Articles de Mme Dominique Voynet, porte-parole des Verts, dans "Vert Contact" des 1er et 15 mars, et interview à France-Inter le 19 mars 1997, sur la condition féminine, l'intervention télévisée de M. Chirac le 10 mars, l'accord PS - Les Verts et le traité de Maastricht.

Prononcé le 1er mars 1997

Intervenant(s) : 

Média : France Inter - Vert contact

Texte intégral

Date : 1er mars 1997
Source : Vert Contact

Il y a la fête des mères, où chacun, bien que conscient de l’immense ambiguïté de l’exercice, tente maladroitement – par l’offre d’un mixer (« ma maman à moi n’est pas une suffragette, et d’ailleurs, elle fait les œufs à la neige comme personne ») ou d’un bouquet de fleur (« je ne suis pas féministe, mais je me soigne ») – d’honorer non pas la femme, ni même la maternité, mais SA mère. Exercice privé s’il en est.

Et puis, il y a le 8 mars, prétexte à de rituelles commémorations des hauts faits féminins (Lucie Aubrac, Claudie André-Deshaies et Isabelle Autissier tiennent la corde pour la cuvée 1997) et à de non moins rituelles dénonciations du triste sort fait aux femmes en cette fin de vingtième siècle : abandon des petites filles dans les orphelinats-mouroirs chinois, excision au Mali ou en Somalie, travail forcé dans les usines du Sud-Est asiatique, enfermement en Afghanistan, assassinat en Algérie, prostitution partout…

La gravité de ces drames qui mettent en péril la vie, la santé et la dignité de millions de femmes à travers le monde, tend à occulter les problèmes des femmes d’ici, considérées comme des privilégiées. Et pourtant… Il est nécessaire de rappeler qu’à chaque niveau de formation et de responsabilité, la rémunération des femmes reste obstinément inférieure – de près d’un tiers ; – à celle des hommes. Qu’elles sont, plus encore que les hommes, victimes du chômage. Et qu’elles constituent les gros bataillons des salariés à temps (et à rémunération !) partiel(s), dans la grande distribution et les services.

Dans La société en sablier, son dernier ouvrage, Alain Lipietz décrit précisément le sort de ces nouvelles « Fantine », seules avec de jeunes enfants, contraintes d’accepter n’importe quel travail, pour n’importe quel salaire, dans n’importe quelles conditions. Elles sont plus d’un million en France.

On aurait tort d’imaginer que la solution passe par l’interruption de l’activité professionnelle des femmes quand l’enfant paraît. D’une part, parce que la plupart d’entre elles (80 % en France !) tiennent à poursuivre une activité financièrement nécessaire et humainement riche. D’autre part, parce qu’une femme qui cherche à reprendre son activité après avoir élevé ses enfants ne retrouve jamais les responsabilités et la rémunération auxquelles elle prétend.

La réduction du temps de travail ne présente pas les inconvénients. Massive (35 heures tout de suite et 32 heures en l’an 2000… c’est-à-dire demain !) et généralisée, elle permettrait à chacun, homme ou femme, de reprendre pied dans sa propre vie et de retrouver du temps. Du temps pour soi et pour les autres. Du temps pour soi et pour les autres. Du temps pour rêver, réfléchir et agir. Du temps pour les enfants, les amours et les amis.

En ce sens, il s’agit d’une démarche authentiquement féministe, la seule sans doute capable de permettre à court terme un réel partage des contraintes et des bonheurs de l’éducation des enfants, et… des tâches domestiques !

 

Date : 13 mars 1997
Source : Vert Contact

Drôle de pays, où c’est quand il n’a rien à dire que le président de la République s’exprime. Drôle de télé où ce ne sont pas les journalistes qui l’interrogent, mais les conseillers du président qui bâtissent, sur mesure, les émissions dans lesquelles il se produit (sans jeu de mots).

Porte-parole appliquée, j’ai écouté lundi soir monologuer pendant deux (longues) heures sur la jeunesse l’homme qui découvrit la souris (1) par hasard il y a quelques semaines. Deux heures de badinage inconséquent, d’annonces hâtives, de mesurettes mal ficelées. « Monsieur le Président » –  il comme le répétèrent un nombre considérable de fois Cavada et Leymergie – n’avait rien à proposer, mais il prit tout son temps pour nous le faire savoir. Rabâchant les antiennes de la campagne présidentielles (« il faut simplifier les procédures »), enfonçant les portes ouvertes (« les rythmes scolaires ne sont pas bien adaptées »), Jacques Chirac put, sans risquer d’être contredit, dire à peu près n’importe quoi. Par exemple que si « 15 à 20 % de nos enfants entrent en 6e sans maîtriser la lecture, l’écriture ou le calcul », c’est parce que « en trente ou trente-cinq ans, on a doublé le nombre des élèves ». Ce qui est grossièrement faux.

Pauvre Cavada, contraint de répéter, ou d’interpréter les généralités présidentielles… « Est-ce que je vous sous-entends bien, Monsieur le Président ? ».

Pauvre Leymergie, contraint de relancer la languissante conservation du ton guilleret qu’il utilise pour badiner avec les petits invités de « Fréquences mômes »…

J’allais m’assoupir (2), quand une muflerie présidentielle m’a fait bondir : « L’entreprise ne peut pas être considérée comme une maison de retraite ». Entre nous, Monsieur le Président, l’Elysée non plus !

(1) Je l’avoue, j’ai quand même bien ri quand Chirac a dit, avec la décision emphatique qu’il affectionne depuis la campagne présidentielle qu’il « faut deux générations pour maîtriser une technologie nouvelle… » A ce rythme, dans quelques années à peine, nous maîtriserons parfaitement la brosse à dents.

(2) Précision – pour s’en réjouir – que cette émission a été regardé de bout en bout par…5 % des téléspectateurs ! Quelle claque !


Date : 19 mars 1997
Source : France Inter

A. Ardisson : Vous avez un accord électoral avec le Parti socialiste au terme duquel 30 circonscriptions vous sont réservées. Je suppose donc que vous avez regardé de très près le programme économique de ce Parti socialiste présenté, hier, par L. Jospin. Qu’en pensez-vous globalement ? Est-ce que, grosso modo, ce qu’il a annoncé correspond à ce que vous avez négocié avec lui ?

D. Voynet : En ce qui concerne le volet économique du projet commun du projet électoral et programmatique que nous porterons ensemble aux élections de 1998, je dois faire que je suis plutôt agréablement surprise. Le candidat L. Jospin au présidentielle ne portait pas tout à fait le programme qu’il porte aujourd’hui et je crois que c’est notablement lié aux discussions que nous avons eu pendant de longs mois. Cela dit nous ne sommes pas d’accord sur tout. Les commentateurs ont souligné, hier, l’attachement de L. Jospin à la relance de la croissance. Les écologistes sont traditionnellement méfiants à l’égard de ce mot qui mesure des quantités et pas des qualités. Vous savez que, par exemple, dans le PIB, on comptabilise les effets de la pollution, des accidents, du Sida, etc. Nous aurions aimé que l’on puisse utiliser de nouveaux mots pour montrer que le progrès n’était pas de produire de plus en plus mais d’apporter de plus en plus de bien-être. Ce qui n’est pas pareil.

A. Ardisson : En tout cas, il vous a fait une fleur parce qu’il note bien que la croissance n’est pas la panacée, qu’elle doit être maîtrisée et respectueuse de l’environnement.

D. Voynet : Je crois que tout le monde sait, aujourd’hui, que l’on peut produire de plus en plus de biens avec toujours moins de personnes et toujours moins de travail humain. Le problème n’est pas tant de produire pour produire que de produire utile, donc produire de plus en plus de routes, de centrales nucléaires : non ; produire des transports en commun, des véhicules propres, du logement social à l’heure où tant d’enfants souffrent encore de saturnisme dans des logements dégradés, par exemple. Cela est utile et nous le soutenons, évidemment.

A. Ardisson : L’idée de la relance de la demande par la croissance, cela ne vous choque pas ? Cela ne vous dérange pas ? Cela ne vous bouleverse pas ?

D. Voynet : Non seulement cela ne me dérange pas mais je pense qu’il est absolument nécessaire d’améliorer le niveau et la qualité de vie des personnes qui ont, aujourd’hui, des bas salaires, ou simplement des indemnités de chômage. L’idée de basculer, par exemple, les cotisations d’assurance maladie qui pèsent aujourd’hui sur le travail, vers une CSG élargie perçue sur l’ensemble des richesses produites dans ce pays, me paraît une bonne idée.

A. Ardisson : Est-ce que vous pensez que ce programme est crédible ?

D. Voynet : Ce programme est crédible, considérablement plus crédible en tout cas que les dissertations et les commentaires de J. Chirac sur la situation des jeunes la semaine dernière. Je pense que, quand on est Président de la République, quand on est Premier ministre, on ne peut pas se contenter de commenter la vie politique ou de lancer des petites idées pour montrer que l’on s’intéresse aux problèmes des gens. On doit s’attaquer vraiment aux problèmes. Comment résoudre, aujourd’hui, le problème du chômage, sinon en diminuant de façon massive et généralisée le temps de travail comme le prévoit l’accord programmatique passé entre Les Verts et le Parti socialiste ? Nous demandons depuis longtemps une loi-cadre pour organiser cette diminution du temps de travail. Nous pensons que c’est une excellente méthode pour redonner du salaire direct, mais aussi pour remettre rapidement des millions de personnes en activité.

A. Ardisson : Vous aviez un désaccord fondamental avec le Parti socialiste sur la monnaie unique puisque vous, vous avez voté « non » à la ratification du Traité de Maastricht. Alors aujourd’hui, L. Jospin dit : « Oui ou non à Maastricht, ce n’est plus le problème, les Français se sont prononcés donc on y va. Mais à certaines conditions : pacte de croissance, gouvernement économique. » Est-ce que cela veut dire que vos points de vue sont rapprochés, est-ce que vous pourriez dire la même chose grosso modo ?

D. Voynet : On est au moins d’accord sur un point, c’est que le Traité de Maastricht a été ratifié et qu’il ne sert à rien, finalement, de bramer, aujourd’hui, comme en 1993 : « Non à Maastricht ». J’ai voté contre ce traité, je continue à penser qu’il est désastreux en l’absence d’un volet social, d’un volet environnemental et d’une démocratisation des institutions européennes. Cela dit, ce n’est pas parce que le peuple français s’est déjà prononcé qu’il ne faut plus en parler, c’est parce qu’un traité s’oppose à tout gouvernement, quel qu’il soit. Qu’est-ce qu’il faut aujourd’hui ? Evidemment, il faut renégocier rapidement avec nos partenaires européens pour adjoindre un volet social au Traité de Maastricht le plus vite possible, pour démocratiser les institutions européennes et très précisément pour mettre en place une sorte de gouvernement politique et économique de la Communauté européenne. Il est absolument indispensable d’aboutir rapidement et nous souhaitons que le gouvernement français s’engage dans cette voie le plus vite possible.

A. Ardisson : Mais lucidement, imaginons qu’il y ait un volet social du Traité de Maastricht comme cela avait d’ailleurs été souhaité par la France, ce sont certains de ses partenaires qui n’en ont pas voulu.

D. Voynet : Je crois que la France s’est mal comportée en la matière. On a beaucoup parlé de social mais on ne s’est pas donné les moyens d’aboutir. Je pense tout particulièrement à l’époque où F. Mitterrand souhaitait faire aboutir l’idée d’une charte sociale. On a parlé de social, on n’a pas négocié réellement, avec la même exigence que nous avons eue sur le volet économique.

A. Ardisson : Imaginons que ce volet social existe, vous croyez que cela aurait empêché la fermeture de l’usine de Vilvoorde ?

D. Voynet : Rien ne peut empêcher la fermeture d’unités industrielles, sinon la mobilisation des personnels, des salariés, des citoyens. Je pense que rien n’a jamais été gagné, dans ce pays, sans mobilisation sociale de grande ampleur, donc une bonne articulation entre une volonté politique progressiste et une mobilisation sociale me paraît encore plus nécessaire aujourd’hui que dans l’histoire ouvrière. Elle a toujours été nécessaire mais elle le reste.

A. Ardisson : Quand je reçois la porte-parole des Verts, je ne vais pas ne pas lui parler d’environnement et de nucléaire. Il y a des problèmes auxquels est confrontée le ministre de l’Environnement lui-même, avec Superphénix. Partie de bras de fer avec son collègue de l’Industrie ; apparemment, elle a perdu puisque le Gouvernement envisage de faire redémarrer la centrale sans déclaration d’utilité publique, sans consultation plus exactement ?

D. Voynet : C’est malheureusement une constante depuis 18 mois : C. Lepage fait preuve de beaucoup de détermination et de courage mais elle n’est pas soutenue et suivie par le Gouvernement. Je crois qu’elle est en butte aux attaques constantes de certains de ses collègues, notamment le ministre de l’Industrie, le ministre des Transports. Dans cette affaire, C. Lepage va être jugée, je dirais, sur une double casquette. C. Lepage est juriste et quand la juriste dit : il faut enquêter publique pour rendre cette affaire tout à fait inattaquable d’un point de vue démocratique et légal, je crois qu’elle ne se trompe pas. Elle va être jugée aussi en tant que ministre de l’Environnement : si, dans cette affaire, elle est désavouée, ce qui semble être le cas, je crois qu’elle aura perdu toute crédibilité. Son budget est ridicule, son poids politique est marginal, je crois qu’il faudra qu’elle en tire des leçons, qu’elle quitte évidemment ce ministère si, sur ce dossier comme sur beaucoup d’autres, elle perd la main.

A. Ardisson : C’est à cause de quoi ? A cause du fait qu’elle soit ministre de l’Environnement et que c’est finalement un poste que l’on ne considère pas ?

D. Voynet : Je pense qu’elle souffre du fait d’être une femme et que cela agace beaucoup des dinosaures qui siègent à l’Assemblée nationale par exemple. Mais je crois que l’événement le plus important, c’est qu’elle est ministre de l’Environnement et que dans ce pays, on considère qu’il n’y a pas de problème d’environnement quand les écologistes ne font pas un score qui interpelle les leaders des partis. Donc nous avons absolument besoin de faire beaucoup de voix pour rappeler qu’aucun des problèmes que nous dénoncions en 1992 et en 1993 n’est résolu. Nous avons besoin d’un ministre de l’Environnement qui soit aussi un ministre qui chapeaute les politiques les plus importantes en la matière : la politique de l’énergie, la politique du transport, la politique d’aménagement du territoire. L’Environnement, cela ne doit pas être un sous-ministère, ce doit être un ministère de coordination des grandes politiques publiques en matière d’énergie, de transport et d’aménagement du territoire.