Interviews de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à France-Inter le 14 et à Europe 1 le 29 juin 1999, sur les résultats des élections européennes, l'exclusion de tout remaniement gouvernemental, la polémique entre les Verts et Jean-Pierre Chevènement, l'ambition de la gauche de gagner la mairie de Paris, les conférences de presse clandestines en Corse.

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Média : Europe 1 - France Inter

Texte intégral

France Inter – 14 juin 1999

B. Vannier : 21,96 % des voix – les derniers chiffres ne sont pas encore tout à fait complets – c'est la divine surprise ? J'ai le souvenir d'un F. Hollande, jeudi, dans le studio de France Inter, qui était un tout petit peu inquiet, qui se demandait s'il allait atteindre 20 %.

- « Vous savez, les élections européennes, c'est un scrutin ravageur, terrible. Je l'appelle le laminoir. C'est-à-dire qu'il lamine les grandes listes et favorise les petites listes. Or notre liste a été portée le plus haut qu'il était possible, 22 %, dans un tel contexte, marqué aussi par beaucoup d'abstentions qui sont souvent celles d'électeurs – qui ne sont pas mécontents nécessairement – mais qui ne sont pas suffisamment enthousiastes pour aller voter. A partir de là, la liste qui soutenait le plus le Gouvernement pouvait s'en trouver affectée, or tel n'est pas le cas. Nous faisons le meilleur résultat depuis 1979 puisque nous arrivons pour la première fois en tête. Ca ne s'était jamais produit. »

Bernard Vannier : Le verre à moitié plein, c'est le succès de votre liste, le verre à moitié vide, c'est l'abstention et le recul de la gauche au sein de l'Union européenne avec un Parlement qui sera dominé par les démocrates-chrétiens, le centre-droit.

- « Distinguons les deux observations. La première, c'est qu'il y a incontestablement, de la part de beaucoup d'Européens, pas simplement des Français, une indifférence ou un désintérêt à l'égard de l'Europe. Ca ne veut pas dire qu'ils ne sont pas européens, ça veut dire qu'ils disent à l'Europe : - « vous ne vous occupez pas de nos problèmes – le chômage, l'environnement, la cohésion sociale –, et quand vous vous en occupez, vous ne réglez pas bien le problème qui vous est posé. » Donc, il y a là un premier message : celui de ceux qui ne sont pas venus voter. C'est toujours difficile de l'interpréter mais au moins, on peut comprendre que s'ils ne sont pas venus, c'est qu'ils n'étaient pas contents de la façon dont ça se passait en Europe. Le deuxième message, c'est celui entre socialistes, si je peux m'exprimer ainsi. Quand je suis venu jeudi, j'ai été interrogé sur le message de Blair-Schröder – et il était normal qu'on m'interroge -, on m'a dit : - « mais vous n'avez pas le sentiment d'être un peu isolé. » Eh bien, aujourd'hui, j'ai le sentiment effectivement d'être un peu isolé en Europe. C'est-à-dire que nous, nous gagnons les élections alors que nous sommes au pouvoir depuis deux ans et que G. Schröder et T. Blair qui sont à peu près dans la même configuration, perdent les élections en ayant fait un texte un peu fade. Si vous voulez que les électeurs votent pour vous, il faut leur donner des raisons d'espérer, de croire en l'action politique. Si vous leur dites : - « il n'y a rien à faire ou pas grand-chose, on ne peut pas modifier la réalité sociale », à ce moment-là, les vôtres, ceux qui sont les plus engagés dans le combat politique, ne viennent pas voter et ne viennent pas voter pour vous. C'est une leçon dans le mouvement socialiste européen. Je ne vais pas avoir la prétention moi-même de faire ici des leçons à T. Blair – d'ailleurs parce qu'il fait un résultat supérieur au nôtre en absolu – mais quand même, je crois qu'il y a un signal qui sera interprété comme ça en Europe. »

S. Paoli : Mais puisqu'il s'agit de deux visions de l'Europe : l'une vraiment sociale, l'autre sociale-libérale, que va-t-il se passer entre eux et vous ?

- « Je vous l'avais dit jeudi, il y a une émulation dans la gauche européenne. Il y a plusieurs sensibilités. Il y en a une qui était affirmée et exprimée par T. Blair qui est : on doit avoir une Europe qui mette la plus grande place au marché l'action de la gauche étant simplement dans la correction des inégalités, dans la solidarité – ce qui est déjà important par rapport à ce que peut faire la droite. Nous, nous sommes avec L. Jospin, sur une ligne qui est : l'Europe est sans doute un marché mais il faut l'organiser, le réguler, le maîtriser, et il faut répondre à toutes les questions qui nous sont posées – des questions économiques, sociales, des questions d'environnement, écologiques, on le voit bien avec l'affaire de la dioxine. Tout se tient : l'économique fait le social, et l'économique fait aussi la qualité des produits que nous consommons. C'est un modèle de développement qu'il faut essayer de promouvoir. C'est ce message-là qu'il faut faire passer en Europe. La gauche européenne se tient néanmoins pas mal en Europe. La droite est éclatée en Europe comme elle l'est en France. Donc, je ne désespère pas que l'on puisse continuer à agir au Parlement européen en soutien des gouvernements socialistes qui restent quand même onze sur les quinze. »

B. Vannier : La droite est éclatée en Europe, mais elle est obligatoire au Parlement européen et assez nettement avec une trentaine de sièges.

- « Je ne suis pas sûr qu'elle arrivera à faire son unité puisque dans cette droite européenne, il y a des conservateurs britanniques qui reviennent en force et qui ne sont pas du tout européens, qui n'ont rien à voir avec les démocrates-chrétiens allemands, par exemple. Il y a une droite italienne, par exemple, qui ne peut pas être mise dans le même groupe, puisqu'il y a des anciens fascistes. C'est difficile quand même pour les démocrates-chrétiens de Kohl, d'aller avec les amis de Fini. Donc, il y a peut-être aujourd'hui encore un espoir que les socialistes restent le premier groupe. »

P. Le Marc : Le score remarquable à gauche, c'est celui des Verts. Comment expliquez-vous ce succès ? Il y a eu attraction des Verts sur les électeurs socialistes. Les jeunes ont voté davantage pour les Verts que pour les socialistes. Et le parti des Verts a semblé plus en phase avec la société. Quelles leçons tirez-vous pour le PS et quelles conclusions doit en tirer L. Jospin pour l'équilibre au sein de la majorité plurielle ?

- « Il y a toujours, dans ces élections à la proportionnelle, une prime à la différence. C'est logique, on va vers la liste qui correspond le mieux à sa sensibilité. Et ça pouvait être, compte tenu des évènements récents, notamment le poulet à la dioxine, la liste écologique. Ce n'est pas d'ailleurs un phénomène nouveau, on l'avait trouvé en 1989 où Waechter avait fait plus 10,6 %. Je dois en tirer une leçon, comme dirigeant politique et du Parti socialiste : c'est que notre parti doit parler de tous les sujets, pas simplement – même si c'était notre message principal dans cette campagne – de l'économique, le social, la lutte contre le chômage, la promotion d'un modèle social en Europe, mais aussi de toutes les questions qui touchent à la sécurité – la sécurité en général d'ailleurs et pas simplement pour la consommation – et à la protection de l'environnement. L'Europe – c'est vrai aussi pour notre gouvernement – doit rassurer, protéger, mettre les citoyens en confiance par rapport à ce qu'ils consomment, par rapport à ce qu'ils vivent, y compris dans leur environnement le plus concret. Je parle même de la sécurité de nos concitoyens par rapport à des agressions qui les frappent. C'est ça le rôle d'un parti comme le mien qui a vocation à être lui-même majoritaire à gauche. Il l'est, puisque nous faisons à nous tous seuls – contrairement à ce que j'ai entendu – plus que l'addition des Verts et des communistes. Enfin, tout au long de cette campagne, c'était bien qu'il en soit ainsi, D. Cohn Bendit nous a dit qu'il faisait une vraie campagne européenne, qu'il ne parlait que de l'Europe et qu'il n'avait aucune ambition de politique intérieure. J'ai retenu cette leçon. Donc, il ne faudrait pas que maintenant, avec ses amis, il change de discours en disant : - « oui, on a fait une campagne européenne, mais en même temps, on voudra renégocier nos places au Gouvernement. » Non… »

B. Vannier : Pas de rééquilibrage, pas de remaniement. D. Voynet nous expliquait cela il y a quelques instants, elle disait : - « non, je ne vais pas revendiquer immédiatement un changement de portefeuille ou un autre ministre à côté de moi au Conseil des ministres. Mais en même temps, nous disait-elle, il faudra bien qu'on écoute peut-être d'une oreille un peu plus attentive les Verts et leur politique. » On parlait de régularisation des sans-papiers, de l'environnement au quotidien, pourquoi pas de la politique nucléaire ? Est-ce que tout cela va devoir être entendu un peu plus fortement que ça ne l'a été jusqu'à présent ?

- « D'abord je suis heureux de voir que D. Voynet est en accord avec ce que je viens de dire : c'est-à-dire qu'une élection européenne est faite pour le Parlement européen, pour envoyer des parlementaires à Strasbourg. Deuxièmement, je crois qu'il faut toujours être attentif à tous les messages qui sont passés, dans tous les partis. L'abstention est un premier message, une première indication : beaucoup de Français et d'Européens ne se sont pas mobilisés ; entendons-les ! même si j'aurais préféré qu'ils viennent se faire entendre par leur bulletin de vote, parce que c'est ça la démocratie. Deuxièmement, il faut regarder et écouter tout ce qui a été fait dans cette élection pour traduire un message, pour traduire une demande : il y a celle des écologistes. Il y a même celle des chasseurs. Je ne veux pas dire qu'il faut tenir compte de ce rapport de force, mais ce que nous disent les chasseurs… »

B. Vannier : Je rappelle qu'ils font 6,78, c'est-à-dire au même niveau que le Parti communiste de R. Hue.

- « Ce que nous disent les chasseurs, c'est : « on veut chasser. » C'est la version un peu primaire. Ce qu'ils nous disent, c'est que : « l'Europe n'a pas été capable – et c'est vrai – de régler une bonne fois pour toutes cette question. » Moi, je ne chasse pas, je n'ai aucun intérêt… »

B. Vannier : L'Europe ou la France ? Parce qu'il y a une directive européenne sur la chasse. C'est l'application en France qui pose problème.

- « Oui, l'Europe et la France. Mais la France ne peut pas faire seule ce qu'elle voudrait faire. Donc il faut qu'on trouve – c'est quand même la responsabilité des pouvoirs publics, qu'ils soient européens ou français – une règle et un équilibre. Ca a été aussi un message. De même qu'il y aussi eu un message social qui a été passé. Et je ne vois pas dans le résultat de R. Hue, l'absence de radicalité. Au contraire, je vois quand même aussi des attentes sociales, que R. Hue porte avec beaucoup plus de légitimité que personne d'autre. »

B. Vannier : Qui, lui, est poussé par A. Laguiller et A. Krivine.

S. Paoli : Justement quel type de message adressez-vous ce matin à R. Hue ?

- « R. Hue a beaucoup de courage parce qu'il mène une action qui est la meilleure pour les intérêts qu'il représente, qui sont aussi les nôtres : c'est-à-dire de faire changer la réalité. R. Hue pourrait camper sur une position de semi-majorité, semi-opposition en disant : « je ne participe pas, je soutiens ce qui m'intéresse. » Non, il faut aller au Gouvernement, il faut changer un certain nombre de réalités, il faut prendre sa part. »

S. Paoli : Il faut poursuivre l'ouverture au PC ?

- « Bien sûr ! Parce que c'est comme ça qu'ils arriveront à progresser. Et ils ont quand même résisté. Mais le score d'A. Laguiller qu'on nous avait annoncé comme très élevé, finalement est minimal. On n'est même pas sûr qu'elle aura des sièges. Il y a eu aussi une certaine sanction par rapport à son discours qui était fait de négations, en disant : - « il n'y a rien à espérer, il n'y a rien à faire, il y a à condamner, on ne propose rien. » Car elle n'a rien proposé – si ce n'est la dictature du prolétariat qui n'est quand même pas à l'ordre du jour du Parlement européen. Elle n'a pas rencontré le succès qu'elle pouvait espérer parce qu'elle a mis la gauche et le droite en égalité, et en plus elle n'a pas essayé de porter une idée et une revendication dans cette campagne. »

P. Le Marc : Est-ce que vous estimez que les marges de manoeuvre politique de J. Chirac ont été sérieusement réduites face à L. Jospin ?

- « Vous ne m'auriez pas posé la question, je ne vous l'aurais pas dit, mais je trouve qu'aujourd'hui, le parti de J. Chirac, le RPR, a explosé, a fait le plus mauvais résultat de son histoire. C'est un problème posé bien sûr à la droite, bien sûr aux amis du Président de la République, mais sans doute au Chef de l'Etat lui-même. Ce qui a été mal compris – ce qui n'est pas forcément un bon signe pour la démocratie – c'est que celui qui avait le plus de moyens de rassembler son camp n'ait pas été en mesure ou en état de le faire. »

P. Le Marc : Ca va pérenniser la cohabitation ?

- « Nous ne voulons pas non plus changer ces élections européennes en rivalités internes au sein de la cohabitation parce que ce n'était pas le sujet. Mais on est obligé de faire un constat : il y a une majorité plurielle qui se porte bien, il y a une majorité plurielle qui a rassemblé plus d'électeurs que la droite divisée. Et il y a un mouvement qui s'appelle le RPR qui est en grave crise, qui est contesté en interne et en externe et que, vraisemblablement, les responsabilités ne sont pas simplement au sein de ce parti. »

B. Vannier : On peut tourner la question de P. Le Marc différemment et dire : est-ce que ce n'est pas l'échec de la droite et l'explosion de la droite qui a favorisé la réussite du PS, ce qui retirerait un peu de votre succès ?

- « Ce serait dommage mais je ne le crois pas tout à fait. Ce qu'on aurait pu craindre – et ça pouvait être une hypothèse de travail – c'était que la droite divisée draine davantage d'électeurs. Souvent, quand on présente plusieurs listes – chacune de ses composantes -, on a peut-être de moins bons résultats mais on rassemble davantage. Tel n'a pas été le cas. »

P. Le Marc : Si l'on ne prend pas en compte les petites listes qui ont recueilli des voix de droite et qui sont des listes de droite.

- « Oui, mais il y en a aussi à gauche, si je peux me permettre. Je pense que notre résultat aurait pu être meilleur encore si nous avions eu une plus forte participation. Car je suis convaincu que, dans l'abstention, il y a aussi beaucoup d'électeurs de gauche qui ont pensé que, de toute façon, nous avions gagné, qu'il n'y avait pas de danger, qu'il n'y avait pas de risque de sanction de la droite et pas de nécessité de se déplacer. »

S. Paoli : On a beaucoup – peut-être trop d'ailleurs – posé la question avant cette élection, de la modification du paysage politique français. A-t-il, ce matin, changé et s'agit-il désormais de la mise en perspective de l'élection présidentielle ?

- « Là aussi, ne faisons pas jouer à cette élection un rôle qu'elle ne peut pas avoir. C'était une élection qui venait deux ans après la composition d'un gouvernement, et il y avait donc un travail qui pouvait être jugé. Là, je crois qu'il y a une réponse des Français : « continuez, agissez, travaillez, nous n'avons pas de sanction à vous adresser. » Ce qui est quand même suffisamment exceptionnel pour le noter. Deuxièmement, c'était une élection sur l'Europe, et l'indifférence de beaucoup de nos concitoyens doit nous interroger. Troisièmement, les élections présidentielles ou les élections législatives viendront le moment venu – et nous ne risquons pas de gagner ou de perdre, je n'en sais rien, on verra bien -, mais nous ne risquons pas pour le moment, d'interruption du calendrier. A mon avis, ce qui s'est passé dimanche empêche les principaux protagonistes d'anticiper je ne sais quelle opération politique. »

B. Vannier : Ces élections législatives, vous vous en occuperez, ou vous serez à Strasbourg et vous ne vous en occuperez pas ?

- « Je m'en occuperai. Mais je peux être aussi à Strasbourg et m'en occuper. »


EUROPE 1 : mardi 29 juin 1999

Q - Pour la gauche, est-ce que c'est : Paris ville ouverte ?

- « Paris ne doit pas être la chasse gardée d'une formation politique. Ce n'est pas parce que, depuis 20 ans, la capitale est gérée par le RPR que ça devrait être pour toujours. Je crois que la gauche a aujourd'hui un devoir, même moral, d'affirmer son ambition pour Paris. »

Q - La droite estime que Paris lui appartient, que Paris ne tombera jamais à gauche.

- « Aucune ville n'appartient à personne surtout quand un parti, le RPR, s'est comporté justement en propriétaire d'une capitale et avec des affaires qui éclatent au grand jour. Il n'est jamais bon qu'une formation politique, quelle qu'elle soit, s'identifie à une grande collectivité locale, en l'occurrence, la capitale de la France. »

Q - Est-ce que vous pensez aussi que : qui gagne Paris peut emporter l'Elysée ?

- « Ce sont deux élections qui n'ont rien à voir l'une avec l'autre. »

Q - Mais il y en a une qui aide l'autre tout de même ?

Il faut choisir la meilleure équipe pour Paris et puis ensuite, il y a une élection présidentielle. Mais ce n'est pas parce qu'il y a eu à Paris, pendant de nombreuses années, J. Chirac à la tête de la capitale, que pour autant vaincre pour la gauche à Paris, ce serait la fin du système Chirac. Oui, ce serait la fin du système Chirac à Paris, mais pour la France, laissons les électeurs le moment venu, se prononcer pour une élection présidentielle. »

Q - Qu'appelez-vous - « le système Chirac » ?

- « Je crois que pendant trop d'années, il y a eu la confusion entre un homme, une ville et une formation politique. Il est toujours nécessaire de bien séparer les responsabilités. »

Q - Mais les Parisiens assuraient régulièrement son élection.

- « Absolument et c'est pourquoi, ce n'est que par le suffrage universel et pas par l'utilisation des affaires ou la mise en cause des personnes, que l'on arrivera à convaincre les Parisiens qu'il faut changer d'équipe. »

Q - J. Tiberi a annoncé hier lui-même au Congrès à Versailles et dans Le Monde, sa mise en examen dans l'affaire des HLM, P. Devedjian lui conseille de faire comme R. Dumas l'a fait avec un peu de temps : se retirer. Vous pensez ça vous aussi ?

- « Je vois un homme, J. Tiberi, qui n'est sans doute pas responsable de tout, qui est accablé par ses propres amis, et je pense qu'il faut avoir peut-être plus d'indulgence sur l'homme et plus d'exigence sur le système. C'est ce que je ne cesse de dire. Ce serait trop simple, pour les amis de M. Tiberi, de se débarrasser de leurs propres responsabilités sur son propre sort. »

Q - C'est pourquoi vous avez commenté hier très rapidement en disant : - « Cette mise en examen peut en toucher d'autres. » Qu'avez-vous voulu dire ?

- « Nous avons besoin d'une justice qui travaille sereinement et qui aille jusqu'au bout car on se doute bien que s'il y a eu des irrégularités, elles n'étaient pas faites simplement pour le bénéfice de tel ou tel mais pour un système. Et dans ce système, il y avait une organisation politique, en l'occurrence le RPR. Il faut aller jusqu'au bout des investigations. »

Q - Mais vous avez dit : - « Tous ceux qui avaient, à un moment, des responsabilités au titre de la Ville de Paris. » C'est-à-dire A. Juppé ?

- « Je crois qu'il est lui-même mis en examen. »

Q - J. Chirac ?

- « Pour l'instant, J. Chirac n'est pas en cause, et je ne vois pas pourquoi je le mettrais en cause. C'est au juge de le faire et pas à moi. »

Q - Mais pourquoi, si facilement au PS, vous remontez très vite au sommet ?

- « Non, je n'ai voulu viser personne, j'ai voulu viser un mécanisme, un système, une organisation qui n'est plus acceptable. »

Q - Mais avec des soupçons.

- « Non, pas du tout. Il y a des affaires, il y a des juges, il y a des procédures et il n'y a pas de commentaire à faire sur ces procédures. Mais je crois que ce serait trop simple d'accabler, de viser telle ou telle personne, alors qu'on le voit, on le sent bien, il y a eu un mécanisme de financement. Mais ce n'est pas sur les affaires que l'on pourra convaincre les Parisiens qu'il faut changer d'équipe, c'est d'abord sur un projet. Et je fais confiance aux socialistes parisiens pour le faire. »

Q - Et J. Tiberi, il faut le garder pour la bonne bouche ?

- « Ce n'est pas à nous de le dire, c'est à ses propres amis, et visiblement il peut y avoir une crise de confiance. Mais elle ne nous concerne pas. »

Q - Alors n'est-il pas plus drôle de frapper à tour de bras dans certains cas contre la droite que de parler du Gouvernement et de la majorité plurielle.

- « Parlons-en ! »

Q - Justement, là c'est le silence. Je prends quelques exemples. J.-P. Chevènement est injurié par D. Cohn-Bendit et certains Verts, pas un mot de votre part.

- « Le mien arrive : « c'est inadmissible. » Je crois qu'on peut être en désaccord, on peut avoir un débat d'idées, on peut penser que l'intervention de J.-P. Chevènement sur les langues régionales n'était pas d'une grande opportunité politique mais il a quand même le droit de le dire – pas forcément dans la cour de l'Elysée mais c'est son affaire. En revanche, comme il a été mis en cause par D. Cohn-Bendit, ce n'est pas acceptable. En tant que majorité plurielle, nous devons avoir plus qu'ailleurs le sens de l'amitié, de la cohésion – parce que nous sommes de la même majorité – et le sens de la solidarité. Et, par rapport au spectacle que donne la droite – les affaires, tel ou tel agissement au sein du RPR – nous, au sein de la gauche plurielle, nous devons savoir gérer notre diversité. Nous l'avons très bien réussi depuis deux ans, et je souhaite que ça dure. »

Q - C'est de la langue de bois !

- « Pas du tout. »

Q - D. Cohn-Bendit est un responsable ou un irresponsable politique ?

- « C'est un responsable qui peut quelquefois avoir des propos irresponsables. »

Q - J.-P. Chevènement réclamait l'autre jour que le Premier ministre siffle la fin de la plaisanterie. Il n'y a pas eu un mot de M. Jospin, en tout cas en public.

- « Heureusement que nous ne mettons pas en public ce qui doit rester du domaine de l'action gouvernementale, parce qu'en l'occurrence, il s'agissait d'un ministre. L. Jospin fait ce qu'il doit faire comme Premier ministre… »

Q - En l'occurrence qu'est-ce qu'il a dit et à qui, par exemple, à Mme Voynet ?

- « Vous lui poserez la question. Je pense que, depuis plusieurs jours, vous avez senti que ces réflexions, ces observations ou ces interrogations ont cessé. Donc, il y a ce qui doit se passer au Gouvernement, c'est l'affaire du Premier ministre, il y a ce qui doit se passer dans la majorité plurielle, j'ai mon mot à dire, et au sein de la majorité plurielle, je dis : « Les débats sont légitimes, nous pouvons discuter de tout mais avec le respect des personnes et surtout le sens de la cohésion. » Nous sommes un pôle de stabilité dans le pays, il faut que les Français comprennent bien que la gauche, ce n'est pas pareil que la droite. Et je crois qu'ils le comprennent pour le moment. »

Q - Forts de leur score aux élections européennes, les Verts haussent le ton sur tous les sujets. Peuvent-ils tout se permettre ?

- « Non, pas plus que d'autres qui ont fait un moins bon score. Je crois qu'avoir des succès électoraux – nous en avons eu nous-mêmes, les socialistes – n'autorisent pas pour autant à réclamer des changements dans l'organisation du Gouvernement. Je pense que D. Voynet a sur rectifier les choses et les propos de ses propres amis. »

Q - Mais vous pensez qu'ils sont dans leur tort quand ils réclament de meilleures places, plus de place dans le gouvernement Jospin ?

- « Ceux qui veulent être des modernes dans la vie politique, devraient comprendre qu'on ne demande pas nécessairement des places, on met d'abord en oeuvre ses idées. C'est ce qui compte le plus dans la vie politique. »

Q - Par exemple hier, ils demandaient dans les couloirs du Congrès de Versailles, pour les prochaines élections législatives, un scrutin fortement proportionnel. Quelle est votre réponse ?

- « Je pense que la proportionnelle a fait la démonstration de ses vices et même de ses conséquences quelquefois néfastes. On l'a bien vu pour les régionales et encore pour les européennes. Pour les élections législatives, le scrutin majoritaire doit demeurer ce qu'il est aujourd'hui. »

Q - Vous avez défendu J.-P. Chevènement attaqué par certains Verts, est-ce que J.-P. Chevènement peut dire ce qu'il veut, peut faire ce qu'il veut ? On a le sentiment que L. Jospin a tellement d'amitié pour lui qu'il lui passe tout.

- « Non. Il est membre du Gouvernement, il est lié par une solidarité gouvernementale. Et J.-P. Chevènement pour lequel j'ai beaucoup de respect ne doit pas se faire attaquer comme il a été attaqué. Mais en même temps, il a aussi une obligation de réserve. »

Q - Il y a une ligne danger à ne pas franchir, même quand on s'appelle J.-P. Chevènement.

- « Non, il y a une ligne gouvernementale que chacun doit respecter, sur tous les sujets, y compris sur les sujets de J.-P. Chevènement pour lesquels, je pense que nous avons, là, une obligation de réussite. Donc il faut aider J.-P. Chevènement à réussir notamment dans le dossier de l'insécurité. »

Q - Par exemple en Corse deux mouvements nationalistes viennent de réunir en cagoules, en armes, avec la presse dans les maquis. Sous J.-L. Debré, c'était Tralonca, vous le lui avez reproché. Ca recommence sous un gouvernement de gauche et sans sanction !

- « Ca, vous allez voir ! Mais l'Etat ne doit pas céder. Ceux qui nous disaient : « Il faut discuter, dialoguer avec les nationalistes » ; nous leur répondions : « Oui, à la condition que la violence soit abandonnée. » Lorsqu'on fait des conférences de presse clandestine, lorsqu'on se tient avec des armes à la main, le dialogue n'est pas possible. »

Q - Ca c'est de la tchatche !

- « Mais non, ce n'est pas acceptable de discuter avec des hommes et des femmes qui n'acceptent pas l'Etat républicain. Donc il n'y aura pas de dialogue, il n'y a pas de réconciliation possible tant qu'on veut manier le bâton d'explosif. Ca doit être dit très fortement pour qu'il n'y ait pas de malentendu. »

Q - Ne peut-on pas inverser les choses : Tant que vous jouerez « l'ordre d'abord », il ne peut pas y avoir de réconciliation politique ?

- « Si on abandonnait le préalable, ça voudrait dire qu'on pourrait poser des bombes, continuer à en poser, dialoguer avec l'Etat républicain et si on n'est pas content, continuer encore à en poser. Ce n'est pas acceptable. Cette politique a été tentée, elle n'a pas fonctionné. Donc, on l'a changée. »

Q - Je vous ai dit : « Sans sanction », vous m'avez dit : « Vous verrez. » Qu'est-ce que je vais voir ?

- « Je ne sais pas. Il y aura sans doute des enquêtes. C'est anormal qu'on puisse tenir avec des armes à la main où que ce soit et pour tenir des conférences de presse plus ou moins clandestines. »

Q - Vous estimez que la presse doit y aller, peut ne pas y aller ?

- « Ce qui devrait être fait, c'est que la police ou la gendarmerie devrait y aller. »

Q - Les protagonistes de l'affaire des paillotes vont retrouver la liberté d'ici à la fin de la semaine. L'affaire s'arrêtera-t-elle pour vous ou elle peut continuer à grimper jusqu'au bout ?

- « C'est à la justice de le dire. Il ne m'appartient pas de donner des pronostics en matière de procédure judiciaire. Il faut aller jusqu'au bout des enquêtes et connaître la vérité sur tous ces sujets-là. »

Q - En Iran, 13 juifs accusés sans preuve d'espionnage, sont condamnés à mort. La communauté internationale assiste apparemment inerte à leur pendaison. Est-ce qu'un juif iranien vaut un Serbe ou un Kosovar ?

- « Un homme, une femme qui est attaqué pour sa religion ou pour ses origines, c'est une violation de tous les droits de l'homme, où que ça se passe. Et j'ai pensé qu'il était nécessaire que le PS se mobilise derrière cette cause-là : empêcher la pendaison d'homme, de femme, d'enfant, au prétexte qu'ils sont juifs. C'est inadmissible, en Iran, comme partout ailleurs. »

Q - Qu'est-ce que vous faites ? Vous signez des pétitions ?

- « Nous avons alerté le gouvernement français aussi pour qu'il marque auprès des autorités iraniennes notre opposition radicale à cette tentation qui ne doit rester qu'au niveau de la tentation. »