Texte intégral
Libération : Vous avez renvoyé dos à dos Front populaire et Front national. Cela signifie-t-il pour vous que choisir entre le PS et le FN, c’est comme trancher entre la peste et le choléra ?
François Léotard : Je n’ai jamais employé cette formule ! Mais je crois que cette polémique est utile et nécessaire : elle permet de préciser les thèses, les attitudes et les comportements de chacun. Ayant été le seul élu, en 1988, d'une triangulaire au second tour contre le FN et contre le PS, j'ai quelque crédit à m'exprimer sur ce thème.
Mon sentiment est que le Front national n'a aucune espèce de chance d'arriver au pouvoir, ou plutôt qu'il n'en a qu'une, c'est d'avoir seulement la gauche en face de lui. Mon obsession est de faire en sorte qu'il n'y ait pas en France ce remake de la fin des années 30 où il y avait la montée du fascisme d'un côté et de l'autre les sociaux-démocrates et les communistes. Les libéraux avaient disparu. Ce scénario-là est à mon avis le pire.
Libération : Vous pensez donc que le Front populaire de Blum et le Front national de Le Pen, c’est la même chose ?
François Léotard : Qu’est-ce que j’ai dit ? Que je n’aurai aucune complaisance vis-à-vis de celles du Front populaire – je ne parle pas du mouvement social qui a accompagné 1936, mais du mouvement politique qui nous a menés à l’échec. Je ne vois pas pourquoi, pour lutter contre le pire, il faudrait choisir l’impuissance ; pourquoi, pour lutter contre la haine, il faudrait choisir la bêtise. J’espère qu’il y a une autre alternative à proposer aux Français. J’estime que le projet socialiste, et surtout l’alliance que les socialistes ou feraient avec le parti communiste, est grave. Je lutte aussi contre ça. Et je dénie tout crédit à ceux qui critiquent aujourd’hui la gestion des mairies FN alors qu’ils acceptaient, hier, les fraudes électorales, la propagande politique et la manipulation des employés communaux dans les mairies communistes.
Libération : Regrettez-vous d’avoir demandé au candidat RPR-UDF à Vitrolles de se retirer pour laisser au second tour le PS contre le FN ?
François Léotard : Ça ne peut être qu’un cas isolé. Au soir du premier tour, on savait que Madame Mégret serait élue. Il ne fallait pas que la droite en porte la responsabilité, et c’est pour cela que nous avons pris cette décision.
Libération : Il y a quelques mois, vous appeliez cependant la droite et la gauche à ne plus « utiliser le Front national les uns contre les autres » …
François Léotard : Il y a un risque mortel pour la majorité à laisser la gauche seule face au Front national. Ça voudrait dire tout simplement que nous n'existons plus, que les idées, les valeurs de la droite libérale ne seraient plus représentées. Je n'ai aucunement l'intention d'être enterré vivant dans ce débat à la fois passéiste et fallacieux qui oppose une gauche socialo-communiste et des néo-fascistes. Présenter à la France cette alternative-là, c'est la soumettre au désespoir. Je n'en veux pas.
Libération : Les socialistes et l’extrême-droite sont-ils des adversaires de même nature ?
François Léotard : Je n'ai jamais dit cela. Mais je n'ai aucune complaisance pour les uns ni pour les autres. On a vu à Vitrolles qu'aujourd'hui la gauche est incapable de battre le FN... Il ne suffit pas d’être un parti démocratique. Encore faut-il avoir des solutions à proposer !
Libération : Sans la gauche, la droite ne peut pas le battre à Dreux…
François Léotard : Si vous laissez entendre que nous pourrions nous allier uniquement pour battre le FN, nous faisons prospérer ce parti. Quand Le Pen dit : « Je préfère Jospin à Chirac », le silence de Jospin est une gourmandise. Le FN aujourd’hui, c’est une machine à fabriquer des députés socialistes.
Libération : C’est un adversaire ou un ennemi ?
François Léotard : Je n’aime pas ces mots-là. Je me bats contre le Front national, et je n’ai pas de leçons à recevoir de gens qui l’ont utilisé pour tenter de garder le pouvoir. Que le FN soit devenu le premier parti ouvrier de France, ça devrait poser quelques questions à la gauche d’hier et d’aujourd’hui.
Libération : Mais peut-on dire que la nature du FN est la même que celle du PS ? Est-il un parti républicain ?
François Léotard : Je ne m’interroge pas pour savoir s’il est républicain, je le combats comme j’ai toujours combattu la xénophobie, l’antisémitisme et le racisme. Nous avons là une expression politique dangereuse pour la démocratie. Or on l’encourage si on laisse entendre que les valeurs de la droite modérée et de la gauche sont les mêmes.
Libération : Vous accepteriez que dans les collèges et lycées de Fréjus, on enseigne aux enfants que le Front populaire vaut le Front national ?
François Léotard : Que ceux qui ont amené les communistes au pouvoir, M. Tapie au gouvernement, qui ont introduit la proportionnelle pour faire naître M. Le Pen, ne vient pas maintenant à la barre des témoins pour nous donner des leçons de morale. Je ne veux pas que le débat des années 2000 revienne à celui des années 30. C’est tout. Je crois que c’est la seule façon intelligente de combattre le Front national. Quand on regarde l’histoire politique des cinquante dernières années, la seule force politique qui a détruit à la fois le communisme et le fascisme, ce sont les démocraties libérales et non pas la gauche sociale-démocrate qui, dans les deux cas, était écrasée. La force du FN vient de nos faiblesses et de l’absence de dialogue, voire de polémique entre la gauche et la droite. Je souhaite que l’on retrouve cette polémique féconde. C’est la vacuité idéologique du PS qui a aussi entraîné ce type de vote. On ne sortira pas de cette vacuité par l’insulte en présentant la majorité comme complice du fascisme.
Libération : N’est-ce pas aussi parce que, à la différence de la Grande-Bretagne, la droite en France a toujours été un peu sociale-démocrate ?
François Léotard : C’est en partie vrai. Dans le domaine économique, de l’ordre public, de la sécurité des gens, la droite n’a pas toujours voulu être elle-même. Je suis convaincu que le FN vient d’une faiblesse de la République. Quand une République est forte, quand une communauté adhère à des discours construits, crédibles et rigoureux, il n’y a pas de prise à cette démarche insensée. Un parlementaire de la majorité expliquait récemment que M. Jospin avait tort de se décarcasser car ce qu’il propose, c’est ce que fait le gouvernement. Tant qu’on tiendra ce genre de discours, il n’y a aucune raison que les gens votent pour nous. Si la droite libérale disparaît, ce qui est possible, compte tenu du désarroi de nos concitoyens, alors on va vers le chaos.
Libération : Cette disparition, vous la pensez vraiment possible ?
François Léotard : Vous savez que les électeurs FN sont d'abord venus de nos rangs, ce dont nous sommes sans doute responsables. Le glissement vers ce type de vote est de moins en moins difficile. Tout le monde reconnaît que beaucoup d'électeurs de gauche peuvent être tentés – du fait de la crise – par ce glissement.
Libération : Le mouvement pétitionnaire contre la loi Debré n'était-il pas une interpellation des politiques pour leur dire « vous avez trop cédé à Le Pen » ?
François Léotard : Sans doute. Est-ce que cela signifiait, pour autant, que l'ensemble du monde politique est gangrené par la pensée Front national ? Je ne le crois pas. Je pense que la montée de ce vote vient de la non-solution apportée à un certain nombre de questions. Ne disons pas puisque Le Pen en parle, n'en parlons plus. Il ne faut pas laisser plus de champ qu'il n'en a à M. Le Pen.
Libération : Vous êtes finalement très pessimiste quant à la possibilité pour la droite de récupérer ses électeurs par le FN ?
François Léotard : Je ne pense pas que le Front national soit aujourd’hui une excroissance de la droite, c’est un mouvement en soi, extraordinairement dangereux et face auquel il ne faut pas présenter comme seul adversaire la coalition de tous les autres. On contribue ainsi à le renforcer.