Texte intégral
J.-P. Elkabbach : Vous n’avez pas reçu de joint ?
R. Barre : Si, j’ai reçu un joint, mais comme je ne fume plus, je n’ai pas tenté de fumer le joint.
J.-P. Elkabbach : Avez-vous été scandalisé comme certains députés d’avoir récupéré un joint dans le courrier ?
R. Barre : Non, c’est une plaisanterie !
J.-P. Elkabbach : Les élections prud’homales n’ont pas renforcé ou rassemblé les syndicats. Est-ce que c’est comme d’habitude ou est-ce plus fâcheux que d’habitude ?
R. Barre : Non. Je crois tout simplement que les élections prud’homales montrent qu’il y a une désaffection des salariés français à l’égard de leurs syndicats. La France est le pays où il y a 9 % seulement de salariés qui appartiennent aux syndicats ; ce n’est pas le cas ni en Grande-Bretagne, ni aux États-Unis, ni en Allemagne fédérale. Pourquoi ? Parce que je crois que les syndicats sont devenus avant tout des organismes idéologiques et politiques et que les salariés n’ont pas le sentiment que leurs intérêts, leurs vrais intérêts sont défendus. Donc, ce qui vient de se passer montre que les syndicats ont, d’une part, à réfléchir sur ce qui est leur propre mission – car je suis partisan de syndicats forts, il faut dans la société des courroies de transmission et des systèmes d’encadrement – mais encore faut-il que l’action menée n’apparaisse pas comme une action politicienne plus qu’une action de défense des intérêts des salariés.
J.-P. Elkabbach : N’y aura-t-il pas un déséquilibre des forces avec un patronat combatif, qui combat à visage découvert, avec des termes belliqueux ?
R. Barre : Qu’est-ce qui se passe aujourd’hui ? Nous voyons les syndicats décliner et nous voyons un réveil des chefs d’entreprise.
J.-P. Elkabbach : Donc, déséquilibre !
R. Barre : Non. Ce qu’il y avait auparavant en France, c’était des appareils qui étaient habitués à moudre le grain ensemble et qui cherchaient sans cesse des occasions de moudre le grain. Alors, on ne savait plus où on était, quelles étaient les positions des uns et des autres. Ce n’est pas malheureux que les chefs d’entreprise défendent leurs intérêts, car les entreprises françaises, c’est ce qui assure l’emploi, assure notre compétitivité. Mais il faut bien entendu qu’il y ait des règles générales qui fixent les rapports entre les employeurs et les salariés, mais il faut surtout laisser le dialogue au niveau de l’entreprise entre le chef d’entreprise et son personnel. C’est la raison pour laquelle je suis partisan du référendum dans l’entreprise.
J.-P. Elkabbach : Au passage, un gouvernement de gauche avec des syndicats affaiblis ?
R. Barre : Un gouvernement ne s’appuie pas sur des syndicats, fût-il de gauche. Regardez M. Blair en Grande-Bretagne : il a pris ses distances vis-à-vis des Trade Unions.
J.-P. Elkabbach : M. Seillière sera le nouveau président du CNPF. Approuvez-vous son ton et son style ? Souhaitez-vous qu’une fois élu, il le garde ?
R. Barre : Je n’ai pas aimé l’expression « déstabiliser M. Jospin ». Je pense que c’est un écart de langage qui aurait pu être évité. On ne déstabilise pas un corps ; un ensemble ne veut pas déstabiliser le gouvernement du pays qui répond au suffrage universel. En revanche, que M. Seillière veuille donner au CNPF un rôle dynamique et un rôle de défense des intérêts de l’entreprise française qui sont menacés à la fois par les comportements syndicaux et par certaines attitudes ou politiques gouvernementales, je le comprends parfaitement. C’est son devoir.
J.-P. Elkabbach : Partagez-vous les réserves du président de la République à l’égard des 35 heures ?
R. Barre : Tout à fait. Je crois que les 35 heures sont d’abord un péché contre l’esprit. Dans le monde actuel, quand on voit ce qui se passe ailleurs – d’ailleurs, les étrangers sont stupéfaits – voir cette idée de réduire par voie autoritaire, par une loi, la durée du travail et, plus encore, voir le Gouvernement mettre de l’argent pour faire réduire la durée du travail, c’est quand même quelque chose d’assez stupéfiant.
J.-P. Elkabbach : Mais si ça réduit le chômage ?
R. Barre : Mais non ! Tout le monde sait, y compris le Gouvernement, que l’effet sera très minime sur le chômage. Disons les choses simplement : quand vous savez qu’à l’étranger, certains princes qui nous gouvernent et qui proposent les 35 heures vont expliquer aux journalistes étrangers qu’il ne faut pas s’inquiéter parce que tout cela n’aura pas grande importance, c’est bien la preuve que c’est purement idéologique et politicien.
J.-P. Elkabbach : À propos de la cohabitation, vous êtes logique et fidèle à vous-même : sur le principe, vous êtes contre, c’est toujours une paix armée. Mais certains répètent aujourd’hui que le compte à rebours est commencé. Leur dites-vous « Tant mieux » ou « Du calme, patience » ?
R. Barre : Je ne suis pas sûr du tout que le compte à rebours est commencé. Je me demande si cette cohabitation qui est par nature conflictuelle ne sera pas une cohabitation longue et difficile. Pour sortir de la cohabitation, il faut soit une date fixe – on savait auparavant que ça durait deux ans – mais on ne cherche pas le moyen d’arrêter la cohabitation si on ne regarde pas quelle est l’évolution de la conjoncture politique. Cette cohabitation – vous connaissez mon opinion là-dessus – je vous dirais que je m’amuse beaucoup à voir tous ceux qui s’étaient depuis 1986 rués dans la cohabitation aujourd’hui se lamenter, se plaindre sur la cohabitation. Qu’est-ce qui se passe ? La cohabitation, c’est purement et simplement l’intérêt qu’ont les partis politiques soit de prendre le pouvoir totalement, soit, quand ils ne peuvent pas le prendre totalement, de le partager. C’est tout à fait contraire à l’esprit de la Ve République.
J.-P. Elkabbach : Mais on la vit ! Certains disent qu’on va en sortir, comment on va en sortir, le moment venu, est-ce que ça va durer cinq ans. Je ne sais pas si les Français se posent la question, mais elle est partout.
R. Barre : C’est parce que vous, journalistes, vous passez votre temps à vous demander ce qui va se passer dans deux ou trois ans.
J.-P. Elkabbach : Pas du tout !
R. Barre : D’abord, ce à quoi nous assistons aujourd’hui, c’est un retour de bâton. Bon. Ce n’est pas mauvais que cette leçon soit donnée. Deuxièmement, je me pose la question – alors que j’étais tout à fait attaché à la Constitution de la Ve République – de savoir s’il n’y aurait pas le moyen, puisque les comportements encourageront toujours la cohabitation, par un mécanisme constitutionnel, d’éviter cette division au sommet de l’État qui, sur le plan national comme sur le plan international, commence à poser des problèmes.
J.-P. Elkabbach : Comment ?
R. Barre : Les constitutionnalistes ont fait des propositions. Je vous dirais que l’idée de faire un quinquennat et d’avoir des élections législatives en même temps que les élections présidentielles, je me demande si ce n’est pas en fin de compte – ce n’est pas une formule parfaite…
J.-P. Elkabbach : En 2007 ou avant 2002 ?
R. Barre : Ça, c’est entre les mains de ceux qui peuvent engager une procédure de révision constitutionnelle.
J.-P. Elkabbach : Vous êtes en train de développer le rôle international de Lyon ; vous êtes sur le terrain ; vous découvrez les réalités, l’insécurité. Sur les polices municipales, avez-vous un avis ? Faut-il les maintenir, les développer ?
R. Barre : J’ai été très inquiet de ce qui s’est dit sur les polices municipales, vraiment très inquiet, parce qu’à Lyon, je fais un effort considérable pour renforcer les polices municipales qui nous sont absolument nécessaires pour la sécurité de la population.
J.-P. Elkabbach : De jour comme de nuit ?
R. Barre : De jour et de nuit ! Quand j’entends dire qu’il faut supprimer les missions de nuit, je suis inquiet. Je vous dirais qu’en ce qui concerne les polices municipales, ce qui me paraît essentiel, c’est qu’il y ait une liaison, une connexion étroite et confiante entre la police nationale et la police municipale. C’est ce que nous faisons à Lyon. Nous travaillons avec le préfet de police.
J.-P. Elkabbach : Faut-il que les polices municipales soient armées ?
R. Barre : S’il s’agit d’une police municipale convenablement formée, convenablement encadrée, je ne vois pas pourquoi on les désarmerait. Il ne faut pas démotiver les polices municipales alors qu’on en a besoin. D’ailleurs, M. Chevènement a eu à l’Assemblée nationale quelques déclarations qui montrent que l’uniformité en la matière ne sera pas respectée. Je dois vous dire qu’il y a des cas où il faut se méfier des polices municipales. Que l’on prenne des mesures-là, c’est tout à fait nécessaire.
J.-P. Elkabbach : Vous voulez dire dans le Sud-est ?
R. Barre : Il y a des coins où nous savons bien. En revanche, lorsqu’on fait des choses sérieuses en liaison avec la police nationale pour couvrir le déficit de la police nationale, c’est important.