Texte intégral
Q - J. Chirac n'en voulait pas, N. Sarkozy renonce. Du coup, le voilà reçu par la grande porte à l'Élysée. Pouvez-vous expliquer cela ?
– « Il n'y a rien d'anormal à ce que le Président de la République reçoive l'actuel secrétaire général du RPR ».
Q - Jusque-là, il le recevait par la porte de derrière. Maintenant qu'il n'est plus candidat : grande porte !
– « Oui, cela a un caractère officiel, peut-être. »
Q - Séguin, maintenant Sarkozy. Le Président de la République n'aimerait-il pas les têtes qui dépassent ?
– « N. Sarkozy avait un petit handicap, malgré toutes ses qualités : c'est qu'il avait pris l'engagement de ne pas se représenter. »
Q - Mais il était candidat tout de même. D'ailleurs vous-même l'appuyiez.
– « Naturellement, parce que les conditions dans lesquelles il avait pris cet engagement n'étaient pas significatives. Mais enfin en politique, il vaut mieux respecter ses engagements. Donc, c'était plutôt un handicap. »
Q - Le Président n'en voulait pas, sûrement ?
– « Sans doute. »
Q - Dites les choses telles qu'elles sont.
– « Pour ma part, je soutenais N. Sarkozy. Le Président ne m'a pas fait ses confidences. Et j'espère que l'Elysée ne se mêlera pas dans l'avenir des affaires internes du RPR. »
Q - N'est-ce pas trop d'angélisme ?
– « Non. Ça n'est pas l'intérêt de l'Élysée, ça n'est pas l'intérêt du RPR et ça n'est pas l'intérêt de l'opposition. Il pouvait avoir d'autres projets pour N. Sarkozy, il pouvait craindre qu'il ne s'abîme aussi dans ce combat. Il pouvait avoir d'autres projets, d'autres hommes peut-être, ayant une stratégie qu'on ignorerait. Une chose est certaine : cette élection est très ouverte parce que pour la première fois, tous les adhérents du RPR vont voter. »
Q - Le Président de la République s'en est mêlé et il a dit non à N. Sarkozy tout de même.
– « Il semble bien. »
Q - De fait, le Président de la République choisit son candidat pour la tête du RPR.
– « Non. Il a donné peut-être un veto à N. Sarkozy… »
Q - Et Delevoye ?
– « Non, il n'a pas parlé de Delevoye. Vous en rajoutez. Il n'a pas parlé de Delevoye et mieux vaut ne pas le faire, parce qu'on ne sait pas quel sera le résultat. D'abord la compétition n'est pas terminée, il peut y avoir d'autres candidats. »
Q - Le souhaitez-vous ?
– « Oui. Et comme l'a remarqué A. Duhamel, je le souhaite en fonction de mes convictions. Comme J. Chirac, je crois à la construction européenne. J'ai voté oui à Maastricht. Le débat à l'intérieur du RPR ne peut pas se réduire seulement à des candidats qui ont voté non à Maastricht. »
Q - Êtes-vous prêt à y aller ?
– « J'ai plus d'indignation que d'ambition. Ce que je souhaite, c'est que mes idées soient représentées. »
Q - Mais il faudra bien que quelqu'un les porte, ces idées ?
– « On a jusqu'au 4 octobre. »
Q - Vous allez épuisez du monde !
– « C'est vrai que le RPR est un parti qui est riche, vous avez raison. On a beaucoup de personnalités. On doit ainsi en avoir quelques-unes en réserve, en tous cas je l'imagine. »
Q - Avec tous ces scénarios, est-ce que dans le fond, le Président de la République ne reste pas en réalité, de fait, le Président du RPR ?
– « Il faut croire que non. D'abord parce que, vous le voyez, il a eu un désaccord avec P. Séguin, un autre avec N. Sarkozy, donc il n'est pas du tout exclu que le prochain président du RPR soit nécessairement quelqu'un qu'il souhaite. Le Second Empire et les candidats officiels, c'est terminé, et ça n'est plus tellement accepté par les électorats. »
Q - Et par les militants ?
– « Encore moins, parce que les militants souhaitent un vrai chef de l'opposition. Ce sont des gens qui souvent se battent localement, et c'est souvent très dur. Je vois de quelle façon cela se passe en Seine-Saint-Denis par exemple, et même aussi dans les Hauts-de-Seine, mon département. L'affrontement est très dur. Et l'on a davantage besoin d'un chef de l'opposition, capable de l'organiser, capable d'organiser le RPR, de proposer une alternative au socialisme, d'avoir des idées, de dire pourquoi l'on se bat, plutôt que quelqu'un qui a un profil rassembleur. C'est dans la lutte, dans le combat qu'on rassemble. »
Q - Est-ce qu'il n'y a pas eu autour de N. Sarkozy une vraie bataille d'idéologie sur le libéralisme ? N'a-t-il pas une image de libéral certainement pas suffisamment social ?
– « Sans doute. Il a certainement souffert de la campagne européenne, de son alliance avec A. Madelin, d'un positionnement d'image qui ne correspond pas d'ailleurs à ce qu'il est, par ce qu'il est très moderne. Mais pour ce qui est de la campagne européenne, il n'avait pas choisi la stratégie, qui était définie par P. Séguin, P. Séguin équilibrait A. Madelin dans la campagne européenne, sa personnalité, son tempérament social. À partir de l'instant où N. Sarkozy a été appelé à succéder, brutalement, rapidement, à P. Séguin, il y a eu une forme de doublon sur le plan idéologique. »
Q - Au point où en est le RPR, souhaitez-vous que C. Pasqua revienne, pour que quand même la famille se retrouve ?
– « Non. Cette remise en ordre idéologique de la droite, je trouve cela très bien. Nous devons avoir de bons rapports avec C. Pasqua, nous devons passer avec lui des accords de désistement républicain pour le deuxième tour. Le travail qu'il faut là est très utile à la droite parce qu'il empêche le Front national de prospérer. Grâce à C. Pasqua, on peut ainsi recycler dans le débat démocratique des électeurs de droite qui s'étaient évadés vers le Front national, et qui vont participer au combat de l'opposition. C. Pasqua est très utile et nous allons devoir avoir de bons rapports avec lui. »
Q - Vous avez parlé de la naissance d'une deuxième droite. Qu'entendez-vous par là ?
– « Il y a une droite moderne, par opposition justement à une droite parfois conservatrice, anti-européenne. Aujourd'hui, il y a la place pour une droite moderne qui reconnaît la France dans ce qu'elle est, c'est-à-dire un peuple dont les origines sont diverses, et qui le vit avec tolérance, avec énergie ; qui croit que la mondialisation peut être une chance pour la France et que l'Union européenne est aussi une chance pour notre pays. Il y a place évidemment pour une droite beaucoup plus moderne que la droite conservatrice et frileuse qui fait l'objet parfois de reproches. »
Q - Mais c'est presque une fusion des droites. Il n'y aurait plus de spécificité RPR, d'après ce que vous dites.
– « Au contraire. Le RPR est le lieu de la synthèse. Il est le seul parti politique à droite dans lequel se rencontrent tous les courants. Il est mieux placé que tout autre parti pour faire cette synthèse. »
Q - Tout de même, 59 ans après le 18 juin 1940, c'est-à-dire 59 ans après l'acte fondateur dans la tragédie de la guerre, le gaullisme a encore une place dans la France contemporaine de fin de siècle ?
– « Le gaullisme est une attitude, ce n'est pas l'idéologie de la guerre. C'est le comportement qui consiste à refuser ce que l'on croit fatal. C'est le volontarisme en politique. Il a une référence historique : le Général de Gaulle est le fondateur de notre mouvement, le fondateur de notre engagement politique, mais c'est à nous aujourd'hui d'inventer les réponses aux questions de la société moderne. Les socialistes se réfèrent à J. Jaurès, à L. Blum. Nous pouvons bien nous référer au Général de Gaulle. C'est plus moderne encore. »
Q - Je vais faire de la basse politique. Vous dites aujourd'hui non à J. Chirac : « Il ne faut pas vous en mêler. »
– « Non. Je dis simplement que c'est notre affaire. Votre intérêt, Monsieur le Président de la République, c'est de ne pas mêler la Présidence de la République aux affaires intérieures d'un parti politique parce que c'est dangereux pour vous, à supposer que votre candidat soit battu. Pour le moment, vous avez un candidat qui est soutenu par certains de vos conseillers. Supposez que vous vous engagiez vous-même, Monsieur le Président de la République, à soutenir un candidat et que celui-ci soit battu. Ce serait désastreux. Et on ne sait pas ce que les électeurs du RPR vont faire. Ils n'aiment pas les candidatures officielles. Souvenons-nous que J. Chirac a été élu en 1977 contre M. D'Ornano qui avait été désigné sur le perron de l'Élysée. D'une manière générale, les Français n'aiment pas les candidatures officielles. »