Texte intégral
P. Lapousterle : Installation de l'usine Toyota en France : est-ce que c'est la bonne nouvelle qu'on annonce ?
P. de Villiers : C'est un peu de l'intoxication. Je ferais deux observations : d'abord, il faut demander aux PDG de Renault et de Citroën s'ils peuvent s'installer au Japon. Donc, si c'est ça la mondialisation, elle est à sens unique. Et puis, deuxième réflexion, c'est d'ailleurs le PDG de Renault qui l'a dit hier : ce n’est pas une création d'emplois, c'est un déplacement d'emplois, puisque la surcapacité, en Europe, pour la production d'automobile, est de deux millions de véhicules par an. Et on installe Toyota alors que, pendant ce temps-là, Renault et Citroën cherchent des sites, par exemple au Brésil, pour trouver des coûts salariaux plus bas. Donc, c'est une espèce de chassé-croisé qui, en termes d'emplois, sera une opération blanche. Alors dans l'instant ça fait du bien, naturellement, à entendre, mais je ne crois pas que ça résolve le problème de l'emploi.
P. Lapousterle : Il vaut mieux que ce soit en France plutôt qu'en Belgique ou en Angleterre quand même ?
P. de Villiers : Je crois que Toyota a choisi Valenciennes tout simplement pour des raisons stratégiques : parce qu'en l'an 2000 ils vont pouvoir inonder l'Europe – puisque tout sera libre de toute frontière en l'an 2000 –, et ils ont choisi d'inonder l'Europe à partir de Valenciennes.
P. Lapousterle : Cohabitation : Philippe Séguin, le patron du RPR, a qualifié dans « Le Monde » d'aujourd'hui la cohabitation de « régime détestable ». Il accuse Lionel Jospin de la pratiquer à son profit unique. Vous pensez qu'il a raison ?
P. de Villiers : Oui, je pense que la cohabitation, c'est la fin de la Ve République.
P. Lapousterle : Et pourquoi les Français l'applaudissent-ils, la demandent-ils ?
P. de Villiers : Nous vivons actuellement une fin de régime. Nos institutions sont attaquées de toutes parts, le Parlement est devenu une chambre d'enregistrement puisque 80 % de nos lois sont faites à Bruxelles et que, par ailleurs, selon une formule célèbre, la cohabitation ça consiste à tirer le char de l'État à hue et à dia.
P. Lapousterle : Pourquoi les Français l'aiment-ils ?
P. de Villiers : Les Français l'aiment dans l'instant parce que...
P. Lapousterle : Non, pas dans l'instant, c'est la troisième fois, ils ont l'habitude...
P. de Villiers : Oui, ils l'aiment toujours au début parce que ça donne l'impression d'un assentiment et d'un consensus. Mais hélas, les solutions qui sont proposées par les uns et par les autres, dans la vie quotidienne, ne sont pas forcément les mêmes. Et je pense, qu'à terme, la cohabitation ne peut qu'exploser ou conduire à une impasse.
P. Lapousterle : Vous pensez que dans la cohabitation récente, qu'on connaît depuis six mois, Jacques Chirac a laissé Lionel Jospin prendre trop de place ?
P. de Villiers : Ce que je constate c'est que, pour l'instant, c'est Lionel Jospin qui occupe toute la place, et que sur la question essentielle qui devrait tous nous occuper, la question de la France dans l'Europe – la question de l'euro, du traité d'Amsterdam, du pacte de stabilité, la question de la survie de la nation –, c'est la politique socialiste qui est faite, et c'est une politique qui est parfaitement détestable.
P. Lapousterle : Enfin, la politique socialiste approuvée par le président de la République, je vous le rappelle, dans tous les sommets européens.
P. de Villiers : Je pense, comme Charles Pasqua, que la politique européenne de la France, depuis un certain nombre d'années, n'est pas la bonne parce qu'elle consiste à faire disparaître notre pays, c'est-à-dire son identité – on le voit avec le problème de l'immigration – et sa souveraineté –, on le voit bien avec tout ce qui s'est passé depuis le traité de Maastricht. Ce n'est pas pour ça que les affaires se sont arrangées, bien au contraire. Une nation ne peut pas survivre, la citoyenneté ne peut pas être retrouvée dans un pays s'il n'y a pas l'affirmation de la souveraineté, de l'indépendance, c'est-à-dire la possibilité de faire des lois chez nous, de garder nos frontières, et de battre notre monnaie.
P. Lapousterle : Et d'être tout seul, dans son coin ?
P. de Villiers : Pas du tout au contraire. On coopère beaucoup plus facilement et notamment avec toute l'Europe – puisqu'aujourd'hui le Mur de Berlin est tombé, le rideau de fer est tombé –, dans une vision confédérale, à partir du socle des nations, que dans une vision fédérale, qui consiste, pour la France, à s'aligner systématiquement sur l'Allemagne et à se plier systématiquement aux intérêts allemands.
P. Lapousterle : Est-ce que sur l'affaire de l'euro vous en avez pris votre parti ? Vous acceptez ?
P. de Villiers : Pas du tout. Je pense, comme d'autres, que le débat va arriver après les élections régionales, à l'occasion du traité d'Amsterdam. Je pense que l'euro c'est l'euro-chômage, parce que l'euro c'est une zone de surévaluation monétaire ; l'euro sera haut, l'euro sera fort, et donc pénalisera nos entreprises parce que l'euro se fera aux conditions allemandes.
P. Lapousterle : C'est curieux, Robert Hue dit la même chose que vous.
P. de Villiers : Eh bien ce n’est pas parce que Robert Hue dit qu'il fait jour qu'il faut que je vous dise moi à RMC, ce matin, qu'il fait nuit. Si Robert Hue l'a vu, c'est que ça doit être une évidence. Vous savez quel est le principe de la Banque centrale de Francfort ? C'est la stabilité des prix. C'est pas du tout comme la Banque centrale, l'équivalent aux États-Unis, où le but c'est l'emploi. Chez nous, c'est la stabilité des prix. C'est-à-dire qu'on lutte contre un fantôme qu'est l'inflation.
P. Lapousterle : Est-ce que vous croyez que c'est acquis l'euro, comme tout le monde le dit, puisqu'on en est aux préparatifs finaux, ou bien qu'il y aura encore une bataille politique avant sa mise en place ?
P. de Villiers : Je pense que si l'euro doit se faire, ce sera une catastrophe, et que les Français en prendront conscience très vite, et qu'ils se tourneront vers ceux qui les avaient prévenus. Mais je pense que la mise en place de l'euro ne va pas de soi, et qu'il y a beaucoup de difficultés parce qu'il s'agit, et les Français vont s'en apercevoir, d'un transfert de la souveraineté. Donc, moi je suis contre l'euro pour deux raisons : une raison économique, parce que ça va être plus de chômage ; une raison politique : je ne suis pas prêt à voir transférée la souveraineté de la France dans les mains de banquiers, à Francfort, qui ne subiront aucun contrôle politique. On n'a jamais vu ça dans notre histoire et dans l'histoire de l'Europe : le transfert de la démocratie à ce qu'Aristote appelait « l'oligarchie » – une oligarchie de banquiers. Moi je ne suis pas prêt à remettre tous nos pouvoirs entre les mains de banquiers.
P. Lapousterle : Où en êtes-vous de vos rapports avec Charles Pasqua ? Est-ce que vous pensez faire quelque chose ensemble ?
P. de Villiers : Je pense que Charles Pasqua est un homme de convictions, courageux, et qu'il a de l'instinct, et que nous formons un bon tandem. Et je suis convaincu que la grande bataille à venir, c'est la question de l’Europe, c'est la question de l'euro, c'est la question du traité d'Amsterdam, c'est la question du traité de Schengen, c'est la question de l'OMC, la question du GATT.
P. Lapousterle : Vous allez faire des choses ensemble ?
P. de Villiers : Je suis persuadé que le prochain débat et le grand clivage à venir, cela portera sur la question de la nation. Est-ce que, oui ou non, on va préserver, promouvoir la nation ? Exemple : il y a un débat en ce moment sur l'immigration, sur la nationalité. Mais à quoi sert-il de préserver la nationalité française si dans le même temps on fait disparaître la nation française ?
P. Lapousterle : Il y aura des prochaines élections qui sont les régionales dans un peu plus de trois mois. Quel est votre pronostic sur les régionales ?
P. de Villiers : Je pense que si la droite se bat sur ses valeurs, ce qu'elle n'a pas fait aux élections législatives, et qu'elle est conquérante et qu'elle s'oppose, on peut limiter les dégâts. Si en revanche, elle se laisse terroriser, tétaniser par la gauche, ce qui est encore un peu le cas, on va vers une catastrophe nucléaire.
P. Lapousterle : Est-ce qu'il est possible qu'un président de région de l'opposition actuelle soit élu avec des voix des conseillers régionaux du Front national ? Doit-il l'accepter ou non ?
P. de Villiers : Je m’attendais un petit peu à votre question : c'est un piège cette question. Je vais vous dire pourquoi : quelqu'un qui part dans un combat électoral, avec l'idée qu'il va lui falloir un cautère, un supplétif, ça veut dire qu'il a perdu dans sa tête. Et donc, moi je dis à tous les électeurs de droite : relevez la tête, ne cherchez pas sur votre gauche, sur votre droite, des supplétifs pour gagner ! Si vous devez gagner vous devez gagner sur vos valeurs.
P. Lapousterle : Ce n’est pas la question que je vous posais. Est-ce qu'un candidat président de région de l'opposition de droite, peut accepter des voix du Front national ?
P. de Villiers : C'est tout le débat actuel dans lequel moi je...
P. Lapousterle : Mais quelle est votre réponse ?
P. de Villiers : Mais moi je ne veux pas m'inscrire dans ce débat tout simplement parce que je considère que s'inscrire dans ce débat, c'est avoir perdu.
P. Lapousterle : Ne pas s'inscrire c'est pas répondre...
P. de Villiers : Mais non, mais non. Les élections régionales ont lieu au scrutin proportionnel, donc il y aura des listes, le Mouvement pour la France sera présent dans ces élections. Et moi je dis à tous les électeurs, d'où qu'ils viennent : n'hésitez pas à voter pour une droite ferme et sereine. Je vous remercie de m'avoir posé cette question.