Texte intégral
Question
Si les maires sont les élus les plus proches des citoyens, quelles sont actuellement, d'après ce que vous entendez dans votre Association, leurs principales préoccupations ?
J.-P. Delevoye
- "Les concitoyens sont aujourd'hui très préoccupés par ce que l'on appelle la rupture du lien social et les dysfonctionnements de comportement. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, la montée de la violence chez les jeunes, dans les écoles, la difficulté de parler le même langage, font qu'aujourd'hui nous avons l'impression que nous ne sommes plus dans une société à deux ou trois vitesses mais dans deux sociétés qui cohabitent sur le même territoire, avec des valeurs très différentes, avec des contre-valeurs. C'est-à-dire que ce qui, pour les uns, est l'obligation d'une morale et d'un respect - c'est-à-dire le respect de la propriété d'autrui -, est pour les autres un acte de justice - je prends la voiture de quelqu'un parce qu'il a plus de chance que moi. On a aussi, aujourd'hui, la disparition de l'école des parents. La diminution de la responsabilité parentale est aujourd'hui un véritable problème, ce qui fait qu'un certain nombre d'enfants très rapidement sont livrés à eux-mêmes. Et enfin, nous avons, paradoxalement, dans un milieu soit très favorisé, soit très défavorisé, la volonté de laisser l'enfant tellement libre de lui-même qu'il est confronté à son propre échec dans un aspect scolaire. Et nos réponses classiques sont des réponses qui aggravent le handicap que perçoit l'enfant, ce qui fait que très rapidement il a l'impression qu'il n'a pas de place dans une société dont on veut lui montrer qu'elle représente pour lui un aspect d'avenir, tin ascenseur social. Donc forcément il trouve d'autres réponses dans sa propre économie, dans sa propre logique, dans sa propre musique, dans sa propre morale, dans sa propre peinture. Nous avons deux sociétés qui cohabitent et qui s'affrontent."
Question
Est-ce qu'il y a un clivage droite-gauche par rapport à cela ?
J.-P. Delevoye
- "Pas du tout. Il y a le clivage de la désespérance d'un côté et de l'espoir de l'autre. Il y a le clivage de celui qui pense avoir des atouts pour s'en sortir dans une société, et l'autre qui pense qu'il en est écarté et qui a comme moyen d'expression, soit malheureusement les échappatoires que sont la drogue, l'alcool, ou la désespérance, ou au contraire des actes de violence qui souvent sont des actes de désespoir."
Question
Comment raccordez-vous cet ensemble de constats à un futur programme du RPR ?
J.-P. Delevoye
- "Parce que je crois tout simplement qu'aujourd'hui nous sommes à l'heure de vérité des appareils politiques et des partis politiques. Les partis politiques ont un peu dévié par rapport à leur exigence, du temps du Général de Gaulle. Quand les hommes politiques de l'époque intervenaient ils faisaient appel à la compétence, à l'intelligence de chacun pour se mobiliser pour un objectif collectif. C'était l'indépendance agricole de la France, c'était l'indépendance énergétique, c'était la puissance nucléaire, etc."
Question
Alors, aujourd'hui ?
J.-P. Delevoye
- "Aujourd'hui, les appareils politiques se sont transformés depuis une vingtaine d'années, dans ces conquêtes de pouvoir et dans la défense d'intérêts catégoriels. Et nous assistons, si nous n'y prenons pas garde, à une mosaïque d'intérêts catégoriels qui vont s'opposer les uns aux autres. Et c'est le contraire du pacte républicain. Il faut que nous revenions aujourd'hui au fait que, la réussite individuelle passera par la réussite collective de notre pays. C'est d'autant plus vrai que la compétition nous oblige à relever ce défi."
Question
Un exemple : les batailles bancaires actuelles. Le libéralisme peut-il aller trop loin, est-ce que vous le concevez, vous admettez, vous voulez que l'Etat serve d'arbitre dans ces cas-là ?
J.-P. Delevoye
- "Les clivages politiques sont en train de bouger, pourquoi ? Parce qu'on a assisté à la faillite du système collectiviste et on a assisté à l'insuffisance de la logique ultra-libérale. Que se passe-t-il et quelle est la question fondamentale que nous posent nos concitoyens ? On ne peut pas admettre qu'un système, qui soit collectiviste ou qu'il soit capitaliste, se nourrisse des richesses environnementales et des richesses sociales. On ne peut pas imaginer un seul instant que l'on puisse avoir des richesses monétaires et des détresses sociales. Cela créera des séismes politiques majeurs. Il y a donc aujourd'hui, une perception d'une relative impuissance politique par rapport à ces forces économiques, et là il y a une attente, une véritable attente. Comment arriver à concilier le progrès que chacun souligne, au plan médical, au plan technique, avec de formidables opérations technologiques, et en même temps la perception que l'avenir est en train de régresser par rapport à son bonheur individuel ?
Question
Et donc, sur les banques ?
J.-P. Delevoye
- "Sur les banques, là aussi Je crois qu'il faut arrêter cette formidable hypocrisie. Il y a d'un côté une mondialisation qui est en train de se mettre en place et un refus de la France de rentrer dans cette logique de la mondialisation. Ce qui est important, ce n'est pas tellement la puissance des forces financières, mais : est-ce que, demain, notre pays sera un facteur de localisation des investissements des capitaux mondiaux. Prenez le problème des retraites aujourd'hui ! Personne n'ose aborder les fonds de pension et on est toujours dans ce pays avec des mots qui tuent. Demain, le problème des retraites va se poser pour les Chinois, pour les Indonésiens ; il va se poser pour un certain nombre de pays qui vont capitaliser. Et donc nous allons assister à un gonflement des masses disponibles de capitaux sur lesquelles évidemment la localisation de ceux-ci et la maitrise de ceux-ci par rapport à des à-coups économiques sera tout à fait déterminante. Et donc il y a aujourd'hui un problème politique qui est posé."
Question
On vous trouve, ce matin, avec un discours très argumenté. Or depuis le début du mois d'août vous avez été nommé, avec quelques autres, dans l'équipe dirigeante du RPR. On dit que, H. Gaymard, D. Perben, R. Muselier et vous-même, vous êtes des candidats possibles pour la présidence du RPR qui va se décider par élection à l'automne ?
J.-P. Delevoye
- "Oui, ce n'est pas un problème de personne. En réalité, le RPR a probablement commis une erreur : c'est de quitter le chemin des valeurs qui faisaient sa force, et le chemin du peuple. Il faut que nous retrouvions, demain, le chemin du peuple. Le RPR est un mouvement social, un mouvement de rassemblement - c'était le métro de 5 à 7 heures - et c'était un mouvement qui permettait à chacun d'essayer de retrouver du sens à la vie. Ce qui est tout à fait curieux dans cette période, c'est, au moment où on parle de donner de plus en plus de temps libre aux gens, c'est le moment où on donne le moins de possibilités aux gens de gérer ce temps libre. Et nous avons une vraie question philosophique qui est : à quoi ça sert de vivre sur Terre si c'est pour être broyé par la machine économique ou ne pas avoir d'espoir par rapport..."
Question
Et ce genre de question philosophique, en étant président du RPR, ce serait une bonne base pour le défendre ?
J.-P. Delevoye
- "C'est le fond même de la philosophie gaulliste. Le Général disait "Il ne peut pas y avoir de système politique stable, il ne peut pas y avoir de système économique stable si celui-ci doit se nourrir sur le malheur de l'homme." Et je crois que la question de fond est : comment faire en sorte de pouvoir conjuguer ces forces financières, ces forces économiques, cette créativité, au profit du bonheur individuel ?"
Question
Pourquoi, à votre avis, est-ce que le bruit court que vous pourriez être candidat à la présidence du RPR ?
J.-P. Delevoye
- "Je crois tout simplement que le futur président du RPR ne doit pas conduire une ambition personnelle mais une ambition de projets et une capacité de rassemblement. Je crois n'avoir pas fait partie d'une écurie plutôt qu'une autre, ne pas avoir nourri les haines des uns contre les autres. Car notre mouvement a été victime de conflits personnels. Il doit au contraire revenir sur un formidable dialogue avec le peuple, sur le sens des valeurs qui a fait toute sa force et son originalité."
Question
Que dites-vous, aujourd'hui, à C. Pasqua et à F. Bayrou, après les divisions des européennes ?
J.-P. Delevoye
- "Bien évidemment nous serons amenés à mener ensemble les futurs combats."
Question
C'est-à-dire les municipales, en particulier ?
J.-P. Delevoye
- "Municipales, cantonales, législatives, présidentielles. Nous serons ensemble pour un projet de société, en alternative par rapport à des solutions collectivistes qui ne correspondent plus aujourd1hui aux exigences de la modernité."