Texte intégral
RMC : mercredi 23 avril 1997
P. Lapousterle : Vous êtres ancien président du groupe UDF à l’Assemblée.
G. de Robien : Je suis l'ancien président et je suis même ancien député.
P. Lapousterle : Grande réunion d'unité de la majorité hier après-midi. N'avez-vous pas été un peu irrité que seul Alain Juppé ait parlé, et qu’il n'ait pas laissé un peu de place à ses alliés indispensables pour la victoire, s'il y a victoire au bout ?
G. de Robien : La succession des discours pour dire à peu près la même chose, puisque nous sommes tous bien phasés, non seulement sur les raisons de la dissolution mais en plus de cela sur le projet à venir, fait que la répétition de discours aurait peut-être lassé nos amis. Là, on a un chef de gouvernement qui a réuni les responsables de la majorité, déjà depuis plusieurs jours, qui a mis une dernière main à son discours encore hier matin avec, notamment, François Léotard. Et nous avons eu un déjeuner de la majorité tous ensemble, hier. Et donc ce que disait Alain Juppé nous le pensions tous.
P. Lapousterle : L'absence d’Alain Madelin ?
G. de Robien : L'absence d'Alain Madelin ? Il était hier au déjeuner de la majorité. Il était présent. Il a parlé. L'après-midi, il a peut-être des emplois du temps qui sont les siens. En tout cas, ce n'est certainement pas une bouderie puisqu'au cours du déjeuner, il a pu s'exprimer et il est, bien sûr, l’une des valeurs sûres de la majorité, et notamment de l'UDF.
P. Lapousterle : La dissolution a été prononcée, M. de Robien. Le pronostic est évidemment, dans vos rangs, favorable à ce que la majorité soit reconduite. Est-ce que vous pensez quand même qu’il y a un risque sérieux que l'opposition actuelle devienne majoritaire ?
G. de Robien : Oui, il y a effectivement un risque. Sérieux, je ne le sais pas. Quand vous dites que l’on est en voie de gagner ces élections, je ne dirais pas la même chose. Toute élection se gagne et elle n'est jamais gagnée d'avance. Donc, nous avons beaucoup à travailler, beaucoup à expliquer et surtout à dire deux choses. Cette dissolution permet de gagner un an, tout simplement de gagner un an. On se rend bien compte que sur le plan économique, dans les huit, dix, douze mois avant une élection, les choses s'arrêtent et ce n'est pas bon pour le pays et donc l'emploi. La deuxième raison pour laquelle il faut que nous gagnions dans un mois et demi, c'est que l’on ne peut pas laisser un pays comme la France avec, éventuellement, un gouvernement socialiste, qui aborde le XXIe siècle. Est-ce qu'il est imaginable que la France ait un gouvernement socialiste en l'an 2000 ? Nous serions probablement les seuls dans le monde, ou au moins en Europe, à avoir un gouvernement socialiste, autrement dit, quelque chose qui nous tourne vers le passé alors que l'aube du XXIe siècle va nous tourner vers l'avenir.
P. Lapousterle : On ne peut pas dire cela, M. de Robien ! Dans quelques semaines, vous le savez très bien, les socialistes prendront le pouvoir en Grande-Bretagne !
G. de Robien : J'attendais justement votre remarque. Ce ne sont pas des socialistes Je peux vous dire que vraiment ceux qui risquent de gagner en Grande-Bretagne, en France, ils s'appelleraient plutôt UDF.
P. Lapousterle : Je ne sais s'ils apprécieraient ce que vous dites aujourd'hui, mais on ne sait jamais ! Si votre majorité était reconduite, voudriez-vous qu’il y ait des inflexions par rapport à la politique actuelle du gouvernement ou vous voudriez que ce soit la poursuite de la politique actuelle ? On a eu l'impression, en écoutant Alain Juppé, hier, que l’on continuerait à faire la même chose.
G. de Robien : Ce n'est pas un changement, c'est vrai mais c'est une accélération, au moins dans deux ou trois directions. Une accélération dans le domaine de la baisse de la fiscalité et des charges sociales. On s'aperçoit bien que notre pays a, aujourd'hui, des semelles de plomb. Cela l'empêche de courir dans les tout premiers et d'avoir un appareil économique suffisamment performant pour créer des emplois. Il faut que nous allégions l'appareil de l'État, les charges des entreprises de façon à ce que celles-ci soient plus productrices en termes d'emplois. Lorsqu'il y a des millions de personnes qui sont privées d'emplois, forcément il y a quelque part, dans le pays, un état d'esprit qui fait qu'on est freiné. Les millions de chômeurs sont un reproche permanent pour nous, les gouvernants, quels qu'ils soient – les précédents comme ceux qui sont actuellement au pouvoir. Par conséquent, il faut vraiment diminuer le nombre de chômeurs et retrouver l'optimisme, la créativité, l'initiative et le goût de l'initiative. Donc, vraiment, la baisse des prélèvements, la baisse des impôts, la baisse des charges, c'est la première chose. La deuxième chose très importante, qui est le corollaire de la première, c'est que si nous voulons faire maigrir l'État ou remettre l'État sur ses missions essentielles, il faut donner plus de pouvoir aux élus locaux. Et si l'on donne plus de pouvoir aux élus locaux, c'est ce qu'on appelle le pouvoir de proximité et cela a un nom : cela s'appelle la décentralisation, même si ce n'est pas toujours bien perçu, la décentralisation. Si nous donnons plus de pouvoir aux élus locaux, les Français se réconcilieront avec ce qu'on appelle la classe politique parce qu'ils s'apercevront que les élus sont efficaces ; ils sont, par définition, tout proche et ils ont des réponses à apporter aux Français au quotidien. C'est ce que les Français attendent.
P. Lapousterle : Et cela, 477 députés à l'Assemblée nationale sur 577, cela ne suffisait pas pour faire ce que vous dites ? 80 % de l'Assemblée nationale, cela ne suffisait pas ?
G. de Robien : Si, cela suffit, mais ce n'est pas l'importance de la majorité qui compte, c'est la possibilité psychologique et politique d'aborder une nouvelle phase. Se ressourcer auprès des électeurs, c'est une démarche qui est courageuse et qui est belle en soi. On va au-devant des électeurs en leur disant voilà ce que l'on a fait, on tourne une page, on va faire encore mieux à condition que vous nous donniez encore une fois votre confiance.
P. Lapousterle : Et cela évite aussi qu'on voit les résultats !
G. de Robien : Qu'on voit les résultats ?
P. Lapousterle : Les résultats des promesses du gouvernement Juppé.
G. de Robien : Mais on va voir les résultats des promesses du gouvernement Juppé, on les voit déjà !
P. Lapousterle : Après les élections.
G. de Robien : Mais on les voit déjà puisque la croissance repart un petit peu, déjà le chômage des jeunes se ralentit – certes trop peu, mais il ralentit. Si l'on accélère les mesures d'allégement et les mesures de décentralisation, dans les deux ou trois ans qui viennent donc, pour aborder l'an 2000, la France sera un pays moderne, dynamique, décentralisé c'est-à-dire beaucoup plus performant avec des Français certainement encore plus satisfaits.
P. Lapousterle : Alain Juppé a largement montré, hier, M. de Robien, qu'il était le patron de la majorité, qu'il allait mener le combat électoral. Est-ce que vous penseriez qu'il serait naturel qu’il soit chef du gouvernement si la majorité gagnait les élections ?
G. de Robien : Il serait naturel, comme peut-être d'autres, parce que cela dépend beaucoup des résultats des élections. Cela dépend de la majorité que nous avons, à savoir si c'est une majorité juste ou si c'est une majorité ressemblant à celle d'aujourd'hui. Cela dépend des rapports, je ne dirais pas de force, mais du nombre de députés RPR et UDF. Nous sommes dans un système de coalition entre deux grandes familles politiques, et donc attendons sereinement le résultat des élections, en fonction de cet acte démocratique majeur. À ce moment-là le président de la République choisira.
P. Lapousterle : Robert Hue a dit qu'après les élections, il y aurait un tour de vis supplémentaire. Dès que l’on dit cela, tous les gens de la majorité, dont vous, montent aux rideaux. Je vais vous poser la question suivante. Lionel Jospin a dit : « Si le respect des critères de Maastricht pour la monnaie unique exigeait une rigueur supplémentaire des Français, je dirais non. » Si, pour rentrer dans la monnaie unique, il fallait imposer une rigueur supplémentaire aux Français, vous répondriez oui ou non ?
G. de Robien : Je ne répondrais ni oui, ni non parce que la rigueur est derrière nous et le Premier ministre l'a encore répété, hier soir et hier après-midi. Avec Lionel Jospin, il y aura à coup sûr la rigueur puisque plus d'impôts, plus de prélèvements, cela a été la ligne conduite par les socialistes à chaque fois qu'ils ont eu le pouvoir. Alors qu'aujourd'hui, le Premier ministre dit très clairement que la rigueur est derrière nous parce que nous avons, en grande partie, soigné les plaies socialistes des quatorze précédentes années, autrement dit des deux septennats précédents.
P. Lapousterle : Vous dites, ce matin, qu'il n'y aura pas de prélèvements supplémentaires si la majorité est reconduite.
G. de Robien : Il y aura moins de prélèvements obligatoires si la majorité est reconduite. C'est moins : pas plus, pas autant, c'est moins ! Est-ce que cela va être dans les deux mois qui viennent ou dans l'année qui suivra ? L'année 1997 sera une année avec davantage de croissance, donc une marge supplémentaire dans le budget de l'État, et l'année 1998 devrait même donner une croissance qui passerait de 2,3 à 3 %, ce qui ne s’est jamais vu depuis des années en France. Avec cette marge, on peut effectivement baisser les impôts. C'est une sorte de pari fiscal. Je vais vous raconter une toute petite histoire très courte. Le département qui a baissé le prix de la vignette a eu davantage de rentrées fiscales. Tout simplement parce qu'en baissant le prix de la vignette, les voitures viennent s'immatriculer dans ce département. C’est la Marne.
P. Lapousterle : Et moins d'impôts, ce n'est pas moins de fonctionnaires ?
G. de Robien : Et moins d'impôts, cela peut être effectivement une répartition de la fonction publique meilleure qu'aujourd'hui. On s'aperçoit que l’on a accumulé des strates, remplis des bureaux avec une fonction publique de très grande qualité mais où il y a forcément souvent des doublons, et notamment des doublons avec le pouvoir décentralisé. Et les socialistes ont su faire une petite partie de décentralisation, ils n'ont pas su en tirer les conséquences sur le coût de fonctionnement de l'État. Mais je crois que comme il y a un certain nombre de fonctionnaires qui partent tous les ans de la fonction publique et qui prennent leur retraite, on n'est pas obligé de les remplacer tous. Il vaut mieux les répartir mieux dans les grandes fonctions régaliennes de l'État.
France 3 : mardi 29 avril 1997
É. Lucet : Comment le programme de la majorité peut-il contenter un ultralibéral comme Alain Madelin et un homme comme vous, soucieux des problèmes sociaux ?
G. de Robien : À la fois parce que ce programme prévoit une baisse des prélèvements obligatoires, c'est-à-dire la baisse des impôts, la baisse des charges sociales – ce qui va certainement beaucoup faciliter l'emploi – et à la fois parce qu’il protège déjà la loi existante : la réduction du temps de travail, qui est une loi libérale et sociale. Et ils s'aperçoivent – ces députés un peu réfractaires au début, même carrément hostiles pour certains – que c'est une loi qui marche, qui marche à l'avantage des entreprises, et qui marche à l’avantage des salariés ; qui marche à l'avantage aussi de la lutte contre le chômage et qui, en plus de cela, n'est pas coûteuse pour l'État. Au contraire, elle fait faire des économies à la collectivité nationale. Et donc, c'est tout simplement par l’exemple que nous avons réussi à les convaincre.
É. Lucet : Franchement est-ce que vous ne vous sentez pas parfois un peu la caution sociale de la majorité ?
G. de Robien : Je crois que nous sommes très nombreux à être à la fois libéraux, c'est-à-dire partisans d'une économie de marché, partisans d'une économie libre comme tous les pays modernes, et à la fois aussi disant franchement que l’économie est au service des gens. L'économie n'est pas un but en soi, l’économie se doit d’être au service des hommes et des femmes du pays avec une répartition qui soit une répartition juste avec un fort coefficient de solidarité, parce que nous avons besoin dans notre pays de solidarité, mais nous avons aussi besoin d'une économie qui marche, qui soit florissante avec les initiatives qui soient aidées, qui soient libérées des tas de contraintes que nous avons comme les charges sociales et les impôts.
É. Lucet : Raymond Barre envisage dans « Le Progrès de Lyon » de demain la démission de Jacques Chirac en cas de victoire de la gauche. Quelle est votre position ?
G. de Robien : C'est l'avis de Raymond Barre, mais je crois que le président de la République a été élu pour sept ans. Il a la légitimité pour 7 ans. On a vu d'autres présidents de la République rester en place. J’attire votre attention sur une chose très importante, c'est qu'on ne peut pas se permettre de mettre notre pays en état de cohabitation à la veille d'échéances internationales et européennes aussi importantes que celles en 1998. Cela affaiblirait la France et cela nuirait à l'ensemble des Français. C'est cela la principale occasion de dire – puisque j'en ai l'occasion – cet argument fort : nous ne pouvons pas entrer en état de faiblesse dans une économie mondialisée que nous avons déjà depuis longtemps, et dans une Europe dynamique, si la France est faible.