Texte intégral
Assemblée nationale - 14 octobre 1997
Réponse du ministre de la défense à une question orale de M. Christian Bataille, député du Nord.
Thomson-CSF
Q. – S’agissant de Thomson-CSF, tout le monde se souvient des atermoiements et des cafouillages du gouvernement de droite qui, après avoir déclaré que Thomson ne valait rien, ou plutôt pour être juste, valait un franc, s’était ensuite enlisé pendant plus de dix-huit mois dans un invraisemblable projet de privatisation de gré à gré, paralysant ainsi une grande entreprise. Votre Gouvernement a fait le choix d’une décision rapide et retenu le groupe français Alcatel pour être le partenaire stratégique de Thomson-CSF.
Avec le consortium Alcatel-Dassault-Aérospatiale, c’est la formule d’une ouverture contrôlée du capital qui est choisie. Elle met fin à une longue période d’incertitude, les organisations syndicales me le confiaient encore la semaine dernière. Néanmoins, des questions restent encore sans réponses précises. Quelle sera la part exacte de l’État dans le futur actionnariat ? Quelle sera la stratégie industrielle du nouveau pôle ainsi constitué ? Enfin, comment ce nouvel ensemble servira-t-il avant tout, comme c’est son rôle, l’intérêt national ?
R. – En effet, après quatre mois de travail, sans tapage, le Gouvernement a pris sa décision : il a défini une solution ferme et stable pour l’avenir de Thomson-CSF. Puisque vous avez rencontré beaucoup de représentants de cette entreprise, puis-je vous demander de leur témoigner l’estime que porte le Gouvernement à ses dirigeants et à l’ensemble de ses salariés ? Ils ont fait mieux que de tenir le coup pendant une période de longue incertitude durant laquelle ils ont, malgré tout, réussi à obtenir des succès industriels et commerciaux.
Groupe Alcatel-Thomson-Dassault Électronique
Le nouveau Thomson représente aujourd’hui une capacité industrielle accrue de près de moitié. Il est, dans l’absolu, le premier groupe européen en matière d’électronique de défense et dans de très nombreux segments de l’électronique spécialisée. Pourtant – et c’est un autre choix fondamental qui a guidé le Gouvernement – le nouveau Thomson-CSF sera dual, c’est-à-dire qu’il développera en parallèle des technologies à application civile et des technologies à application militaire, car cela nous paraît être la voie de l’avenir pour un groupe de ce type. Et c’est aussi l’intérêt de l’État, pour ses commandes, de pouvoir profiter des gains l’efficacité et de coûts des technologies civiles qui continuent à se développer.
L’un des grands arguments en faveur du choix opéré est que cette alliance permettra de regrouper, entre le groupe Alcatel et le groupe Thomson ainsi restructuré, près de 25 milliards annuels d’investissement en recherche et développement. J’ajoute que l’apport de Dassault Électronique, qui est également une superbe entreprise en matière de recherche, fait dès maintenant du pôle ainsi constitué un élément européen de première grandeur.
La Tribune - 14 octobre 1997
Q. – Quelle est la logique de cette restructuration de l’électronique de défense française autour de Thomson-CSF ?
R. – L’objectif que nous nous étions fixé était de rassembler, autant que possible, les forces françaises dans un domaine d’avenir où les acteurs industriels restaient divisés. Le choix qui est fait regroupe un potentiel de près de 25 milliards de francs annuels de recherche et développement et permet de valoriser les synergies considérables entre les technologies civiles et militaires. Il consacre l’alliance entre la grande entreprise française d’électronique professionnelle et de défense et un groupe industriel d’envergure mondiale. Il rassemble les compétences existant en France en matière de satellites, de radars, d’autodirecteurs de missiles, de guerre électronique, de télécommunications militaires et de systèmes d’information et de commandement. Cette opération, donnant naissance à un groupe Thomson renforcé dans ses capacités industrielles, financières et technologiques, constitue une nouvelle étape qui n’est pas la dernière.
Ce nouveau groupe pourra, dans les années qui viennent, conclure des accords complémentaires avec d’autres partenaires français et européens. Compte tenu des forces de Thomson-CSF et des apports d’Alcatel, il est en bonne position pour conclure ces alliances.
Q. – À qui pensez-vous et quel sera l’avenir de Matra ?
R. – Je pense aux deux autres grands européens de l’électronique de défense, GEC et Dasa. C’est aux nouveaux dirigeants de Thomson qu’il appartiendra de rechercher des accords dans ce sens, dont il ne faut pas préjuger la forme. L’un des motifs des efforts du gouvernement pour parvenir à une décision rapide a été inspiré par le constat que les nouvelles fusions américaines – qui sont intervenues presque en même temps que l’arrivée du nouveau gouvernement français – relevaient encore la taille nécessaire pour être un acteur mondial dans ces métiers.
Quant à l’avenir de Matra, c’est à ce groupe de le définir. Il s’agit d’une entreprise privée, dont les choix relèvent de la direction et des actionnaires, mais les contacts que nous avons développés avec Matra pour discuter d’un projet industriel commun avec Thomson-CSF me font penser que le dialogue ne sera pas rompu.
Quels seront le nouvel actionnariat et le management de Thomson-CSF ?
R. – Les pouvoirs publics ont fixé les orientations de politique industrielle : il revient désormais aux entreprises de mettre en forme rapidement des accords industriels sur ces bases. La part exacte des industriels au capital sera déterminée par la valeur de leurs apports, sous le contrôle de la Commission de privatisation qui veillera à la loyauté de cette évaluation. Alcatel et Dassault Industrie seront les premiers actionnaires privés du nouveau groupe.
Quant au secteur public, constitué de la part de l’État et de celle d’Aérospatiale correspondant à l’apport de son activité de satellites, il sera le premier actionnaire avec, selon nos évaluations, une part supérieure à 35 %. Ce schéma est en pleine cohérence avec les principes fixés par le gouvernement en juillet. L’opération ne donnera donc pas lieu à une offre publique d’achat (OPA), puisque le premier actionnaire reste le même.
Le secteur public devra pouvoir désigner le président de l’entreprise, en accord avec les industriels privés. Cette opération se distingue très clairement d’une privatisation, puisque l’État ne cède pas d’actions CSF et que le contrôle du groupe n’est pas confié à tel ou tel opérateur privé : au contraire, Thomson-CSF sera renforcé par des apports industriels. Le flottant boursier va rester important, sans doute de l’ordre de 30 %.
Defense News - 20 octobre 1997
Q. – Les Européens seront-ils capables de jouer un rôle dans la restructuration de Thomson-CSF ?
R. – La restructuration de l’industrie électronique de défense européenne est moins avancée que celle des autres secteurs, comme le secteur aérospatial ; il s’agit donc d’une tâche qui doit être continuée. À présent renforcé [par Alcatel-Alsthom S.A.], Thomson-CSF possède des actifs et des activités dans de nombreux autres pays européens, et le but de ses actionnaires est d’engager des discussions étendues avec ses principaux partenaires afin de déterminer comment des accords de partenariat et des alliances peuvent être conclus à moyen terme.
Q. – Vous avez informé certain de vos homologues européens avant que le gouvernement n’annonce sa décision à propos de Thomson-CSF. Quelle a été leur réaction ?
R. – Ils ont souhaité que nous allions encore plus loin dans notre coopération. J’ai confirmé le fait qu’il s’agissait là de l’option exacte adoptée par le Gouvernement afin de résoudre ce problème au plus vite. Ils se sont rendus compte du progrès que tout cela représentait par rapport au passé.
Q. – Qu’avez-vous l’intention de faire pour ce qui touche à la fusion d’Aérospatiale (Paris) et de Dassault Aviation (Vaucresson) ?
R. – Encourager la nouvelle compagnie afin qu’elle puisse consolider ses alliances européennes, et en conclure de nouvelles, puisqu’en matière d’électronique de défense, il y a de la place pour deux ou trois acteurs en Europe. En revanche, en matière d’industrie aérospatiale, il ne peut y en avoir qu’un seul ; sur ce point, il y a accord total.
Q. – Quand annoncerez-vous vos projets pour le secteur aérospatial ?
R. – Ils seront annoncés vers la fin de cette année. La véritable question est de savoir comment l’industrie aérospatiale européenne se transformera en une seule entité. Il est évident que ce dossier exigera un processus progressif, dont les phases successives exigeront chacune à leur tour de la coordination et un calendrier détaillé. L’Aérospatiale et Dassault devraient faire partie de cette entité aérospatiale européenne, mais je ne suis pas sûr qu’il se révèle plus efficace de procéder à la fusion de ces deux compagnies dans leur forme actuelle.
Q. – Les gouvernements européens appellent régulièrement à la restructuration de l’industrie de défense, mais rien ne se passe. Comment vous l’expliquez-vous ?
R. – Il y a des conflits d’intérêt et des incertitudes concernant les priorités propres à cette industrie en matière d’alliances négociées dans le passé. Je m’étonne que certaines compagnies aient dans leur jeu deux ou trois accords différents, chacun mutuellement exclusif. Il leur revient de choisir le bon.
Q. – Que devraient faire les gouvernements afin de faciliter les choix de cette industrie ?
R. – Nous atteignons les limites de l’autorité du Gouvernement. Si nous disions que nous allions acheter toutes nos armes aux États-Unis jusqu’à ce que les industries européennes aient mis de l’ordre dans leurs affaires, personne ne nous croirait. Nous nous trouvons dans un système où nous sommes tous interdépendants, et où nous pouvons seulement encourager les acteurs à aller de l’avant.
Q. – Le Premier ministre français a appelé de ses vœux une préférence européenne en matière d’acquisition de matériel de défense. Que pensent vos partenaires européens de cette proposition ?
R. – Le Premier ministre voulait adresser un message politique, et non pas appeler à un respect obligatoire de règles. Cette idée est acceptée par des pays qui possèdent une riche industrie de défense et saisissent les risques encourus par l’Europe du fait de son continuel éclatement. La véritable difficulté est de convaincre des pays acheteurs dépourvus d’industries de défense de poids et pour lesquels le rapport qualité-prix est le principal ou le seul critère qui compte au moment d’acheter des armes.
Q. – Est-il une chose que les gouvernements puissent faire pour accélérer le processus ?
R. – Je ne le pense pas. Il ne peut y avoir de politiques rigides qui soient acceptables aux yeux des gouvernements européens. Mais les gouvernements peuvent les encourager à aller dans la bonne direction ; c’est pourquoi donner à l’OCCAR (Organisation conjointe de coopération pour l’armement), la toute jeune délégation à l’armement des quatre nations, un pouvoir légal dans la question de l’attribution de contrats est un événement très important. J’ai la conviction que si l’OCCAR peut être à la hauteur de ses capacités en termes de contrats et de politique de programmation, nous pourrons rassembler les gouvernements autour d’un objectif pro-européen partagé par tous.
Q. – Comment comptez-vous y parvenir ?
R. – Beaucoup de pays pourvus d’une industrie de défense moins développée disposent, par ailleurs, d’une forte sidérurgie, d’une ingénierie et d’une électronique qui peuvent être des fournisseurs compétitifs de sous-systèmes et de composants. Si un certain nombre de pays se rendaient compte de la quantité de contrats qu’ils pourraient conclure grâce à une politique européenne coordonnée en maître d’équipement et de production, leur avis concernant la coopération en matière de défense serait bien différent.
Q. – Beaucoup de gouvernements européens ne partagent pas vos espoirs au sujet de l’OCCAR ni au sujet des bénéfices que l’on peut retirer en achetant européen.
R. – Depuis un demi-siècle, on retrouve le même état d’esprit en ce qui concerne la construction européenne. Nous essayons de convaincre nos partenaires européens de l’inefficacité aujourd’hui de notre coopération en matière d’armement, en termes de coût, et aussi du fait que chaque année que nous gâchons en montant une architecture plus cohérente autour de l’OCCAR ajoute à la dispersion de nos efforts financiers.
Q. – Que dites-vous aux industriels français qui affirment que votre projet et de budget d’équipement pour 1998 ne leur donne pas assez de travail, leurs critiques portant particulièrement sur les coupes dans les dépenses de recherche ?
R. – L’industrie peut encore améliorer son efficacité en termes de coût et c’est aussi vrai pour la recherche. Il est révélateur que les industriels qui critiquent le gouvernement pour la lenteur de sa réponse au nouveau contexte sont les premiers à se plaindre quand nous leur demandons d’être plus efficaces en termes de coût. Il n’y a pas de formule magique du point de vue des dépenses de défense. La tendance à baisser les coûts et à obtenir un meilleur rapport qualité-prix n’est pas prête de s’arrêter. Je ne connais pas de secteur économique où les gains en matière de productivité aient arrêté leur progression. En outre, des économies sont possibles en évitant le double-emploi.
Q. – Y-a-t-il une place en matière de défense pour des industries du secteur privé et pour des investisseurs privés ?
R. – Toutes mes lectures concernant les marchés financiers montrent qu’il existe de bonnes opportunités dans des secteurs industriels en proie à la récession, pour les dirigeants qui réagissent avec justesse à la récession et qui expliquent leur stratégie à leurs actionnaires. Lorsque je regarde les plus grands contractants européens en matière de défense, qui traversent une période de dépression dans les dépenses en matériel de défense, je vois beaucoup de profits records.
Q. – L’industrie exige actuellement des fonds pour des investissements dans de nouveaux programmes tels que l’Avion de Transport du Futur (ATF). Où pourront-ils le trouver ?
R. – Si de grandes compagnies dirigées par des cadres expérimentés et assistés par une équipe de brillants ingénieurs reste dans le secteur défense, la raison en est probablement qu’ils devinent le potentiel représenté par les retombées à long terme de leurs investissements. Je suis convaincu que l’ATF peut trouver son seuil de rentabilité à la seule condition qu’il génère des retombées technologiques conséquentes en matière d’aviation civile. Ceux qui persistent à penser que nous allons investir d’importantes sommes dans I’ATF sans bénéfices induits dans le secteur du transport aérien n’ont pas tout à fait saisi l’enjeu.