Texte intégral
Paris-Normandie : La réforme de la Défense a eu des conséquences directes sur l’économie de deux villes de Haute-Normandie, Oissel et Vernon. Des délocalisations sont-elles envisagées à titre de compensation.
Charles Millon : La nécessité de contribuer à la vitalité économique de ces deux sites a été prise en compte d’emblée.
En ce qui concerne Oissel, la solution retenue s’articule autour d’une réoccupation du très beau site du 71e RG par le ministère de l’Intérieur. Le principe en a été acquis dès le mois de décembre. Des discussions techniques sont en cours entre les services des deux ministères concernant le calendrier et les modalités de la reprise.
Le ministère de l’Intérieur étudie, quant à lui, la nature exacte des organismes qu’il y réinstallera.
En tout état de cause, la solution devrait être satisfaisante.
S’agissant de Vernon, je confirme que dans le cadre de la réorganisation de sa gestion, la délégation générale pour l’armement (DGA) regroupera à Vernon ses trois établissements de soutien de la région parisienne. L’installation de 200 personnes sur le site de Vernon sera effective au plus tard le 1er juillet 1999.
Paris-Normandie : À Vernon est annoncée la venue des services généraux de la DGA (Direction générale de l’armement). Deux sites ont été pressentis. Avez-vous arrêté votre choix ? Ce transfert porte sur combien de personnes et à quelle échéance ? Des repreneurs se sont-ils manifestés pour les sites abandonnés à Oissel et à Vernon ?
Charles Millon : Je voudrais rappeler que si pour Oissel, des décisions urgentes devraient être prises puisque le 71e RG quittera le camp entre la fin avril et le mois de septembre de cette année, il n’en va pas de même pour Vernon où le départ du 517e Régiment du train n’est prévu que pour l’été 1998.
Aussi, n’est-il pas anormal que les choix techniques de la DGA ne soient pas encore définitifs et que le programme de réutilisation de l’emprise ne soit pas arrêté à ce jour.
Par contre, je puis vous assurer que je veillerai avec le délégué interministériel aux restructurations de défense à ce que les solutions retenues contribuent à notre objectif : reconstituer en Haute-Normandie, comme ailleurs, un potentiel de développement économique et social conforme aux engagements pris par le président de la République quand il a engagé la réforme profonde de notre système de défense.
Paris-Normandie : Comment jugez-vous la montée de l’euroscepticisme dans la classe politique au fur et à mesure que s’approchent les échéances de mise en place de la monnaie unique ?
Charles Millon : Je ne crois pas que l’on puisse généraliser et parler de montée de l’euroscepticisme dans la classe politique. En tout cas, ce n’est pas un discours que vous entendrez au plus haut niveau de l’État, ni parmi les membres du gouvernement.
Un certain nombre de ceux qu’on appelle « eurosceptiques » exploitent aujourd’hui les craintes que nos concitoyens peuvent ressentir à la veille d’une évolution importante comme le passage à la monnaie unique.
Çà et là, on instruit le progrès de l’Europe du chômage, on en exploite les dysfonctionnements et les lourdeurs, on soupçonne nos plus proches partenaires d’arrière-pensées hégémoniques, on prêche la fermeture et le repli sur soi. Ce dont ont besoin les citoyens d’Europe, ce n’est pas d’une frénésie d’harmonisation, d’une bureaucratie tatillonne et/ou d’un modèle centralisé excessif ; ce qu’ils souhaitent, c’est une union capable d’assurer la paix à ses frontières, capable de donner à chacun un peu plus en terme de croissance, d’emploi et de niveau de vie, capable de faire respecter les minorités et d’aider les nations sorties du joug communiste à trouver le chemin de la démocratie.
C’est, résumée en quelques mots, l’Europe de la volonté politique.
Pourtant, la perspective d’une Europe politique fait peur. C’est que nous craignons l’explosion d’une technocratie anonyme niveleuse des identités, désireuse de réduite la complexité à coup de règlements et de directives. Nous craignons un pouvoir politique européen sous l’aspect d’un super-État central, d’une organisation unitaire et rigide.
Ce n’est pas cette Europe qu’il faut construire. Si nous parvenons à édifier un pouvoir politique européen à partir des trois principes de subsidiarité, de respect des identités et de responsabilité politique, nous aurons créé la première puissance multinationale et démocratique.
Vouloir l’Europe, c’est accepter plusieurs niveaux d’identité, plusieurs niveaux de citoyenneté. On peut se sentir, sans aucune contradiction, profondément normands, profondément français et résolument européens.
Ce que vous appelez l’euroscepticisme se nourrit surtout de l’incompréhension de nos concitoyens. Si nous voulons réussir cet ambitieux projet qu’est la construction européenne, alors nous devrons consacrer tout le temps nécessaire à l’explication et à la persuasion.
Paris-Normandie : En venant à Mont-Saint-Aignan, vous répondez à l’invitation commune de Pierre Albertini, des élèves de l’ESC et de la Convention libérale européenne et sociale dont vous êtes le président. Pouvez-vous nous rappeler les objectifs de ce mouvement ?
Charles Millon : La crise du politique que nous connaissons depuis plusieurs années résulte notamment d’une incapacité croissante des partis à se dégager d’une double logique de conquête du pouvoir et de gestion pour proposer des visions du monde. Avec la fin du marxisme et la montée en puissance de la mondialisation de l’économie, de la culture et de l’information, il est indispensable de reconstruire des repères et de s’ancrer dans des valeurs ; il est plus que jamais nécessaire de définir la société dans laquelle nous voulons vivre au siècle prochain. Fondée par Raymond Barre en 1988, rassemblant des hommes et des femmes qui ont envie d’en finir avec les pesanteurs du conformisme et du conservatisme, la Convention libérale européenne et sociale a pour vocation de répondre à cette demande de sens et d’agir en faveur des réformes. « Que faut-il conserver ? » : le premier colloque de la CLES que j’ai eu l’honneur d’organiser à Paris, il y a quelques mois, résume bien l’esprit et l’ambition de notre mouvement. Éducation, fiscalité, réforme de l’État ou Europe, dans tous ces domaines essentiels pour l’avenir de notre pays, la CLES a pour mission de porter haut ses convictions et de relayer efficacement ses propositions auprès de tous les acteurs clés de la société civile, du monde politique et parlementaire.
Paris-Normandie : Le Front national vient de tenir son congrès à Strasbourg. Partagez-vous l’idée selon laquelle la majorité doit se battre également contre le Front national et la gauche qui seraient des adversaires identiques ?
Charles Millon : L’objectif que je poursuis en politique est de défendre et promouvoir un ensemble de valeurs et de comportements républicains qui sont en contradiction avec l’essence même du discours FN.
Mais l’affirmer ne suffit pas. Il y a aujourd’hui, dans notre pays, des Français qui ont peur du changement, de l’Europe, de la mondialisation. Ils ont le sentiment que leur identité est remise en cause.
Ils ont même parfois peur de l’autre, de cet autre que des discours habiles transforment en boucs émissaires des difficultés du moment. C’est ainsi que certains sont captés par les thèmes nauséabonds utilisés par le Front national.
Attention : aucune erreur n’est permise. La majorité a une responsabilité historique : celle de défendre la conception républicaine de la dignité de la personne humaine. Il n’est pas question pour nous d’accepter quelques conceptions corporatistes ou idéologiques.
Le FN remet en cause les fondements même de la démocratie. Il doit être combattu de toutes nos forces.