Texte intégral
Al Hayat : L'Union européenne a rappelé tous ses ambassadeurs en Iran suite au verdict du tribunal allemand qui implique le pouvoir iranien dans l'attentat de Mykonos et a décidé de suspendre le dialogue critique. Que va faire la France concrètement avec l'Iran ? Est-ce que cela va aller plus loin que cela ?
Hervé de Charette : J'espère que nous allons sortir de cette crise mais il est vrai que nous avions à cœur d'exprimer à nos partenaires et nos amis allemands la solidarité qui est la marque de notre appartenance commune à l'Union européenne et aussi la marque de l'amitié franco-allemande qui constitue désormais l'une des bases de la vie en Europe. Il n'en demeure pas moins qu'il doit être clair pour les autorités iraniennes qu'aucun pays européen n'est prêt à accepter l'idée qu'il pourrait y avoir des ingérences iraniennes dans la vie intérieure de nos pays, a fortiori des implications des autorités iraniennes dans des règlements de compte. Mais l'Iran est un grand pays qui occupe dans cette partie du monde une place stratégique. Il représente une très ancienne civilisation, c'est un peuple appelé à jouer un grand rôle dans l'avenir et nous souhaitons avoir avec ce pays et avec ce peuple et avec ceux qui le dirigent un dialogue qui soit bénéfique pour les uns et pour les autres.
Al Hayat : L'administration américaine a toujours dit que le dialogue critique de l'Europe avec l'Iran était un échec car il n'a aucune stratégie. Est-ce que vous allez le repenser, le changer ?
Hervé de Charette : Notre objectif, c'est d'avoir avec l'Iran des relations normales d'État à État et je suis convaincu que si nous arrivons à établir des règles claires entre nous, nous y parviendrons. En tout cas, c'est l'objectif que je fixerais pour la diplomatie française.
Al Hayat : Est-ce que les ambassadeurs qui ont été rappelés vont bientôt rejoindre leur poste en Iran ?
Hervé de Charette : Bien entendu. Les ambassadeurs retourneront en Iran à l'issue des consultations pour lesquelles ils ont été rappelés.
Al Hayat : La France a joué un très grand rôle dans la conférence euro-méditerranéenne de Malte. Est-ce qu'elle pourra faire quelque chose pour débloquer la crise entre les Palestiniens et les Israéliens ?
Hervé de Charette : Nous avons développé depuis deux ans une stratégie extrêmement active et en même temps extrêmement claire. D'abord nous sommes les amis déterminés de l'ensemble des pays de la région. Ensuite nous sommes attentifs aux préoccupations des uns et des autres. La sécurité que tout le monde recherche mais aussi les principes établis à Madrid, celui des droits des peuples à disposer d'eux-mêmes comme celui de l'échange de la terre contre la paix. En même temps, nous avons établi aussi avec les pays de la région, avec Israël mais aussi avec les pays arabes des relations très étroites, très denses, très fortes et j'ai pu constater avec plaisir à Malte que ce travail n'avait pas été fait en vain et que j'ai des relations personnelles avec tous les ministres de la région fondées sur la sincérité mutuelle, le respect que nous avons pour eux et l'estime qu'ils veulent bien nous porter et que tout cela est extrêmement riche de promesses pour le rôle que la France veut jouer dans cette région. Bien entendu, elle sera donc extrêmement active dans le processus de paix, à la fois sur le volet palestinien et bien sûr sur le volet syro-libanais. Je parle du processus de paix, en vérité hélas, si nous n'agissons pas vite, ce sera bientôt un champ de ruines.
Al Hayat : Après la rencontre Arafat-Levy à Malte, avez-vous l'impression que le problème de la construction par Israël des colonies dans l'ensemble d'Israël peut disparaître et que les Israéliens pourraient changer de cap ?
Hervé de Charette : Il faut qu'ils modifient leur attitude, changent leur fusil d'épaule sauf à menacer durablement le processus de paix. L'affaire de Djebel Abou Ghneim est une affaire désastreuse. Pour quelques milliers de logements, le gouvernement israélien a pris le risque de rompre durablement et profondément le climat de confiance qui seul permet de faire aboutit une négociation aussi complexe que celle du processus de paix. Il ne s'agit pas seulement de la confiance entre ceux qui négocient ou entre les dirigeants, il s'agit de la confiance entre les peuples sans laquelle il n'y a pas d'espoir de paix dans cette région. Nous n'avons pas cessé de dire, comme les Américains, comme l'ensemble de la communauté internationale et dans les mêmes termes, que cette mesure était un obstacle sur la voie de la paix.
Al Hayat : Est-ce que le plan européen de 10 points a des chances d'être accepté ? Y a-t-il espoir que les Américains le permettent ?
Hervé de Charette : Je ne ressens pas la contribution européenne et la participation française au processus de paix comme une compétition avec les Américains. Notre objectif c'est la paix, tant mieux si quelqu'un peut y contribuer, il n'y a pas de jalousie mutuelle. Nous pensons que nous pouvons être utiles et nous sommes tout à fait certains que nous sommes irremplaçables, alors nous travaillons à l'heure actuelle avec les Américains à nous comprendre mieux à ce sujet. J'ai l'impression qu'il y a des progrès significatifs, tout n'est pas fait, mais il y a une meilleure compréhension du rôle que chacun peut jouer par exemple le fameux groupe de surveillance au Sud Liban, qui, je vous le rappelle, est une initiative française agréée par les Américains. De l'avis de l'ensemble des parties, de nous-mêmes et des Américains, cette coopération est très utile, très efficace et elle marche bien. Finalement chacun apporte sa pierre à l'édifice de façon très utile. C'est un exemple tout à fait intéressant parce qu'il est valable pour l'avenir et qu'il ouvre des perspectives extrêmement intéressantes.
Al Hayat : Comment avez-vous élaboré ce plan, après consultations avec les Palestiniens et les Israéliens ?
Hervé de Charette : C'est une proposition française. Il nous a semblé que dans la conjoncture actuelle, il était temps qu'il y ait une initiative européenne et donc nous avons demandé à la présidence néerlandaise d'organiser une réunion d'urgence et nous sommes venus avec une proposition élaborée, un code de conduite en 10 points agréé par nos partenaires et qui constitue le scénario proposé par l'Europe. Je crois que la suite nous donnera raison. Vous verrez que d'une façon ou d'une autre c'est autour des idées développées dans ce scénario que se trouvera une éventuelle reprise de contacts entre Israéliens et Palestiniens. Le pire dans la situation que nous connaissons c'est l'immobilisme qui est dangereux car pendant que les faiseurs de paix ont baissé les bras, ce sont les faiseurs de guerre qui s'activent et qui s'agitent et on le voit avec la reprise des actes de terrorisme qui sont condamnés par tout le monde, y compris par les dirigeants palestiniens et qui constituent une sérieuse menace.
Al Hayat : Vous venez de voir à Malte le ministre des Affaires étrangères syrien, M. Farouk Al Charaa, avez-vous l'impression que le blocage du processus de paix sur le volet palestino-israélien bloque totalement le volet syro-israélien et libano-israélien ?
Hervé de Charette : Pas nécessairement. Ce sont deux processus différents. Naturellement une atmosphère de crise d'un côté ne contribue pas à faciliter les choses de l'autre. Mais j'ai observé à Malte, comme à chacune de mes rencontres avec Farouk Al Charaa que la Syrie est réellement désireuse de faire la paix. Farouk Al Charaa l'a d'ailleurs exprimé de façon très convaincante à la séance plénière finale de la conférence de Malte mais la Syrie n'est pas prête à faire n'importe quelle paix, à sacrifier ses territoires ni ses intérêts, mais elle recherche sincèrement la paix et nous avons l'intention de contribuer, sur le volet syro-libanais, aussi, à faire avancer les choses.
Al Hayat : Mais voyez-vous une chance de voir le volet syro-libanais se débloquer alors que le volet israélien-palestinien est en pleine crise ?
Hervé de Charette : Ce sont deux pistes parallèles, elles n’obéissent pas au même tempo. Quant à la nature de ce que va faire la France pour aider à la reprise du dialogue entre Israéliens et Syriens d'un côté et Libanais-Syriens de l'autre, je crois qu'il est prématuré de le déterminer mais soyez sûrs que nous réfléchissons avec beaucoup d'attention.
Al Hayat : Mais pensez-vous qu'avec un Premier ministre comme Netanyahou, la Syrie peut obtenir plus qu'elle n'a obtenu avec Shimon Pérès ?
Hervé de Charette : Ce qui est certain, c'est que la question que vous posez est centrale, c'est la question de la confiance entre les dirigeants israéliens et ceux du monde arabe, par conséquent notre tâche première c'est de rétablir un climat de confiance, c'est pour cela que l'entretien qui a eu lieu à Malte entre le président Arafat et M. David Levy sous le patronage de l'Union européenne, de la France et de l'Egypte est le premier geste positif qu'on voit depuis plusieurs semaines, sans doute ne suffit-il pas, sans doute des mesures de confiance, sont-elles nécessaires de part et d'autre, ces mesures intéressent à la fois la question des implantations et aussi la lutte contre les actes de violence qui créent du côté israélien un sentiment également insupportable. Pour aboutir il ne suffit pas de dire je veux la paix, je veux la paix, il faut le prouver par des actes concrets.
Al Hayat : On voit dans le monde arabe et à Malte beaucoup d'attente de la France et en même temps beaucoup pensent que la France n'a pas les moyens de faire ce que le monde arabe a envie qu’elle réussisse. Comment ferez-vous avec les Américains pour avoir un rôle ?
Hervé de Charette : Le rôle de la France s'impose jour après jour de façon remarquable et si j'ose dire de façon irrévocable. Vous avez parlé de l'attente des pays arabes de la France à Malte. C'est vrai face aux difficultés qu'on a vues à Malte, les négociateurs attendaient ce que faisaient les représentants de la France, ce qu'ils allaient dire. C'est vrai aussi que c'est nous qui avons finalement aidé à trouver des solutions acceptables par tout le monde. Comparez cette situation avec l'absence française il y a seulement dix-huit mois, le chemin parcouru est tout à fait considérable et je crois que cela va continuer comme cela parce que nous sommes décidés à exercer la plénitude de nos responsabilités et que nous allons continuer à le faire dans l'état d'esprit qui est le nôtre, c'est-à-dire celui d'un pays compréhensif des légitimes préoccupations des uns et des autres et qui essaye d'avoir une attitude amicale envers tous. Je crois que cette position est bien comprise, il faut non plus se faire d'illusion, personne, même la première puissance du monde ne peut imposer la paix de l'extérieur au Proche-Orient, elle viendra de ceux qui, sur le terrain ont des responsabilités essentielles. Nous ne pouvons pas forcer la main.
Al Hayat : Dans beaucoup de pays au Proche-Orient la France se différencie des États-Unis dans sa politique vis-à-vis de certains pays comme l'Iraq et en même temps est solidaire des politiques américaines. Vous venez d'envoyer un diplomate en Iraq pour préparer les conditions d'une normalisation possible. Que veut la France en Iraq réellement ?
Hervé de Charette : C'est extrêmement simple. Nous sommes fidèles aux résolutions du Conseil de sécurité, c'est-à-dire aux décisions prises par la communauté internationale. Celles-ci ont demandé à l'Iraq de respecter un certain nombre d'obligations parmi lesquelles celles qui concernent le désarmement et la vérification sur le terrain par une commission internationale, présidée par M. Ekeus de la réalité de cette pratique. Notre objectif c'est d'y parvenir et c'est dans cet esprit que nous agissons, nous respectons strictement les résolutions du Conseil de sécurité mais en même temps nous ne sommes pas passifs, nous prenons des initiatives pour convaincre notamment les dirigeants iraquiens que la meilleure solution pour eux et pour le peuple iraquien passe par le respect par l'Irak des résolutions du Conseil de sécurité. Nous n'en sortirons pas, c'est-à-dire que nous ne ferons pas des choses non prévues par le Conseil de sécurité de même que nous ne partageons pas la thèse selon laquelle il faudrait avoir pour objectif d'éliminer les dirigeants iraquiens, ceci est une affaire qui concerne le peuple iraquien et ne concerne pas notre action diplomatique. Cela veut dire que je continuerai à recevoir Tarek Aziz aussi souvent que ce sera utile, dans la mesure où je pense que parler avec lui contribue à faire avancer notre objectif.
Al Hayat : Est-ce que vous allez le recevoir bientôt ?
Hervé de Charette : Nous n'avons pas de projet en perspective mais nous restons en contact.
Al Hayat : Que pensez-vous de la dernière mission de M. Ekeus qui n'était pas très satisfait des Iraquiens ?
Hervé de Charette : Je crois qu'en réalité la mission de M. Ekeus progresse, non sans difficultés. En conséquence de quoi le temps approche où cette commission sera appelée à faire le bilan de ce travail. C'est pourquoi nous pressons les autorités iraquiennes d'appliquer pleinement les résolutions pour qu'on puisse appliquer le paragraphe 22 de la résolution 687, c'est-à-dire la levée de l'embargo, qui, du point de vue du peuple iraquien serait souhaitable.
Al Hayat : Les pays arabes participants à Malte ont appelé les Européens à inviter la Libye à y participer. Est-il normal que la Libye soit exclue alors que d'autres Arabes méditerranéens y participent surtout que c'est un partenariat à si long terme ?
Hervé de Charette : Je pense qu'il est souhaitable que la Libye règle les problèmes en suspens que chacun connaît. Quand ils auront été réglés, la Libye pourra reprendre sa place dans la communauté internationale. C'est le souhait de la France.
Al Hayat : Même si elle a coopéré avec la justice française ?
Hervé de Charette : Je répète qu'une fois que les obligations fixées par la communauté internationale sont remplies, la Libye peut reprendre sa place et c'est le souhait de la France.
Al Hayat : Vous avez vu le ministre des Affaires étrangères algérien, M. Attaf à Malte. Vous dites toujours qu'il faut que les relations entre l'Algérie et la France soient d'État à État et dépassionnées mais les relations sont loin d'être normales. Qu'en est-il de ce dernier entretien ?
Hervé de Charette : À Malte, M. Attaf était le coordinateur des pays arabes. Il y a fait un travail très remarquable et j'ai été personnellement très heureux de travailler et de coopérer avec lui pour le succès de la conférence de Malte. Il y a pris une part significative. C'est vrai qu'on a eu un entretien bilatéral long et fort utile et nous avons décidé ensemble de reprendre l'échange des visites au niveau des ministres techniques.
Je pense que vous en verrez la réalisation pratique dans les semaines qui viennent. On est donc sur la bonne voie.
Al Hayat : Que pensez-vous des élections en Algérie ?
Hervé de Charette : C'est une affaire algérienne.
Al Hayat : La situation au Sud-Liban vous inquiète-t-elle du fait du blocage du processus de paix ?
Hervé de Charette : Il est vrai que les arrangements auxquels nous sommes parvenus à la suite du printemps dernier notamment la mise en place du Comité de surveillance étaient liés à la poursuite du processus de paix. Ce n'est en aucune façon un substitut au processus de paix.
Al Hayat : Le président Chirac a lié le retrait israélien du Sud-Liban au retrait israélien du Golan, alors que la résolution 425, dom vous réclamez l'application, appelle au retrait des troupes israéliennes du Sud-Liban sans contrepartie.
Hervé de Charette : La France est très fortement attachée à l'intégrité, la souveraineté et l'indépendance du Liban et a donc tout ce qui y contribue. La France souhaite l'application de la résolution 425. C'est une résolution du Conseil de sécurité qu'elle souhaite voir appliquée dans le cadre d'un accord global.
Al Hayat : Vous parlez d'un partenariat à long terme entre Européens et les pays de la Méditerranée du Sud présents à Malte. Les conditions de délivrance de visas pour les pays du Maghreb et du monde arabe deviennent de plus en plus serrées et difficiles. Comment peut-on construire un partenariat avec des lois style « loi Debré » ?
Hervé de Charette : Le partenariat entre les pays de la Méditerranée est fondé sur un esprit d'ouverture et de compréhension des autres, sur la diversité et la richesse des cultures et des nations, mais aussi sur la compréhension des problèmes de chacun. Je ne crois pas que l'on puisse avoir dans l'idée que le partenariat euro-méditerranéen soit le développement de l'immigration. L'immigration clandestine est au contraire l'échec euro-méditerranéen, c'est-à-dire que nous n'avons pas réussi ensemble à faire en sorte que le sud de la Méditerranée se développe et donc que les habitants de ces pays continuent à espérer d'émigrer en Europe. Donc il faut à la fois avoir une politique d'immigration fondée sur des principes fermes et en même temps une forte ambition de développement économique qui permette à ces pays de garder leurs élites.
Al Hayat : Mais les visas, ce n'est pas l'immigration ?
Hervé de Charette : La politique des visas est liée à cette politique d'immigration. Il faut qu'elle soit à la fois ferme comme elle l'est dans tous les pays du monde et en même temps qu'elle soit en effet accompagnée de dispositifs pratiques qui soient attentifs aux souhaits de chacun. C'est ce que nous essayons de faire. On peut sans doute progresser. C'est ce à quoi nous allons travailler.