Interviews de M. François Fillon, président de la région Pays de la Loire et candidat à la présidence du RPR, dans "Le Parisien" du 14 septembre 1999, à RMC le 15, France 2 le 22, dans "L'Evénement" du 23 septembre, sur sa candidature à la présidence du RPR, les thèmes de campagne et les débats internes au sein du parti, notamment l'autonomie par rapport au Président de la République.

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Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC FR3 - Emission Forum RMC Le Figaro - France 2 - Le Figaro - Le Parisien - RMC - Télévision

Texte intégral

RMC : mercredi 15 septembre 1999

P. Lapousterle
On est content de vous recevoir ce matin, tant votre parti, le RPR est au milieu d’une tempête politique. Vous êtes candidat à la présidence du parti, quelle est votre réaction après le renoncement de N. Sarkozy ?

François Fillon
– “La décision Nicolas est une décision personnelle, qui est conforme à l’engagement qu’il avait pris après les élections européennes. C’est une décision que je respecte, c’est en même temps une décision que je regrette, parce que je crois qu’elle nous privera d’une voie originale dans le débat d’idées qui s’ouvre maintenant avec l’élection à la présidence du mouvement.”

P. Lapousterle
Dans les explications de renoncement de N. Sarkozy il y a quand même une allusion nette a une divergence avec le Chef de l’Etat. Est-ce que ce n’est pas plutôt ça la raison ?

François Fillon
– “N. Sarkozy ne m’a pas livré les raisons de son retrait. Tout simplement je constate qu’après P. Séguin, un responsable, le responsable du Rassemblement pour la République est obligé de renoncer. C’est signe que la crise qui secoue le RPR n’est pas terminée. C’est signe que le RPR a vraiment besoin d’autonomie, car on ne peut pas continuer comme ça, à dévorer les uns après les autres les hommes de talent qui étaient en mesure de diriger le RPR et de lui assurer la victoire.”

P. Lapousterle
Est-ce que ce qui se passe n’est pas la preuve que l’autonomie n’est pas possible au RPR ? Est-ce que précisément tout ce qui se passe n’est pas l’impossibilité de l’autonomie du RPR ?

François Fillon
– “Je crois que ce sont les militants qui vont trancher cette question, pour la première fois, puisque pour la première fois ils vont pouvoir se prononcer sur des projets, sur des stratégies et notamment sur cette question de l’autonomie. C’est pour cela que l’élection à la présidence, qui était voulue par P. Séguin est une vraie révolution dans le parcours du Rassemblement pour la République. Ma conviction, c’est que si le choix de l’autonomie n’est pas fait, l’avenir du Rassemblement pour la République est très incertain.”

P. Lapousterle
Est-ce que cela veut dire que le sens de votre candidature c’est : si je suis président du RPR, le RPR sera autonome du Chef de l’état ? C’est le sens de votre candidature ?

François Fillon
– “Je crois que tous les candidats admettent que l’autonomie est nécessaire. Il faudra simplement qu’ils démontrent qu’ils sont capables de faire vivre le RPR, autonome, à côté du Chef de l’état. Il ne s’agit pas de gêner le Chef de l’état, le Chef de l’état, il est issu du RPR, il a été le créateur de notre mouvement et, à l’évidence, il est aujourd’hui le candidat pour la prochaine élection présidentielle le mieux placé. Donc la question n’est pas là, la question est : comment le RPR peut gagner les prochaines élections municipales, les prochaines élections législatives, comment est-ce qu’il peut retrouver du crédit dans l’opinion publique, comment est-ce qu’il peut convaincre les Français qu’il a encore une utilité pour la société française ? Et pour cela, il faut qu’il ait un discours propre, il faut qu’il ait un discours autonome. Et c’est tout à fait le sens de mon engagement et de ma candidature.”

P. Lapousterle
Le 14 juillet, on se souvient encore du Président de la République, disant, devant tous les Français qu’il ne s’occupait pas des affaires intérieures des partis politiques et notamment du RPR. Si on pense aujourd’hui que, ce jour-là, le Président de la République a dit une contrevérité, est-ce qu’on a tort ?

François Fillon
– “Moi je n’ai aucune raison de penser que le Président de la République s’occupe personnellement des affaires du RPR. Il y a le Président de la République et il y a tous ceux qui se réclament de lui.”

P. Lapousterle
Mais quand on entend M. Delevoye qui laisse dire de manière ouverte qu’il a le soutien du Président de la République. S’il était élu président du RPR, est-ce que l’on pourrait croire que ce serait l’homme de la rénovation du RPR et qu’il pourrait rendre ce parti autonome ?

François Fillon
– “Je ne le pense pas. Si J.-P. Delevoye ne fait pas de l’autonomie le cœur de son projet politique, de son projet de réorganisation du mouvement, je pense qu’il ne pourra pas réussir à redonner cette utilité au RPR, ce sens au mouvement gaulliste qui continuera sa dérive, dérive qui doit aboutir un jour ou l’autre à la fusion avec les autres formations politiques de l’opposition.”

P. Lapousterle
Vous êtes mieux placé que personne pour le savoir : imaginons un peu un militant RPR de base, s’il est découragé ce matin, s’il pense que le parti...

François Fillon
– “Ecoutez, depuis que j’ai annoncé ma candidature, je reçois, beaucoup, beaucoup d’encouragements. Je constate qu’il y a beaucoup de gens qui n’avaient pas renouvelé leur cotisation au RPR, qui la renouvellent parce qu’ils veulent participer au débat. Je pense que le débat qui s’ouvre est un débat très important pour l’avenir du mouvement et qui replace aussi d’une certaine manière le RPR au cœur de l’actualité politique et de la vie politique. Mon sentiment c’est que les militants vont s’exprimer à l’occasion de cette élection et qu’ils vont dire des choses qui vont sans doute surprendre beaucoup d’observateurs. Et je serais étonné qu’ils choisissent de replacer le mouvement dans une situation de dépendance et dans une situation qui conduirait d’une certaine manière à effacer les effets de la rénovation que P. Séguin avait engagée.”

P. Lapousterle
Cette rénovation, elle tenait sur une alliance entre M. Sarkozy et M. Séguin. Pourquoi est-ce que vous avez rompu cette alliance, en présentant votre candidature ? On aurait pu imaginer qu’elle se poursuive !

François Fillon
– “D’abord je vous rappelle que N. Sarkozy avait pris un engagement très solennel de ne pas se présenter à l’élection à la présidence du mouvement. Ensuite la logique de l’élection à la présidence voulue par P. Séguin, c’était le débat d’idées et le choix démocratique d’une ligne politique, d’un projet politique pour la France et d’une stratégie politique pour le RPR. Ce débat d’idées s’accommodait mal d’accords d’appareil, d’accords d’états-majors, d’alliances entre courants de pensées qui auraient pu donner le sentiment aux militants du RPR que le choix d’une certaine manière leur était confisqué. Ce que j’ai ressenti tout au long de l’été, en parcourant les fédérations du RPR, c’est que les militants voulaient réellement un vrai débat, un débat clair où chacun dise ce qu’il pense pour pouvoir faire un choix qui ensuite donne à la ligne politique du RPR une force et une légitimité.”

P. Lapousterle
Est-ce que M. Séguin soutient absolument votre candidature ?

François Fillon
– “J’ai évidemment le soutien de P. Séguin. Mais P. Séguin a lui-même engagé, après sa démission du RPR, une réflexion sur la vie politique, sur sa propre démarche. Et ma candidature n’est pas la candidature seulement de ceux qui se réclament du courant de pensée que P. Séguin incarne, ma candidature est une candidature qui vise à rassembler et à faire la synthèse – comme il avait d’ailleurs cherché à le faire – de l’ensemble des courants de pensées qui aujourd’hui font le RPR, et même au-delà du RPR, puisque j’ai dit dès le départ que je plaçais cette candidature sous le signe du rassemblement de toute la famille gaulliste dans la même structure politique. Or aujourd’hui une partie de cette famille gaulliste n’est plis dans le rassemblement. ”

P. Lapousterle
M. Pasqua passe ses journées à attaquer le Président de la République, vous êtes toujours partisan quand même de rétablir des relations avec lui, si vous êtes élu président du RPR ?

François Fillon
– “Je suis partisan de rétablir des relations avec tous ceux qui sont partis du RPF et qui restent au RPR – vous savez qu’ils sont nombreux –, avec tous ceux qui votaient traditionnellement pour le RPR et qui votent aujourd’hui pour le RPF. Cette question va bien au-delà des questions de personnes : il n’y a pas d’avenir pour le mouvement gaulliste, s’il doit vivre dans deux formations politiques différentes, qui en plus passeraient l’essentiel de leur temps à s’attaquer.”

France 2 : mercredi 22 septembre 1999

F. Laborde
F. Fillon, vous êtes député-maire de Sablé et le président de la région Pays-de-Loire. Vous êtes candidat à la présidence du RPR. Hier, vous avez tenu une réunion, à Paris, c’est la deuxième réunion que vous tenez.

François Fillon
– “Oui, c’est une campagne interne et j’ai choisi d’aller dans toutes les fédérations pour rencontrer les militants, pour débattre avec eux, pour leur présenter mon projet et les méthodes que je veux mettre en œuvre à la tête du RPR.”

F. Laborde
Chaque candidat rassemble un certain nombre de signatures. Vous, vous en avez déjà près de 2 000 je crois ?

François Fillon
– “J’en ai déjà plus qu’il n’en faut.”

F. Laborde
L’un de vos soutiens, c’est N. Catala ?

François Fillon
– “Oui, il y a des parlementaires, des cadres du mouvement qui me soutiennent. Mais je n’ai pas voulu faire de comité de soutien parce que je pense qu’il ne faut pas "antagoniser" le mouvement, il faudra ensuite le rassembler. En revanche j’ai essayé de constituer une équipe autour de moi, d’abord avec un tandem, avec G. Drut, qui…”

F. Laborde
Ça tombe bien c’est un sportif…

François Fillon
– “C’est un sportif, en même temps je crois qu’il incarne aussi pour les militants une fidélité à J. Chirac, un courant de pensée. Et puis autour de lui j’ai rassemblé R. Bachelot…”

F. Laborde
Qui est un peu atypique, forte personnalité…

François Fillon
– “… N. Catala, O. de Chazeaux, P. Lellouche, J. de Gaulle et beaucoup d’autres.”

F. Laborde
Et puis P. Séguin qui, forcément vous soutient.

François Fillon
– “P. Séguin est un des signataires, un des 2 000 signataires parmi tous les autres. Il a voulu redevenir “un militant de base”, comme il le dit souvent. C’est ce qu’il est aujourd’hui.”

F. Laborde
Alors, en face – je ne dis pas contre – il y a M. Delevoye qui, hier, dans Le Monde disait : “Au fond ma candidature c’est celle d’un rassembleur et en face de moi j’ai des candidatures qui sont l’émergence de clans.” Est-ce que vous avez envie de lui répondre ?

François Fillon
– “Je crois que c’est un vrai contresens. Cette candidature, cette élection, au moment où le RPR traverse une crise grave, n’aura de sens que si elle sert à faire émerger un projet. Et donc ce qu’il appelle “des clans” ce sont en réalité des hommes et des femmes qui ont des projets, qui veulent se battre sur des idées, qui pensent que le RPR a perdu son utilité pour la société française justement parce qu’il ne défend plus des idées qui sont des idées claires. Alors évidemment on veut tous rassembler. Mais nous, moi en tout cas, je dois rassembler autour d’un projet et autour d’un débat d’idées. J’ai le sentiment à l’entendre que lui pense que l’absence de projet est un élément qui permet de rassembler. Je ne crois pas que ça soit un élément qui permette de sortir le RPR de la crise.”

F. Laborde
On peut tout de même considérer que c’est un peu nouveau comme démarche au RPR ?

François Fillon
– “Complètement nouveau.”

F. Laborde
En général, l’habitude c’était de désigner le président, et puis après on votait pour dire les choses.

François Fillon
– “C’est le résultat de la démocratisation de P. Séguin voulue par P. Séguin, et qui a été décidée par les assises il y a peu plus d’un an. C’est la première campagne organisée avec une pluralité de candidats. C’est donc pour le RPR, à la fois, une épreuve, parce qu’on ne sait pas au fond comment les choses évolueront. Mais en même temps, je crois que c’est l’élection qui permettra le ressourcement. Parce que c’est l’élection qui permettra de choisir une ligne politique, une méthode, de renouveler les hommes. Ce dont nous avons bien besoin.”

F. Laborde
Quels sont les thèmes sur lesquels vous voulez, vous, insister pendant cette campagne ? Est-ce que, par exemple, vous ferez campagne sur le mandat présidentiel, quelle forme, quelle durée ?

François Fillon
– “Je veux débattre de trois sujets. Le projet politique du RPR, je voudrais l’articuler autour de trois idées : la conception de la souveraineté nationale : la place de la France doit changer dans le contexte européen et je pense que les gaullistes n’ont pas toujours su adapter leur discours à l’actualité – ; la stabilité des institutions : la cohabitation mine chaque jour un peu plus notre système institutionnel et donc moi je fais campagne clairement pour la présidentialisation du régime…”

F. Laborde
Cela veut dire qu’on se passerait de Premier ministre en France ?

François Fillon
– “Ça veut dire qu’à terme, et dans le cadre d’une évolution sans doute progressive, il faudrait aller vers un président de la République qui gouverne directement et puis un Parlement qui légifère. Et puis la troisième idée, c’est celle du capitalisme populaire : comment donner à la France, dans la mondialisation, des atouts qui ne soient pas seulement en termes de compétitivité économique mais qui donnent à l’homme un peu plus de place dans la société ? Et puis je voudrais aussi faire campagne sur la stratégie interne du RPR, qui pour moi doit s’appuyer sur l’autonomie par rapport à la cohabitation. Le RPR a beaucoup souffert de n’avoir pas su trouver sa place par rapport à la cohabitation.”

F. Laborde
Quand vous dites que vous allez faire campagne, quand on voit qu’il y a effectivement plusieurs candidats – d’ailleurs J.-L. Debré disait que c’était très bien, et que le Chef de l’Etat n’allait pas s’en mêler –, est-ce que ça ne ressemble pas un peu à ce qu’on voit aux Etats-Unis où il y a les grandes conventions des partis avant les élections présidentielles ?

François Fillon
– “En tout cas ça ressemble à ce que sont les partis modernes dans les démocraties modernes. Je pense que le RPR avait beaucoup de retard dans ce domaine ; il n’avait pas su mettre en place des structures, des méthodes qui permettent de prendre en compte les évolutions de la société et puis de régler les conflits. Il y a au RPR des gens qui sont plus européens, d’autres qui sont plus libéraux. C’est une richesse à condition de savoir à un moment donné faire une synthèse qui soit acceptée par tous. Et la seule façon de faire cette synthèse eh bien c’est de soumettre aux militants un projet et puis de les faire voter, et ensuite de respecter la loi majoritaire.”

F. Laborde
La neutralité du Chef de l’Etat en l’affaire, vous y croyez ou … ?

François Fillon
– “Ecoutez, moi j’ai fait savoir au Chef de l’Etat que je serai candidat. Il n’a rien fait pour m’en dissuader. Donc je pense que sa neutralité est complète. Peut-être est-ce la candidature de ceux qui se réclament de lui, qui est un peu moins apparente.”

F. Laborde
Vous voulez dire que M. Delevoye a tort de penser que le soutien de Chirac lui suffit ?

François Fillon
– “Je crois en tout cas qu’il ne faudrait pas, dans cette campagne, qu’il y ait un candidat officiel, ayant le soutie, en tout cas apparemment, d’une partie des médias – on a vu une campagne médiatique absolument étonnante ces deux ou trois derniers jours, et puis des candidats qui seraient considérés comme outsiders ou marginaux, parce que je pense que les militants le supporteraient mal. Tous les candidats aujourd’hui sont sur la même ligne.”

F. Laborde
On dit que, quand vous avez déposé votre candidature, c’était un peu pour montrer qu’il y avait plusieurs recours au sein du RPR, et qu’aujourd’hui vous y croyez vraiment à cette présidence. C’est vrai ?

François Fillon
– “Oui, j’y crois vraiment. Ce que voulais à l’origine c’était affirmer des idées, des valeurs qui me semblaient ne plus être portées depuis le départ de P. Séguin. Aujourd’hui, je crois que ces valeurs pourraient être majoritaires au sein du RPR.”


L'Evénement : 23 septembre 1999

L’Evénement
Comment résumer d’une formule les raisons de votre candidature ?

François Fillon
J’ai le sentiment qu’il faut tout changer. Notre message, notre stratégie, nos méthodes. C’est maintenant ou jamais. Je veux faire entendre dans un débat vital une voix moderne proposant un patriotisme éclairé, républicain et social. Ensuite, je propose une stratégie d’autonomie pour le RPR, indispensable à son succès et à la réconciliation avec Charles Pasqua.

L’Evénement
Vous êtes déjà six sur la ligne de départ. N’est-ce pas un peu beaucoup pour la clarté du débat ?

François Fillon
Il faut distinguer entre les candidats qui font juste un tour de piste et ceux qui iront au bout, parce qu’ils auront pu réunir les 2 000 signatures de militants nécessaires. Il s’agit pour nous de la première véritable élection démocratique. Les adhérents doivent pouvoir choisir. C’est pourquoi il est important que toutes les sensibilités soient représentées. Et le RPR n’en manque pas.

L’Evénement
Le retrait de Nicolas Sarkozy n’était-il pas souhaitable dans la mesure où, secrétaire général du RPR, il aurait pu fausser la campagne avec les moyens de l’appareil ?

François Fillon
Je le regrette, car c’est un homme de talent, incarnant une ligne politique – le libéralisme – qui n’est pas la mienne, même si je n’en récuse pas tous les aspects. Elle doit être présente dans nos débats. J’avais demandé à Nicolas Sarkozy de mettre en œuvre les règles équitables qui permettent à tous les candidats d’être sur la même ligne de départ, je suis sûr qu’il l’aurait fait.

L’Evénement
Aujourd’hui, est-ce que tous les candidats sont à égalité ?

François Fillon
Médiatiquement parlant, il y a un candidat officiel, tandis que les autres sont laissés dans l’ombre. Mais ce sont les militants qui, en définitive, vont choisir en leur âme et conscience. Je leur fais confiance pour ne pas se laisser influencer. Moi je fais campagne sur le terrain.

L’Evénement
Vous pensez à Jean-Paul Delevoye ?

François Fillon
Oui. Depuis plusieurs jours, on assiste à la mise en valeur d’un seul candidat par les prescripteurs d’opinion. Cela ne correspond pas du tout à l’attente des militants. Ils ne veulent pas que le débat sur le mouvement et sa stratégie soit escamoté par les ténors et les seniors du RPR. Les militants connaissent mieux que personne la situation du mouvement et ils savent ce qu’ils ont à faire.

L’Evénement
Jacques Chirac a-t-il son candidat ?

François Fillon
Rien ne me permet de l’affirmer. Il ne m’a pas découragé.

L’Evénement
Etes-vous le candidat de la base contre celui de l’appareil et des notables ?

François Fillon
Je crois en tout cas que ma candidature permet à la base de participer réellement au débat. Tout au long de cette campagne, je vais m’adresser à elle et à elle seulement.

L’Evénement
Delevoye a dit que, élu, il abandonnerait l’Association des maires de France. Et vous, pourriez-vous être à la fois maire de Sablé, député de la Sarthe, président de la Région Pays-de-Loire et celui du RPR ?

François Fillon
A l’évidence, non. J’abandonnerai un mandat, mais je ne vous dirai lequel que quand je serai président du RPR.

L’Evénement
En 1995, vous avez soutenu Edouard Balladur, le regrettez-vous ?

François Fillon
Non. C’était un choix personnel sur lequel je n’ai pas à m’étendre. L’élection du président de la République n’est pas l’affaire des partis, mais une question de conscience individuelle.

L’Evénement
Pour vous, c’est quoi être séguiniste ?

François Fillon
Je n’aime pas beaucoup ces étiquettes, cette façon de personnaliser l’engagement politique, qui me paraît exacerbée au RPR. Je croix aux idées. Si un homme porte les miennes, je le suis. S’il cesse de les porter, je ne le suis plus. Philippe Séguin incarne la sensibilité dont j’ai parlé, ce qui m’a fait adhérer très tôt à ses convictions et à ses initiatives. En outre, il a, en 1995, sauvé l’unité du RPR. Mais vous savez, lui, c’est lui, et moi c’est moi !

L’Evénement
S’il décidait de se présenter à la prochaine élection présidentielle, ne seriez-vous pas embarrassé ?

François Fillon
Je me méfie de cette tendance que nous avons à constamment évoquer l’échéance présidentielle. Arrêtons les scénarios fiction pour nous concentrer sur le redressement du RPR.

L’Evénement
Et s’il visait la mairie de Paris ?

François Fillon
C’est un autre débat. Il y a dans la capitale une situation difficile, sans solution évidente, qui devra être tranchée par les militants. La crise est devenue inextricable, du fait d’initiatives personnelles, et il n’y a pas d’autre issue que de consulter l’ensemble des adhérents parisiens.

L’Evénement
Vous jugez sévèrement l’autodésignation de Jean Tiberi pour se succéder.

François Fillon
C’est une question de principe générale : on ne peut prétendre être membre d’un mouvement politique en déroger à ses règles élémentaires.

L’Evénement
En demandant aux militants de trancher, vous êtes donc partisan de limiter les prérogatives de la direction nationale ?

François Fillon
Je veux donner plus de pouvoir aux fédérations départementales et aux circonscriptions, notamment pour la désignation des candidats aux élections locales.

L’Evénement
Faut-il étendre ce principe à toutes les élections, comme le fait le PS ?

François Fillon
Il faut conserver des prérogatives à la direction nationale, ainsi pour les élections nationales, mais en instituant un mode de désignation plus équilibré, avec, par exemple, consultation des instances locales et décision des instances nationales. Celles-ci sont démocratiquement élues, ce qui n’était pas le cas avant.

L’Evénement
Vous êtes président d’une région remarquable par son dynamisme. Cela vous amènera-t-il à bousculer le départementalisme traditionnel et le penchant centralisateur de votre parti ?

François Fillon
Le RPR doit prendre en compte l’évolution de la société, l’aspiration des citoyens à s’impliquer dans la gestion des affaires locales. Je suis profondément favorable à la décentralisation. Celle-ci doit franchir une nouvelle étape, celle de l’efficacité. On doit supprimer certains échelons administratifs, regrouper les collectivités trop petites et réduire ainsi les coûts induits par leur superposition. C’est une des évolutions que le RPR doit assumer. Et ce n’est en rien contradictoire avec la permanence d’un Etat fort dans les domaines où c’est nécessaire. Bien au contraire.

L’Evénement
Comment concevez-vous le rôle et l’organisation d’un grand parti moderne ?

François Fillon
Le principal problème du RPR, c’est de n’avoir pas su adapter ses principes à l’évolution de la société. On attend de lui moins un programme que des principes qui permettent de répondre aux défis et aux questions du XXIe siècle. Nous vivons dans une société plus éclatée, faite de communautés sociales ou culturelles, le plus souvent de dimensions réduites, mais où s’exprime l’envie de participer à la vie de la cité. Nous n’avons pas su le comprendre, nous n’avons pas pu le prendre en compte, car nous n’avons pas pu le prendre en compte, car nous ne sommes pas organisés pour ça. L’organisation du parti doit coller à la société.

L’Evénement
Qu’est-ce qui a conduit le RPR dans cet état de déliquescence et d’impuissance que vous dénoncez ?

François Fillon
Avant tout, l’abandon du débat idéologique. On s’est contenté de répéter une vague credo gaulliste sans l’adapter au changement. Et le libéralisme économique le plus échevelé est venu se substituer à notre vide intellectuel. Quand un parti n’est plus porteur d’un vrai projet, il s’enferre dans les querelles de personnes, qui s’exacerbent. S’il y a un critère à prendre en compte pour désigner le futur président du RPR, c’est celui-ci : il faut choisir celui qui a un projet politique fondé sur des idées nouvelles. On ne peut pas gagner les élections si l’on n’est pas en situation de domination intellectuelle.

L’Evénement
Combien êtes-vous aujourd’hui au RPR ?

François Fillon
J’ai cru comprendre que nous étions 60 000 en cartes, après avoir été 90 000 en décembre dernier, au moment de l’élection de Philippe Séguin, et 150 000 en 1995. La première grosse perte date de 1996 et s’est accentuée après la dissolution.

L’Evénement
Et qu’est-ce qui vous reste comme atouts, malgré tout ?

François Fillon
Il nous en reste beaucoup. Des hommes et des femmes très dévoués, des militants en nombre important si on compare avec les autres partis. Des principes politiques, qui, encore une fois sous réserve d’adaptation, sont toujours d’actualité. Un exemple : l’attachement à un Etat fort qui garantisse l’égalité des chances et la solidarité. La France a besoin d’une formation à droite qui fasse entendre une autre voix que celle du libéralisme et de la fin de l’Etat.

L’Evénement
Vous voulez tendre la main à Charles Pasqua. Qu’est-ce que ça veut dire, concrètement ?

François Fillon
Il faut arrêter de découper la droite française en tranches à chaque nouvelle élection. La famille gaulliste est divisée. Je ne peux pas m’y résoudre. Nous courons de grands risques électoraux et nos familles politiques sont en danger de mort. Le RPR ne survivra pas longtemps, séparé de la sensibilité souverainiste exprimée par le courant de Charles Pasqua.

L’Evénement
Etes-vous favorable à la double appartenance RPR-RPF ?

François Fillon
Oui, si ça peut nous permettre de renouer le dialogue. Il n’y a pas de solution miracle permettant de se réconcilier sans se voir ni se parler. Je me bats contre ceux qui prétendent vouloir « clarifier » pour nous obliger à rompre avec le pôle souverainiste. Oui, il faut parler à Charles Pasqua et à ses amis et tolérer un certain temps la double appartenance.

L’Evénement
Est-il normal que des partisans de Pasqua ayant opté pour le RPF prennent part à l’élection au RPR, dont ils sont encore adhérents ?

François Fillon
C’est la définition même de la double appartenance.

L’Evénement
Le RPF, notamment dans le Sud, tend, lui, la main aux mégrétistes. Est-ce une bonne stratégie ?

François Fillon
J’ai toujours défendu l’idée que le RPR devait tendre la main aux électeurs égarés du côté de l’extrême droit et souvent venus de la droite républicaine. Tendre la main aux électeurs, oui, mais aux responsables du mouvement mégrétiste, non. Il y a une frontière éthique qu’il est interdit de franchir.

L’Evénement
Vous regrettez que le libéralisme échevelé se soit emparé de l’opposition. Allez-vous remettre en cause les liens privilégiés noués entre le RPR et DL ?

François Fillon
Si l’opposition veut redevenir la majorité, elle doit incarner les grands courants de pensée. Le libéralisme en est un et Démocratie libérale le représente. Peu importe qu’on s’organise en alliance, confédération ou autre, il faut simplement élaborer, négocier et rédiger un projet de gouvernement qui tienne compte des idées et des aspirations de DL, du RPF, de l’UDF et du RPR. Afin de bien préparer les prochaines législatives, il faut convoquer des assises de l’opposition républicaine avant le fin de l’an 2000.

L’Evénement
La cohabitation est populaire. Est-ce que cela ne vous oblige pas à adopter un style d’opposition plus nuancé ?

François Fillon
La cohabitation paralyse le pays, c’est une situation perverse pour la démocratie et une faiblesse des institutions. Le rôle d’un responsable c’est d’expliquer les dangers de la cohabitation au lieu de se vautrer dedans.

L’Evénement
Le président du RPR, quel qu’il soit, ne veut pas être dépendant de Jacques Chirac et ne peut pas être indépendant de lui. Où est sa marge de manœuvre ?

François Fillon
Avant l’élection présidentielle, il y aura les municipales et les législatives. Le futur président du RPR sera jugé sur le résultat de ces deux élections. Il doit les préparer sans se soucier du reste. En toute autonomie.

L’Evénement
Qu’est-ce qui vous fait croire que vous pourriez réussir là où Philippe Séguin a, sinon échoué, du moins renoncé ?

François Fillon
La démission de Philippe Séguin, comme le départ de Nicolas Sarkozy, a contribué à faire prendre conscience aux militants de la gravité de la situation du RPR. Pour la première fois, c’est eux qui vont choisir une stratégie. Le prochain président disposera d’une légitimité forte : élu après un débat contradictoire entre des projets différents, il sera fondé à mettre en œuvre celui qu’il aura su faire adopter.

L’Evénement
Quelles sont vos chances ?

François Fillon
Si le débat n’est pas escamoté, si l’élection n’est pas confisquée, les militants verront bien que mon projet et ma stratégie sont au diapason du mouvement.