Texte intégral
Lutte ouvrière - 7 novembre 1997
Vive la grève des routiers, à bas l’exploitation patronale !
Les chauffeurs routiers ont dû de nouveau se mettre en grève, en grande partie parce que l’accord qui avait mis fin à leur grève de l’année dernière n’a pour ainsi dire pas été appliqué par la plupart des patrons.
Ils font un travail dur, dangereux, la majeure partie du temps hors de chez eux, avec des horaires invraisemblables pour des salaires guère supérieurs au SMIC. Et ce qu’on ose leur offrir c’est un salaire de 10 000 F bruts par mois pour 200 heures de travail, seulement pour les plus compétents d’entre eux et à partir… du mois de juillet de l’an 2000 ! On est loin des 35 heures…
Et 10 000 F bruts, c’est 8 000 F net pour 200 heures, ce qui correspond à 6 800 F net pour 39 heures par semaine. Les autres, « moins compétents » auraient dû se contenter de 5 % d’augmentation par an comme rattrapage sur des salaires avoisinant 6 500 F à l’embauche.
Leurs employeurs obligent les routiers à passer de longues heures au volant, en roulant le plus vite possible, ajoutées aux heures d’attente qu’ils font passer pour des heures de repos. Ces patrons font courir des risques à leurs chauffeurs et à tous les autres usagers… ou piétons.
Lorsque la justice s’en mêle, elle condamne les chauffeurs, et maintenant quelquefois leur employeur. Mais ce sont les donneurs d’ordre, les clients, qu’il faudrait condamner aussi car ce sont eux, les grandes entreprises, les supermarchés, qui imposent la concurrence effrénée entre entreprises de transport.
Et puis, quel est l’intérêt social de ce type de transport, en croissance continue, qui embouteille les routes et les autoroutes et qui pollue les villes ? Les patrons se plaignent de ne pas pouvoir joindre les deux bouts, mais ils trouvent les moyens d’acheter toujours plus de camions et toujours plus gros. Car ce n’est pas le coût du travail, contrairement à ce que dit le patronat, qui augmente les prix de revient, ce sont ses profits !
La grève des routiers est parfaitement justifiée et les routiers ont bien raison de ne pas s’en remettre aux promesses du gouvernement. Jospin a déclaré qu’il ferait respecter un accord, s’il en intervient un entre les syndicats et les fédérations patronales. Mais il a commencé par décider un allègement de 800 F par camion de la taxe professionnelle pour les patrons du secteur. Aux travailleurs il offre des paroles, mais aux patrons il donne du concret.
Alors oui, la grève des routiers est justifiée, et par leurs revendications, et aussi en fonction de l’intérêt public.
Bien sûr, leurs barrages peuvent empêcher d’autres entreprises de fonctionner. Non seulement des entreprises de transport dont les travailleurs ne sont pas en grève, mais aussi des entreprises ou des commerces qui dépendent des transports routiers. Du coup, certains adversaires, ou des travailleurs inconséquents, leur reprochent de ne pas s’attaquer uniquement à leurs employeurs.
Depuis quelques années, à chaque fois qu’une grève éclate dans un secteur important, on nous dit que « les grévistes prennent les usagers en otage ». On le dit pour les services publics, on le dit aussi, on le voit, pour les travailleurs des entreprises privées.
Mais les patrons ne prennent-ils pas l’ensemble du monde du travail en otage ? Devant la moindre revendication, alors que les profits ne cessent d’augmenter, ne font-ils pas de chantage à l’emploi, à la fermeture et aux licenciements ? Sans parler de ceux qui ont recours à des gros bras cagoulés pour s’attaquer à des routiers en grève, comme cela s’est produit à Vitrolles.
Dans un conflit du travail, sur des revendications qui sont celles, finalement, de tous les travailleurs, il ne faut pas s’en prendre qu’à son patron, sinon c’est rester isolé et c’est cela qui divise vraiment les travailleurs. Il faut au contraire diviser les patrons. Il faut ne pas s’en prendre qu’au sien. Il faut toucher l’ensemble du patronat au portefeuille !
Oui, il y a une responsabilité collective du patronat et c’est en gênant l’ensemble des patrons qu’on a le plus de chances de gagner un conflit du travail. Lorsque les cheminots font grève, cela gêne tout le monde. Et pourtant ils ont raison de faire grève. Si les routiers ont gain de cause, ce sera une victoire contre le front patronal.
Certains ont dit lorsque les cheminots étaient en grève : ils sont salariés de la fonction publique, s’ils étaient dans le privé, ils verraient ! Eh bien, les routiers travaillent dans le privé et ils ont raison de ne pas vouloir vivre plus mal que les autres.
Alors, tous les travailleurs doivent être solidaire de leur lutte et ne pas se laisser diviser. Ceux qui nous répètent que les routiers nuiraient à l’économie ou qu’ils empêcheraient à l’économie ou qu’ils empêcheraient les autres de travailler, ne font rien d’autre que prendre la défense du patronat.
Lutte ouvrière - 14 novembre 1997
Se souvenir, oui, mais des crimes du capitalisme.
Neuf millions de morts, voilà le bilan de la Première Guerre mondiale commémorée le 11 novembre. Sans parler des blessés, des gazés, des destructions.
Les dirigeants disaient à l’époque aux ouvriers, aux paysans, aux gens du peuple envoyés dans le sang et la boue des tranchées, à Verdun ou ailleurs, qu’ils allaient défendre la patrie. En réalité, ils allaient mourir pour les grands groupes capitalistes, les uns pour ceux de la France ou d’Angleterre, les autres pour ceux d’Allemagne qui se disputaient leurs zones d’influence respectives et le droit de piller les peuples des colonies.
Cette guerre devait être la « der des der », la dernière des dernières.
Elle aurait pu l’être, en effet. Car la guerre n’était pas encore finie que le pouvoir de la bourgeoisie, responsable de la guerre, le pouvoir des maréchaux genre Pétain et des généraux, étaient contestés par des mutineries, par des grèves, par des insurrections. En Russie, la révolte s’est transformée en révolution. Un peu partout dans cet immense pays les ouvriers les soldats, les paysans, élisent dans les usines dans les casernes, dans les villages, des conseils – soviets en russe – qui les représentaient vraiment. Et le 7 novembre 1917, une insurrection écarta le gouvernement bourgeois en place, pour donner le pouvoir aux soviets.
Le nouveau pouvoir proclama sa volonté d’arrêter immédiatement la guerre et se mit à transformer la société en expropriant les grands propriétaires terriens et les capitalistes. Et il fit appel aux travailleurs des deux camps belligérants, sous uniforme ou non, pour qu’ils fraternisent et joignent leurs efforts pour mettre fin à la domination capitaliste.
Cela n’était pas un vœu pieux. Dans les mois qui suivirent, la moitié de l’Europe s’embrasait. La Finlande, la Hongrie et surtout l’Allemagne où les masses insurgées obligèrent l’empereur à abdiquer. Cette fois, ce n’était pas un pays arriéré, mais le pas le plus développé d’Europe qui se couvrait de conseils ouvriers.
Le renversement du capitalisme n’avait jamais paru aussi proche. La possibilité qu’une partie de l’Europe soit gouvernée par les travailleurs était ouverte.
C’est tout l’avenir proche de l’humanité qui se jouait en Allemagne qui, avec son industrie puissante, son prolétariat nombreux, organisé, cultivé aurait pu apporter tout ce qui manquait à la révolution dans ce pays pauvre qu’était la Russie. Mais la classe ouvrière allemande a été vaincue. Et vaincue surtout parce que la bourgeoisie allemande a trouvé, dans la direction même du mouvement ouvrier, dans la social-démocratie, un allié décisif et d’autant plus efficace contre les travailleurs, qu’elle avait leur confiance.
Le capitalisme a survécu. Les bourgeoisies anglaise et française ont consacré leur victoire sur leur rivale allemande par le traité de Versailles qui morcela l’Europe, établit des dictatures un peu partout en Europe de l’Est, puis le fascisme en Italie et consolida l’oppression dans les colonies d’Afrique ou d’Asie.
Et onze ans après la Première Guerre mondiale, ce fut le krach à la Bourse de New York, suivi de l’effondrement de l’économie américaine ; les usines fermées les unes après les autres ; les millions d’ouvriers jetés à la rue, la paysannerie ruinée ; la soupe populaire.
Puis, la crise s’est étendue partout dans le monde capitaliste, dont l’Europe. L’économie allemande s’est effondrée à son tour. Des millions de travailleurs se sont retrouvés brutalement au chômage, en même temps que des centaines de milliers de boutiquiers, d’artisans étaient ruinés. Les bases objectives du nazisme étaient là.
Lorsqu’en 1933, la bourgeoisie allemande confia le pouvoir à Hitler, c’était pour briser la classe ouvrière, mais aussi pour pouvoir la mobiliser dans une nouvelle guerre pour repartager le monde qui, cette fois, allait faire cent millions de morts.
Alors, si les travailleurs ont à se souvenir de quelque chose en ce 11 novembre, c’est des crimes du capitalisme et de la nécessité d’y mettre fin.
Lutte ouvrière - 28 novembre 1997
Congrès de Brest
Jospin est content de lui, les travailleurs n’ont pas de raison de l’être.
La presse, la radio, la télévision, ont fait grand cas du congrès du Parti socialiste qui s’est tenu à Brest les 22 et 23 novembre. Il paraît que les principaux responsables de ce parti étaient très contents d’eux. Très contents d’être arrivés au pouvoir, sûrement les premiers surpris, grâce à une maladresse de Chirac.
De plus ils seraient très contents de ce qu’ils ont fait au gouvernement en six mois : les 35 heures pour l’an 2000 et 350 000 emplois-jeunes qui, loin s’en faut, ne sont pas encore tous créés. Ils se flattent d’avoir bien terminé la grève des routiers, bien que nombre de routiers ne soient pas du tout ce cet avis.
Ils seraient contents aussi d’avoir, selon les sondages, plus d’opinions favorables que d’opinions défavorables : avant eux, Alain Juppé s’était déconsidéré en cinq mois de pouvoir et ils s’estiment heureux de ne pas l’être en six mois.
Mais est-ce que ce gouvernement va changer l’avenir, même lointain, des travailleurs, sans parler de leur situation d’aujourd’hui ?
Combien de jeunes vont rester sur le sable, même si les 350 000 emplois des collectivités publiques sont créés ? Et qu’est devenu le projet d’en créer 350 000 autres dans le privé ? Et que changeront ces emplois, si même ils sont créés, par rapport aux sept millions de travailleurs qui sont au chômage, ou réduits aux petits boulots ou travaillant à temps partiel avec un SMIC partiel ?
Les congressistes de Brest peuvent se frotter les mains, tout va bien pour eux. Mais pour l’ensemble du monde du travail, est-ce que le gouvernement offre réellement un espoir de changement ?
Que va faire le gouvernement pour les licenciés de Kodak ? Va-t-il faire plus contre l’offensive du patronat qui augmente chaque jour l’exploitation du travail ? Qu’a-t-il en projet contre les modifications d’horaire sur les chaînes de plusieurs usines automobiles, qui reviennent de fait à supprimer la pause repas pour les travailleurs en équipes ? Que va-t-il faire contre l’intensification générale du travail ?
Là-dessus, la presse est silencieuse car cela se passe dans un monde que la plupart des journalistes ignorent ou veulent ignorer. Les 35 heures ? Malgré ses protestations, le patronat n’en a cure. Ce n’est pas pour tout de suite et, d’ici-là, si elles sont appliquées un jour, il aura toujours profité de la pression du chômage pour aggraver les conditions de travail.
Contre tout cela, le gouvernement ne fait rien. Il sait seulement se faire de la publicité.
Pourtant il faut que, dans les années qui viennent, le chômage soit résorbé de façon considérable. Si des millions de travailleurs restent au bord du chemin, on n’en a pas fini avec la misère, la grande et la petite délinquance et avec le taux « problème des banlieues » qui est le problème de tout le pays.
Si cette situation continue, situation sur laquelle les congressistes de Brest et ceux qui les applaudissent, ferment béatement les yeux, l’influence de Le Pen risque fort de progresser. Cela sera peut-être le seul résultat tangible de la gestion socialiste.
Le problème le plus grave, c’est que les illusions créées par ce gouvernement de « la gauche plurielle » comme dit l’Humanité, lie les mains des travailleurs. Face à l’offensive du patronat, le monde du travail risque d’être divisé entre ceux qui comptent sur le gouvernement et ceux qui savent qu’on ne peut combattre le patronat qu’avec les armes du mouvement ouvrier, les luttes et les grèves. Et plus de temps passe sans réaction de la part des travailleurs, plus l’arrogance et le cynisme du patronat se renforcent.
Le précédent congrès du PS d’il y a trois ans s’était clos au chant de L’Internationale. Celui de Brest s’est terminé par L’Hymne à la joie de Beethoven. Même s’il n’y a plus beaucoup de travailleurs qui sachent chanter L’Internationale, combien d’entre eux ont le cœur, aujourd’hui de chanter un hymne à la joie ?