Interview de M. Alain Richard, ministre de la défense, à France 2 le 12 janvier 1998, sur les manifestations de chômeurs, la préparation des élections régionales, l'affaire Dreyfus et la professionnalisation de l'armée.

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Média : Emission Les Quatre Vérités - France 2 - Télévision

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France 2 : Avant d’évoquer avec vous le centenaire du célèbre « J’accuse » d’Émile Zola, un mot sur les chômeurs. Au fond, est-ce qu’ils ne disent pas la même chose, eux aujourd’hui ? J’accuse, est-ce que ce n’est pas aussi leur façon d’interpeller le Gouvernement ?

R. : Oui, c’est un mouvement qui rappelle un drame social, des difficultés profondes pour des centaines de milliers de personnes et qui cherchent les moyens de s’exprimer, de s’organiser. Je crois que ce que le Gouvernement a décidé, après avoir pris en compte cette réalité, c’est vraiment d’ouvrir le dialogue et de demander aux associations de chômeurs, qui représentent en effet une part de leur condition sociale, d’entrer dans la discussion et de chercher avec nous des solutions. C’est ce qui a conduit le Premier ministre à dire en même temps : si nous dialoguons, on laisse travailler l’Unedic dans sa fonction de service public au quotidien.

France 2 : Vous considérez que la période difficile de ce mouvement est passée maintenant ?

R. : Je n’en sais rien. Quand on est dans l’action, on ne la commente pas en même temps.

France 2 : Vous avez dit – enfin vous, en tout cas, les rocardiens, dans leur publication , récemment : le pluralisme a ses règles. Ça veut dire quoi, que vous n’étiez pas tout à fait d’accord avec certaines prises de position de ministres de la gauche plurielle comme D. Voynet ou J.-C. Gayssot ou M.-G. Buffet ?

R. : Cela veut dire que, en tant que composant d’un mouvement politique, le Parti socialiste, nous disons à nos partenaires, enfin ceux de nos amis qui sont en responsabilité dans le PS disent aux autres partis : nous avons notre diversité, nous avons chacun nos messages à exprimer mais nous sommes dans un gouvernement qui est un vrai gouvernement.

France 2 : Donc la solidarité gouvernementale passe avant la gauche plurielle ?

R. : Chacun son rôle. Mais on ne peut pas être dedans et dehors.

France 2 : On entend assez peu les rocardiens d’une manière générale aujourd’hui et dans ce gouvernement-là, pourquoi ? Vous n’avez rien à dire ?

R. : Parce que le Gouvernement mène une action et développe une conception de l’action publique qui nous convient. Et donc nous essayons de la mener, nous essayons d'’ jouer notre rôle plutôt que de se multiplier en observations critiques.

France 2 : La candidature de D. Strauss-Kahn contre celle de M. Rocard ou repoussant celle de M. Rocard pour l’Île-de-France ?

M. Rocard disait, et certains avec lui : il peut y avoir une difficulté de présentation de notre dispositif puisque D. Strauss-Kahn est un des membres qui compte dans ce Gouvernement. Et donc si l’on cherche une solution dans laquelle il y ait un tandem, et bien Michel pourrait jouer ce rôle, compte tenu de son autorité et du rôle qu’il a joué à différents moments sur les enjeux de la région parisienne. L’équipe qui organise la compagne autour de D. Strauss-Kahn ne prend pas cette option et l’on va s’organiser pour essayer de gagner la région parisienne.

France 2 : Ça veut dire que le rocardien A. Richard va soutenir D. Strauss-Kahn ?

R. : Nous sommes sur la même liste dans le Val-d’Oise.

France 2 : Alors revenons au texte d’Émile Zola, qu’est-ce que ça représente aujourd’hui pour le ministère de la défense, c’est-à-dire le ministre des armées que vous êtes – ce texte qui voulait démontrer au fons un compromis militaire ?

R. : Cela veut dire qu’une armée dans laquelle l’idée républicaine, l’idée de respecter le droit, l’idée des droits de l’Homme n’était pas encore implantée… C’était une armée dont les généraux avaient été formés sous le Second Empire et il y avait forcément un effet de retard par rapport à l’établissement de la République. Ça, c’était la situation de 1998. J’ai voulu signifier qu’il y avait aussi des militaires qui, dès le début, avaient lutté pour la vérité, à l’intérieur même de la hiérarchie militaire, ce qui n’avait rien de facile et que, dans le temps, l’armée est devenue l’armée de la République.

France 2 : Et une armée professionnelle aujourd’hui reste l’armée de la République ?

R. : Oui, je crois que nous devons aussi préparer le fait qu’une armée professionnelle, qui aura moins le mélange avec la société dans le quotidien à cause de la conscription, qui toutefois va durer encore plusieurs années, doit garder toute son implantation, toute son imprégnation avec le reste de la société, et ça passe par aussi la formation des gens qui vont servir, ça passe par toutes les nombreuses missions de service publics que remplit l’armée depuis Vigipirate jusqu’à la surveillance navale, en passant par les catastrophes naturelles. Donc nous devons avoir aujourd’hui, même si le problème de menace pour les libertés publiques ne se pose plus, le scrupule – et je crois que c’est une volonté qui est profondément partagée par les militaires – de s’assurer que l’armée fait bien partie de la société française dans sa diversité.

France 2 : Quand on dit de vous que vous êtes le ministre de la défense qui est plutôt là pour faire des économies, faire en sorte que le budget de la défense soit le plus strict possible, plutôt que d’être le ministre des armées, ça vous énerve ?

R. : Je n’entends pas dire ça et de toute façon, je ne suis pas là pour être énervé. Le monde est toujours plein de violences, peut-être plus qu’avant la Guerre froide, la Communauté internationale y prend plus ses responsabilités qu’avant et dans cette Communauté internationale, la France est un pays qui agit beaucoup. Ce qui se traduit parfois d’ailleurs par des critiques ou par des risques que nous prenons. Donc, en même temps, nous sommes dans une situation de paix globale qui ne justifie pas que nous ayons un effort d’armement comparable à celui de la Guerre froide, et en même temps, nos armées doivent être prêtes, et elles le sont, à agir partout où des droits de minorités, partout où des situations humanitaires sont menacées. Je crois que si l’on en parle peu finalement, c’est parce que les choses avancent. Et moi je prends par exemple comme quelque chose de très positif la relation qui s’est établie aujourd’hui entre le mouvement humanitaire et nos armées parce qu’ils savent qu’ils ont besoin les uns des autres. Donc nous avons une conception de défense qui a changé en même temps que les événements, en même temps que la situation stratégique, mais qui assure la sécurité et la capacité d’expression de ce pays, ce qui est son rôle.

France 2 : R. Dumas l’autre jour à cette même place disait que, concernant l’Algérie, il souhaitait qu’il y ait quelque chose qui se rapproche de l’intervention des casques bleus dans l’ex-Yougoslavie. Qu’en pensez-vous ?

R. : Le moment où un pays qui connaît des troubles, des déchirements importants, est un pays qui devient presque sans gouvernement – ce qui justifie et qui impose, d’ailleurs, l’intervention de la Communauté internationale , est un moment extraordinairement difficile à apprécier. La vision du gouvernement français aujourd’hui, c’est qu’il y a des autorités en Algérie qui ont fait en plus des efforts d’aller vers une certaine forme de démocratie, ce qui n’est jamais facile quand on n’y était pas avant – dans la démocratie. Et que nous ne considérons pas qu’il y ait un motif d’internationalisation du conflit. En revanche, nous sommes, avec nos amis européens, dans une recherche de gestes de bonne volonté et de soutien au rétablissement de la paix en Algérie. Mais nous ne proposons pas l’intervention des casques bleus en Algérie, non.