Texte intégral
Bernard Amara : Jean-Paul Delevoye, on vous sent fasciné par de Gaulle. Est-ce que cela vient de vos parents ? Dans la presse, on parle rarement de votre parcours familial…
Jean-Paul Delevoye : Mes grands-parents étaient de petits agriculteurs à Marcq-en-Barœul. Mon père, gaulliste convaincu, a repris un négoce de grains à Bapaume. J’ai été élevé avec le goût du travail des champs. Mes parents, estimant que j’avais un certain nombre de talents qu’il fallait cultiver, m’ont mis à l’école des Jésuites. Alors que j’avais 16 ans, ils ont divorcé, là, j’ai découvert la rudesse de la vie.
Bernard Amara : La première cicatrice ?
Jean-Paul Delevoye : Oui ! Dans chaque épreuve, il y a, après coup, quelque chose de très enrichissant.
Bernard Amara : Vous n’avez pas un cursus ENA, Polytechnique… qui, de nos jours, vous catapulte vers les sommets.
Jean-Paul Delevoye : Non ! Bac, plus une année à l’Institut supérieur de l’agriculture à Lille en 1968. J’ai accompli ensuite mon service militaire comme élève officier. Au retour, je suis entré dans l’affaire de mon père où j’ai suivi un apprentissage classique : ouvrier, chauffeur, commercial, comptable… Mon père ayant subi un infarctus, j’ai repris sa petite PME – 15 personnes – de négoce de grain, engrais, aliments pour bétail, PME que j’ai développée.
Bernard Amara : Comment êtes-vous tombé dans la chaudron politique ?
Jean-Paul Delevoye : Je n’étais pas attiré par la politique, mais j’avais une vie associative très riche : président des parents d’élèves avec une responsabilité départementale, je m’étais investi dans l’action syndicale ainsi que dans la vie sportive. J’avais envie de faire quelque chose pour mon pays. Je suis entré en politique avec un peu de révolte. Un des politiciens qui prétendait être élu au poste de député me proposait une « négociation » entre la ville et le canton, et un de mes plus gros clients, qui était à l’UDF, m’a menacé de me faire sauter ses commandes, un gros chiffre d’affaires, si je maintenais ma candidature aux législatives. Comme je suis plutôt d’un tempérament indépendant, qui refuse tout diktat, j’y suis allé. J’ai été élu député en 1986, à la surprise générale car c’était plutôt un canton radical-socialiste.
Bernard Amara : En tant que président de l’AMF (Association des maires de France), vous devez côtoyer en permanence la France profonde, les réalités de terrain ?
Jean-Paul Delevoye : 34 000 communes de toutes tailles, de toutes étiquettes politiques, nous obligent à réfléchir sur les véritables enjeux de notre société, à faire de la prospective et à être, en permanence, à la disposition des élus locaux. Pour ce faire, nous mettons à leur disposition des revues, des publications, une agence de formation, un conseil juridique… Depuis sept ans, je vis dans un formidable laboratoire de réflexion et de propositions. J’aime l’aspect pragmatique et plein de bon sens de ces gens qui sont au cœur des exigences économiques en matière de performances, et au fait des soucis sociaux en matière de détresse.
Bernard Amara : On dit le RPR à court d’idées, dénué de souffle, habillé de phrases creuses. Mais sur les thèmes populaires, humanistes, sociaux… la gauche n’a-t-elle pas phagocyté les idées essentielles ?
Jean-Paul Delevoye : La gauche donne l’impression d’être plus généreuse que la droite. On veut tous faire le bonheur des gens, les socialistes dans l’assistanat, en diminuant la responsabilité, donc la dignité des personnes. Ils sont devenus très conservateurs en protégeant les institutions contre les individus. Il suffit d’observer l’école. On peut aussi remarquer que l’autorité de l’État, ne s’exerçant plus, les plus faibles et les plus humbles en subissent les conséquences. Pour finir, ces mêmes socialistes, de tout temps, ont déstabilisé les deux piliers que sont la propriété et la famille. Nous, Gaullistes, nous voulons faire le contraire.
Bernard Amara : Vous n’êtes pas un peu kamikaze. Vous n’avez pas l’impression de ramasser les débris et de jouer « Mission impossible », compromettant ainsi votre avenir ?
Jean-Paul Delevoye : Si j’étais carriériste, je ne me serais pas présenté à la présidence du RPR. Vous savez, j’ai été réélu en 1998 à la présidence de l’AMF, avec 72 % des voix, jusqu’en 2001. C’est confortable. Mais moi, je fonctionne en militant et pas d’après mes intérêts personnels. Je n’attends rien de cette présidence.
Bernard Amara : Mais cette chute du mouvement, le peuple vous a lâché ?
Jean-Paul Delevoye : Vous voulez dire comment se fait-il qu’on ait laissé s’appauvrir le mouvement gaulliste ? Tout simplement par la personnalisation. On a personnalisé le RPR au travers d’hommes qui avaient tous, légitimement, des ambitions et des stratégies personnelles. Conséquence, on votait pour une personne et pas pour les valeurs essentielles du gaullisme. Il faut inverser la machine avec un projet de société très clair.
Bernard Amara : C’est quoi la méthode Delevoye ?
Jean-Paul Delevoye : C’est la responsabilisation démocratique en quatre temps : 1. Pédagogie ; 2. Débat ; 3. Choix ; 4. Responsabilité du choix.
Je m’explique. C’est un peu la relation patient/médecin. Le patient attend du médecin qu’il lui explique, sans jargonner, les raisons de sa souffrance, les différentes solutions du traitement. Il doit arriver à le convaincre sur un choix possible, donc à le responsabiliser. C’est le contraire de la politique-séduction. Ce n’est pas en surfant sur les sondages que l’on peut changer les choses.
Bernard Amara : Qu’est-ce qui vous différencie des autres candidats ?
Jean-Paul Delevoye : C’est aux militants de le dire.
Bernard Amara : La presse ne vous fait pas de cadeaux. On vous dit cornaqué par l’Élysée, aux ordres, chouchou de Madame…
Jean-Paul Delevoye : Ça me laisse insensible. J’ai mis plus d’un mois pour me décider. Moi, ce qui m’intéresse, c’est mon pays, les militants, la cause du mouvement. Toute critique conforte ma détermination.
Je n’ai jamais compris, chez nous, le débat existentiel par rapport à Jacques Chirac. Nous sommes le parti du Président, mais il n’est pas le président du parti. Mes challengers m’ont mis une étiquette « Élysée » sur les épaules. À l’égard du Président Chirac, je cultive une fidélité absolue et une indépendance totale.
Bernard Amara : On ne vous trouve pas assez mordant...
Jean-Paul Delevoye : Effectivement. Mais Gandhi n’a-t-il pas dit : « la douceur est la pire des violences. »
Bernard Amara : Vous avez tâté le pouls, labouré les fédérations, côtoyé la base… Quelle est votre image à votre avis ?
Jean-Paul Delevoye : Je pense être perçu comme un homme de conviction, indépendant, ayant du bon sens, issu du terrain, et surtout comme quelqu’un qui n’a pas de problèmes avec les « affaires ».
Bernard Amara : Justement, parlons-en des affaires. « Tous pourris ! », entend-on au café du coin…
Jean-Paul Delevoye : Non ! Une faible majorité d’entre pollue l’atmosphère politique.
Bernard Amara : Une faible majorité ?
Jean-Paul Delevoye : Sincèrement, je crois que oui. Nous sommes dans une société médiatique qui globalise à outrance. Un produit alimentaire est touché, tout ce qu’on mange est trafiqué. Un politique est mis en examen, c’est toute la politique qui est incriminée. Je suis de ceux qui pensent, au sujet des affaires, qu’un élu qui a été condamné pour un manquement moral ou détournement de fonds publics, doit être inéligible à vie. Au même titre qu’un policier, condamné pour faute professionnelle, est écarté de son métier.
Bernard Amara : Que pensez-vous de cette phrase d’Alexandre Zinoviev : « pour que 20 % vivent au paradis, il faut que 80 % vivent en enfer. » ?
Jean-Paul Delevoye : Oui ! Les effets de la mondialisation. Le rôle du politique dans tout cela. Aujourd’hui, en France, nous avons une gestion politique à caractère électoraliste : soit des gages à la gauche plurielle, soit des mesures sympathiques pour préparer les échéances électorales. Mais le pays dans tout ça ? Il faut élever le débat. Par exemple, le bonheur des pays riches ne se fera pas sur le malheur des pays pauvres. On peut régler scientifiquement les aléas climatiques ou financiers, mais pas sociaux. Si nous n’arrivons pas à mettre en place des politiques de développement endogènes, nous aurons demain des tensions migratoires qui seront ingérables.
Bernard Amara : Sur l’immigration, vous…
Jean-Paul Delevoye : Évasion de la réussite ! Localisation de l’échec ! Triste constat. L’intelligence fuit nos frontières – pour cause de taxation entre autres –, et nous attirons la misère du monde. Cette situation est explosive. Il faut attirer le savoir, les talents. Nous aurions dû accueillir les chercheurs soviétiques, asiatiques…
Bernard Amara : On parle d’intégration. Il y a des centaines de milliers de Français de descendance maghrébine dans ce pays. Beaucoup réussissent, dans les affaires par exemple, le médical. Combien y en a-t-il au Sénat, à l’Assemblée nationale, dans les conseils généraux et maires de grandes villes ? Zéro !
Jean-Paul Delevoye : Vous posez un vrai problème de politique de fond. La mondialisation qui fait sauter les espaces et frontières économiques va nous obliger à vivre avec l’autre. On a eu un marketing politique qui, quelquefois, a bâti des stratégies de conquête du pouvoir contre l’autre. Il y a des gens qui cultivent le rejet de l’autre. Il est vrai que nous n’avons toujours pas fait le deuil des conséquences de la guerre d’Algérie. Il y a eu, dans notre culture judéo-chrétienne, une certaine forme d’intolérance, avec les protestants, les musulmans… Une réflexion qui doit être menée est l’enrichissement de l’autre, à la condition qu’il respecte les règles républicaines. Tout affaiblissement de l’équilibre entre les droits et les devoirs, tout laxisme qui laisse croire que le vice est récompensé plus que la vertu, dessert la cause de l’intégration. L’intégration est un des enjeux de la stabilité sociale.
Bernard Amara : La France est le pays le plus visité au monde – 70 millions de touristes. Elle possède la deuxième agriculture mondiale. Question matière grise, elle est au top niveau : aéronautique, chemin de fer… Nous sommes champions du monde de foot, vice-champion de rugby… On assiste pourtant à une auto-flagellation permanente, un autodénigrement constant. Ne sommes-nous pas un peu maso ?
Jean-Paul Delevoye : Vous avez raison. Nous vivons dans un pays qui se culpabilise en permanence. C’est notre carence actuelle. Il est bien connu que nous ne soutenons pas les gagnants. Il faut retrouver le goût d’entreprendre, tout en acceptant le droit à l’erreur aussi. Notre rôle en politique est de redonner confiance.
Bernard Amara : Quels sont vos hobbies ?
Jean-Paul Delevoye : D’abord la famille, ensuite la lecture, puis le cinéma et le théâtre.
Bernard Amara : Vous n’avez pas un petit vice secret ? (rires) Vous savez les sept péchés capitaux…
Jean-Paul Delevoye : Si, la bonne bouffe.
Bernard Amara : Si vous êtes élu, quelle sera votre premier travail ?
Jean-Paul Delevoye : Mon premier geste sera en direction des salariés. J’irai voir les syndicats de salariés et les syndicats patronaux pour mettre en chantier une réflexion de notre mouvement sur l’association capital/travail. L’actionnariat populaire.
Bernard Amara : Si vous n’êtes pas élu ?
Jean-Paul Delevoye : Simple militant, à la disposition du futur président.
Bernard Amara : C’est aussi simple que cela ?
Jean-Paul Delevoye : Oui !