Texte intégral
France 2 - 5 mai 1997
France 2 : Hervé de Charette, vous êtes ministre des affaires étrangères, vous avez bien sûr suivi l’élection de Tony Blair dont les premières mesures semblent être une volonté, – c'est le Foreign Office qui l'a dit – de sortir la Grande-Bretagne de son isolationnisme, de son chauvinisme, de ratifier l'Europe sociale. Tout cela va-t-il dans le bon sens ?
Hervé de Charette : Tony Blair est à gauche. Je ne peux pas me féliciter d'une victoire de gauche. Mais c'est vrai qu'à la différence de M. Jospin et de ses amis, Tony Blair représente une gauche moderne, c'est-à-dire différente.
France 2 : Mais c'est très différent.
Hervé de Charette : Oui bien entendu. Et le point qu'il y a en effet de positif dans l'élection en Grande-Bretagne, c'est qu'au fond le Parti conservateur s'était bloqué dans une espèce d'anti-européanisme. Et finalement, cela a été un peu rejeté, si vous regardez non seulement les votes du Parti travailliste. Mais il y a aussi un vote entre les deux, un parti libéral, vous le savez, qui a été aussi, et même plus nettement, aussi européen. Donc il y a il me semble un mouvement vers l'Europe en Grande-Bretagne qui est plutôt un signe positif. Mais il y a quand même un long chemin à faire entre la position britannique traditionnelle et je dirais les positions européennes raisonnables. M. Robin Cook – le nouveau ministre des affaires étrangères que je salue, que j'accueille volontiers – a de la route devant lui.
France 2 : En quelques mots, le Zaïre. Malgré la rencontre entre Kabila et Mobutu, les rebelles continuent à progresser sur Kinshasa.
Hervé de Charette : Oui, je crois que la communauté internationale fait beaucoup d'efforts.
France 2 : La France semble un peu absente, non.
Hervé de Charette : Non, la France fait beaucoup d'efforts, elle est présente, elle appuie l'ONU et son envoyé. Le fait est que pour l'instant les résultats sont modestes.
Date : lundi 5 mai 1997
Source : France 2
G. Leclerc : La campagne est officiellement ouverte, avec pas moins de 3 600 candidats, alors que les sondages indiquent un resserrement entre la gauche et la droite, qui seraient quasiment au coude à coude. Cela vous inquiète ?
Hervé de Charette : En tout cas, cela ne me surprend pas. Il faut bien voir que, dans une élection législative, les choses ne sont pas réglées d'avance, comme on avait l'impression qu’on le disait il y a encore une semaine. C'est une vraie campagne électorale. Il y a, clairement identifiés, deux camps possibles c'est-à-dire deux majorités possibles : une majorité qui est la nôtre – reviendra-t-elle ? – et puis la majorité qui est formée par le Parti socialiste et le Parti communiste. Il n'y en a pas d'autre. Donc, en effet, il ne faut pas que l’on s'imagine que c'est une promenade de santé. Il ne faut pas non plus que nos électeurs pensent que l'affaire est entendue – elle n'est pas entendue – ou qu'ils peuvent disperser leurs voix en votant pour tel ou tel candidat de-ci, de-là, comme il y en a dans les campagnes électorales. Eh bien, si on le fait, il faut savoir que la majorité prend des risques. Il faut savoir ce qu'on veut.
G. Leclerc : Justement, il y a un certain nombre de gens qui disent que cette campagne est morne, qu'elle manque de tonus, qu'elle n'a pas pris son véritable élan et on conteste également le chef d'orchestre, a savoir Juppé.
Hervé de Charette : Vous savez, je passe mon temps à dire toujours la même chose. Premièrement, c'est la tradition que, dans une campagne législative, le Premier ministre conduise la campagne électorale pour son camp. Que ce soit à droite ou à gauche, il en a toujours été ainsi. Mais en même temps, il est bien évident qu'on ne choisit pas le Premier ministre. On ne fonctionne pas comme en Grande-Bretagne, les Français n'ont pas à choisir le Premier ministre. Ils ont à choisir les députés, ils ont à choisir une majorité, celle-ci on une autre. C'est le Président de la République, c'est notre tradition, qui choisira le Premier ministre le jour venu.
G. Leclerc : Pas de reconduction automatique d'A. Juppé ?
Hervé de Charette : Non.
G. Leclerc : Est-ce que J. Chirac doit intervenir, comme on l'entend beaucoup dire ces derniers temps ?
Hervé de Charette : Je crois qu'à un moment ou à un autre, le Président de la République devra sans doute entrer dans le débat, dire quelque chose. Est-ce qu'il faut qu'il soit à fond dans la campagne électorale ? Je dirais que, personnellement, je ne le crois pas. En tout cas, pas maintenant. Il faut laisser le débat s'organiser entre la gauche et nous, parce qu'il y a un vrai débat et des choses a dire.
G. Leclerc : Il y a beaucoup de candidatures dissidentes à droite.
Hervé de Charette : Il y en a pas mal à gauche aussi.
G. Leclerc : Et les candidatures du Mouvement pour la France de P. de Villiers ? Ce dernier veut faire du premier tour un référendum sur l'Europe. Est-ce que tout cela ne risque pas de faire beaucoup de tort à la majorité ?
Hervé de Charette : Je crois, en effet, que si on disperse ses voix sur des candidats divers, divers droite notamment, il va de soi que l’on porte tort à la majorité. On affaiblit les candidats au premier tour et, naturellement, on prend des risques pour le deuxième. Il faut bien, je le rappelle, comprendre qu'une élection législative n'est jamais jouée à l'avance et que, par conséquent, c'est seulement dans l’urne que la décision est prise. Moi, je ne crois pas du tout que la majorité a gagné. Je me bats non pas comme quelqu'un qui a gagné et qui se promène mais comme quelqu'un qui a besoin de convaincre parce qu'il y a des choses vraiment importantes pour notre pays.
G. Leclerc : D'autant qu'il semblerait que la gauche retrouve une certaine crédibilité. Elle a présenté son programme qui a été adouci. Il n'y a plus de hausse d'impôt, une priorité à l'emploi...
Hervé de Charette : Il y a quelques douceurs mais quand même, la gauche revient avec ses deux bonnes vieilles habitudes, c'est-à-dire qu'elle nous propose d'une part, les 39 heures payées 35.
G. Leclerc : Oui, mais sur trois ans.
Hervé de Charette : On prend son temps mais cela revient au même ! Donc, on rase gratis demain. Et elle nous propose d'autre part, l'allégement général pour tout le monde. Naturellement, tout cela produira exactement les mêmes effets qu'en 1981. On a déjà joué cette partie-là. On l'a fait en 1981, un peu plus light mais on a fait la même chose. Et puis rapidement, on s'est aperçu que cela ne pouvait pas marcher et on a fait demi-tour. Autrement dit, les socialistes commencent par nous raconter des balivernes sucrées et ensuite, il faudra passer à l'addition. Vous savez, cela fait déjà quatre ans que les Français payent pour les erreurs commises pendant les quatorze ans précédents ! Faut-il vraiment s'engager dans cette nouvelle aventure ?
G. Leclerc : Vous êtes ministre des affaires étrangères. Les premières mesures que veut prendre T. Blair semblent montrer que la Grande-Bretagne veut sortir de son isolationnisme, de son chauvinisme et ratifier l'Europe sociale. Tout cela va dans le bon sens ?
Hervé de Charette : Premièrement, je ne tire pas T. Blair à moi. T. Blair est à gauche et je ne peux pas me féliciter d'une victoire de gauche, mais c'est vrai qu'a la différence de L. Jospin et de ses amis, T. Blair c'est une gauche moderne, ce n'est pas douteux, c'est-à-dire différente. Le point qu'il y a en effet de positif dans l'élection en Grande-Bretagne c'est qu'au fond, le Parti conservateur s'était bloqué dans une espèce d'anti-européanisme primaire. Et finalement, cela a été un peu rejeté, il faut bien le dire. Si vous regardez non seulement les votes du Parti travailliste mais aussi du Parti libéral qui est encore plus nettement européen, on voit qu'il y a un mouvement vers l'Europe en Grande-Bretagne. C'est plutôt un signe positif mais il y a encore un si long chemin à faire entre la position britannique traditionnelle et des positions européennes raisonnables, que le nouveau ministre des affaires étrangères, que je salue et que j'accueille volontiers, a de la route devant lui.
G. Leclerc : En quelques mots, le Zaïre. Les rebelles continuent à progresser vers Kinshasa.
Hervé de Charette : Je crois que la communauté internationale fait beaucoup d'efforts. La France fait beaucoup d'efforts. Elle est présente. Elle appuie 1'ONU et son envoyé. Le fait est que, pour l'instant, les résultats sont modestes.