Texte intégral
La Croix - 10 septembre 1999
La Croix : Pourquoi attendre pour annoncer votre candidature à la présidence du RPR ?
Jean-Paul Delevoye : Lorsque nous avons commencé à réfléchir en juin, à quelques-uns, sur une candidature de renouvellement, nous nous étions fixés un calendrier qui nous permette de consulter et d’écouter largement. Le 15 septembre était notre échéance, il n’y a aucune raison d’accélérer ou de ralentir ce calendrier.
La Croix : François Fillon, lui, s’est déclaré. Comme vous, il défend une vision sociale du gaullisme. Sa candidature ne vous coupe-t-elle pas l’herbe sous le pied ?
Jean-Paul Delevoye : Sa candidature conforte au contraire mon analyse. Il y a aujourd’hui des candidatures institutionnelles et d’autres qui expriment une sensibilité particulière du RPR. Si je me présente, ce ne sera pas au nom d’une tendance, mais pour rassembler et répondre à la demande d’écoute de la base de nos militants. Finissons-en avec la compétition entre des clans séguiniste, juppéiste, balladurien ou que sais-je encore. Au soir de l’élection, il ne faudra pas de perdant : chacun devra avoir sa place au RPR.
Cette élection doit aussi être l’occasion de redéfinir le rôle des mouvements politiques. J’en vois, pour un parti d’opposition, trois : anticiper et organiser le débat sur les grands enjeux de société à venir ; critiquer de manière argumentée l’action du gouvernement ; et repérer et former sur le terrain les hommes et les femmes capables de prendre des responsabilités.
La Croix : Président des maires de France, vous êtes, par fonction et par tempérament, porté au consensus. Est-ce compatible avec le devoir d’opposition actuel du RPR ?
Jean-Paul Delevoye : Le rôle du président du RPR doit également évoluer. Du chef qui dicte la bonne parole au chef d’orchestre capable de conjuguer des talents variés au sein d’une équipe. Nous avons deux ans pour redonner de la crédibilité à une équipe et à nos idées, et pour permettre à tous les militants d’être fiers de nos valeurs.
La Croix : Les municipales de 2001 seront la première échéance électorale du nouveau président du RPR. Avez-vous la recette miracle pour régler les problèmes de Paris ou de Lyon ?
Jean-Paul Delevoye : Dans ces deux villes, il faudra avant tout trouver les bonnes équipes dans chaque arrondissement. De manière générale, c’est par une écoute la plus proche possible du terrain que l’on évitera les erreurs sur le choix des candidats. Sur le plan politique, une primaire bien organisée à droite peut parfois être plus utile qu’une union façade.
La Croix : Chaque candidat revendique plus ou moins le soutien de l’Élysée. Qui croire ?
Jean-Paul Delevoye : Pour ma part, je ne me prévaudrai d’aucun soutien. À l’égard de Jacques Chirac, le RPR doit conjuguer fidélité et indépendance. Si l’on débat en profondeur et dans la transparence de tous les sujets, on pourra éviter les malentendus. J’ajoute qu’il ne pourra y avoir aucune ambiguïté sur une éventuelle ambition présidentielle nationale.
La Croix : En tant que secrétaire général en place, Nicolas Sarkozy ne dispose-t-il pas d’une longueur d’avance ?
Jean-Paul Delevoye : Si l’on veut que cette élection soit un exemple de démocratie interne, une totale équité doit exister entre les candidats. Le RPR a certes besoin d’un secrétaire général pour son fonctionnement quotidien, mais je serais favorable à la mise en place d’une solution transitoire ou à la désignation d’un secrétaire générale adjoint, pour la durée de la campagne. Nicolas Sarkozy y gagnerait lui-même en liberté de parole.
La Croix : Votre élection à la tête du RPR conduirait, vous reprochent certains, à « abandonner » à l’UDF la présidence de l’AMF.
Jean-Paul Delevoye : Curieuse conception de nos relations avec nos partenaires de l’opposition ! Durant la campagne, je me mettrai en retrait. Élu au RPR, je quitterai la présidence de l’AMF dont la mission est de défendre les maires et pas d’offrir un titre à un parti. Battu au RPR, je resterai militant et resterai président de l’AMF.
Le Monde, 22 septembre 1999
Le Monde : Après le retrait de Nicolas Sarkozy de l’élection pour la présidence du RPR, vous êtes apparu comme le « candidat officiel », celui qui bénéficie du soutien de l’Élysée. Qu’en est-il exactement ?
Jean-Paul Delevoye : La relation du RPR avec le président de la République tient en deux mots : fidélité et indépendance. J’ai dit, dès le départ, que le choix d’un candidat pour la présidence de la République ne se pose pas. Le candidat naturel de l’opposition, en tout cas celui du RPR, pour 2002, c’est Jacques Chirac. Dès lors, arrêtons les querelles de personnes ! La vraie question est la suivante : comment faire pour avancer des propositions, nourrir un projet et l’ancrer dans les enjeux de société, afin de gagner les futures échéances électorales ?
Le Monde : Précisément, le calendrier fixe les élections législatives avant la présidentielle…
Jean-Paul Delevoye : Cela impose une responsabilité supplémentaire. Il faut redonner une crédibilité à notre projet. C’est l’une des conditions pour que l’opposition retrouve une dynamique. Face à l’insouciance dans laquelle le gouvernement cherche à plonger le pays, l’opposition et notamment le RPR doivent imposer le devoir de clairvoyance : il faut montrer à l’opinion que certaines décisions ne sont pas prises, alors qu’elles conditionnent directement l’avenir.
De même que le consommateur cherche à faire bouger l’industriel pour obtenir un produit de qualité, l’électeur attend désormais du politique une plus grande authenticité. Il ne veut pas d’un politique qui a réponse à tout, mais d’un politique qui pose les bonnes questions et qui suscite le débat. Il réclame, aussi, davantage d’écoute et de modestie dans la gestion du pouvoir.
Le Monde : N’est-ce pas un pari audacieux que de prétendre succéder à Alain Juppé, Philippe Séguin, Nicolas Sarkozy ?
Jean-Paul Delevoye : J’ai pris le temps de la réflexion. J’ai mesuré les difficultés. Mais je suis aussi très critique vis-à-vis de certaines pratiques politiques qui se développent depuis plusieurs années et qui relèvent du marketing. Ma conviction est qu’un président qui a des capacités de rassemblement, qui est davantage porté par le soutien à un projet collectif que par une ambition personnelle, dont les convictions sociales et « sociétales » sont connues, qui n’a pas d’état d’âme par rapport au président de la République et qui, enfin, a montré son indépendance d’esprit, peut parvenir à mettre en harmonie tous les talents que nous avons au RPR.
J’ai aussi la conviction qu’il y a un réel décalage entre le jugement de l’élite et l’aspiration du peuple. Il vaut mieux avoir plus d’électeurs et moins de charisme que plus de charisme et moins d’électeurs. C’est sur la pression du terrain que j’ai décidé d’y aller.
Le Monde : La candidature de Patrick Devedjian, au nom d’une droite moderne et européenne, change-t-elle la donne ?
Jean-Paul Delevoye : Chaque candidature semble vouloir exprimer une partie seulement du RPR. Patrick Devedjian se réclame d’une droite européenne, François Fillon du courant séguiniste. En réalité, ces candidatures concurrentes nourrissent plutôt ma détermination à dire : arrêtons toutes ces expressions de clans ! On a eu les balladuriens contre les chiraquiens, les juppéistes contre les séguinistes, les pro et les anti-Maastricht, ces clivages sont complètement dépassés !
Le Monde : M. Chirac a-t-il toujours besoin d’un RPR fort ?
Jean-Paul Delevoye : Oui. La démocratie ne fonctionne bien que lorsque les citoyens disposent, par rapport à un gouvernement donné, d’une alternance crédible. C’est ce qu’il nous faut reconstruire. Cela passe que par un RPR fort, non pas un RPR dominateur, mais un RPR qui rassemble. C’est à cette condition qu’on peut créer une dynamique pour les prochaines élections. La crédibilité d’une alternance, voire sa concrétisation, est une clef déterminante pour la victoire à l’élection présidentielle.
Le Monde : Comment envisagez-vous vos futures relations avec les « poids lourds » du mouvement, presque tous à l’écart de la direction ?
Jean-Paul Delevoye : Si vous voulez me faire dire que la situation du futur président du RPR ne sera pas forcément confortable, je partage votre point de vue. Je reste cependant convaincu qu’à partir du moment où le futur président n’est pas quelqu’un qui prétend entrer en concurrence avec elles, on peut permettre à ces personnalités d’exister, non pas l’une contre l’autre, mais en créant des synergies.
Le Monde : Vous êtes un président consensuel à la tête de l’Association des maires de France. Est-ce le bon profil pour diriger le RPR ?
Jean-Paul Delevoye : Entre compagnons, la volonté de rechercher un consensus est un atout. Mais, vis-à-vis du gouvernement, il faut évidemment une opposition tranchée. Rassurez-vous, je suis très respectueux des personnes mais, en même temps, très ferme sur mes convictions.
Le Monde : Comment envisagez-vous les relations du RPR avec les autres composantes de l’opposition ?
Jean-Paul Delevoye : J’ai lancé, à tort ou à raison, le concept de droite « plurielle ». L’opposition a eu tort de confondre, à une époque, union et candidature unique. Il faut qu’il y ait une émulation saine, compétitive. Il peut y avoir des primaires négociées. Il faut rechercher l’efficacité en mettant fin aux candidatures de complaisance.
Le Monde : Cet engagement vaudra pour Paris lors des élections municipales ?
Jean-Paul Delevoye : J’avance de façon pragmatique. Quand je ne sais pas, je suis très prudent. C’est la raison pour laquelle je demeure prudent sur le cas de Paris. Mais, de façon générale, il est urgent de réfléchir, dans les tous prochains mois, aux procédures de désignation de nos candidats dans un souci d’efficacité et d’équité. Il ne doit pas y avoir de complaisance et personne n’est propriétaire de son mandat. J’ai noté que François Fillon propose un vote des militants, mais je suis réservé parce que j’ai vu ce que cela avait donné, parfois, dans certaines sections du Parti socialiste, dans la gestion des cartes d’adhérents…
Paris Match - 30 septembre 1999
Paris-Match : Michèle Alliot-Marie, Patrick Devedjian et Michel Bulté ont annoncé dernièrement leur candidature à la présidence du RPR. Avec François Fillon et Renaud Muselier, vous êtes désormais six en lice. N’est-ce pas un peu beaucoup pour un mouvement comme le vôtre ?
Jean-Paul Delevoye : On ne peut pas vouloir la démocratie interne et regretter qu’il y ait un nombre important de candidats. Moi, ça ne me dérange pas. C’est dans la droite ligne de ce que demandent les militants : de nouvelles têtes, de nouveaux discours, de nouveaux comportements. Les candidats déclarés font partie de la même génération. Pendant la campagne, il n’y aura pas de division, pas de déchirure, pas de coups bas. Et nous nous retrouverons tous à un moment donné.
Paris-Match : Sur le fond, on a un peu de mal à vous distinguer les uns des autres…
Jean-Paul Delevoye : Il y a pourtant des propositions, des idées différentes. Je mets un peu mes paramètres en avant, mais je crois qu’en gros, le futur président devra être quelqu’un qui a montré une fidélité sans faille au président de la République, qui a des convictions fortes en matière d’analyse de la société, qui a pesé sur les enjeux nationaux en discutant avec les ministres comme j’ai pu le faire pendant sept ans à la tête de l’Association des maires de France et qui jouit d’une morale, d’une éthique irréprochables.
Paris-Match : Le RPR doit-il être autonome vis-à-vis du président de la République ou soutenir chacun de ses choix ?
Jean-Paul Delevoye : Par rapport à Jacques Chirac, les choses sont claires. C’est notre candidat pour la présidentielle de 2002 et nous devons tout mettre en œuvre pour qu’il soit réélu. Mais le RPR doit aussi faire preuve d’indépendance, élaborer ses propres choix et afficher son opposition claire au gouvernement. Les 35 heures, le temps choisi, la dépénalisation de la drogue, le vieillissement et ses conséquences, la sécurité des jeunes, nous devons particulièrement mettre l’accent sur les sujets de société que nous avons eu tendance à délaisser dans le passé.
Paris-Match : Balladur, Juppé, Séguin et Sarkozy sont désormais tous plus ou moins en marge du RPR. Est-il possible de les réintégrer dans la vie du mouvement ?
Jean-Paul Delevoye : À partir du moment où le futur président ne nourrit pas d’ambitions concurrentielles par rapport à eux, il peut se poser en rassembleur. Et c’est ce que je compte faire. Nous avons absolument besoin de tous les talents pour revivifier le RPR. Et donc de Balladur, Juppé, Séguin et Sarkozy.
Paris-Match : Le départ de certains militants du RPR vers le RPF vous inquiète-t-il ?
Jean-Paul Delevoye : Non. On ne peut pas retenir des gens qui ne se retrouvent plus chez nous. Ça ne sert à rien. Je crois en revanche à la pluralité de l’opposition. Pasqua + Madelin + Bayrou + un RPR remis sur les rails ont une capacité de conquête du pouvoir bien plus forte qu’une gauche tiraillée entre les Verts, qui s’interrogent sur leurs différences avec le Parti socialiste, un PC très perturbé par son avenir et un PS divisé entre le réalisme économique prôné par les uns et les réponses plutôt collectivistes apportées par les autres. Il faut relancer à droite une force politique composée des différents partis avec la création, pourquoi pas, d’une structure de type fédéral ou confédéral. Le RPR ne peut plus se permettre d’être arrogant et dominateur comme cela a pu être le cas, il y a quelques années.
Paris-Match : Vous souffrez d’un déficit de notoriété au RPR. Comment comptez-vous le rattraper ?
Jean-Paul Delevoye : J’entamerai la semaine prochaine une tournée des fédérations, une vingtaine de déplacements environ. Je serai épaulé par Dominique Perben, Hervé Gaymard et tous les députés et sénateurs qui nous ont rejoints. C’est vrai que je n’ai pas été très médiatisé jusqu’ici. À l’AMF, j’ai préféré être efficace plutôt que connu.
Paris-Match : Envisagez-vous de perdre ?
Jean-Paul Delevoye : Je ne suis pas du tout inquiet du résultat. Si les gens m’acceptent et me choisissent, c’est parfait. S’ils élisent quelqu’un autre, c’est que j’aurais été un mauvais communicant ou qu’ils n’auront pas adhéré à mon discours. Et alors ? Qu’est-ce que je risque ? Ma situation ? Ma réputation ? Ce qui compte dans la vie, c’est de défendre ses valeurs et ses idées. J’ai réfléchi un mois et demi avant de me lancer, mais maintenant, j’irai jusqu’au bout.
Encadré : Info Plus
Depuis son retrait de la course à la présidence du RPR, Nicolas Sarkozy est bombardé d’appels téléphoniques en provenance de… l’Élysée. « Chirac le connaît, ironise un de ses proches, il doit chercher à savoir s’il ne prépare pas un mauvais coup ». Dans un futur proche, Sarkozy profitera de son break politique forcé pour relancer son cabinet d’avocats d’affaires, cabinet qu’il n’a jamais vraiment quitté. En privé, le maire de Neuilly juge la compétition au RPR « beaucoup plus ouverte qu’il n’y paraît ». « Être candidat officiel de l’Élysée n’est pas forcément un atout », explique-t-il, amusé, à propos de Jean-Paul Delevoye.