Interview de M. Jean-Jacques de Peretti, ministre délégué à l'outre-mer, dans "Le Point" du 29 mars 1997, sur le choix de soutenir la construction d'une usine de nickel en Nouvelle Calédonie.

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Média : Le Point

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Le Point : Pourquoi êtes-vous choqué par l’interprétation selon laquelle le Gouvernement aurait privilégié la recherche d’une solution politique, réclamée par le FLNKS, sur les intérêts du groupe sidérurgique Eramet et de sa filiale calédonienne, la SLN ?

Jean-Jacques de Peretti : Le projet de construction d’une usine de transformation du nickel dans le Nord de la Nouvelle-Calédonie est ancien. Déjà, en 1965, le général de Gaulle voyait là le moyen d’un rééquilibrage Nord-Sud. Or, aujourd’hui, la Société des mines du Sud-Pacifique (SMSP) (1), alliée au canadien Falconbridge (2), se dit prête à réaliser cette usine. Le Gouvernement réagit comme il le ferait en Dordogne ou en Corrèze en présence d’un industriel disposé à investir. Sa position est donc indépendante des négociations politiques sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

Le Point : Y compris lorsqu’il veut imposer à Eramet l’échange du gisement de Koniambo contre celui de Poum, détenu par la SMSP ?

Jean-Jacques de Peretti : Pour réaliser leur usine, la SMSP et Falconbridge réclament qu’on leur garantisse un approvisionnement en minerai. Gestionnaire du domaine minier, l’État se tourne dont vers la SLN. Son conseil d’administration a accepté, le 17 décembre, le principe d’un échange Koniambo-Poum. Un échange que l’État a toujours souhaité équilibré, avec dédommagement éventuel des actionnaires. D’autant que, actionnaire majoritaire d’Eramet, l’État n’a aucun intérêt à léser la SLM.

Le Point : Quel pourrait être le montant du dédommagement ?

Jean-Jacques de Peretti : Au experts d’en évaluer le montant. Dans son bulletin n° 30, de juin 1996, la SLN estime les réserves de minerai de Poum équivalents à celles de Koniambo. Voilà moins de trois ans, la SLN a racheté la moitié de l’énorme gisement de Tiébaghi, beaucoup plus stratégique, pour quelques dizaines de millions de francs. On comprend donc mal qu’elle réclame une soulte de plusieurs centaines de millions de francs. Et il est scandaleux de prétendre que l’État veut spolier la SLN. J’ajoute que nous avons fait accepter par le FLNKS une clause selon laquelle ce patrimoine minier reviendrait à Eramet si l’usine du Nord ne se faisait pas dans les huit à dix ans.

Le Point : En menaçant de déchoir Eramet de ses titres sur Koniambo, l’État fait tout de même un coup de force…

Jean-Jacques de Peretti : Il joue là son rôle traditionnel de puissance publique qui entend maîtriser des ressources inexploitées. Il faut savoir que ces droits miniers n’ont rien coûté à Eramet. L’État les lui a donnés. Quand ce groupe réclame aujourd’hui un dédommagement de plusieurs centaines de millions de francs, c’est sur la base des bénéfices qu’il pense tirer de l’exploitation future de Koniambo, dans plus de dix ans.

Le Point : Comment en sortir ?

Jean-Jacques de Peretti : La meilleur façon serait une solution industrielle équilibrée. C’est la voie que nous avons toujours privilégiée. Si la direction d’Eramet persiste, l’État devra en tirer les conséquences. Mo souci est, tout en préservant les intérêts de la SLN, dont il ne faut pas oublier qu’elle est le premier employeur privé du territoire, avec plus de 2 200 salariés, d’assurer le rééquilibrage économique au nord. Pour autant, rien ne garantit que cela suffise à obtenir un effet positif dans la négociation politique avec le FLNKS. Il ne faut d’ailleurs pas mêler cette affaire à la solution négociée que les partenaires des Accords de Matignon et les Calédoniens appellent de leurs vœux.

(1) La SMPS est contrôlée par la province Nord, dirigée par le FLNKS.
Deuxième producteur mondial de nickel, Falconbridge pourrait investir 1 milliard de dollars dans l’usine.