Interview de M. Patrick Devedjian, porte-parole du RPR, à RTL le 21 septembre 1999, sur sa candidature à la présidence du RPR, la modernisation de la droite et les manifestations après l'annonce d'un plan social chez Michelin.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

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Q - Il y a une semaine, à ce micro, vous n'étiez pas disposé à vous déclarer candidat à la présidence du RPR et puis vous voilà candidat une semaine plus tard. Que s'est-il passé ?

– « Mes idées n'étaient pas représentées dans le débat, c'est déjà une raison suffisante. »

Q - Il y a une semaine, c'était le cas également, alors pourquoi avoir changé d'avis ?

– « J'ai changé d'avis, parce que d'abord le RPR me paraît en danger de mort aujourd'hui. Il joue sa vie. S'il ne crée pas, à l'occasion de cette élection présidentielle – qui est une espèce de renaissance démocratique – s'il ne trouve pas une dynamique, eh bien il mourra. Et j'ai le sentiment, à tort ou à raison, que jusqu'à maintenant, personne n'est très conscient de cela – on parle de consensus –, or le RPR trouvera sa dynamique dans l'opposition au Gouvernement. Jamais cette opposition n'a été aussi nécessaire, parce qu'aujourd'hui on est gouverné par des anesthésistes : « Tout va bien ! » Jamais il n'a été aussi nécessaire de s'opposer au socialisme. Et si le RPR meurt, eh bien les socialistes on va les garder au moins dix ans. »

Q - Vous vous lancez dans la course, alors que précisément, P. Séguin, N. Sarkozy ont buté sur cette question : « Comment s'opposer aux socialistes tout en aidant un président de la République qui, lui, cohabite allègrement ?

– « Je pense que la logique du RPR n'est pas la même que celle du président. Le président a l'obligation républicaine de permettre aux socialistes de gouverner : c'est le choix des Français et c'est son devoir de président. Et nous, nous sommes un parti d'opposition, nous avons un devoir d'opposition, ce n'est pas le même devoir. »

Q - Il y a un candidat qui bénéficie des faveurs de bon nombre de conseillers de J. Chirac, c'est J.-P. Delevoye. En luttant contre lui, vous n'allez pas apparaître comme étant une sorte de candidat anti-Chirac ?

– « Non, je ne crois pas qu'il y ait de candidat anti-Chirac, parce que J. Chirac est évidemment le candidat naturel du RPR, il est issu de ses rangs, il en a été le fondateur et, en plus, il est la personnalité de Droite qui s'impose de très loin pour la prochaine élection présidentielle… »

Q - Mais pourquoi ne pas citer celui qu'il préfère : il préfère J.-P. Delevoye !

– « Je n'en suis pas sûr. Peut-être que J.-P. Delevoye a fait sa campagne sur ce thème, de toute façon ce n'est pas la question, nous, nous avons failli mourir de la candidature unique. Nous sortons de 40 ans de candidat unique et le candidat officiel, vous savez, c'est d'une certaine manière un succédané du candidat unique. Et si vous avez, aujourd'hui, un certain nombre de candidatures – pas énormément d'ailleurs, contrairement à ce qu'on dit, parce que six candidats… »

Q - Cela fait rire certains : six candidats pour un parti politique, pourquoi pas douze ! Balladur, hier soir, disait : « Au train où vont les choses, douze bientôt ! »

– « Mais il n'y a pas une seule élection en France où il n'y ait pas au moins six candidats, d'habitude il y en a davantage. Donc nous, notre risque c'est plutôt qu'il n'y en ait pas assez. Parce que, jusqu'à maintenant, on n'a eu que des candidats uniques, mais on a failli mourir de cela. Et si vous avez cette pluralité de candidats, c'est sans doute une manière de réagir contre l'idée d'un candidat officiel. C'est une forme de réaction. »

Q - Mais vous ne sortirez pas plus divisés encore que vous ne l'étiez auparavant ?

– « Cela va être l'occasion, au contraire, d'avoir un vrai débat intérieur, que chacun puisse montrer sa ligne, ce pourquoi il se bat. Par exemple F. Fillon et moi, nous avons des différences sur la question européenne, sur la mondialisation, sur le rôle de l'État. Eh bien cela va être l'occasion de débattre et cela va être, pour nos adhérents, l'occasion de trancher ces oppositions. »

Q - Vous parlez beaucoup plus des idées de F. Fillon que de celles des autres, cela veut dire que les autres candidats sont des candidats un peu d'apparence ?

– « Pas du tout, mais je trouve que les idées de F. Fillon sont, d'une certaine manière, celles que je défends aussi et elles sont clairement marquées. L'un est pessimiste sur l'évolution du monde et c'est pour cela qu'il confère un rôle très important à l'État, l'autre – c'est mon cas – est plus optimiste sur l'évolution de la situation. »

Q - Alors vous avez dit hier : « Je voudrais une Droite moderne. » Qu'est-ce que c'est qu'une Droite moderne ?

– « C'est une Droite qui accepte la France et les Français. Premièrement, c'est une Droite qui croit à la construction européenne et qui comprend que c'est un bien pour la France, parce qu'aujourd'hui la France serait un tout petit pays s'il n'avait pas l'instrument européen pour faire valoir ses droits. Deuxièmement, c'est une Droite qui n'a pas peur de la mondialisation : avec la mondialisation, il faut voir par exemple que la France exporte 25 % de sa production et que nous vivons de la mondialisation. C'est une chance pour nous. Troisièmement, c'est une Droite qui est bien consciente que les valeurs qu'elle défend sont plus des valeurs fondées sur l'individu que sur la domination du collectif. »

Q - Vous avez dit aussi : « Je voudrais une Droite généreuse. » Vous passez pour être un libéral, comme N. Sarkozy. Or le mot « libéral » n'est pas du tout connoté généreux dans l'esprit des Français.

– « À mon avis, c'est une mauvaise conception du mot libéral, d'abord parce que mot libéral va certainement avec le mot social. Si je prends par exemple ce qui se passe chez Michelin… »

Q - Ah oui, alors ils ont raison de manifester aujourd'hui Michelin ?

– « Eh bien je comprends bien qu'ils manifestent parce que… »

Q - Attendez, vous comprenez, ou vous les appuyez ?

– « Je vais m'expliquer. Je comprends qu'ils manifestent. D'abord je trouve normal que Michelin soit appelé à supprimer des emplois, parce qu'il y a des évolutions technologiques, il y a les changements de métiers et si Michelin ne s'adapte pas à l'évolution des technologies, ce n'est pas 7.500 emplois qui seront supprimés, c'est peut-être 100.000 ou davantage. Il y a une compétition internationale, il faut être à la hauteur. Mais, en même temps, la brutalité de la mesure nous paraît une mauvaise gestion d'une entreprise, parce que les évolutions technologiques, elles se prévoient et les mutations de personnel, les changements de métiers, cela doit être lissé sur le temps. Mais ce qui me choque – et qui n'est pas du tout libéral – c'est quand l'État finance les préretraites alors que, dans le même temps, l'entreprise distribue des dividendes aux actionnaires. Cela veut dire quoi ? Cela veut dire qu'en pratique, le contribuable finance les dividendes distribués aux actionnaires, ça ce n'est pas du tout libéral et ce n'est pas non plus social. »

Q - Donc l'État n'a pas à financer les préretraites dans ce cas-là ?

– « Je veux dire que quand une entreprise distribue des bénéfices, il me semble que c'est d'abord les actionnaires qui doivent financer les préretraites, qui sont les conséquences d'une certaine imprévision des évolutions technologiques de la part des entrepreneurs. »

Q - Et vous trouvez bien qu'il y ait des manifestations ?

– « Cela ne choque pas du tout. Ceux dont les emplois sont supprimés ne peuvent pas être contents de la situation, il est donc normal qu'ils expriment leur mécontentement. »

Q - Vous voulez la réconciliation au sein du RPR, pourtant vous dites à C. Pasqua : « Mais qu'il reste là où il est, il est très bien là, qu'il ne revienne pas chez nous ! »

– « La question n'est pas là. Charles Pasqua est beaucoup plus utile à l'extérieur qu'à l'intérieur. À l'extérieur, il recycle des voix qui se sont évadées de la Droite, des voix qui se sont parfois fixées sur les extrêmes, sur le Front national. Et il crée un pôle républicain, parce que C. Pasqua est tout à fait républicain et il leur permet d'être recyclé dans le débat démocratique. C'est une chance, parce que si vous vous souvenez des dernières élections législatives, nous avons eu des triangulaires dévastatrices : 51 triangulaires gagnées par le Parti socialiste, grâce au maintien du Front national. Eh bien avec C. Pasqua, nous n'aurons plus ces triangulaires. »

Q - Si vous êtes président du RPR vous parviendrez à laver plus blanc à Paris ?

– « Ce qui lave plus blanc, d'une manière générale, c'est la démocratie et, pour Paris, la solution est aussi très simple, pourvu que l'on ait le courage politique. Il faut et il suffit de demander aux adhérents du RPR de Paris de choisir le candidat du RPR à la mairie de Paris, je doute que nos adhérents soient suicidaires. »

Q - Donc, pas Tiberi ?

– « Ils choisiront ! »