Interview de Mme Arlette Laguiller, porte parole de Lutte ouvrière, à RTL le 13 septembre 1999, sur les suppressions d'emplois chez Michelin, la réduction du temps de travail et la préparation de la manifestation du 16 octobre avec le PCF.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral


Q - Vous avez dit que le Gouvernement a le pouvoir de s'opposer aux décisions d'E. Michelin. Mais comment ?

– “Cela fait longtemps que je défends l'interdiction des licenciements et des suppressions d'emplois dans les entreprises qui font des profits. Et là, on est en plein dedans ! : une entreprise qui fait des bénéfices, dont le titre à la Bourse, à la suite de l'annonce des licenciements, augmente de 12 % et qui annonce que, au niveau européen, il va supprimer 10 % de ses effectifs.”

Q - Mais vous croyez que cela marche comme cela l'économie, par un décret gouvernemental : “Interdiction de licencier” ?

– “Oui, bien sûr ! Mais c'est un rapport de force à créer et je sais bien que ce n'est pas seulement en discutant et en faisant, comme on me le reproche quelquefois, des incantations. Je sais très bien que c'est par la lutte que les travailleurs pourront imposer cela. Vous savez, il n'y a pas que Michelin. Pendant la campagne électorale des Européennes, Alcatel a fait exactement la même chose, de la façon aussi provocante que Michelin, en annonçant des milliards de bénéfices et des milliers de suppressions d'emplois.”

Q - E. Michelin, ce matin dans Les Echos dit : « Ce n'est pas parce qu'on a des bons résultats pendant six mois qu'il ne faut pas se préparer à affronter la concurrence qui se renforce, c'est une question de survie pour l'entreprise. »

– “Je crois que cela suffit que l'on prenne les travailleurs, les retraités et les chômeurs pour des imbéciles ! On sait très bien que ce n'est pas du tout pour assurer quoi que ce soit, c'est pour assurer les profits des actionnaires et assurer toujours plus de profits pour les actionnaires. Alors ça, ça suffit !”

Q - A Démocratie Libérale, on dit : « Ca, c'est quand même la faute du Gouvernement » mais pas pour les mêmes raisons que celles que vous invoquez. Dans une économie ouverture qui est la nôtre, les coûts salariaux sont trop onéreux en France et la loi sur les 35 heures annonce des catastrophes.

– “On vit la même chose dans tous les pays, dans tous les pays d'Europe on tient le même discours aux travailleurs en essayant d'abaisser par le bas. Tout à l'heure, le journaliste expliquait qu'il y a plus de congés maladie depuis que la croissance est revenue. Mais c'est l'intensité du travail qui a augmenté ! C'est la flexibilité, y compris cette flexibilité introduite par la loi sur les 35 heures qui était déjà en route. C'est ça qui fait que les travailleurs n'ont plus d'horaires. M. Aubry a inventé la relativité du temps parce qu'on nous parle de 35 heures, mais ce n'est pas vrai ! On doit travailler certaines semaines 45 heures, d'autres moins et avec des heures supplémentaires.”

Q - Elle a dit que la loi était améliorable.

– “Oui, eh bien elle sera, cette loi, une vraie sur les 35 heures, c'est-à-dire qui dise : “5 jours de travail multipliés par 7 heures”, c'est les travailleurs dans les luttes par une grève générale qui l'imposeront, pas autrement.”

Q - Une grève générale ?

– “Bien sûr !”

Q - Vous appelez à une grève générale en France ?

– “Eh bien je pense que c'est ça qu'il faut préparer.”

Q - Une grève générale ? Mais vous vous rendez compte, c'est blocage total !

– “Oui, eh bien écoutez, il n'y a que ce langage-là que le grand patronat peut comprendre et qui peut le faire reculer alors que toutes les entreprises annoncent des bénéfices en hausse.”

Q - Mais attendez, vous mettez le Gouvernement dans le même sac que le patronat ?

– “Le Gouvernement, ce gouvernement comme les gouvernements de droite précédents est un gouvernement qui dirige, qui gouverne en fonction des intérêts des grandes entreprises capitalistes. Exactement comme on l'a connu dans le passé.”

Q - Vous avez entendu R  Hue hier. Il va un peu moins loin que vous quand même, mais enfin, il .veut organiser une grande manifestation nationale. Vous y participerez ?

– “Ecoutez, je pense que la manifestation de R. Hue, elle est certainement bien venue si ce n'est pas sans lendemain, si c'est justement une manifestation pour préparer une mobilisation générale. Je sais bien que la grève générale ne se décrète pas du jour au lendemain, je sais que cela se prépare. Eh bien tant mieux si une telle manifestation peut aider à la préparer.”

Q - Vous irez à la manifestation ?

– “Ah oui, j'irai ! J'irai. Simplement, je pense qu'il y a une petite contradiction dans l'attitude de R. Hue : c'est difficile d'être à la tête d'une manifestation et d'avoir en même temps un pieds dans un gouvernement qui entérine les licenciements, les suppressions d'emplois et qui ne vote aucune loi pour les empêcher.”

Q - Mais c'est quand même très nouveau tout cela. Vous vous rapprochez du Parti communiste ?

– “Vous savez, vis-à-vis du Parti communiste, mon attitude a toujours été d'être solidaire des militants du Parti communiste dans les entreprises ou dans les quartiers qui, aujourd'hui, luttent contre les méfaits du patronat et aussi les méfaits de certaines initiatives gouvernementales auxquelles la direction du Parti communiste participe en ayant des ministres dans ce Gouvernement.”

Q - Vous les fréquentez maintenant, les communistes, puisque vous êtes dans le même groupe qu'eux au Parlement Européen, à Strasbourg.

– “Je les ai toujours fréquentés, les militants.”

Q - Ça noue des relations ça, les liens sont plus directs, plus étroits ?

– “Eh bien nous avons des débats au sein du groupe de la gauche unitaire européenne. Nous venons d'en avoir un à propos de l'intronisation de la Commission Européenne et la tendance majoritaire dans ce groupe de la gauche unitaire européenne est de voter contre l'investiture à la Commission Prodi.”

Q - Et maîtriser une grève générale, sa réalisation passe par une conviction que cette idée est la bonne chez les communistes ?

– “Moi je pense que de nombreux militants à la base du Parti communiste sont tout à fait d'accord avec cela.”

Q - Tout de même, une grève générale ! Enfin le chômage régresse en France, vous ne risquez pas de casser cette relance de l'économie, ce mieux qui apparaît ?

– “Ecoutez, on nous dit que le chômage régresse mais, on sait très bien que les quelques emplois créés sont des emplois à temps partiel, sont des emplois précaires et que globalement, la situation du monde du travail ne s'est pas améliorée. Ce n'est pas vrai. La seule chose qui s'améliore, c'est effectivement les profits des entreprises et face à cela alors, on nous met en avant la mondialisation, on nous raconte n'importe quoi ! On nous dit par exemple aujourd'hui qu'il faudrait créer des fonds de pension de retraites…”

Q - Ça, c'est le Président de la République qui le dit.

– “Oui, il n'y a pas que lui. Le Président de la République et beaucoup d'autres qui d'ailleurs entre parenthèses n'ont pas du tout l'intention de voir le chômage cesser parce qu'on sait très bien que s'il y avait le plein-emploi, il n'y aurait aucun problème de retraite.”

Q - Ils n'ont pas envie du chômage quand même ! Le Président de la République ne souhaite pas le chômage quand même !

– “Mais il ne fait pas plus que les autres contre le chômage ! Ce que je voulais dire sur ces fonds de pension, c'est que d'un côté on nous rabat les oreilles en nous disant : « C'est la faute des fonds de pension, des retraites américains, si Michelin ou d'autres entreprises sont obligées de supprimer des emplois » et d'un autre côté, on nous explique qu'il va falloir alimenter ces fonds de pension de retraites qui vont en réalité alimenter le capital spéculatif. Alors, je crois que là, il y a quelque chose qui ne va pas. Qu'on m'explique par quel miracle cela va changer les choses ! Parce qu'il y a peut-être des gens…”

Q - Attendez, qu'est-ce qu'on fait en France alors : on ferme les frontières, comment on fait ?

– “Il y a peut-être des gens qui pourront se payer effectivement des retraites par capitalisation. Mais pour la majorité des salariés, ceux qui sont payés au Smic, ceux qui ont un travail précaire, ceux qui n'ont pas d'emploi du tout, eh bien ce n'est pas la solution. La solution aujourd'hui c'est d'empêcher les licenciements ; d'empêcher les suppressions d'emplois.”