Interview de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, dans "El Mercurio" le 5 avril 1997, sur le développement des relations politiques, économiques et culturelles entre la France et le Chili.

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Média : Presse étrangère

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El Mercurio : Suite à la visite du président Chirac, quelle est l’importance que la France accorde à cette région ?

Hervé de Charette : Ne renversons pas les rôles ! C’est parce que cette région est, en elle-même, une région importante démographiquement, économiquement et culturellement que le président de la République a effectué une tournée dans les quatre pays du Mercosur et en Bolivie et qu’il s’apprête à recevoir à présent, en visite d’État, le président Frei. La France entretient avec l’Amérique latine une vieille complicité héritée de l’Histoire. Mais il est vrai qu’au cours des 30 dernières années, nous nous sommes davantage focalisés sur la construction européenne et sur le clivage Est-Ouest qui structurait les relations internationales. En outre, il faut avouer que la nature des régimes politiques qui prévalait dans de nombreux pays latino-américains n’incitait guère la France à entretenir des relations aussi étroites et chaleureuses qu’il eût été souhaitable.

Cette époque est révolue. Tous les pays d’Amérique du Sud sont devenus désormais des démocraties, ont renoué avec le libéralisme économique et avec la croissance économique. La France a tout naturellement décidé de procéder à une relance résolue de ses relations et de sa présence. C’est dans cet esprit que mon prédécesseur, M. Alain Juppé, s’est rendu notamment en visite au Chili en 1994.

Plus encore que par le passé, la France est extrêmement soucieuse d’entretenir et de développer un véritable partenariat avec les pays dont elle se sent culturellement proche. La culture latine nous a permis de maintenir avec l’Amérique latine un lien très fort et très vivant comme a pu le constater le président Chirac lors de sa récente tournée, et ce au-delà des vicissitudes politiques et des changements de régime. La France veut aussi renouer des liens politiques et économiques distendus. Le sous-continent connaît une forte croissance, et la France entend y promouvoir les investissements et les exportations de ses entreprises, qui ne sont pas au niveau de la place qu’elles détiennent dans le commerce mondial.

Les États latino-américains sont aujourd’hui stables aux plans politiques, très dynamiques au plan économique et en voie d’intégration régionale. Ils constitueront demain un nouveau pôle sur la scène internationale. La France espère contribuer au renforcement de ce pôle, dans le cadre de cette vision d’un monde multipolaire que défend le président de la République. L’Amérique latine doit participer aux décisions politiques, économiques et culturelles qui intéressent le monde. Cette multipolarité doit permettre d’éviter cette uniformisation rampante de la planète qui menace la diversité des cultures et qui rendrait bien triste pour nos enfants le monde demain.

El Mercurio : Comment évaluez-vous l’état actuel des relations entre la France et le Chili ?

Hervé de Charette : Il existe une double relation entre nos deux pays. La première est très ancienne puisque la France est le premier pays européen à avoir reconnu le Chili ; depuis le siècle dernier, de nombreux Français ont en outre participé à la construction de la nation chilienne. La seconde est moins ancienne mais tout aussi importante : c’est celle existant entre la France et la famille Frei. Eduardo Frei Montalva, le père de l’actuel président du Chili, avait été reçu par le général de Gaulle pendant trois jours, en juillet 1965. Le général accueillait ainsi le premier dirigeant latino-américain depuis son retour d’Amérique latine, où il avait lui-même été reçu par Eduardo Frei, en novembre 1964. C’est maintenant le fils du président Frei Montalva que nous accueillons avec beaucoup de plaisir à Paris.

La France est toujours, aujourd’hui, un partenaire culturel important du Chili, notamment dans le domaine de la coopération scientifique et technique. Cette présence culturelle est renforcée par une présence économique chaque jour plus forte au Chili. Il y avait 70 entreprises françaises implantées au Chili en 1994. Elles sont aujourd’hui 120, soit une augmentation de 70 % en seulement 3 ans. Si la part de la France dans le commerce extérieur chilien demeure modeste, le volume de nos ventes n’en a pas moins connu une progression de 85 % en quatre ans. Cette présence affirmée est bien due au dynamisme des entreprises françaises, mais aussi à l’approfondissement des liens et des contacts politiques entre nos deux pays, notablement renouvelés depuis la visite de M. Juppé à Santiago, en 1994, puis celle de plusieurs membres du gouvernement français depuis 1995. Je compte apporter moi aussi ma pierre à cet édifice commun en me rendant au Chili au cours des prochains mois.

El Mercurio : Dans quel sens peuvent-elles s’améliorer davantage ?

Hervé de Charette : Il n’y a pas de contentieux politique entre la France et le Chili. Les liens tissés entre l’Union européenne et le Chili, avec l’accord-cadre de coopération signé à Florence en juin dernier, sont un autre facteur de renforcement des relations entre le Chili et la France, ce d’autant plus que nous avons joué un rôle actif au sein de l’Union européenne pour faire aboutir les négociations.

Au plan économique, je ne doute pas que la formidable progression des échanges que j’évoquais à l’instant se poursuivra, et dans les deux sens. Je dois rappeler que 70 % des produits chiliens entrent dans l’Union européenne – et donc en France – en franchise douanière et sans limitations, tandis que 17 % bénéficient du système de préférences généralisées avec un droit moyen de 1,7 %, que 7 % sont soumis à un droit moyen de 10 % et que les 6 % restants sont soumis à un droit de 7,5 %. Nous sommes donc bien loin de l’idée, que certains véhiculent non sans arrière-pensées, selon laquelle l’Union européenne serait une zone protectionniste.

El Mercurio : L’épisode des essais nucléaires a-t-elle refroidi celles-ci ? Dans quelle mesure ?

Hervé de Charette : Grâce à son ultime campagne d’essais nucléaires, la France maîtrise aujourd’hui un instrument fiable et performant de défense, dont l’amélioration future reposera sur la simulation. Il n’y aura plus d’essais nucléaires. La France a d’ailleurs non seulement promu et signé le traité d’interdiction complète des essais nucléaires, mais aussi celui de Rarotonga sur la zone dénucléarisée du Pacifique Sud. Je vous ferai remarquer que nous sommes ainsi la seule puissance nucléaire au monde à avoir accepté de ne plus disposer – physiquement – de site d’expérimentation. Aucun autre État nucléaire n’a accepté un engagement aussi contraignant.

Au cours de notre ultime campagne de tirs, le Chili a affirmé son opposition avec une véhémence qui nous a surpris. Il nous a semblé que les campagnes de presse et les réactions irrationnelles l’emportaient alors sur un examen dépassionné des réalités. D’un commun accord avec nos partenaires chiliens, nous avons alors cependant bien circonscrit le champ de cette divergence, en prenant soin de préserver les autres aspects de notre relation politique, ainsi que de nos relations économiques et culturelles. Parallèlement, la France a poursuivi ses efforts d’explication et veillé à ce que l’amitié entre nos deux pays ne soit pas affectée. C’est pour cela que la France, après avoir reçu notamment les ministres chiliens de la Défense et des Relations extérieures, reçoit maintenant le président Frei en visite d’État. Il me semble en tout cas que la divergence sur la question des essais appartient définitivement au passé.

El Mercurio : Qu’attendez-vous de la visite du président Frei ?

Hervé de Charette : Nous en attendons beaucoup. Elle va permettre de consolider nos relations bilatérales, puisque, neuf accords seront signés au cours de cette visite, et ce dans les domaines les plus variés, en matière politique, économique et culturelle. Nous allons aussi ouvrir de nouvelles pistes de coopération, en matière de protection civile, par exemple, ou dans le domaine de l’espace.

Au plan politique, l’entretien qu’aura le président Frei avec le président Chirac sera l’occasion d’évoquer la récente tournée du président français en Amérique latine, et les perspectives ouvertes par la proposition qu’il a faite d’un Sommet euro-latino-américain. Ce projet de Sommet, qui s’inspire du Sommet Europe-Asie qui connaît un très grand succès, me paraît à la fois historique et prometteur. Nous proposons que, pour la première fois dans l’Histoire du monde, les deux grandes aires culturelles que représentent l’Europe et l’Amérique latine se rencontrent régulièrement au niveau des chefs d’État et de gouvernement, afin d’envisager en commun l’édification du monde multipolaire du XXIe siècle.

El Mercurio : Quelle est la prochaine étape dans la coopération militaire entre les deux pays étant donné que la France a déjà gagné un important contrat sur ses concurrents suédois et allemands pour l’achat d’un sous-marin ?

Hervé de Charette : Le contrat dont vous parlez n’est pas encore conclu. L’offre franco-espagnole a retenu l’attention des responsables politiques chiliens, et les négociations sont en cours. Le choix du Chili correspond à sa volonté de moderniser ses sous-marins. Nous nous réjouissons que, pour deux de ces bâtiments, la technologie française ait été préférée à celle de la concurrence. Ces négociations s’inscrivent d’ailleurs dans le cadre d’un partenariat global dans le domaine de la défense. La France a aussi montré sa disposition à participer à l’effort de formation des forces années chiliennes, notamment dans le domaine de la gendarmerie.

El Mercurio : Que peut faire la France pour améliorer le contact entre le Chili et l’Union européenne ?

Hervé de Charette : Il existe un accord entre l’Union européenne et le Chili qui prévoit une coopération politique et commerciale, et une libéralisation des échanges, dans un second temps, à un moment déterminé conjointement par les deux partenaires. La France a toujours été à la pointe du rapprochement entre l’Union européenne et le Chili. Nous pensons qu’une bonne négociation de la première étape nous permettra de préparer au mieux la seconde, pour le plus grand bénéfice de tous.