Déclaration de M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche, à l'occasion de la remise du prix Sully à M. Louis Lebourdais, Paris le 17 décembre 1997.

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Circonstance : Remise du 52ème prix Sully (destiné à couronner une oeuvre littéraire consacrée à l'évolution du monde rural et agricole) à Paris le 17 décembre 1997

Texte intégral

Le prix Sully, à l’image de notre agriculture, allie modernité et tradition. Tradition, car ce prix est remis chaque année depuis plus de 50 ans. Modernité puisqu’il est destiné à couronner une œuvre littéraire consacrée à l’évolution du monde rural et agricole. Ce prix littéraire s’enorgueillit d’avoir couronné des écrivains reconnus par la suite tels que Henri Vincenot, Per Jakez Helias, Claude Michelet et Christian Signol.

Nous sommes aujourd’hui réunis pour perpétuer ce travail de distinction qui doit permettre au monde rural, détenteur d’un patrimoine culturel propre, d’enrichir la réflexion sur le devenir de notre société dans toutes ses dimensions et d’être pour celle-ci un facteur d’équilibre.

Des jurés – écrivains ou journalistes pour la plupart – consacrent une partie de leur temps au choix de l’ouvrage qui leur semble le mieux illustrer cette thématique. Maurice Genevoix et Colette furent de ceux-là.

Nos archives en témoignent et conservent précieusement une lettre par laquelle Colette demande au ministre d’alors de voter par correspondance : « Les progrès de l’arthrite ne me laissent plus la possibilité de gravir l’escalier C, ni aucun autre escalier… », plaide-t-elle avant de donner sa voix au… « Promeneur à pied » !

Pour cette édition, le jury composé de personnalités telles que Eliane Bernard, Jean-Pierre Chabrol, Michelle Lesaichère, Patrick Pagès et Michel Ragon, a délibéré très consciencieusement au cours des mois précédents et il a décidé d’attribuer le prix Sully 1997 à Louis Lebourdais pour son livre « Les choses qui se donnent… » aux éditions Cénomane.

Louis Lebourdais est né dans la Sarthe en 1923. Il a toujours balancé entre le travail de la terre et l’attrait de l’écriture. À treize ans, certificat d’études en poche, commence pour lui l’apprentissage du métier de paysan : « La galère d’apprendre à se servir correctement d’une serpe (…), de la faux… » témoignera-t-il. Il trouve sa consolation dans la bibliothèque scolaire et le Petit Larousse Illustré reçu en récompense à la fin de sa scolarité.

Louis Lebourdais a profondément ressenti dans sa vie quotidienne les mutations de l’agriculture.

Il a connu l’existence traditionnelle du paysan, puis sa reconversion en agriculteur.

À une certaine littérature de terroir – qui serait par là même assimilée à une sous-littérature –, Louis Lebourdais répond par le présent d’une écriture moderne. Aucune nostalgie, pas de « bon vieux temps » pour cet homme qui n’a jamais quitté la terre, et qui sait ce que cela veut dire, lui qui s’est révolté contre la trop lente évolution de son milieu ou la résignation qui imprégnait parfois la mentalité paysanne. La campagne n’est pas un eldorado.

La vie rurale, la nature, le travail apparaissent au travers de son œuvre dans une perspective historique, sociale et culturelle qui restitue toute leur vérité. « Est-ce ainsi (…) qu’à force de pencher l’épaule droite vers le labour pour aider le versoir, nous n’aurons jamais le port de tête qui caractérise les gens de la ville ? », s’interroge-t-il ?

« Les choses qui se donnent… » retrace la vie de sa famille, depuis son installation en 1871 à Prévelles, petit village du bocage sarthois, jusqu’au milieu de ce siècle.

Pendant cette période, les générations vont se succéder sans que presque rien ne change. C’est la vie quotidienne des petites gens que l’auteur nous raconte avec ses yeux d’enfant. Bien plus que le relévé des traces d’une histoire personnelle, le récit de Louis Lebourdais rejoint l’écriture universelle d’une humanité pour laquelle la prégnance des sentiments, l’interrogation permanente sur ce qui fait la valeur et le sens d’une existence, le destin d‘une vie, les valeurs d’une société, sont des interrogations majeures.

L’avenir ne se construit, le présent n’existe que sur les fondements d’un passé reconnu. En ce sens, le livre de Louis Lebourdais ouvre, à partir de réalités simples et vraies, des perspectives pour tous ceux qui s’interrogent sur nos comportements actuels. En racontant l’amour d’une grand-mère pour ses petits-enfants, l’amitié des gens d’un village, l’entraide des paysans, mais aussi l’odeur des fruits du verger ou le spectacle d’une colline qui reverdit, Louis Lebourdais nous invite non pas à retourner vers le passé mais à inventer notre avenir sur les bases d’une certaine éternité.

« Il est des choses qui se donnent et qu’on ne trouve pas à acheter », écrit Louis Lebourdais. Ces choses qui se donnent, sachons encore les recevoir, pour être à notre tour capables de les transmettre. Elles ne s’achètent pas plus aujourd’hui qu’hier, et l’auteur nous invite à préserver cet héritage en devenir dont nous ne sommes que de furtifs propriétaires.

Je dois signaler à ce sujet que si aucun de ses enfants n’est agriculteur, l’un d’entre eux continue à servir le monde agricole, puisqu’il travaille pour la direction des exploitations de la politique sociale et de l’emploi de ce ministère. En quelque sorte, tout comme son père, il œuvre pour la pérennité du patrimoine rural puisqu’il a la charge du dossier des mesures agri-environnementales. Ces véritables contrats passés entre les travailleurs de la terre et la société sont des incitations à œuvrer pour une agriculture plus respectueuse de l’environnement, et au-delà sont sans doute la préfiguration d’un modèle de relation entre l’agriculture et l’ensemble des citoyens qui permettra au monde rural de prendre toute sa place dans la modernité d’un nouveau siècle.

Louis Lebourdais réussit au travers de son œuvre à nous en faire ressentir l’impérieuse nécessité. Je suis donc particulièrement heureux de lui remettre le prix Sully 1997.