Texte intégral
TF1 : jeudi 22 janvier 1998
Q - Avez-vous eu le sentiment qu'hier soir, c'était un peu votre politique qui était déclinée à la sauce socialiste ?
R - Non, pas du tout. L'intervention de M. Jospin hier soir manifestement n'a pas répondu à l'attente, en tout cas pas à celle des chômeurs. Elle a déçu, pour parler clair. Elle a donné le sentiment d'une sorte de manque d'ambition. Que se passe-t-il depuis 20 bonnes années que notre pays connaît la crise et un chômage qui ne cesse d'augmenter ? C'est que, sauf quelques exceptions, on a toujours recours aux mêmes solutions : davantage d’État, davantage de prélèvements, davantage de réglementations et d'interdictions. Le résultat, quel est-il ? C'est que la France est l'un des pays évolués où le taux de chômage est le plus élevé. Alors, il serait temps de sortir enfin de cette politique qui, je le répète, a été suivie presque continûment, sauf à quelques exceptions près, pour faire en sorte que la France soit comme les autres grands pays, un pays où le chômage diminue, et diminue vraiment.
Q - Vous-même, vous avez été deux ans aux affaires, et vous avez vu que ce n'était pas le cas.
R - Eh non, j'ai vu que c'était le cas ! Je vous demande pardon ! Le chômage a diminué de 200 000 en 1994, parce qu'on a appliqué une politique de liberté et parce qu'on a baissé les charges. Je ne veux pas donner du tout à mon propos un ton critique, polémique, politique. Le sujet est trop grave, trop important. Je crois qu'il vaut mieux qu'on parle des solutions. Quelles sont-elles ? Il y a des problèmes à court terme et des problèmes à long terme. A court terme, il y a 300 000 Français qui sont au chômage depuis plus de deux ans. C'est proprement intolérable. Ils se rebellent contre une situation qui effectivement les met aux marges de la société. Alors, que peut-on faire ? Est-ce que la solution est de relever les minima sociaux ? C'est de cela qu'il est question.
Q - C'est ce que demandent en tout cas les associations de chômeurs.
R - C'est ça. Le Premier ministre répond qu'il ne peut pas le faire, en tout cas pas complètement, en tout cas pas tout de suite. Le faire complètement coûterait très cher, en effet. Alors, que peut-on faire ? On constate quelque chose : lorsque quelqu'un reprend du travail et qu'il perçoit d'abord des minima sociaux et retrouve une activité, très souvent, il y gagne relativement peu. Autrement dit, ce n'est pas tellement intéressant de se remettre au travail, notamment au niveau du Smic. La solution serait sans doute - en tout cas, elle mérite d'être étudiée - que lorsque quelqu'un reprend du travail, il conserve un certain temps, selon un taux dégressif, si on veut, le bénéfice des allocations diverses qu'il reçoit de la collectivité.
Q - L. Jospin avait l'air de s'engager sur cette voie.
R - "Oui, c'est le sentiment qu'il m'a donné. Mais il faut s'y engager résolument. Il faut étudier les choses. Il faut en discuter. Autrement dit, je résume mon propos : finalement, le problème du chômage, quel est-il ? Nous avons besoin d'une société où il y ait plus de libertés et plus de souplesse, où les entreprises aient intérêt à offrir de l'emploi et où les salariés ou les chômeurs aient intérêt à reprendre du travail. On y arrivera - je crois - si on maintient le bénéfice de façon dégressive de certaines allocations à ceux qui reprennent le travail. Ça ne coûtera pas plus cher à la collectivité publique, État ou caisses publiques, et ça rapportera au contraire de l'argent à la Sécurité sociale, puisque sur la part du salaire complémentaire, on payerait des cotisations. Voilà pour les situations d'urgence à court terme. Ça mérite d'être discuté.
Q - Sur le long terme, pensez-vous que la baisse des charges pour les entreprises ou la baisse des impôts pour l'ensemble des ménages pourrait faciliter la consommation ?
R - Regardons autour de nous, dans le monde : quels sont les pays où le chômage a diminué ? Ce sont les pays où on a baissé les dépenses publiques, où on a baissé les charges, où on a donné plus de libertés. Quels sont les pays où le chômage n'a pas diminué, voire augmenté ? Des pays tels que la France et l'Allemagne, essentiellement. Ce sont des pays où on n'a pas eu recours à ces méthodes nouvelles. Au fond, nous avons besoin d'un véritable changement profond de notre système social, de notre système économique et de notre système politique : on ne peut continuer tout le temps avec les mêmes recettes pour connaître bien souvent les mêmes déceptions. Nous avons essayé à quelques reprises dans le passé de changer. Ça n'a pas duré longtemps, car un des problèmes de notre pays, c'est le changement fréquent des majorités et des gouvernements, ce qui fait qu'on n'a jamais le temps de mettre les choses en application.
Q - Ce qui parait terrible pour le citoyen, c'est que chaque fois qu'il y a une nouvelle majorité, il y a des nouvelles solutions, des nouvelles méthodes qui, en général, se révèlent inefficaces ?
R - C'est la deuxième fois que vous me dites cela mais je vous répète que cela s'est révélé quand même efficace à deux reprises d'avoir davantage de libertés. Pendant un moment mais ensuite, les majorités ont changé. Voilà ce qui s'est passé. Moi, j'aurais une proposition à faire. Si on veut que véritablement les entreprises aient intérêt à créer des emplois et que les chômeurs et les salariés aient intérêt à les occuper, il serait peut-être temps qu'on se réunisse. L'affaire est trop grave, trop sérieuse. Nous n'allons pas rester éternellement l'un des grands pays du monde - car la France est quand même un grand pays, un pays prospère - où il y a de plus en plus de Français malheureux. Eh bien que l'on se réunisse pour étudier ensemble les solutions possibles. Il y a quelques années, on avait recouru à cette méthode sous l'égide de la Commission Mattéoli qui a étudié toutes les solutions possibles pour développer l'emploi. Elle était arrivée à la conclusion que la baisse des charges était, contrairement à ce qu'a dit L. Jospin je le note en passant -, la meilleure méthode pour développer l'emploi.
Q - Quand vous dites réunir tout le monde, vous voulez dire les partenaires sociaux, les leaders des grandes formations de la majorité et l'opposition ?
R - Pas nécessairement, parce que cela conduit souvent à des confrontations qui sont stériles. Mais il faut réunir véritablement des hommes et des femmes de bonne volonté, des experts, en les chargeant de regarder toutes les solutions possibles pour faire en sorte que véritablement notre pays ne demeure pas une si fâcheuse exception dans le monde. Il y a quand même de grands pays qui font mieux que nous et même de petits pays qui font mieux que nous. J'ai entendu hier que vous parliez à M. Jospin des États-Unis. Il dit « bah, oui, mais les États-Unis, c'est la première puissance économique du monde. » Certes mais ce n'est pas une raison pour que cela aille bien. Il y a sept, huit ans, souvenez-vous, on disait que les États-Unis étaient en pleine perdition, en affaiblissement. On disait la même chose de la Grande-Bretagne, il y a quelques années. Souvenez-vous qu'il y a un plus grand nombre d'années, on disait de la France qu'elle était le Japon de l'Europe, le champion de la croissance et de l'investissement dans le monde et nous n'avions pas de chômage. Donc, il y a quand même un sentiment d'impuissance et finalement de désespérance qui finalement gagne la société. Il faut rendre aux Français confiance en eux-mêmes. Pour cela, il faut changer de méthode, ne pas avoir toujours recours à l’État, à l'interdiction, à l'obligation et faire enfin un peu confiance aux hommes.
Q - Alors vous savez que L. Jospin essaye d'explorer une nouvelle piste, les trente-cinq heures. Puisque l'on parlait d'experts, pour l'instant, ils se déchirent un petit peu sur le nombre d'emplois que cela va pouvoir rapporter. Vous pensez d'abord que cela va être créateur d'emplois ?
R - Non, je ne le crois pas. Il y a eu effectivement des études mais c'est très simple : on réduit la durée du travail. Très bien mais est-ce qu'on réduit les salaires ? Si oui, c'est une baisse du pouvoir d'achat pour ceux qui travaillent. Bon, on peut estimer que par sens civique, ils devraient l'accepter mais il faut le leur dire.
Q - Pour l'instant, ce n'est pas le cas. C'est trente-cinq heures payées trente-neuf.
R - Ce n'est pas le cas. Si on ne réduit pas la durée du travail (ndlr : les salaires), qu'est-ce que cela veut dire ? On augmente les charges des entreprises et donc, on va créer du chômage. Donc, je trouve que c'est une voie sans issue. Je suis partisan de la réduction de la durée du travail. C'est un mouvement historique qui doit se continuer et qui correspond à la fois aux capacités économiques et techniques et aux aspirations humaines. Il faut aller dans ce sens. Mais il faut faire confiance là aussi à la liberté, à la négociation, ne pas mettre des couperets, ne pas mettre là encore des interdictions et des obligations. Nous sommes l'un des pays au monde où l'on négocie le moins et où on discute le moins. Pourquoi est-ce que les salariés et les entrepreneurs ne seraient pas capables de discuter entre eux pour arriver à des résultats ? Je suis partisan, je le répète, de la baisse de la durée du travail mais je trouve que la voie de la mécanique autoritaire, implacable est mauvaise.
Q - Et vous aurez, vous, l'opposition, une solution alternative à partir de mardi quand on va discuter de ce texte à l'Assemblée ?
R - Écoutez, il y a eu une proposition de loi qui a été déposée par l'opposition et qui tend essentiellement à baisser les charges sur les entreprises et je dois dire que je suis en désaccord avec L. Jospin lorsqu'il prétend que la baisse des charges sur le salaire ne crée pas d'emplois. C'est le contraire qui est vrai. On a baissé les charges sur les salaires il y a quelques années dans notre pays et on a diminué le chômage de 200 000 en un an. Dans tous les pays étrangers qui ont réussi à lutter contre le chômage, on a baissé les charges et quant à la durée du travail, je vous signale que c'est dans les pays qui ont maintenu une durée du travail relativement élevée qu'on a le mieux lutte contre le chômage. Le travail, ce n'est pas un gâteau de forme fixe qu'il faut se répartir. Cela peut aussi s'augmenter. Ce qui compte, c'est développer l'offre de travail. Mais pour les situations d'urgence dont on a parlé et qui ont déterminé cette sorte d'explosion qui émeut beaucoup et à juste titre d'ailleurs les Français, car il y a quand même des centaines de milliers d'hommes et de femmes qui sont dans une situation dramatique. Je suis persuadé que la solution n'est pas d'augmenter les minima sociaux nécessairement. Peut-être que tel ou tel doit être revu, mais la solution est d'offrir du travail et de l'intérêt à se remettre au travail. Voilà ce qui est en cause et voilà ce qui mériterait, je crois, d'être étudié.
LE JOURNAL DU DIMANCHE : 25 janvier 1998
Q - Êtes-vous un candidat heureux ?
R - Oui. Parce que l'enjeu de ces élections régionales est important : la majorité RPR UDF conservera-t-elle l’Île-de-France ? Parce que cette campagne se déroule dans un bon climat, dans une bonne entente entre tous les mouvements et partis concernés. Enfin parce que le résultat espéré est loin d'être acquis, que c'est un combat difficile qui vaut la peine d'être mené. J'ai donc décidé de relever le défi.
Q - On vous a connu moins à l'aise lors de la campagne présidentielle ?
R - Croyez-vous ? Ne revenons pas sur le passé. Il y a dans ces élections régionales l'occasion de montrer que la vie politique doit être proche des préoccupations de tous dans leur vie quotidienne, qu'elle doit les exprimer, les traduire dans les projets. Cela veut dire pour les responsables politiques davantage de réalisme, de l'honnêteté dans leurs propositions, de la transparence dans leur action.
Q - Une conseillère régionale RPR, Claude-Annick Tissot, a essayé de mettre plus de transparence dans les marchés publics en Île-de-France, elle ne figure pas sur votre liste.
R - Le souci de marquer qu'une époque nouvelle s'ouvre me conduit à tourner la page sans entrer dans les polémiques du passé.
Q - Y a-t-il, à vos yeux, un vrai risque que la gauche l'emporte ?
R - Oui, si l'on extrapole les résultats du premier tour des élections législatives du printemps dernier, la gauche a de l'avance sur nous. Quand on est challenger, il faut se donner plus de mal que les autres. Mais le temps a passé. Les yeux de l'opinion s'ouvrent, la politique du Gouvernement déçoit.
Quand on appelle l'ensemble des Français à se prononcer, l'enjeu est national, même s'il s'agit d'élections régionales. J'ai dit, quand j'ai accepté de conduire le combat en Île-de-France, que je souhaitais que ces élections constituent le premier acte du redressement de l'opposition. On m'a trouvé imprudent à l'époque, mais l'état des esprits change.
Q - Selon votre slogan, vous voulez « faire du cœur de la France un exemple ». Quel exemple ?
R - L'exemple du renouveau et de l'union. Mais il faut aller plus loin et montrer aux Français que nous avons compris la leçon qu'ils nous ont donnée au printemps. L'exemple de la prise en compte des aspirations profondes des habitants : la formation des jeunes, qui doit être améliorée afin qu'ils trouvent un emploi, la sécurité, qui doit être assurée, la lutte contre la pollution, le développement de l'économie de l’Île-de-France. ! Il ne s'agit pas d'abstractions mais de problèmes très concrets. Il faut que nos concitoyens aient la conviction que nous sommes proches d'eux et que nous les comprenons. C'est peut-être une façon différente de faire de la politique.
Q - Une autre manière de faire de la politique, c'est de débattre avec ses adversaires. Quand débattrez-vous avec Dominique Strauss-Kahn ?
R - Y aura-t-il un débat ? Et, si oui, qui sera le candidat à la présidence de la région ? Pour ma part, j'ai dit que je le serai si j'ai le soutien de la majorité absolue ou relative au conseil régional car je ne veux pas dépendre de conversations de couloirs et de transactions occultes. C'est mon engagement. J'attends que les socialistes prennent la même attitude : quel est leur candidat, sera-t-il candidat même s'il n'a pas la majorité ?
Q - Vous n'entendez pas être élu à la présidence de la région avec des voix du FN. Mais d'autres, dans le Nord, en Languedoc, les acceptent. Votre position est-elle bien celle de toute l'opposition RPR-UDF ?
R - La position que je défends est celle qui a été confirmée et entérinée par le RPR et aussi par l'UDF, par les voix de Phi lippe Séguin et François Léotard. Les électeurs de l’Île-de-France sont donc fixés : il n'y aura pas d'ambiguïté.
Q - Vous débattez demain sur France 2 (22h55) avec Martine Aubry. Il sera question des 35 heures. Pourquoi êtes-vous contre alors que des études de la Banque de France et de l'OFCE affirment que cette réforme créerait 450 000 à 700 000 emplois d'ici à 3 ans ?
R - Ces études sont bâties sur des hypothèses qui sont loin d'être certaines : aurons-nous la croissance qui est prévue, toutes les entreprises appliqueront-elles les 35 heures comme prévu, la modération salariale c'est-à-dire la baisse des salaires, sera-t-elle acceptée par les salariés afin de créer des emplois ? Les salariés sont-ils conscients qu'on leur ait menti en promettant que les 35 heures seraient payées 39 ? Je constate plusieurs choses : tout d'abord on a réduit la durée du travail en 1982, de façon autoritaire, et le chômage a augmenté. En deuxième lieu, la France est l'un des pays évolués dans lesquels la durée du travail est la plus faible. En troisième lieu, tous les pays qui ont le mieux lutté contre le chômage ont une durée de travail supérieure à la nôtre.
Je suis favorable à la réduction de la durée du travail, c'est un mouvement historique, mais de façon libre, contractuelle, naturelle et non de façon autoritaire et automatique.
Q - Irez-vous jeudi à France-Espagne ?
R - J'en serai très heureux.
Q - Certains ne regretteront-ils pas, ce jour-là, la décision que vous avez prise d'implanter le Stade de France à Saint-Denis ?
R - Je suis heureux et fier de la décision que j'ai prise : l'implantation du Stade de France à Saint-Denis et le choix du projet. Je la revendique car c'est un très beau projet. Antonio Samaranch, le président du Comité olympique international, a déclaré publiquement à plusieurs reprises que c'était le plus beau stade du monde. La France avait besoin de cet équipement. On dit qu'il y a des problèmes de transports publics mais je ne doute pas que tout le monde y mettra du sien et que, rapidement, ils pourront être résolus. Après tout, le stade de France n'est pas plus loin de Notre-Dame que ne l'est le parc des Princes. Le stade de France est un équipement superbe dont je suis fier. Deux stades comme le parc des Princes et le stade de France ne sont pas de trop dans une région de 11 millions d'habitants.