Interview de M. Edouard Balladur, député RPR, à Europe 1 le 15 septembre 1999, sur le contenu de son ouvrage notamment ses perspectives pour le XXIème siècle et la mondialisation et sur la décision de M. Nicolas Sarkozy de ne pas se présenter à la présidence du RPR.

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Circonstance : Parution du livre de M. Balladur "L'avenir de la différence" aux Editions Plon, le 23 septembre 1999

Média : Emission Journal de 8h - Europe 1

Texte intégral

Q - Je vous ai invité pour votre nouveau livre, L'avenir de la différence. Nous allons parler d'abord de l'opposition, du RPR après les démissions, y compris de son mandat de député européen, de N Sarkozy qui fut votre ministre et porte-parole, puis un chiraco-balladurien et qui est et reste sans doute votre jeune ami ?

- « Absolument ! »

Q - Est-ce que vous comprenez sa décision ?

- « Oui, je la regrette – je la regrette pour le RPR, pas nécessairement pour lui – et je la comprends, je pense qu'il a fait preuve de courage et de jugement. »

Q - Est-ce qu'il a bien fait ?

- « Eh bien oui ! Je viens de vous dire que je la comprenais et donc que je l'approuve. »

Q - Est-ce qu'il avait le choix ?

- « On a toujours le choix entre faire ce qu'il faut faire ou faire le contraire de ce qu'il faut faire. Ce n'était pas une décision obligatoire, mais il l'a prise, parce qu'il a pensé que c'était celle qui correspondait le mieux à la fois aux intérêts du RPR, sans doute aussi à ses propres intérêts. »

Q - Quelles sont les vraies raisons ?

- « Les vraies raisons – vous savez je ne vais pas révéler de secret – c'est qu'il a considéré qu'il ne pouvait pas être candidat devant, disons les réticences que pouvait marquer le Président de la République envers sa candidature. Donc, il en a tiré les conséquences et c'est très bien ainsi, il a très bien fait. »

Q - Il vous a consulté, est-ce que vous étiez d'accord ?

- « Oui, tout à fait ! »

Q - C'est quand même extraordinaire : le RPR dévore ses enfants. En deux ans, Juppé, Seguin, Sarkozy. À votre avis, pourquoi ?

- « D'abord, j'observe que ceux dont vous dites qu'ils ont été dévorés existent encore, existent toujours. Dans ces conditions, ils sont encore en vie et d'ailleurs ils s'attachent à le démontrer les uns et les autres ou ils s'attacheront à le démontrer. Je crois que tout simplement le problème d'aujourd'hui est moins le RPR que l'opposition. L'opposition n'a pas aujourd'hui la confiance, ni de crédit auprès des Français, c'est parfaitement clair et la question est de savoir comment elle peut reconquérir ce crédit et cette confiance ? Eh bien, elle le peut de deux manières, d'abord, en s'organisant. C'est pourquoi je répète que le problème, ce n'est pas tellement le RPR que l'organisation de l'ensemble de l'opposition dans une fédération que je prône depuis de nombreuses années. Et puis deuxièmement, en proposant un projet qui soit un projet adapté, alors que l'opinion, à tort ou à raison a le sentiment que l'opposition n'a rien à dire. Voilà les vrais problèmes. »

Q - Mais est-ce qu'avec le départ de N. Sarkozy et l'arrivée ou de F. Fillon, que vous allez recevoir tout à l'heure, ou de J.-P. Delevoye, que vous allez recevoir dans la matinée, la fédération de l'opposition sera plus facile ?

- « Je leur dirai à l'un et à l'autre d'ailleurs, que cela me paraît être l'objectif à poursuivre : organiser l'opposition et ne pas refermer le RPR sur lui-même. Qu'il y ait une tradition gaulliste et RPR dans notre pays, c'est bien évident ; qu'il faille la préserver c'est également évident ; mais qu'il faille s'ouvrir pour rassembler davantage l'est encore plus à mes yeux. Voilà ce qu'attendent nos électeurs, ils sont las des disputes et des querelles et ils veulent qu'on leur parle de la France et de leur avenir. »

Q - Aujourd'hui, le candidat qui a apparemment le plus de chances et les plus hauts soutiens, c'est J.-P. Delevoye. Est-ce qu'il peut être le rassembleur du RPR et comment ?

- « C'est à lui qu'il appartiendra de le démontrer dans les jours et dans les semaines qui viennent – a lui, ou a F. Fillon ou à R. Muselier puisqu'ils sont trois pour l'instant... »

Q - Oui, il ne faut pas se faire d'illusion pour certains d'entre eux ! Il y aura une vraie bataille au sein du RPR ?

- « Je n'en sais rien, il y aura une compétition en tout cas. »

Q - Quand on préside le RPR, on peut sans doute être fidèle au Président de la République. Est-ce qu'on peut vraiment être indépendant ?

- « Là, c'est toute la question qui est posée. »

Q - Et, à votre avis ?

- « Jusqu'à présent cela n'a pas été démontré. »

Q - Et c'est pour ça que les uns après les autres...

- « Je pense que c'est l'une des causes. »

Q - Mais c'est pas mal que le Président ait son propre son parti, bien à lui ?

- « Je ne sais pas si c'est comme ça que les choses doivent fonctionner. »

Q - Alors, vous faites l'éloge de la différence, M. Balladur ?

- « Oui, le titre de mon livre c'est L'avenir de la différence. »

Q - L'éloge de la différence alors que règne partout l'uniformité. Vous dites vous-même : « Cette tyrannie » « Soyons nous-mêmes et différents » : c'est ce que vous dites à l'heure où règne la mondialisation. Vous avez le goût du paradoxe ou vous vous moquez ?

- « J'ai peut-être un peu le goût du paradoxe, ça c'est possible, me moquer, sûrement pas. Je dis ce que je pense sur notre avenir. On a le sentiment aujourd'hui que tout nous emporte vers une uniformisation générale, tout le monde doit se ressembler, les mêmes règles économiques, les mêmes règles sociales et commerciales, les mêmes vêtements, les thèmes musiques, les mêmes habits les mêmes goûts, etc., etc. Moi je constate quelque chose, c'est qu'il y a en même temps dans le monde une très vaste aspiration de chacun, de chaque peuple, de chaque nation à demeurer elle-même, avec sa culture, ses goûts, ses traditions et son histoire et sa langue. »

Q - C'est-à-dire deux moments qui ont l'air contradictoires et qui pourraient être complémentaires. Sur le fond, vous jugez quand même la mondialisation « inévitable et indispensable ». Elle endort, elle tyrannise et elle entraîne le conformisme universel et qu'elle va encore progresser.

- « Et qu'elle va encore progresser ! Mais, je pense qu'il y a des réactions, qu'il va y avoir de plus en plus de réactions contre ce modèle uniforme mondial, chacun voulant se préserver et conserver son originalité. C'est vrai des peuples, c'est vrai des nations, c'est vrai des hommes et des individus. Et cela se manifeste dans le domaine de l'architecture, de la cuisine, de la culture, du chant et autres. »

Q - Mais vous notez bien et vous l'expliquez que tout tend à devenir mondial : la technique, la culture, la justice, les tribunaux, la monnaie – peut-être mondiale – l'économie... Alors là, chaque pays est en train de sacrifier des secteurs entiers, des hommes, à la concurrence, avec certaines souffrances.

- « Oui, mais il ne peut pas l'éviter, il ne peut pas l'éviter. Je ne connais pas le moyen de résister à la mondialisation de la technique, au développement de la société d'information et à la communication universelle. »

Q - D'où les regroupements, les fusions !

- « Notamment, c'est une des conséquences, mais d'où aussi la naissance d'un état d'esprit commun en matière politique, les droits de l'homme, la justice, etc. Mais, mais, le siècle prochain sera sûrement, à mon avis – alors que le XXe siècle a été un siècle où tout le monde a aspiré à se ressembler de plus en plus, le XXIe siècle sera, j'en suis persuadé, un siècle où tout le monde voudra affirmer son originalité. »

Q - Vous dites : « On ne peut rien faire contre la mondialisation », est-ce qu'il faut empêcher par exemple dans un cas très concret, E. Michelin d'appliquer sa stratégie pour son entreprise privée ?

- « Ça, c'est un autre problème, mais je vais répondre à cette question : on est dans le monde, la part du travail industriel va décroissant, la part des services va croissant et augmentant. Il faut avoir les coûts de production les plus faibles possibles et Michelin a perdu des parts de marché. Alors, que Michelin soit obligé de faire certaines choses, cela me paraît indiscutable. Le problème est de savoir comment il faut les faire, quelles précautions il faut prendre, comment il faut prévenir, comment il faut discuter, comment il faut organiser ? Autrement dit, il faut distinguer le fond et la forme dans cette affaire. »

Q - Et quand L. Jospin reconnaît le marché, dit que l'économie se régule, mais qu'elle ne s'administre pas, vous lui donnez raison ? Vous qui dites, dans le livre : « L'interventionnisme à tout va n'a plus court. » ?

- « Oui, mais je lui donnerai encore plus de raison s'il ne faisait pas les 35 heures qui sont le modèle même obligatoire, le modèle même de l'interventionnisme autoritaire. »

Q - La puissance est l'Amérique. Vous écrivez : « L'Alliance atlantique sous-direction américaine impose sa loi partout, elle le croit nécessaire à ses intérêts ; la mondialisation, c'est le monde américain, c'est-à-dire un monde déséquilibré. »

- « Oui, j'en suis persuadé. Mais c'est de notre faute ! Pourquoi est-ce que nous ne faisons pas aussi bien que les Américains ? Nous sommes plus peuplés qu'eux et aussi riches de traditions qu'eux ? »

Q - C'est plus facile à dire qu'à faire !

- « Pourquoi ? Ecoutez, je vais prendre un exemple très simple : on passe son temps à dire - comme moi d'ailleurs ! : L'Alliance atlantique est toute puissante, l'Europe n'existe pas militairement. Parfait. L'Europe a dix milliards de dollars par an tout cumulé de crédits pour la recherche développement-militaire, l'Amérique, 35 ! Si les Américains sont aussi forts qu'ils le sont, c'est de notre faute. »

Q - Vous réclamez la différence du droit de propriété, des cultures, de la langue, des moeurs et des goûts. Alors là, vous dites : « En France, la renaissance du régionalisme fait revivre le parler, les productions, les fêtes, la musique, les mets locaux et témoigne du désir retrouvé d'une identité particulière. Le régionalisme c'est une volonté d'enracinement et d'individualisme. » On dirait J. Bové !

- « Et pourquoi pas, après tout, J. Bové n'a pas nécessairement tort dans tous les domaines, même si ses méthodes ne sont pas nécessairement les meilleures, bien entendu. D'ailleurs c'est très symptomatique cette réaction, c'est exactement ce que l'on pourrait appeler une réaction identitaire, de revendication de sa personnalité. Et cela va beaucoup plus loin qu'on ne le croit et dans les discussions sur le commerce mondial on va en voir les conséquences. »

Q - Le budget 2000 : un bon budget, Strauss-Kahn réussit... ?

- « Il n'y a pas assez de baisses des dépenses publiques et pas assez de baisses de déficit, la France demeure avec l'Italie le pays européen où le déficit est le plus important. Or on a démontré très abondamment que réduire les déficits, c'est développer l'emploi et le chômage et je trouve que l'effort est là-dessus tout à fait insuffisant. »

Q - Le siècle prochain sera celui de la différence : réhabiliter revendiquer la liberté. On est bien parti ou pas ?

- « Écoutez, on commence à prendre conscience du fait que tout ne doit pas être uniforme, c'est déjà un début. »

Q - En tout cas, vous, vous essayez d'être différent et souvent vous y parvenez, hein si vous me permettez !

« Oh, ce n'est pas systématique de ma part. »