Interviews de Mme Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT, dans "Le Progrès" le 21 novembre 1997 et "Paris-Match" le 27, sur les propos "sexistes" tenus par Marc Blondel, secrétaire général de FO, et la personnalité de Mme Notat, la préparation des élections prud'homales et l'attitude du patronat vis-à-vis de la réduction du temps de travail.

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Média : La Tribune Le Progrès - Le Progrès - Paris Match

Texte intégral

LE PROGRÈS - vendredi 21 novembre 1997

Le Progrès : Pourquoi cette visite au Cern ?

Nicole Notat : Quand je pars à la rencontre de militants, en province, comme cette fois-ci dans l’Ain, dans le cadre des élections prud’homales, j’essaie de visiter une entreprise. Cette fois, c’est le Cern, ce qui me donne l’occasion de découvrir une réalité que je connais mal. De plus, ne serait-ce qu’en raison d’une nouvelle politique du Centre vis-à-vis des entreprises sous-traitantes qui risque de fragiliser la situation de salariés, il y a certain un nombre de problèmes qui se posent.

Le Progrès : Le fait que des entreprises françaises pourraient faire les frais d’un classement de la France dans les pays favorisés au profit de pays au contraire en situation dite défavorisée, vous inquiète-t-il ?

Nicole Notat : C’est tout le problème de la mondialisation. Tout ce qui concourt à l’émergence économique, au progrès social et à l’amélioration du niveau de vie de ces pays en situation de sous-développement est plutôt une bonne nouvelle. Mais cela crée des complications par rapport à des entreprises, des secteurs d’activités, qui occupaient le champ de la planète à eux seuls. Ces pays arrivent sur la scène internationale et, d’une certaine manière, entrent en concurrence. Notre souci d’organisation syndicale c’est de faire en sorte qu’il y ait de la place pour tout le monde, en évitant que cette concurrence, qui doit être acceptable et juste pour tous, ne bouscule les acquis de nos salariés.

Le Progrès : Le 10 décembre, auront lieu les élections prud’homales. Comment les abordez-vous à la CFDT ?

Nicole Notat : Avec une certaine sérénité. Nous avons beaucoup progressé depuis celles de 92, ce qui nous laisse espérer un bon report en voix prud’homales. Tout cela dépend de la volonté des salariés de transformer en bulletin de vote les craintes qu’ils éprouvent dans bon nombre d’entreprises face à une montée de la radicalisation dans le monde patronal.

Le Progrès : Une « radicalisation » récente, selon vous ?

Nicole Notat : Je constate dans mes déplacements en ce moment, et ce depuis le 10 octobre, date de ce « coup de tonnerre » du patronat à la sortie de la conférence sur le temps de travail, que les salariés ont vraiment perçu une radicalisation dans les rapports sociaux avec les patrons dans beaucoup d’entreprises. Elle existait parfois auparavant. Elle s’est « aiguisée », accentuée un peu plus, depuis.

Le Progrès : Le patronat va bientôt élire son président. On parle beaucoup de Ernest-Antoine Seillière pour succéder à Jean Gandois. Quel est votre réaction ?

Nicole Notat : Il est candidat, il n’est pas élu, et je ne le connais pas. Je m’efforce de n’avoir aucun préjugé sur lui. Il faut, comme tous ceux qui accèdent à de telles responsabilités, le juger sur le programme qu’il mettra en avant s’il est élu et surtout sur ses actes.

Le Progrès : Craignez-vous qu’il soit le « tueur » annoncé par Jean Gandois lors de son départ ?

Nicole Notat : Je ne crois pas. Je pense au contraire que Jean Gandois, en démissionnant, et en disant qu’il n’était pas l’homme de la situation, a réuni toutes les conditions pour que son successeur ne puisse pas se présenter comme un « tueur ».

Le Progrès : Croyez-vous à une réelle volonté du gouvernement de baisser le taux de chômage dans le pays et au moyen mis en œuvre pour y parvenir ?

Nicole Notat : L’expérience m’a appris que beaucoup de gouvernement ont fait de la lutte contre le chômage une priorité de leur action. Moi, je pense que ce gouvernement accentue un mouvement de politique plus active en faveur de l’emploi susceptible d’accompagner les effets d’une croissance plus forte. A travers les accords qui ont été signés dans le cadre de la loi Robien que nous avons soutenue et su utiliser, la démonstration a été faite qu’il y a des manières de réduire le temps de travail qui peuvent profiter aussi bien aux salariés qu’aux entreprises. J’ose espérer que le coup de colère du patronat du 10 octobre fera place à une prise de conscience : utiliser certaines formes de réduction de durée de temps de travail est bon pour tout le monde.

Le Progrès : Un retour sur cette grève des routiers Avez-vous le sentiment que votre organisation en ressort renforcée ?

Nicole Notat : La CFDT a pris ses responsabilités et en ressent au final une certaine fierté. Longtemps, nous avons su discuter, dialoguer, négocier, avant d’avoir recours, faute de solutions, à un rapport de force plus accentué, plus dur. Le routiers CFDT ont su lever les barrages quand ils ont vu que l’accord signé permettait des avancées importantes au niveau des acquis salariaux, immédiats et à long terme. Sans doute, d’une façon générale, ne s’en rend-on pas encore assez compte aujourd’hui…

Le Progrès : Votre réaction par rapport aux propos de Marc Blondel vous concernant et qui semble persister dans ses attaques ?

Nicole Notat : Ce sont des attaques d’une telle bassesse qu’elles font honte je crois à tout le monde. Il est temps que ce leader syndical se ressaisisse car nous ne sommes plus là sur le débat d’idées. Quand on pratique le propos purement sexiste comme d’autres pratiquent le propos raciste en politique, il n’y a plus de tolérance, il n’y a plus de respect de l’autre, qui sont pourtant les valeurs d’humanisme que le syndicalisme a en principe au cœur. Et je refuse de considérer comme une fatalité ce genre de pratiques et de comportement.

Le Progrès : S’agit-il seulement d’un prolongement du conflit des routiers ou y-a-t-il un contentieux plus profond entre vous ?

Nicole Notat : Non, je ne suis pas en guerre avec le secrétaire général de FO, pas plus qu’avec d’autres secrétaires généraux d’organisations syndicales. Certes, on peut avoir des divergences de vues fortes. Elles justifient parfois des confrontations sur le fond des choses. Là, ce n’est plus le cas.
 


Paris-Match - 27 novembre 1997.

« A un moment, j’ai compris qu’il fallait laisser tomber l’armure, apprendre à vivre avec un miroir »
Bassement agressée par Marc Blondel, la secrétaire générale de la CFDT a choisi Paris-Match pour élever le débat et asséner quelques vérités bien senties. Mais élégamment tournées.

Nulle animosité dans la voie, aucune acrimonie dans le ton quand la phrase tombe comme un couperet : « Je me demande, au fond, si Marc Blondel n’est pas plus à plaindre qu’à blâmer ! » En cette fin d’après-midi, vendredi dernier, c’est avec un surprenant détachement que Nicole Notat évoque les dernières attaques scabreuses du plus macho des lions du syndicalisme français. Vêtue d’un long twin-set rouge groseille, Nicole Notat, qui nous reçoit dans son bureau au troisième étage du siège de la CFDT à Belleville, feint d’être étonnée par l’ampleur de réactions qu’a provoquées il y a deux jours, la tristement célèbre petite phrase de Blondel : « Moi, mon boulot, ce n’est pas de faire l’amour avec les Premiers ministres ! »
Il n’y a ni fauteuil ni canapé dans son bureau. Pas de photos, pas d’affiche non plus, aucune empreinte personnelle dans cette grande pièce très claire. Quelques rares cadeaux souvenirs sont posés sur le rebord d’une fenêtre : des grands santons provençaux, un globe de cristal remis par Gérard Longuet au titre d’ambassadrice méritante de la Lorraine, sa région natale… Ici règne une atmosphère de travail. Le visiteur en est averti : sur le haut de la porte est accroché une discrète petite pancarte amovible « Ne pas déranger ». C’est autour de la table de réunion rectangulaire au même design épuré que son bureau, où ne traîne aucun papier, qu’elle nous convie à nous asseoir. La sortie de Blondel ne l’émeut pas plus que ça. Elle regarde avec complicité Anne Guédon, son attachée de presse et amie et raconte. « Quand Anne m’a appelée pour m’avertir, j’étais à Douai, en meeting prud’homal. D’une voix dramatique, elle m’a dit : « Nicole, je sais que je te dérange, mais cette fois c’est grave. » J’ai redouté le pire. Quand elle a prononcé le nom de Blondel, j’ai respiré, soulagée. « Ah bon, encore lui ! » Puis, Anne m’a lu l’interview. Je lui ai juste répondu : « Eh bien, dans le registre en-dessous de la ceinture, c’est le cas de le dire, il a franchi un cran de plus ! » Ce qu’elle ne raconte pas, c’est la suite de la conversation : elle s’est mise à rire et a lancé, pour rassurer son amie : « Eh bien ! Béré, Balladur, Juppé, Jospin… Si c’était vrai, j’aurai une sacrée santé ! » « Au moins, reprend Nicole Notat, les attaques de Blondel ont un mérite : elles évitent qu’on m’oublie. Je suis sûre que demain, je vais recevoir un petit mot de réconfort d’une veille copine de vingt-cinq ans comme à chaque fois qu’il récidiva. « La secrétaire générale de la CFDT manie l’humour à fleurets mouchetés. Et tout aussi habilement la fausse ingénuité : « Je me demande quels sont les ressorts profonds pouvant amener à cette extrémité un homme qui, au demeurant, précise-t-elle avec un petit sourire narquois, a quand même certainement quelques qualités pour occuper la fonction qui est la sienne » Elle poursuit, en prenant un soin extrême à ne pas nommer son détracteur : « C’est profondément grossier, vulgaire et déplacé. De qui que cela vienne, c’est déplorable. C’est un manque total de respect de l’autre ». Elle s’interrompt et va chercher sur son bureau de bois clair, impeccablement rangé, le premier dossier de la pile de chemises, soigneusement isolée, à l’extrême droite. Aucun gadget, aucune photo. Un téléphone, une lampe de travail, quelques crayons feutres ou mine. Le portable, lui, est enfermé dans le sac à main. Nicole Notat revient avec le dossier « EDJ », écrit au crayon de papier, où est regroupé l’abondant courrier de soutien et d’indignation qu’elle a déjà reçu en deux jours. Elle rit quand on lui fait remarquer qu’elle a la même manie que… Jospin de plier à moitié la couverture de ses chemises. « Ah bon ? Moi, je ne le fais que pour les dossiers prioritaires. » Assise, elle ajuste ses lunettes et lit, sans commentaires : « Les esprits d’élite discutent des idées, les esprits moyens discutent de évènements et les médiocres discutent des personnes. » Elle range la lettre, datée du 13 novembre, sourit, satisfaite : « Une belle citation, non ?  C’est de Jules Romains. C’est une des fédérations départementales qui m’a envoyé cette lettre… écrite et signée, précise-t-elle, par un homme. Ah ! j’oubliais : il a ajouté sous la citation : « A la CFDT, on discute des idées… » Quand on lui demande si le secrétaire général de FO a une seule fois été aimable avec elle, ses yeux pétillent. Elle se laisse tomber en arrière au fond de sa chaise et fait semblant de réfléchir, tout en jouant distraitement avec un portemine : « Mais, bien sûr… Quand on se voit en tête à tête – c’est toujours pour le petit déjeuner –, il n’y a jamais d’altercations. Il sait être charmant et courtois, quand il veut. Cet été, il a appelé un de mes collaborateurs pour démentir une petite phrase assassine qu’on lui attribuait dans un article. » Elle rit de nouveau et cherche avec Anne Guédon à restituer cette « vacherie ». « C’est une histoire de toros », lance Anne. « Je me souviens, dit Nicole. Vous savez pourquoi Notat est partie en vacances en Espagne ? Parce que, là-bas, les toros ont de grosses c… ! » Elle prononce le mot sans hésitation, mais rappelle que le journal, lui, avait opté pour les points de suspension. « Eh bien, continue-t-elle, ce jour-là, il s’est fendu d’un rectificatif : « J’assume certains propos à son égard, mais pas celui-là ! « Il est bien loin le temps où le secrétaire général de FO la surnommait affectueusement « ma petite souris ». « C’était un soir de duplex télévisé. Nous attendions notre tour, quand j’ai entendu quelqu’un m’appeller par l’oreillette « ma petite souris » … Je n’ai pas saisi tout de suite : « Marc, j’entends… C’est toi qui m’appelles comme ça ? » … Un peu gêné, Blondel m’a répondu : « Oui… » C’était plutôt gentil », nous lâche-t-elle, presque nostalgique de ces temps de paix avec Marc Blondel.

Celle que ses ennemis surnomment « la tsarine » a un vrai talent de narratrice. Elle sait tenir en haleine son auditoire en ponctuant son récit de remarques cocasses. Elle n’hésite pas à forcer un trait pour ridiculiser un personnage de l’actualité, y compris elle. Pas étonnant qu’elle adore Muriel Robin, Guy Bedos et les blagues de ses amis. Comme Brassens, quand elle parle d’amitié, c’est spontanément les mots « copains et copines » qui viennent. Car sa vie de célibataire « non solidaire » glisse-t-elle, rime, en dehors de la CFDT, avec les « copains d’abord » : les restos – les italiens ont sa préférence – les bonnes bouffes – « Je suis la reine du bœuf Strogonof et de la mousse au chocolat ! » –, le théâtre, le cinéma. L’opéra, jamais : elle déteste… contrairement à Blondel, inconditionnel de « Don Juan », qu’il peut chanter tout entier. Ces plaisirs, elle les partage toujours avec les fidèles. Et l’homme de sa vie, dont, évidemment, elle ne dira rien. Elle préserve jalousement sa vie privée. Elle s’avoue volontiers « fêtarde » et regrette d’avoir besoin de tant de sommeil. « Je déteste me lever tôt. »

Elle limite à contrecœur ses sorties en semaine. Mais les week-ends, eux, sont sacrés. Ce vendredi soir, quand nous quittons ensemble son bureau à plus de 20 heures, elle n’emporte aucun dossier. Très rapidement, elle épluche la pile : « Rien qui ne puisse attendre lundi. » En revanche, elle emporte un livre. « Ah, le dernier Philippe Meyer, ça, je l’emmène. » La lecture et les bons vins sont ses deux vraies passions. Elle ne résiste pas à un bon bourgogne, blanc de préférence. Elle se damnerait pour un meursault. Malgré un stage d’œnologie il y a quelques années et les séances répétées de dégustation avec ses copains, elle n’arrive pas à apprécier autant les bordeaux.

Elle reprend la discussion, plus sérieuse : « En tout cas, que ce soit clair : je ne suis en guerre ni contre Blondel ni contre FO. » La secrétaire générale prend un ton plus politique. « La CFDT a envie de conduire une action syndicale qui fasse preuve d’efficacité et d’utilité. » Elle revient au conflit des routiers, à la signature de sa centrale et à la colère que la position cédétiste a déchaînée chez Blondel : « On ne mène pas une action pour le plaisir ni pour embêter FO ou la CGT. Quand il y a une négociation, l’objectif est de la faire aboutir. » C’est la Nicole Notat pragmatique qui parle : « Une action syndicale qui ferait constamment preuve de son impuissance, je ne vois pas en quoi les salariés auraient intérêt à s’y intéresser. » Et vlan pour FO ! Moins décontractée est la conversion. Nicole Notat n’oublie pas que nous sommes à moins d’un mois de élections prud’homales. Elle argumente et justifie la position de la CFDT-route. « Nos équipes avaient décidé cette fois-ci de ne pas faire de barrages bloquants qui gênent autant que l’an passé les automobilistes. » Et elle assène un dernier coup à FO : « Il faut savoir maîtriser l’action dans la responsabilité. »

L’ex-instit pour ados à problèmes a les deux pieds solidement ancrés dans la réalité. Nicole Notat, fille d’agriculteur, a hérité de son père, décédé, un solide bon sens et un esprit d’indépendance très prononcé. Quand elle évoque le souvenir de ce père gaulliste de la première heure, c’est avec une extrême pudeur. Le son de sa voix se fait moins assuré, plus bas, comme pour masquer l’émotion. « Mon père m’a toujours encouragée à quitter la ferme. » Elle fait une pause, a le regard qui se trouble. « Nous partagions une complicité privilégiée. « Ne te marie jamais, me murmurait-il à l’oreille, profite de ta vie ! J’en ai profité. »

Ce père que le mariage a fait paysan n’était pas d’un milieu terrien où prévaut la résignation soumise. Et ce père, qui a toujours voté à droite, a appris à la petite Nicole à « défendre son autonomie ». « Je n’ai jamais supporté que quelqu’un me guide, me presse et m’explique ce que je dois faire dans la vie », annonce-t-elle sur un ton péremptoire. Le sexisme des hommes, elle avoue ne l’avoir jamais rencontré avant d’arriver à la Confédération à Paris. « En Lorraine, je n’avais jamais eu de souci de ce type. Que ce soit tant à l’école, au collège, qu’à l’école normale de Bar-le-Duc, j’ai eu la chance d’être dans des établissements mixtes. Dans les années 70 (à l’époque, elle était une jeune institutrice spécialisée), les combats féministes de la capitale nous paraissaient très lointains. » « Faire avancer la cause des femmes », c’est par des gestes concrets qu’elle y parvient. Quand elle était directrice de colonies de vacances pour de filles de l’Assistance publique, elle a fait venir plusieurs fois un gynécologue pour prescrire la pilule à ses jeunes pensionnaires. « Je n’ai jamais été membre du MLF, mais je travaillais sur le terrain avec le Planning familial. Quand je suis arrivé à Paris, j’ai rencontré ici, à la CFDT, des femmes écorchées vives. Le débat sur le rôle et la place des femmes était extrêmement sensible. Moi, j’arrivais de ma province, bien dans ma peau de femme et sans aucun préjugé sur le comportement sexiste des hommes, puisque je ne les avais jamais subis. »

Depuis, Nicole Notat sait que, « grâce à ses expériences », « plus personne à la CFDT ne doute que le sexisme, au même titre que le racisme existe. » « Et c’est sans aucun signe de colère mais avec une intonation désolée qu’elle rappelle les insultes qu’elle a essuyé sans broncher lors des manifestations du 24 novembre 1995 et du 17 octobre 1996 où elle s’est fait bousculer. » « Juppé au placard, Notat au plumard ! », « Notat retourne à la cuisine », « Tu vas être rasée, salope ! Violez-la ! ». Toujours confortablement calée sur sa chaise, Nicole Notat croise un bref instant ses mains fines sur la table ; Depuis le début de la conversation, elle accompagne ses propos de gestes amples, ronds et lents, à la façon d’un prof délivrant un cours magistral à ses élèves. Elle réfléchit à haute voix : « C’est seulement le jour où j’ai compris que régnait sur moi le soupçon d’ambition, de pouvoir, que j’ai pressenti les difficultés d’une femme à accéder aux responsabilités. » J’ai toujours donné un sentiment d’assurance de moi-même, confie-t-elle, presque en s’excusant. J’étais bonne élève, bonne instit, bonne camarade, bonne militante. Je n’avais pas de problèmes dans la vie. Quand Edmond Maire m’a poussée à la tête de la CFDT, j’ai résisté, résisté… D’un seul coup, j’ai découvert la trouille. Et ce brutal sentiment de panique – très classique, précise-t-elle, chez les femmes – explique, selon elle, son image brouillée de femme dure et impitoyable. Elle, une tsarine, une dame de fer, carriériste, calculatrice et opportuniste ? « Quand on entre sur la scène publique, des mythes se créent autour de vous. » Elle hésite. « Il faut alors apprendre à vivre avec un miroir. À force de me blinder, la carapace que je m’étais forgée apparaissait d’autant plus durement. A un moment, je me suis dit qu’il fallait laisser tomber l’armure. » Et assumer sa réussite et… sa féminité. « Oui, j’ai changé, y compris physiquement. » La France a vu sa dame courage se mettre à sourire avec charme et alterner coiffures faussement sophistiquées ou savamment ébouriffées, à oser les tenues glamour, les jupes au-dessus du genou, les talons. Et… à déployer ses belles et longues jambes sans craindre de choquer les regards prudes ou d’attirer les coups d’œil flatteurs. Nicole Notat est une coquette qui se soigne – aujourd’hui sans complexe : coiffeur, une manucure une fois par semaine, thalasso sur la côte atlantique, pendant les vacances, gym ou natation quand elle a le temps et shopping dès qu’elle peut. Comme une midinette : « J’adore les fringues », avoue-t-elle. Elle me fait d’ailleurs remarquer que nous avons le même tailleur. Elle est aussi comme ça, Nicole Notat : fraîche, chaleureuse et spontanée comme une grande sœur sympa qui, pour vous dire au revoir, vous fait la bise… naturellement.