Déclaration de M. Philippe Séguin, président du RPR, sur la rénovation du parti notamment la nécessité de définir un projet politique et d'organiser un débat avec les adhérents et sur le rôle à tenir dans l'opposition, Paris le 27 septembre 1997.

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Circonstance : Réunion du Conseil national du RPR, Paris le 27 septembre 1997

Texte intégral

Mes chers compagnons,

Nos assises extraordinaires du 6 juillet ont expressément prévu qu’a la faveur de la présente réunion de notre conseil national, je vous rendrais un premier compte des deux missions qui m’avaient été alors confiées :
    - assurer, à titre conservatoire, le fonctionnement harmonieux de notre Rassemblement.
    - organiser un large débat interne, ouvert à l’ensemble de nos adhérents, pour déboucher sur les éléments d’un projet et sur la réforme des statuts du mouvement.

Je viens donc, aujourd’hui, vous faire part de l’ensemble des initiatives que j’ai prises afin de parvenir à ce double objectif.

J’indique que, conformément à nos usages, j’ai demandé à Josselin de Rohan et à Jean-Louis Debré, les présidents de nos groupes parlementaires, de bien vouloir prévoir de s’exprimer, après moi et que j’ai souhaité qu’ensuite Éric Raoult, Guy Drut, puis Charles Pasqua prennent eux-mêmes la parole. Le premier pour faire le point sur la préparation des élections régionales et cantonales, le deuxième – c’est une place qui ne lui est pas habituelle – pour annoncer ses intentions en matière d’organisation des jeunes du mouvement, le troisième pour présenter les modalités pratiques du débat, auquel l’ensemble des circonscriptions vont être appelées.

Au terme de notre discussion, si, comme je l’espère, vous voulez bien élire notre compagnon Étienne Pinte aux fonctions de trésorier du mouvement, ce dernier, qui y a longuement travaillé avec Arthur Dehaine, fera une brève communication sur notre situation financière et sur les conséquences qu’il y a lieu d’en tirer.

Voilà donc pour l’organisation de nos travaux.

Mes chers compagnons,

Le premier mot d’ordre que j’avais adressé au mouvement, dès mon élection à sa présidence, avait été un mot d’ordre de réconciliation.

C’est ce souci de réconciliation, au même titre qu’une préoccupation d’efficacité, qui a présidé à la composition par mes soins, de l’équipe nationale de transition qui se retrouve, ce matin, autour de moi.

Je me suis efforcé de faire en sorte qu’aucune des sensibilités de notre mouvement n’en soit exclue.

J’ai le sentiment que cette démarche, pour l’essentiel, a été à la fois comprise et bien reçue dans le mouvement, à tous ses échelons.

En tout cas, à mes yeux, il n’en est pas d’autre…

Et il faudra nous attacher à poursuivre dans cette voie.

Je n’ai jamais dit, ni pensé, que cette réconciliation serait facile. Je suis le premier convaincu qu’il nous faudra encore, jour après jour, la nourrir de tous nos efforts.

C’est par une évolution de nos comportements, de notre mode de fonctionnement, par le développement du débat, par la volonté constante de travailler ensemble, par le refus de tout ostracisme que nous éviterons que certains des nôtres en viennent à estimer qu’ils n’ont d’autre ressource que de se regrouper en chapelles ou en clans, chapelles et clans qui, par définition, auront toujours tendance, structurellement, à s’opposer.

Le débat qui permet la synthèse, ou la division qui ne promet que l’affaiblissement sinon l’éclatement, telle est, mes chers compagnons, la véritable alternative.

Et je ne veux pas douter de votre propre choix.

Au demeurant, si je continue à en faire notre objectif numéro un, ce n’est pas seulement par goût de la convivialité.

C’est parce que la réconciliation est le préalable, la condition même de notre renouveau.

Certains peuvent considérer que tout cela n’est que du prêchi-prêcha, simples « paroles verbales » ou pieuses et éphémères concessions aux obligations du jour. Je leur redis qu’ils se méprendraient gravement s’ils n’arrivaient pas à considérer que cette réconciliation constitue pour nous un enjeu politique majeur.

Je me réjouis d’autant plus, à cet égard – et je l’en félicite à nouveau –, de ce que l’élection de Jean-Louis Debré à la tête de notre groupe parlementaire de l’Assemblée nationale soit de nature à interpeller les plus sceptiques, qui auront pu aisément vérifier que notre Rassemblement n’est aux mains ni d’une tendance, ni d’une alliance. Qu’il n’y a de volonté d’hégémonie de personne – et surtout pas de ma part. Que le mouvement est le lieu d’expression de tous. Et que si autorité il y a, c’est d’abord pour garantir cette liberté.

C’est dans ce même esprit, et parce que j’estimais que c’était la solution la mieux adaptée à une situation complexe, que j’ai proposé à Édouard Balladur, dans la perspective des élections régionales en Ile-de-France, les fonctions de chef de file pour le département de Paris.

Et puisque j’en suis déjà à ce chapitre des régionales, et que j’ai cru comprendre qu’il suscitait l’intérêt d’un grand nombre d’entre nous, je m’en voudrais de les faire languir.

Je souhaite donc que chacun comprenne bien dans quel esprit nous devrons procéder.

Notre mouvement doit penser et arbitrer, d’abord, en termes nationaux. C’est sa raison d’être. Il n’est pas dans sa vocation de se contenter de participer à une distribution de fiefs, d’apanages ou de sinécures.

N’oublions pas qu’à l’origine, nos élus nationaux n’ont été invités à rechercher des mandats locaux que pour conforter leur implantation et continuer ainsi à prendre leur part à la constitution d’une majorité nationale.

Je sais bien que les lois de décentralisation ont fait évoluer la donne. Et que des choix politiques réels sont désormais à accomplir sur le terrain local.

Pour autant, nous ne nous sommes jamais ralliés à l’idée d’une République éclatée en baronnies. Et nous ne pourrons en aucun cas nous satisfaire d’un système où le mandat national ne serait plus que le mandat d’appoint du mandat local ; d’un système où le centre national n’aurait qu’à apporter son label à des décisions qui ignoreraient ses propres ambitions pour la France.

Tout cela pour dire que, même s’il sera bien évidemment tenu compte des spécificités régionales ou départementales, le mouvement fera prendre en considération, lors de la constitution des listes régionales, ses propres préoccupations, et en particulier ses préoccupations de renouvellement, de rajeunissement et de féminisation. Et il entend qu’à la faveur des prochaines échéances, ce soit d’abord son message politique qui puisse être porté.

D’autant qu’au soir des élections régionales, ce qui sera retenu par le pays, ce ne seront pas les modifications éventuelles apportées, ça ou là, à l’ordre de priorité dans la réhabilitation des lycées ou aux schémas de formation professionnelle, ce seront l’état respectif des forces politiques, le comportement qui aura été le leur et l’image qu’elles auront su donner. Et vous pouvez compter sur moi pour que, dans cet inventaire, notre mouvement n’ait pas la moins bonne part…

J’espère avoir été assez clair, et vous avoir du moins convaincu que le travail de rénovation ne nous fait pas oublier les rendez-vous qui nous attendent. Pas plus d’ailleurs que notre devoir d’opposants.

On a beaucoup lu et entendu dire, pourtant, que l’opposition était restée longtemps aphone, qu’elle tardait à reprendre ses marques, qu’elle était bonasse ou mollassonne, bref : que sa remontée en puissance était trop lente…

Je crois qu’en se laissant aller à de telles analyses, on négligerait trois réalités.

D’abord que le mouvement s’est bel et bien exprimé sur toutes les initiatives du gouvernement, y compris au cœur de l’été. S’il est vrai que ses prises de position initiales n’ont parfois rencontré qu’un écho modeste, y compris chez beaucoup des nôtres, c’est que quelques semaines à peine après une défaite aux implications aussi lourdes, l’opinion publique et les médias étaient forcément peu réceptifs à ses premiers messages et plus enclins à ressasser l’histoire de la dissolution ou à dauber sur ses conséquences.

C’est dans la nature des choses. Regardons-les telles qu’elles sont et non telles que nous voudrions qu’elles soient.

J’ajoute que les mêmes qui, il y a quelques mois, étaient dans une admiration éperdue pour le pouvoir alors en place n’ont pas eu de mots assez durs pour dénigrer l’opposition à laquelle nous étions désormais réduits.

Les mêmes qui n’avaient pas de sarcasmes assez forts pour la minorité d’hier se retrouvaient, depuis qu’elle était devenue majorité, dans une position littéralement extatique, et n’avaient plus de qualificatifs assez élogieux pour célébrer son génie.

Je vous avais averti, lors des assises, que nous serions d’abord voués à encourir le quolibet. Nous n’avons pas été déçus.

Prenons-le avec autant de détachement que nous devrons en avoir, demain, pour recevoir la louange revenue…

Ainsi va la vie.

Comment s’en étonner, au demeurant, à l’heure où une bonne partie de l’opinions faisait encore crédit au gouvernement de ses bonnes intentions affichées, de sa bonne volonté présumée, ou de sa prudence avérée ?

Il est en effet un second point que nous ne saurions négliger. Il tient au fait que le gouvernement a su habilement gérer ses premières semaines d’existence.

Il a astucieusement retardé, autant que faire se pouvait, toute confrontation avec le Parlement. Il est ainsi parvenu à dédramatiser les situations les plus délicates, et à capitaliser sur les premiers signes timides d’une reprise économique – dont nous avons ainsi pu vérifier qu’elle n’était pas inespérée. Il a, de même, réussi à gérer au plus fin la mise à jour de son programme, en un moment où sa majorité, si plurielle fût-elle, n’était pas en mesure de manifester autre chose que des états d’âme…

Le troisième élément à prendre en considération tient au fait – et cela vaut pour l’avenir – que nos critiques ne peuvent et ne pourront atteindre leur pleine efficacité que dans la mesure où elles s’adosseront à un projet crédible.

De projet, nous savons que le gouvernement et sa majorité ne sauraient en être porteurs. Il faut d’autant plus que nous puissions leur opposer le nôtre.

Or ce projet, notre projet, j’entends notre projet de gouvernement, nous ne l’avons pas encore.

Comment d’ailleurs cela se pourrait-il ?

Pourtant, même si notre exercice n’en est encore qu’à ses débuts, le temps est sans doute venu de commencer à dégonfler les baudruches.

Il est clair, d’ores et déjà, que le gouvernement actuel a trois caractéristiques, trois caractéristiques complémentaires et également contestables.

Il y a, d’abord, le devant de la scène, où l’on amuse la galerie. Parallèlement, dans les coulisses, on renie un à un bon nombre des engagements pris. Enfin, et c’est là le plus grave, on s’abstient de gouverner vraiment, en différant les décisions les plus lourdes, celles qui engagent l’avenir du pays.

Passons par la galerie, tout d’abord. Dans ce registre, nous avons un couple-vedette installé à l’Éducation nationale. Si je le prends pour exemple, c’est parce qu’il me paraît bien donner le ton général. Avec une subtile répartition des rôles pour une virtuose orchestration du néant.

C’est peu dire que M. Allègre remporte un franc succès quand il joue les éléphants lâchés dans la porcelaine éducative… On comprend qu’une bonne partie du public applaudisse. Nombre de Français veulent croire que la parole ministérielle vaut engagement et vaut même décision.

Et comment s’étonner de cette sincère candeur quand on voit des observateurs présumés parmi les plus avertis s’y laisser prendre eux-mêmes comme les derniers des gogos…

Car enfin, ouvrons les yeux, le ministre de l’Éducation nationale, c’est vrai, ne cesse d’ouvrir des « chantiers »… mais sur ces chantiers, on ne décèle jamais aucune activité… M. Allègre fustige – et en quels termes ! – les formations bidons, les vacances présumées trop longues et autres turpitudes… mais se garde bien d’y changer quoi que ce soit. Il réussit ainsi le tour de force d’irriter les professeurs par l’excès de ses propos, sans pour autant se mériter, par des actes, la moindre autorité sur le terrain.

Mais il ne se contente pas de ces gesticulations. Il ne se contente pas de ne pas faire ce qu’il dit. Il fait aussi le contraire de ce qu’il dit. Il avait ainsi tonné, d’emblée, qu’il dégraisserait « le mammouth ». Et que fait-il ? Il titularise en masse, il recrute à tour de bras. Le mammouth grossit. Le mammouth n’a jamais autant prospéré. Alors, le mammouth sourit. Et le mammouth vous salue bien.

Quant aux problèmes de fond, quant aux problèmes bien réels sur lesquels le gouvernement précédent avait entrepris de se pencher, c’est le calme plat sur toute la ligne. Silence radio.

Si vous avez entendu parler d’une quelconque initiative concrète de M. Allègre – je ne sais pas, par exemple, en matière de rythmes scolaires, il a bien dû en entendre parler –, ne manquez pas de la signaler…

Quant à Mme Royal, elle joue les infirmières… Elle passe en deuxième ligne pour panser et réconforter les victimes de M. Allègre, qui en ont bien besoin… Et, pour le reste, elle demeure fidèle au vieux principe qu’elle a tant de fois mis en œuvre lorsqu’elle était député : « dis-moi ce qui est médiatique, je te dirai ce que je fais ». C’est au nom de ce principe qu’elle n’a pas craint de crier aux droits de l’homme bafoués, lorsque des maires, en toute bonne foi, posaient le problème de la sécurité des jeunes enfants, la nuit, dans les quartiers difficiles… Et c’est encore au nom de ce principe qu’elle convoque colloques et symposiums sur la violence à l’école, pour, en définitive, se proposer, le plus sérieusement du monde, de légiférer… contre les excès du bizutage – comme si l’arsenal législatif et réglementaire ne permettait pas, déjà, d’y mettre un terme.

Voilà, pour le nuage de fumée…

Mais, derrière ce nuage, n’en doutons pas, on s’active, on s’affaire, on se remue… On nettoie soigneusement le programme socialiste, on révise, on boulonne et reboulonne, on ajuste et réajuste, si bien que nous allons bientôt savoir, savoir enfin… ! ce que les socialistes nous proposent vraiment pour les élections… des 25 mai et 1er juin derniers…

Il était temps… il était d’autant plus temps que les réajustements en question font de plus en plus figure de reniements.

Je ne vais pas en faire l’inventaire… les amis de M. Jospin s’en chargent très bien eux-mêmes.

Voyez tout de même Vilvorde, où le rideau, à peine rouvert, a été précipitamment tiré…

Voyez encore France Télécom. Ils avaient juré de s’opposer au processus de privatisation ! Mais 40 milliards, c’est quand même dur de s’en priver. Qu’à cela ne tienne : on ne privatisera pas, mais on ouvrira le capital, ce qui revient au même mais permet de prétendre que les promesses sont tenues…

Le pompon, néanmoins, ce sont encore les 35 heures payées 39. Avec cette phrase qui restera dans l’Histoire, tant il est vrai que Pierre Dac aura trouvé son maître : « Nous n’avons jamais dit que nous ferions les 35 heures payées 39. Nous avons dit que nous baisserions le temps de travail sans baisser les salaires ! » Comprenne qui pourra !

Vous me direz : au fond, beaucoup de Français – et en particulier nos électeurs – savent gré à M. Jospin d’avoir oublié en route bien des inepties.

C’est vrai. Et le Premier ministre le sait sans doute mieux que quiconque… Je comprends, du coup, pourquoi il avait si peu apprécié mon propos, lorsque j’avais dit que s’il avait cru un seul instant remporter les élections, il se serait bien gardé de faire un programme pareil.

Sur ce point, je suis donc prêt à lui rendre les armes… Tout ce bel ouvrage a peut-être bien été accompli en pleine connaissance de cause – ce qui n’est évidemment pas une circonstance atténuante.

Afficher de tels objectifs permettait d’attirer le chaland.

Les remettre en cause suscite l’applaudissement.

Voilà qui est tout bénéfice !

Nous tirons donc notre chapeau, mais nous nous inquiétons. Car derrière le tintamarre des uns et les prouesses politiciennes des autres, il y a des réalités plus sombres. Des réalités plus essentielles.

La première de ces réalités, c’est que les socialistes n’ont pas rompu avec le dogmatisme. Ils en ont gardé les vieux réflexes, dont ils ont du mal à se défaire. Je ne pense pas tant à l’invraisemblable décision concernant Air France – c’est le cadeau obligé à M. Gayssot et ses amis, sur le dos de la compagnie et sur celui du contribuable – qu’à la gabegie désormais annoncée du plan Aubry : 35 milliards, oui, 35 milliards, pour créer essentiellement – c’est maintenant reconnu, admis – des emplois de fonctionnaires, puisque ces emplois dans l’Éducation et la police, Mme Aubry nous l’a dit, seront bien titularisés à terme. Joli résultat, d’autant que, pour désarmer la critique, l’opération est habillée des meilleures intentions du monde…

Mais, surtout, les socialistes n’auront pu longtemps réfréner leur penchant irrépressible pour le matraquage fiscal. Ils ne se sont pas contentés de stopper la baisse des impôts engagée par Alain Juppé, avant qu’elle ait pu même produire ses premiers effets. Ils ont aussi pointé leurs cibles favorites : les entreprises, bien sûr ; les classes moyennes ; et tout spécialement les familles. Et on ne fait pas que dans la symbolique…

Ainsi, sur les emplois à domicile, le résultat n’est que trop prévisible : quand ils ne seront pas supprimés, des milliers d’emplois vont retourner à la clandestinité. Et encore heureux si leurs titulaires ne se font pas indemniser, parallèlement, par les Assedic !

Ces mesures ne sont pas seulement injustes. Leur impact est en outre complètement contre-productif.

Mais on comprend bien l’inspiration de tout cela… on laisse entendre que l’on fait payer les « gros », on désigne à la vindicte des catégories entières de la population. Et au bout du processus, c’est le pays dans son ensemble qui se retrouve appauvri.

Il y a donc l’approche erronée, ô combien erronée, des défis auxquels notre pays est confronté…

Mais, il y a pire encore. Il y a le dilatoire, les décisions perpétuellement différées, les problèmes graves que l’on laisse pourrir en espérant qu’ils se régleront d’eux-mêmes. La tendance à privilégier le court terme, en donnant du grain à moudre à chaque tendance représentée dans la majorité.

En veut-on des exemples ? L’immigration… Le gouvernement a d’abord cédé à ses vieux démons – en lançant une opération de régularisation. Puis, il a prétendu – tout de même – engager un débat de fond sur la question. Voilà qu’il nous annonce une vraie-fausse abrogation des lois Pasqua-Debré dont l’opportunité, du coup, nous échappe… L’accueil des étrangers, leur intégration : c’est un sujet hypersensible pour les Français, et pourtant nul ne comprend où l’on veut nous mener. Le sens, la portée de la nationalité française, de l’adhésion à la communauté nationale ? On organise la confusion, en prétendant rétablir un droit au sol qui n’avait jamais été aboli.

Et c’est la même confusion qui préside à la liquidation pure et simple, sans autre forme de procès, du rendez-vous citoyen, la majorité montrant au passage tout l’intérêt qu’elle porte à la dimension civique du service national, que nous nous étions efforcés de préserver…

Sur les sujets les plus cruciaux – l’emploi, l’avenir du service public, celui de notre protection sociale –, le gouvernement fait du sur place. Il colmate, mais ne règle rien. Il ne voit pas au-delà de l’euro, et de ses arbitrages budgétaires immédiats. Après, mystère ! Quelle Europe voulons-nous, quelle Europe politique, quelle place voulons-nous pour la France dans cette Europe, nous n’en saurons rien. Quant aux perspectives d’un gouvernement économique européen, tracées avec insistance par M. Jospin pendant sa campagne, elles sont passées à la trappe, perdues corps et bien !

Voilà pourquoi notre tâche à nous, oppositions, n’est pas facile. Car, n’en doutons pas, plus encore que contre des réformes ouvertement aberrantes, nous aurons surtout à nous battre contre l’inaction, contre la temporisation, contre l’absence de décision. Or, cette inaction, cette impuissance même sont des plus périlleuses dans un monde où il importe par-dessus tout d’anticiper.

Ne nous y trompons donc pas, mes chers compagnons.

L’addition de nos appuis aux insatisfactions catégorielles ne suffira pas à constituer une alternative crédible.

Et contrairement à ce que nous poussent à faire certains faux amis, il ne suffira pas de caler notre rythme sur celui de M. Jospin.

Notre rythme, notre stratégie, c’est à nous, et à nous seuls, de les fixer.

Nous ne pouvons nous contenter de critiquer, de nous opposer pour le plaisir de nous opposer, en attendant que, par le jeu mécanique des alternances, le pouvoir finisse par nous retomber entre les mains. Ce jeu-là, les Français en ont assez.

Faut-il le redire ? En juin dernier, les Français ont moins choisi les socialistes qu’ils ont rejeté une majorité. Et ils ont probablement moins rejeté une majorité qu’ils n’ont condamné un système. Ils l’ont montré en s’abstenant massivement, ou en donnant leurs voix à des formations extrêmes.

Les Français ont le sentiment trop fréquent que leur démocratie s’est progressivement vidée de son contenu et que, pour des raisons qui leur échappent, mais qu’ils récusent, leurs dirigeants sont condamnés à se transformer en purs gestionnaires, des gestionnaires qui se limiteraient à accompagner, au jour le jour, de vastes mutations qu’ils auraient renoncé à maîtriser.

Comment s’étonner, dès lors, que depuis 20 ans les électeurs sortent systématiquement les sortants, et fassent jouer avec lassitude cette règle nouvelle de notre vie politique : la succession d’alternances sans lendemain ?

Les Français n’attendent qu’une chose. Que nous rompions ce cycle infernal. Que nous les convainquions que la politique a encore un sens. Que la démocratie sert toujours à quelque chose. Et qu’il est encore possible, si on en a vraiment la volonté, de dominer, et non simplement de subir, les grandes évolutions du monde contemporain.

C’est dans cet esprit que nous devons préparer la reconquête du pouvoir législatif. Ce pouvoir, nous devons le reconquérir par nous-mêmes, pour l’exercer vraiment, et durablement. Il ne suffira pas de reprendre la majorité, il faudra encore la garder. Nos victoires législatives futures devront procéder d’une adhésion claire et profonde des Français à la traduction que nous leur proposerons des valeurs que nous avons l’ambition de porter.

Elle est là notre stratégie.

Elle passe par la réaffirmation claire et ferme de nos valeurs, de ces quelques convictions fortes sur la République, la nation, la solidarité, la liberté, l’égalité des chances, qui forment le socle du gaullisme, valeurs et convictions, sur lesquelles s’est fondée la campagne présidentielle, et dont il nous appartient de démontrer la pertinence et la modernité, et dont il nous appartient de les convertir en un projet, un projet susceptible à la fois de rassembler les Français et de répondre aux problèmes de la France. Et c’est bien pourquoi notre Rassemblement doit se rénover. Et c’est bien pourquoi il doit débattre, débattre en profondeur, pendant quelques mois, de ce qu’il veut être et de ce qu’il veut faire.

À dire vrai, je suis presque gêné de le dire, tant cela me paraît banalement évident.

Je n’ai d’ailleurs rien inventé…

Cette démarche, c’est vous qui l’avez définie, vous qui l’avez décidée, avant même de me porter à la tête du mouvement.

Vous l’avez approuvée à travers le texte de notre motion qui était elle-même la synthèse de deux propositions initiales… qu’on décida de réunir puisqu’elles disaient la même chose.

Cette motion l’a emporté aux assises par 75 % des suffrages, contre une autre motion qui allait encore plus loin…

Dois-je rappeler les injonctions que vous m’avez adressées ? Je cite – car je n’ai pas eu l’impression qu’elles faisaient l’objet de lectures très fréquentes : « Nos propositions seront d’autant plus fortes et mieux perçues par les Françaises et les Français qu’elles résulteront d’un dialogue nourri avec nos adhérents. Il faut ouvrir entre nous un débat approfondi pour fixer les projets que nous soumettrons aux Français. » Bref, et je cite toujours : « Le soutien au président de la République, la rénovation de notre vie politique, comme la nature des combats électoraux à venir nécessitent une mutation du mouvement gaulliste. »

Et encore : « Le président est mandaté pour associer l’ensemble des adhérents du mouvement à la réforme des statuts. »

Oui, c’est cela que vous avez dit, proclamé, voté.

Alors, moi, je mets en œuvre, fidèlement et résolument vos décisions des assises.

D’abord, parce que cela me semble effectivement la bonne démarche.

Ensuite, parce que des engagements pris doivent être tenus si on veut que la politique ait encore un sens.

Nous n’allons tout de même pas commencer par nous renier comme les premiers socialistes venus !

Et si certains d’entre nous devaient considérer que respecter un texte voté constitue une révolution culturelle, eh bien, il faudra qu’ils s’y fassent…

En fait, mes chers compagnons, le défi que nous avons à relever est d’une terrible simplicité.

De notre réponse dépend notre existence même. De notre réponse dépend notre avenir. Jean-Louis Debré l’a fort opportunément rappelé : les mouvements politiques sont mortels. Et ils meurent dès lors qu’ils oublient les principes qui les fondent. Ils meurent lorsqu’ils cessent de comprendre combien la fidélité même à ces principes leur impose d’évoluer dans leurs comportements et leurs méthodes.

Tel est le sens de la rénovation que nous avons entreprise. Du coup, quelques semaines de réflexion sur nous-mêmes sont-elles vraiment de trop ?

Je vous l’avais dit lors des assises, je vous le dis à nouveau aujourd’hui : nous devons nous rénover, nous devons nous rénover ensemble, sinon c’est ensemble que nous disparaîtrons.

Nous disparaîtrons de ce déclin, de cette mort lente qu’a connue jadis le parti libéral britannique. Ou nous serons emportés brutalement, à l’image de la démocratie chrétienne italienne, détruite à la fois par la déperdition de ses principes et par les contrecoups de la corruption.

Certains se contenteraient peut-être d’un mouvement gaulliste qui continuerait d’exister simplement parce qu’il a existé.

Ce n’est pas mon point de vue.

L’alternative est claire, en effet. Voulons-nous survivre et vivoter, ou voulons-nous bâtir, imaginer, innover, pour être capables, le jour venu, de gouverner ?

Sommes-nous, oui ou non, capables de tirer de notre diversité les éléments, la force dynamisante d’un débat riche, approfondi, authentique, qui puisse déboucher sur une ligne forte, admise et reconnue par tous ?

Nous sommes divers, nous le savons. Pour qui pourrait en douter, notre attitude dans le débat sur les lois Aubry suffirait à le rappeler.

Mais que diable, cette diversité ne date pas d’hier !

Assumons-la ! Prenons-la comme une chance et non un risque !

Nous ne sommes pas un parti. Nous sommes un rassemblement. Chaque fois que nous l’avons oublié, nous avons eu à nous en repentir.

Oh, nous pouvons nous vautrer dans nos contradictions. Nous pouvons ne rien changer à rien. Au mieux, nous contenter de gérer un syndicat de répartition des quelques places que nous aurons pu préserver, et que nos diverses chapelles s’arracheront ; au pire, nous lancer dans des fusions, reclassements et autres manipulations qui signeront notre perte.

Mais nous pouvons faire l’autre choix. Ce choix, c’est celui de l’idéal qui nous a rassemblés. Il nous commande de prendre en compte la diversité, voire les contradictions de nos aspirations, afin de tendre vers un seul but : définir en permanence la voie de l’intérêt général pour la France et les Français. Et servir cet intérêt général.

C’est ce choix qui justifie que nous débattions.

Je sais bien que tout cela n’est pas facile.

Je sais bien qu’il y a du vrai dans tout ce qu’on dit, dans tout ce qu’on colporte : que tout cela n’est pas très conforme à nos habitudes. À notre culture…

Nul n’en est plus conscient que moi !

Eh bien, ces habitudes, cette culture, il faudra qu’elles évoluent…

Comment pourrions-nous d’ailleurs conserver le moindre crédit quand nous prônons la participation, élément fort, s’il en est, de notre identité, si cette participation nous ne commencions pas par nous l’appliquer à nous-mêmes !

J’entends dire aussi que le mouvement ne veut pas de palabres. Mais qu’il veut un chef !

Eh bien, parlons-en !

Parlons-en, parce que j’ai horreur du non-dit. Parce que, aussi, cette explication va nous permettre, je l’espère, de tordre le cou à certain nombre de canards qui encombrent les analyses et finiraient par nous empoisonner l’existence.

Et parce qu’avec l’expression de cette revendication, nous touchons au cœur de la contradiction qu’il nous faut surmonter, au cœur de l’effort qu’il nous faut accomplir.

Mes chers compagnons,

Il nous faut bien comprendre, qu’à cet égard, plus rien dans notre mouvement ne sera jamais comme avant.

Rien ne sera plus jamais comme avant, pour deux raisons essentielles :

D’abord, parce que Jacques Chirac, notre président fondateur, n’est plus, ne peut plus être à la tête de notre mouvement.

Ensuite, circonstance supplémentaire, parce que Jacques Chirac, qui est, demeure et demeurera notre référence, se trouve à l’Élysée.

Dès lors, l’homme qui est désormais à la tête du RPR n’a ni la légitimité du créateur du mouvement – ce qu’il n’est pas – ni une vocation quelconque à briguer, en votre nom, quelque poste que ce soit.

Je n’ai pas, j’imagine, à argumenter longtemps sur la différence de légitimité. Vous la comprenez sans peine.

En revanche, il me faut peut-être expliquer pourquoi le président du RPR n’a aucune vocation à occuper, ni à briguer quelque poste que ce soit.

Il ne peut le faire, parce que ce sera à Jacques Chirac et à lui seul, de décider de ce qu’il aura à faire au terme de son septennat. Et par définition, le mouvement étant ce qu’il est, le mouvement ayant été créé par qui l’on sait, on imagine mal son président se dresser ou, a fortiori, se présenter contre le président de la République sortant. Alors, il serait grand temps d’arrêter de fantasmer…

Quant à d’autres responsabilités éventuelles qui pourraient devenir vacantes au lendemain de législatives que nous gagnerions, ce sera à Jacques Chirac, et à lui seul, de décider qui il désignera pour les occuper.

C’est assez dire que la présidence du RPR a changé de nature.

Dès lors que Jacques Chirac, même s’il n’est plus notre chef, demeure notre référence, nul ne peut ni ne doit concevoir la direction du mouvement comme lui seul pouvait et avait le droit de l’assumer.

La présidence du RPR est désormais occupée par un militant parmi les militants, au service des militants.

Et c’est toute l’organisation, tout le mode de fonctionnement du RPR qui doivent s’en trouver transformés.

C’est à un nouvel équilibre entre la base et le sommet que nous devons travailler.

Toute autre manière de faire constituerait un contre-sens, ignorerait la nature de notre rapport privilégié avec Jacques Chirac et, pour le coup, donnerait du corps aux stupidités qu’on déverse depuis 3 mois sur l’éventualité de relations conflictuelles entre le mouvement et Jacques Chirac…

C’est assez dire que notre mouvement lui doit fidélité.

Mais c’est dire aussi que notre mouvement ne saurait mieux soutenir le président de la République qu’en bâtissant une alternative crédible pour l’échéance majeure qu’il a vocation à préparer : celle des élections législatives. D’autant que, on ne le répétera jamais assez : quelle que soit la date où cette cohabitation prendra fin, les élections législatives auront lieu avant les élections présidentielles. C’est dire enfin que le mouvement doit s’organiser désormais en grande formation politique moderne, fondée sur le débat démocratique et apte, par là même, à s’ouvrir à des catégories, à des générations nouvelles de Français.

Mes chers compagnons,

Si certains adeptes de la fusion s’interrogeaient encore il y a peu sur nos spécificités, les psychodrames fabriqués de ces derniers jours auront eu au moins le mérite de leur en faire découvrir une : soutenons le président de la République. C’est même notre premier objectif.

Pour autant, la meilleure des façons de soutenir efficacement le Président consiste à ne pas rabaisser son statut. Et à nous donner les moyens de jouer le rôle qui nous revient.

Le président de la République, je l’ai dit, je le répète, est notre référence. Mais il est aussi et d’abord le Président de tous les Français. Jacques Chirac a choisi d’assumer cette double vocation. Ne suivons pas ceux qui – sous prétexte de l’accaparer – ne nous proposent que de l’affaiblir. 97 n’a pas effacé 95. Ce qui signifie que le Président est toujours là, dans la plénitude de ses compétences. Faisons donc en sorte, plutôt que de nous égarer, qu’un nouveau millésime efface 97…

Vous avez donné votre chef à la France. Mais je vous le dis : pour continuer à l’accompagner, vous aurez un patron. Et au fur et à mesure que vous me compléterez ma feuille de route, croyez-moi, vous vous en rendrez compte !

Mes chers compagnons,

Nous n’avons pas cédé au découragement. Ne cédons pas à l’impatience ou à la confusion.

Nous nous sommes donnés jusqu’à la fin de l’année pour réfléchir ensemble, pour nous doter d’une nouvelle organisation, pour retrouver les moyens de rassembler à nouveau les Français sur un grand projet, fidèle aux chemins ouverts en 1995.

Alors, débattons sans réserve ni complexe. Posons, sans retenue, les problèmes qui touchent vraiment les Français. Laissons à nos adversaires les tabous, les demi-mots, les demi-vérités, les périphrases. Appelons les choses par leur nom, et traitons-en avec franchise.

Bref, soyons adultes.

Et ne nous contentons pas de dire aux Français qu’ils ont eu bien tort de nous laisser battre. Car le message serait un peu court !

Notre débat, nous l’avons activement préparé, avec l’équipe de transition, au cours des dernières semaines. Dès la fin juillet, nous avons réuni les secrétaires départementaux et les délégués régionaux pour lancer le processus. Début septembre, nous sommes allés à la rencontre des comités départementaux. J’ai personnellement tiré beaucoup d’enseignements de ces rencontres.

Maintenant, il n’est que trop temps de nous lancer à fond dans ce grand débat interne, qui sera l’étape décisive de notre rénovation.

Non, ce n’est pas trop demander que de nous donner le temps de réfléchir ensemble… surtout après le message très clair que nous ont adressé les Français en juin dernier.

Je maintiendrai donc, avec votre soutien, la ligne que j’ai observée jusqu’ici. Je la maintiendrai tout simplement parce que c’est la bonne stratégie. En matière de stratégie, je suis prêt, à accepter, bien sûr, toutes les leçons qu’on voudra – sous réserve seulement que ceux qui me les donnent aient des titres à le faire.

Vous m’avez élu président pour entreprendre, avec vous, la rénovation du mouvement et pour que nous le conduisions, ensemble, à la reconquête des Français.

Je dis bien reconquête : nous voulons être un rassemblement. Pas un parti parmi d’autres. À moins de 30 % des voix, nous n’assumerions pas le rôle qui nous revient dans la vie publique de ce pays…

Je vous promets que nous réussirons.

En tout cas, vous pouvez compter sur moi, sur mon engagement sans faiblesse ni relâche.

Mais c’est vous, et vous seuls, qui détenez la clef.

Pour l’avenir de notre mouvement, mais, plus encore, pour l’avenir de la France, je compte sur chacune et sur chacun d’entre vous.