deux têtes de l’exécutif », alors que le Président est élu directement par des millions de Français ! Lionel Jospin ferait bien de ne pas se laisser grises par les sondages. Au rythme de ses projets laxistes sur l’immigration et la nationalité, ils risquent de fondre comme neige au soleil.
Le Journal du dimanche : Quand vous pensez à la prochaine présidentielle, pensez-vous d’abord à la réélection de Chirac ?
Nicolas Sarkozy : La prochaine élection présidentielle est dans cinq ans. Nous avons d’ici là bien d’autres problèmes à résoudre !
Quant à Jacques Chirac, nous devons l’aider à incarner une alternative au socialisme archaïque et vindicatif du gouvernement.
Le Journal du dimanche : Quand le RPR l’a invité mardi soir, a-t-il vraiment parlé de « revanche » ?
Nicolas Sarkozy : Non, il a parlé d’intérêt général, de la France et de l’opposition qui doit affirmer fortement ses valeurs.
Le Journal du dimanche : Y a-t-il pression de la base pour une alliance avec le FN ?
Nicolas Sarkozy : Non, ou très faible. Chacun comprend qu’il n’y a aucun avenir dans un rapprochement avec les dirigeants qui exacerbe les sentiments les plus bas. Au RPR, on ne confond pas outrance et fermeté. Les dernières déclarations de Le Pen en direct de Munich devraient ouvrir les yeux de ceux qui nous ont quitté par déception et qui constatent aujourd’hui que le FN les conduit dans une impasse. Imaginez la catastrophe que représenterait pour l’image de notre pays Le Pen dans un gouvernement ? Ou, pour l’image de nos régions, ses amis dans un exécutif régional ?
Le Journal du dimanche : Jospin vous a mis en garde contre de telles alliances !
Nicolas Sarkozy : J’ai été très choqué qu’il utilise une invitation du Crif pour tenir un discours politicien, personne ne l’avait encore fait. François Mitterrand n’a cessé de jouer avec l’extrême droite. Jospin, qui fut longtemps son numéro deux, est particulièrement mal venu pour donner des leçons. En se préparant à régulariser des dizaines de milliers de clandestins, le gouvernement attise un mauvais feu.
Le Journal du dimanche : Philippe Vasseur a indiqué qu’on pouvait être élu président d’une région avec les voix des conseillers du FN. Edouard Balladur, quelques jours plus tôt, avait dit le contraire.
Nicolas Sarkozy : Édouard Balladur a indiqué à juste titre qu’il ne serait candidat à la présidence de la région Ile-de-France que si les listes RPR-UDF obtenaient la majorité absolue ou relative. Il annonce clairement qu’il ne se prêtera à aucune manœuvre ou discussion de couloir. Cette attitude courageuse place chaque électeur face à ses responsabilités : voter FN favorisera donc l’alliance PS-PC-Vert.