Texte intégral
P. Boyer : Une trentaine de chômeurs ont envahi votre bureau à Montbéliard. Vous seriez disposé à les rencontrer, comme ils le réclament ?
P. Moscovici : C’est mon bureau d’élu local, et surtout la fédération du Parti socialiste du Doubs. Je crois que c’est une erreur que d’occuper un parti politique, car ça politise le débat, et ce n’est pas le lieu pour faire ça. On n’est pas dans un lieu de la République officiel ; on n’est pas non plus dans un lieu institutionnel du dialogue social. Cela dit, si je pense que c’est une erreur, je suis aussi prêt à les rencontrer, dans un lieu convenable. Je pense à vendredi, à la sous-préfecture de Montbéliard, en tant que ministre ! Car j’espère que c’est au ministre qu’ils veulent parler, et non pas seulement au socialiste, car sinon on risquerait de tomber dans des querelles de partis.
P. Boyer : Vous considérez, comme M. Aubry, que les occupations illégales doivent cesser au plus vite ?
P. Moscovici : Je pense, effectivement que le message des chômeurs a été entendu. Ce qu’il faut répondre, c’est que nous sommes solidaires de leurs problèmes ; que nous voulons traiter les problèmes urgents d’urgence ; que nous voulons donner des réponses de fond à l’emploi. Et il est temps maintenant de passer au dialogue, à l’action. M. Aubry a fait des propositions, qui sont des propositions sérieuses. Il faut maintenant les adapter au terrain, et non poursuivre ces occupations.
P. Boyer : Vous avez affaire à un conflit social d’un nouveau genre ?
P. Moscovici : C’est vrai que c’est quelque chose d’habituel. Mais ce sont des gens qu’on connaît bien. Les 30 chômeurs qui sont dans mon bureau, je les connais. Je les ai soutenus, souvent. Je suis solidaire de leur combat. En même temps, je ne suis pas certain qu’ils représentent la totalité des chômeurs. Et en même temps, c’est très visible : ils demandent des choses qu’on a envie de satisfaire et qu’on ne peut pas tout à fait satisfaire, parce que ce n’est pas les bonnes réponses. Donc je crois que la bonne réponse c’est celle qu’a donnée M. Aubry. Des aides d’urgence, tout de suite ; et puis, des réponses de fond : les 35 heures, les 350 000 emplois pour les jeunes. La relance de la croissance. C’est ça la politique du Gouvernement. C’est d’abord de créer des emplois. Oui, il faut répondre aux situations d’urgence, nous sommes prêts à le faire. Mais le problème de l’emploi exige une action de fond que nous devons entamer.
P. Boyer : Vous diriez, comme N. Notat, qu’il y a manipulation de la détresse, que c’est une opération un peu médiatique ?
P. Moscovici : C’est plus compliqué, mais c’est vrai qu’on trouve dans ces mouvements des militants politiques. Je sais, qu’à ma permanence, il y avait un élu Lutte ouvrière de Montbéliard, des militants de la CGT qui ont une carte d’un parti politique, qui pourtant, est un parti dont le secrétaire national a estimé, ce matin, que c’était un premier bon geste – je veux parler du Parti communiste.
P. Boyer : On ne peut pas chercher à s’appuyer sur le mouvement social, quand ça vous arrange – par exemple le dossier des 35 heures -, et en même temps repousser le mouvement social, parce que la revendication ne convient pas à la ligne définie par le Gouvernement.
P. Moscovici : Moi, je dis tout à fait oui au mouvement social. J’entends tout à fait ces revendications, et je m’en sens en partie solidaire. Il y a, là, quelque chose que l’on doit écouter. Mais le fait que M. Aubry ait débloqué les fonds ; le fait qu’on avance l’examen de la loi sur l’exclusion ; le fait qu’on engage un dialogue décentralisé, tout ça montre que nous l’entendons. Et en même temps, ce mouvement social, il est parfois un peu maximaliste, et il n’est pas très représentatif. C’est toute la difficulté.
P. Boyer : Je comprends bien votre priorité qui est la politique de l’emploi. Mais les chômeurs, il y a de la désespérance dans tout ça. Ils ne croient plus aux lendemains que vous leur chantez sur la croissance, le retour de l’emploi, les avantages de l’euro ?
P. Moscovici : C’est vrai, il y a cette contradiction qui existe. Mais nous voulons entamer une action qui est une action en profondeur. Il y a, dans ce pays, plus de 3 millions de chômeurs. Ça ne va pas se résorber en un jour. Il y a une petite contradiction dans l’usage des fonds publics. Nous voulons traiter à la fois l’exclusion et le chômage. D’où le fait qu’il y a cette politique économique que j’évoquais, avec ses trois piliers : la réduction du temps de travail ; les 350 000 emplois pour les jeunes – et puis d’autres dans le privé, demain - ; la relance de la croissance à travers le pouvoir d’achat. Et aussi la loi contre l’exclusion. C’est cette démarche qu’il nous faut mettre en œuvre.
P. Boyer : Vous connaissez cette boutade de J. Dray : croire que l’euro va créer de l’emploi, c’est du même ordre que de penser qu’A. Jacquet peut nous faire gagner la Coupe du monde en juin ?
P. Moscovici : J’espère qu’A. Jacquet va nous faire gagner la Coupe du monde en juin.
P. Boyer : Certains économistes s’interrogent, et pas des moindres. Pas forcément des anti-Maastrichiens. Certains d’entre eux disent : dans un premier temps, l’euro peut faire perdre de l’emploi.
P. Moscovici : Je ne crois vraiment pas. C’est que la question de J. Dray est une question légitime. Mais l’euro c’est quoi ? C’est d’abord plus de puissance pour l’Europe. C’est une monnaie qui est capable de peser par rapport au dollar, par rapport au yen. Voyez ce qui s’est passé sur la crise du Sud-Est asiatique ! A l’évidence, si demain il y a l’euro, les gens vont se mettre à acheter de l’euro. Ça va être une monnaie refuge, ça va être de l’afflux de devises, et ça va être de l’investissement des spéculations. S’il n’y a plus de mark, de franc, plus de livre, plus de lire, on ne peut pas spéculer entre ces monnaies. Donc ça diminue les pertes de change. Ça permet également de baisser les taux d’intérêt. Donc je crois que ça crée très vite un cadre de stabilité, un cadre de puissance, qui permet de stabiliser, un cadre de puissance, qui permet de développer l’emploi. Je ne vois pas en quoi ça supprime les emplois.
P. Boyer : On va voir apparaître des distorsions entre les entreprises allemandes, françaises, italiennes, espagnoles.
P. Moscovici : Ça, c’est si on fait l’euro tout seul. Mais il y a aussi des besoins d’accompagner l’euro. L’euro que nous proposons ce n’est pas exactement l’euro que nous avons trouvé au mois de juin. C’est un euro rééquilibré. Et je pense à tout ce qui est harmonisation fiscale et sociale. Si on laisse cette harmonisation se faire par le bas, alors, la concurrence risque d’être avivée. C’est pour ça qu’il faut au minimum des codes de bonne conduite fiscale – c’est ce pour quoi plaide la France. Et il faut aussi un rééquilibrage de la fiscalité qui doit être plus favorable au travail.
P. Boyer : La France a été obligée de renforcer ses contrôles à ses frontières avec l’Italie devant l’afflux de réfugiés kurdes. Est-ce que cela ne donne pas raison, quelque part, à ceux qui s’inquiètent des conséquences du Traité d’Amsterdam, et qui réclament aujourd’hui un référendum sur cette question ?
P. Moscovici : Ça n’a rien à voir avec le Traité d’Amsterdam. C’est l’application des accords de Schengen C’est un problème de contrôle des flux migratoires, c’est un problème de criminalité organisée internationale. C’est un problème aussi qui touche les pays qui sont concernés par la question Kurde. La France, il faut le savoir, n’est pas le pays de destination de ces Kurdes. C’est plutôt vers l’Allemagne, les Pays-Bas, que l’on va. Je suis pour le renforcement de la coopération avec l’Italie dans le cadre des accords de Schengen.
P. Boyer : K. Kinkel a lancé un appel à la présidence britannique pour que l’Union européenne prenne l’initiative après ce que l’on voit se passer en Algérie. Est-ce que la France serait prête à soutenir cette initiative ?
P. Moscovici : Nous sommes totalement bouleversés, indignés par tout ce qui se passe. Il faut poursuivre les manifestations de solidarité avec la société algérienne. Ça passe par la transparence. Monsieur Kinkel a proposé l’envoi de ce que l’on appelle la troïka de l’Union européenne : le Luxembourg, la présidence précédente, la Grande-Bretagne, la présidence actuelle, l’Autriche, présidence suivante. C’est une bonne idée qui mérite d’être étudiée. Ainsi qu’une réunion au niveau des directeurs politiques de l’Union européenne pour voir quels mécanismes de coopération on peut mette en œuvre. Oui, je crois que l’Europe est le bon niveau de réponse à cette question. Il faut faire avant tout la transparence : connaître au mieux, et combattre.